LA CITE DES ARTS ET DES SCIENCES DE CALATRAVA ET LA GUGGENHEIN DE GEHRY

Le tourisme architectural.

J’ai visité Valence et Bilbao en l’espace de 15 jours. Deux voyages consécutifs, improvisés car de dernière minute, alors que ma saison en tant qu’hôtesse d’accueil dans un office de tourisme breton se finissait plus tôt que prévu.

Est-ce que le choix des destinations était influencé par 2 mois de conseils touristiques standardisés, d’encouragement à la visite de masse, dans des lieux pensés et organisés pour un certain tourisme ? Peut-être. Ce choix était cependant sans aucun doute influencé par l’aspect économique très intéressant de ces 2 destinations. 10euros aller-retour en avion pour Valence. Quelques euros d’essence pour Bilbao (puisque j’étais hébergée dans le pays basque français). Une économie du voyage imbattable.

Mais en dehors du paramètre économique, j’y suis allée en tant qu’étudiante en architecture. C’est-à-dire que mes motivations étaient architecturales, relevant presque du pèlerinage. Pas particulièrement admirative de ces architectures pour leurs qualités architecturales, je les tenais malgré tout sur une liste fictive des « choses à voir quand on est étudiant en architecture ». Parce qu’on l’étudie, on en parle et on en entend parler. Une chose est sûre est qu’ils font parler d’eux, et de leur ville. Dès lors, pour pouvoir en parler, s’en faire un avis, il fallait voir. Les voir en vrai.

Si pour moi ces 2 destinations étaient motivées pour des raisons architecturales, c’est-à-dire par d’une part la Cité des sciences de Calatrava, d’une autre part par le musée Guggenheim, j’ai pu constater que d’une façon générale le tourisme de ces villes était orienté autour de ces 2 éléments.  Avant même d’être sur place, lors de la préparation du voyage, ces éléments se font déjà connaître par une communication architecturale et touristique de grande ampleur. La ville se fait connaître, et se communique à travers ces monuments architecturaux. Pour exemple, les sites web des offices de tourismes de Bilbao et de Valence affichent d’entrée de jeu ces architectures qualificatives de leur ville, de façon claire et imposante.

Peut-on dire de Bilbao et Valence qu’elles sont d’un point de vue touristique, des villes écrins d’une pratique architecturale spécifique ? Par leurs échelles monumentales ces 2 architectures contemporaines s’exposent dans la ville aux yeux des passants.

Valence et la cité Calatrava.

Lorsque l’on programme son voyage à Valence, la cité des arts semble être un inévitable du programme. Sur place pour 3 jours nous avions établis un programme éclair du type : jour 1 front de mer, jour 2 Cité des sciences jour 3 Centre historique. Une forme de consommation touristique à l’efficacité prouvée : voir le principal en peu de temps. Nous étions donc parties du principe que la visite du centre historique de Valence, était d’une importance équivalente à celle de la cité des sciences.

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Cité des sciences, Calatrava

Sur une journée annoncée de visite nous n’avons mis qu’une matinée. Parce que nous n’avons pas visité l’Océanografic. Nous sommes arrivées par la carrer de Menorca, par l’est de la ville, à la placa d’Europa, l’horizon change. La cité des sciences prend toute son importance, les architectures alentour s’effacent. Pour approcher il faut passer par la coulée verte, aménagement de l’ancien fleuve Turia, qui, suite à une inondation dans les années 60, a été détourné au sud de la ville. Ceci a libéré de vastes espaces qui sont aujourd’hui des parcs publics aménagés dans la portion citadine de l’ancien lit. C’est dans l’embouchure asséchée qu’est installée la Cité des arts et des sciences. L’architecte et ingénieur Santiago Calatrava a imaginé et dessiné la majorité des structures des 350 000m² que recouvre la cité des arts et des sciences.

Arrivée dès le matin par le parc de l’ancien fleuve, la chaleur n’étant pas encore accablante, l’activité humaine était scindée en 2 profils : des groupes de sportifs pour les habitants profitant des grands jardins pour un footing, et des touristes aux perches à selfie mitraillette.

L’arrivée par le parc donne l’impression d’entrer dans un autre monde, où les échelles sont disproportionnées, les contrastes exagérés. L’ambiance est futuriste, le tout semble vide tellement il est immense. Malgré l’élégance de certaines formes, les bâtiments s’avèrent complexes et avec des qualités relevant plus de la « performance » que de la qualité purement spatiale. Le tout est très peu fréquenté par les valenciens, mais a-t-il, un jour été pensé pour eux ? Sans doute que non.

 

Un pôle culturel complet : les 7 merveilles de Valence.

