UN MUSEE A CIEL COUVERT
Bienvenue au musée
Depuis l’activité intense et fourmillante de New Oxford Street, on aperçoit une plaque au nom révélateur : Museum Street. On approche. Chaque pas participe à la construction de l’image mentale, on va tourner le coin, rencontrer le célèbre musée.
Le cou se tend, on s’apprête à saisir le premier panorama et, surprise, Museum Street est une petite rue tranquille. Au fond, pourtant, l’horizon est empli de la façade au rythme régulier, parfaitement néoclassique, derrière ses grilles serrées qui lui confèrent un interdit hiératique. On a envie d’être un pèlerin à la recherche des savoirs.
On passe avec déférence ces hautes grilles ouvragées, on traverse la cour de ce temple des savoirs, on renverse la tête sous le portique ionique, ouvert à tous. Nouvelle surprise.
Voilà que notre temple des savoirs oppose à l’image mentale sombre, froide et solennelle une activité bruissante et une chaleur toute humaine. La lumière frappe, éveille, donne le ton. Sa clarté irréelle repousse les limites de l’ombre, va jusqu’à les interdire.
Sans ombres, pas de repos, et pourtant cette lumière n’est pas harassante, elle est comme une invitation à une lévitation irréelle filtrant par la bulle monochrome qui s’étire entre les fins ponts métalliques jetés dans les hauteurs de cette place à ciel presque ouvert. Une bulle qui semble prête à envoler le monument et ses trésors, retenue par les arêtes de pierre et d’acier au lieu de reposer sur elles.
Les galeries qui s’ouvrent aux flancs des quatre façades intérieures invitent à l’exploration. On s’y perd, on s’emplit les yeux et l’esprit, mais toujours comme un phare subreptice la place centrale appelle, attire à elle. On se surprend à être repris par le souffle un peu chaud qui en émane. On y revient pour se reposer dans son activité, dans l’essaim des livres, des cafés, des gens.
Comme par pudeur, pour préserver le saint des saints, la rondeur feutrée de l’ancienne bibliothèque est enveloppée, au centre, d’une gangue circulaire de la blancheur brumeuse de la pierre d’Anstrude. À l’intérieur, de nouveaux espaces d’exposition temporaire, mais aussi la salle de lecture d’origine, capturée dans son mythe comme dans de l’ambre.
On tourne, on lui tourne autour, en restant à sa base ou, pourquoi pas, de bas en haut, en gravissant le double escalier de pierre qui enlace le cylindre. D’un côté, une porte étonnamment discrète ouvre la voie vers un espace d’exposition plus traditionnel, tamisé, silencieux, moquetté.
De l’autre côté, l’espace prend ses aises sur la terrasse en suspension, nimbée elle aussi dans la lumière qui, très homogène, a toutefois la grâce de refléter les variations du couchant.
Entre deux galeries on déambule dans la grande cour, marchant au rythme des lumières qui changent, des masses qui se révèlent, des ombres qui dansent.
On aperçoit de loin des sculptures monumentales, on les croise, on se sent petits. On lève les yeux. On veut toucher la bulle. On veut toucher la lune qui paraît.
Les dessous d’une telle ambiance
Cette légèreté incroyable résulte d’un travail immense, d’une précision incroyable. D’abord le projet de Norman Foster et son équipe, entourés de Buro Happold pour la structure et de Claude Engle pour la lumière, y ont travaillé de 1994 à 2000 afin d’offrir à ce grand musée une peau neuve et un fonctionnement radicalement modifié.
Outre la grande rénovation du portique Ionique et son grand parvis au sud, qui causa une vive polémique dans toute l’Angleterre, du fait de l’utilisation de la pierre blanche française Anstrude au lieu de pierre de Portland, nous nous concentrerons sur la couverture de la grande cour, qui donne toute sa force au projet.
Encombrée pendant plus d’un siècle, cette cour se devait d’être le poumon de tout le musée, irriguant chaque galerie et concentrant en son centre la bibliothèque ronde dans laquelle Marx, Dickens, Shaw, Mortimer et bien d’autres ont passé de longues heures d’étude.