Depuis le parc où nous étions, le musée des sciences est l’élément le plus remarquable. Ce bâtiment en forme de cage thoracique, filaire par sa structure, massif pour son emprise au soleil et sa surface vitrée qui lui donne des allures de serre. Le bâtiment abrite un musée interactif consacré aux sciences et aux technologies dont la devise est « Interdit de ne pas toucher, de ne pas penser, de ne pas sentir ». Le slogan est racoleur, une visite d’expérience est promise, les familles avec enfants se dirigent vers l’entrée. Nous n’avons pas souhaité visiter le musée, d’avantage intéressées par la visite de la cité dans son ensemble. Des bassins d’un bleu pacifique, sur un béton blanc donne l’impression que l’eau est chimiquement teintée. La réverbération du soleil sur les surfaces blanches, lumineuses surfaces vitrées, s’articule sur quatre niveaux. Nous avons pu lire que ce musée était le plus grand musée d’Espagne.

Nous continuons le parcours nous dirigeant vers l’Hémisphérique, une construction connue pour être en forme d’œil humain.  Une référence subtile qui aurait pour symbole l’ouverture sur le monde, selon Calatrava. On y voit avant tout un prétexte à la demi-sphère dans laquelle se situe le plus grand cinéma IMAX d’Espagne. Puisque la communication est grandement axée sur cet écran IMAX, faisant du bâtiment un élément de plus dans ce grand parc d’attraction qu’est la cité. Il est entouré d’un bassin dans lequel il se reflète et est doté de gigantesques auvents latéraux mobiles s’ouvrant et se fermant. Les paupières de l’œil. La métaphore est légère. Le bâtiment témoigne d’une sorte de « performance narrative ».

Au-delà se trouve le palais des arts de la Reina Sofia, un imposant bâtiment de béton blanc aux formes nautiques entouré de bassins et bordé par la coulée verte. Il est à l’extrémité de la cité des arts et des sciences, Sa structure à plusieurs niveaux, semble protégée par une enveloppe en forme de coquillage constituée de deux coques blanches, et surmontée d’une gigantesque plume métallique supportée par un énorme pilier en béton. La composition est complexe. Accessible à la fois depuis une longue passerelle et depuis un passage traversant les bassins, cette construction avec plateformes végétalisées est desservie par des ascenseurs panoramiques et des escaliers situés sur ses deux flancs. La grosse artillerie, que personne à ma vue n’a utilisé. Il y a une forme de Kitsch dans l’ensemble.

Le palais des arts de la Reina Sofia

Le palais des arts de la Reina Sofia

Enfin nous poursuivons vers l’Umbracle, qui est un espace vert conçu comme une grande promenade publique de 300 mètres de long sur 60 mètres de large, suspendu au-dessus du parking de la Cité. Il y a une allée centrale, bordée de palmiers et des allées latérales qui forment des bancs. La particularité est qu’on peut découvrir des sculptures d’artistes contemporains le long du « Paseo de las esculturas ». Tout au bout de la promenade, un espace est réservé pour une boite de nuit en plein air.

Au fond, le pont de l'assaut, Valence

Au fond, le pont de l’assaut, Valence

Puis nous passons le long du pont de l’assaut de l’or, sans le traverser. Il enjambe l’ancien lit du fleuve Turia, entre le Musée des Sciences et l’Agora. Sa forme présente un unique pilier, haut de 25m, duquel partent les câbles. Cette réalisation donne l’impression d’être la moins spectaculaire, même si la performance technique d’ingénierie que représente ce pont est évidente,  » l’effet » visuel est pourtant pour moi le plus sobre de la cité.  J’aurais envie de dire, l’élément le plus « raisonnable » de la composition.

L’agora est une vaste place couverte, destinée à accueillir de grands événements sportifs et culturels. La construction la plus haute du site, elle semble entrer dans un rapport de force avec le reste du site, un bras de fer gagné d’avance avec le no man’s land limitrophe. La raison est que la construction est à armature métallique, et qu’elle représenterait « deux mains entrelacées », sommées par d’immenses verrières qui constituent un puits de lumière conçu pour fournir un éclairage naturel à l’intérieur de la structure.

Enfin nous avons longé l’Océanografico, dernière étape de cette visite de la cité des sciences. A travers notre découverte du site nous avons eu cette constante impression d’un grand vide humain. Quelques groupes de touristes s’agitaient aux pieds des éléments les plus interactifs de la cité, mais d’une façon générale le site était très peu fréquenté par rapport à ce qu’on aurait pu imaginer. Mais nous approchant de l’océanographique, nous avons retrouvé ces touristes cachés. Pour la première fois depuis le début de la journée nous avons observé une longue file d’attente aux portes. Il est le plus grand centre océanographique d’Europe. Et les affiches criardes qui affichent pingouins et ours polaires sous ces 30°C, et qui menacent de déclencher un caprice à quelconque enfant qui se verrait refuser l’entrée au parc, ne manquent pas de nous le faire savoir. A la façon de notre Océanopolis, le lieu est divisé en zones de climat. Structuré autour d’un grand lac artificiel, c’est un immense complexe, dans le complexe. Une mise en abime du parc d’attraction touristique, plus réussi pour la petite échelle que la grande. Même si nous nous sommes abstenues de visiter l’Oceanografico, tout est mis en œuvre pour l’attraction touristique. Lac artificiel, pavillons aux architectures audacieuses, restaurant flottant, aquarium géants, delphinarium, tunnel sous terrain, bassins divers … Le complexe utilise tous les codes du parc d’attraction sous couvert de découverte culturelle. Pourtant l’architecture est ostentatoire, les moyens mis en place démesurés.

 

Hub touristique … et No Man’s land.

 Nous éloignant du site Calatrava, au-delà de l’Océanografico, afin de retrouver la côte, nous nous sommes perdues. D’ailleurs sur le chemin, nous avons rencontré un américain, la carte à la main, perdu lui aussi. En effet, la frontière entre la cité, aménagée et touristique, et la zone industrielle, déserte et inadaptée à la pratique piétonne, est menue. Aussi sur le trottoir longeant l’Oceanografico, une fois dépassé la file d’attente occupant une partie de celui-ci, le vide n’est plus si loin. En 50m le trottoir s’arrête, débouchant sur une route rapide, du type avec glissière de sécurité. La transition est si brutale que nous hésitons à longer cette route à pied. Nous ne sommes pas encore sorties de la « bulle Calatrava ». Ça ne saurait tarder, après 3 klaxons, nous rebroussons chemin. Les autres possibilités sont maigres, l’américain sort son GPS, qui nous propose de faire demi-tour pour reprendre un pont afin de dépasser la route rapide. S’en suit une marche, d’1km à travers cet espace qui semble appartenir à une autre ville. Ou les touristes, à part nous, n’existent plus, où les seuls signes de vie remarquables sont les klaxons des chauffeurs routiers qui passent. Peu d’habitations, des locaux industriels principalement. Et ce jusqu’au port industriel. Cette transition, qui n’en est pas vraiment une tant elle est brutale accentue terriblement cet aspect « Resort fantôme » de la cité des arts et des sciences de Calatrava.

Bilbao, et le Guggenheim de Gehry.

En vacances dans le sud-ouest de la France, j’ai décidé d’aller passer une journée à Bilbao. Pour le musée, et uniquement pour le musée. C’est une démarche que je n’avais jamais eu, et sur place ensuite, un comportement que je n’ai jamais eu non plus. Déterminée, je suis venue à Bilbao, je l’ai vu … et je suis re-partie.

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Entrée du musée Guggenheim, Bilbao

La Ville écrin.

Bilbao est pour moi, parce que je le pense, mais aussi parce qu’on me l’a beaucoup répété, l’illustration parfaite de cette notion de « tourisme d’architecture ».

Tout le monde connaît l’histoire, dans les années 90 l’administration basque propose de transformer un ancien entrepôt à vin, en lieu de culture. En effet, le déclin industriel de Bilbao se fait sentir, et la nécessité d’une « reconversion », ou en tout cas d’une modernisation de la ville semble nécessaire. L’entrepôt ne sera pas retenu, et il sera décidé que le musée sera construit en plein centre sur les rives du Nervión, là où se trouvent les docks. Le bâtiment devait avoir une puissante identité iconique tout en s’intégrant dans la ville, sachant que le Puente de la salve en est un des principaux accès.

Une véritable politique urbaine accompagne le musée. Ainsi, les zones portuaires deviennent parcs publics ou quartiers résidentiels, les quais deviennent promenades et les terrains industriels, de nouvelles centralités. L’écrin se construit, autour du nouveau joyau de la ville, le musée Guggenheim.

Suite à cette réalisation, le renouveau économique espéré s’est opéré pour la ville. On a appelé cet effet, « l’effet Bilbao » qui est depuis très recherché par les métropoles pour l’attractivité touristique qu’il génère. En séjour dans la famille d’un ami, néophytes en architecture et en art contemporain, j’ai pu observé le rayonnement touristique du Musée : ils ont pu me parler du Guggenheim, car ils y étaient allés, souvent, en amis en famille … Comment expliquer leur intérêt pour cette visite n’étant ni très intéressés par l’architecture, ni très friand de l’art contemporain ? Pour l’expérience, pour l’objet, pour l’architecture « spectacle ». Sur place des cars de touristes de l’Europe entière se garent à deux pas de là, et déposent des groupes entiers aux portes du musée. Le tourisme de masse est à l’affût de cette expérience. Comme on viendrait voir un champ de monolithes à Carnac, on vient voir cette architecture spectacle. Et c’est un point sur lequel je l’ai souvent entendu critiquer.