Alors Sir Foster, d’un seul geste, capture le tout dans une bulle de verre épousant le carré et le cercle pour offrir au musée ce poumon tant nécessaire. Les surfaces ajoutées au musée se glissent sous le dallage de pierre de cette grande cour ou bien s’enveloppent autour de la bibliothèque centrale dans ce mouvement ascendant. Et permettent dans le même temps d’accéder aux galeries hautes par une légère passerelle.
Structurellement, même, c’est la bibliothèque centrale, renforcée de 20 poteaux d’acier et de béton masqués dans une peau neuve de pierre, qui soutient toute la coupole. C’est depuis ce cercle central que sont jetés vers l’extérieur les fins ponts d’acier qui tissent ce nouveau ciel de 6100m² pour la grande cour. Sur le rectangle périphérique, la nappe d’acier se pose délicatement en liaison appui-plan: les dilatations, les charges transversales ne viennent donc pas perturber les anciens murs de pierre.
Là dessus sont accrochés 3312 triangles de verre dont les dimensions sont comprises entre 80cm et 220cm. Chacun d’eux est un véritable bijou unique, financé en partie de manière participative, puisqu’il a été proposé aux Londoniens d’adopter ces triangles…
Leur composition, de l’extérieur vers l’intérieur est décrite dans l’éclaté issu du moniteur architecture:
1 – membrure d’acier 2- noeud structurel 3- goujon de fixation
4- garniture de silicone 5-joint de silicone extrudé collé sur l’acier
6- panneau de vitrage: verre sécurité (10mm), lame d’air (16mm), verre sérigraphié (6mm), filtre en PolyVinil Butyral (<1mm), verre flotté clair (6mm).
Cette composition bien précise permet au vitrage de donner la meilleure illusion de transparence tout en évitant la surchauffe et l’éblouissement, notamment grâce aux points sérigraphiés dont la densité, la taille et la couleur ont été validés au préalable en maquette 1:1.
Avec une telle quantité d’éclairage naturel et de par la blancheur des murs et leur décor classique, la mission d’éclairage du projet n’était pas du tout aisée. La part belle est faite à cette lumière du soleil, qui peut occasionnellement être renforcée par un éclairage d’appoint jaillissant de l’anneau lumineux couronnant la bibliothèque ronde en cas de grisaille. La nuit l’ambiance cherche à reproduire une lumière de point du jour.
En plein jour comme à la tombée du soir, la lumière dans la grande cour est assez homogène, un peu irréelle.
C’est très réussi, l’éblouissement est acceptable, il participe même au vécu dans le musée lorsqu’on pénètre dans la grande cour. Les reflets des luminaires dans les mailles de verre sont assez limités, et s’il sont inévitables, ils participent alors au petits détails qui se reflètent dans cette grande voûte céleste artificielle.
Le souvenir de la grande cour luit comme un ostensoir
De même que l’on pourrait passer sa vie à décortiquer tout l’immense trésor de toutes les civilisations contenu dans le British Museum, on ne se lasserait pas des jeux de lumière, des danses des ombres de la résille projetées sur les murs de pierre, des masses gibbeuses dévoilées lorsqu’on tourne dans la grande cour.
C’est là, semble-t-il, l’exploit le plus sensible de Foster : donner à voir une légèreté monumentale, une rupture qui assure l’unité, un nuage de transparence sérigraphiée avec lequel on a envie d’engager sa réflexion, mais surtout sa perception, par tous les sens.
Maëldan Le Bris Durest
Londres, le dimanche 14 Février 2016 de 15h à 18h.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
ENGEL Pierre. Guide de la réhabilitation avec l’acier à l’usage des architectes et des ingénieurs. Paris : Construiracier, 2010.-461 p.
BARRENECHE Raul A. Nouveaux musées. Paris : Phaidon, 2005.-206 p.
Articles de périodique
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JODIDIO Philip. Norman Foster à Londres : le British s’ouvre. Connaissance des arts. n° 578. décembre 2000. p. 74-81.
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SABBAH, Catherine. Le British Museum : une résille de jeunesse. Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, (2002,8 févr)n°5124. p. 353