En tant qu’étudiante en architecture, j’ai pu souvent entendre cette œuvre monumentale, parfois être qualifiée de coquille vide tant l’architecture du musée prend le pas sur ses collections. Malgré les discours de l’architecte sur l’intégration dans la ville du bâtiment, le Guggenheim est indéniablement une architecture contemporaine qui prend le dessus sur le tissu urbain. Une architecture spectacle qui marque tous les esprits par son audace, qui semble pouvoir faire oublier son rôle de musée. En tout cas, de musée d’art contemporain. Le Guggenheim de Bilbao est son propre musée.

A travers le Guggenheim

Le Guggenheim, avant même de le voir, nous l’avons vu sous tous ses angles. C’est pourquoi quand je suis arrivée à Bilbao pour la première fois, le musée Guggenheim m’est apparu sans grande difficulté, au creux du dernier virage avant de pénétrer dans la ville. À la manière d’un vaisseau spatial futuriste, il flottait sur la ville, au bord de la rivière Nervion.

Avec sa peau de métal, en écaille, le Guggenheim se donne un style industriel, et bling bling a la fois. Il exprime un certain décalage quand le reste de la ville semble très industriel. Bien que le métal soit légèrement brossé, la peau brille de 1000 feux au soleil, comme une boule à facette.

Tous les panneaux affichaient le Guggenheim, comme s’il était possible de le manquer. Arrivant par le sud, le Guggenheim m’est apparu comme le Graal. Je le voyais en vrai, je pouvais cocher la case. Celle des « choses à voir quand on est étudiante en architecture ».

Il m’est d’abord apparu chaotique dans sa forme. L’ensemble est complexe, immense. Les points d’accès ne sont pas évidents. Les amas de touristes pratiquant religieusement le selfie semblent minuscules devant le bâtiment.

Et puis on distingue de l’extérieur 3 volumes, ou 3 éléments formels, dont les limites sont un peu floues, ne permettent pas de comprendre les usages qu’ils abritent.

Il y a un contraste entre des volumes aux formes régulières, en pierre, les formes courbes en titane et les grands murs en verre qui forment l’édifice autour de l’atrium, qui est un peu l’axe central du bâtiment. Le noyau autour duquel se déploie les éléments, à la façon de pétales. De sa façade sud, on aperçoit que le haut de l’atrium, tandis que depuis la rive, l’atrium est visible, tout en verre sur l’ensemble de sa hauteur. Selon le point de vue, il prend une importance différente.

De l’atrium on peut accéder à une terrasse couverte, donnant sur un bassin, puis sur le fleuve. C’est aussi lieu d’une vue sur la façade arrière du bâtiment. Selon Gehry, c’est un « poste d’observation sur la ville ». Ce n’est pas sans me faire penser aux terrasses de la fondation Vuitton, cadrées sur la Défense.

De l'atrium, les circulations verticales, Guggenheim Bilbao

De l’atrium, les circulations verticales, Guggenheim Bilbao

Il est temps de passer à l’intérieur, depuis l’atrium central, 3 étages sont accessibles par des tours d’escaliers, des passerelles courbées suspendues au plafond, et des ascenseurs vitrés. Les hôtesses parlent toutes plusieurs langues, il y a du monde, beaucoup de monde, l’organisation et la signalétique sont irréprochables. Le hall se traverse la tête en l’air, dans une lumière presque divine.

Il y a une vingtaine de galeries. La plus grande salle au Rez-de-chaussée, visible depuis le 1etage par l’atrium accueille une œuvre de Richard Serra. L’œuvre de Richard Serra a été conçue spécialement pour le musée. C’est sans doute peu étonnant, car je trouvais que les éléments de l’œuvre évoquaient la façon dont se déploie les volumes en titane de l’extérieur.

Valence et Bilbao, l’expérience touristique.

Finalement si elles ont toutes 2 des architectures contemporaines caractéristiques de leur ville, elles offrent tout de même 2 pratiques du tourisme différentes.

L’une est connue pour une entité architecturale, quand l’autre est connue pour plusieurs entités qui forment un ensemble. Quoiqu’il en soit, elles sont la vitrine de la ville, elles sont les raisons pour lesquelles j’ai fait le déplacement jusqu’à la ville qui les abrite. Ces architectures sollicitent une pratique touristique de l’ordre de la contemplation passive de l’objet.

Alexandra Hingant

voyage du 02/10/15 au 14/10/15

Bibliographie :

Architectures contemporaines Espagne, de Antonio Pizza

Frank O. Gehry : Guggenheim Museum Bilbao, Coosje Van de BRUGGEN

Web :

http://damira-asperti.fr/medias/2015/02/Mus%C3%A9e-Guggenheim-Bilbao.pdf

http://projets-architecte-urbanisme.fr/opera-de-valancia-par-larchitecte-santiago-calatrava/