Criminalité, illégalité et quartiers hostiles. Tels sont les mots-clés de l’option de projet Réalités territoriales non-standard. Parmi les thèmes à traiter durant la semaine précédant le voyage à Naples, se trouvait celui de la mafia en Italie, ses origines, son fonctionnement et plus spécifiquement, comment elle agit dans la région de Naples à travers la Camorra, qui est la mafia napolitaine.
Au vu des informations recueillies, le décor était planté et il était difficile d’être sereine avant le départ, donc.

Ubiquiste mais invisible

La mafia peut susciter une certaine fascination et apparaître comme un mythe pour certains d’entre nous, mais il en est une toute autre réalité.

La lecture d’articles et de vidéos sur Internet et du roman Gomorra de Roberto Saviano m’a fait comprendre à quel point l’organisation criminelle de la mafia s’est rendue indispensable au sein de la société italienne. En effet, née à Naples au début du XIXe siècle, elle s’est graduellement faite une place dans le système pour compenser l’absence de l’État. Cette importante criminalité est basée sur le trafic de drogues essentiellement, la corruption, la prostitution, le chantage, la spéculation, le blanchiment d’argent… La Camorra agit dans la région de Naples en Campanie et notamment dans la province de Caserte. Néanmoins, ses clans se sont démantelés progressivement du fait de l’évolution de la situation du pays et de la lutte du gouvernement italien contre cette illégalité, illégalité très bien organisée et orchestrée. En conséquence, la Camorra agit aujourd’hui différemment : ceux que l’on appelle les Baby-boss sèment la terreur auprès de la population en pratiquant la stessa, qui consiste à « partir en guerre » dans le trafic de drogue. La pauvreté dans les quartiers extérieurs de Naples est le fondement du fonctionnement de la Camorra, car la jeunesse est facilement enrôlée par l’appât du gain. Cette mafia agît généralement en douce pour éviter d’être repérée et arrêtée par les autorités, mais n’hésite pas à tirer des balles pour rappeler qu’elle est présente et qu’elle est au contrôle du territoire. Cette mafia est invisible mais bien présente.
Avant même de commencer à travailler sur Naples je craignais un territoire malfamé où le touriste y est plus vulnérable ici qu’ailleurs, et suite à ces recherches j’avais davantage d’appréhensions, celles de ne pas me sentir à ma place en m’y rendant. Un aspect de la ville dont je ne soupçonnais pas l’ampleur jusqu’ici a été dévoilé et un certain sentiment de frustration est né, celui de savoir mais de ne pas pouvoir voir. En effet, je devine qu’il y a une façade de la ville qui est présentée au touriste et une autre cachée, celle où la pauvreté permet à la mafia de continuer son business en douce.

Une fois les rues foulées…

Les premiers jours passés à Naples ont confirmé mon pressentiment, celui d’une ville chaotique aux rues étroites et pavées pas nécessairement très propres, et aux bâtiments colorés dans les tons jaunes à la peinture défraîchie et écaillée. Une ville où l’odeur de la pollution des scooters qui zooment, se mêle à l’odeur de lessive fraîche des vêtements suspendus au balcon ou à travers la rue. J’ai été fascinée tout au long de la semaine par ce véritable ballet d’étoffes et j’ai compris que cette tâche ménagère était plus que le fait d’accrocher sa lessive pour la sécher. L’étroitesse des rues fait que le vide permet de suspendre son linge, et constitue en quelque sorte la continuité du logement. Et c’est aussi un moment de discussion entre voisins.

En marchant le soir pour rentrer à notre location, j’ai remarqué qu’au rez-de-chaussée des habitations se trouvait une pièce cuisine/salon/salle à manger dont la porte souvent ouverte donnait sur la rue. J’ai pu y percevoir des télévisions allumées, des familles s’affairant en cuisine pendant que les enfants jouaient dehors ou que d’autres étaient assis sur une chaise installée au coin d’intersections de ruelles. On sent que la température clémente de l’Italie du Sud encourage les habitants à sortir de chez eux, à occuper les rues, à placer un tabouret et discuter entre eux.

Néanmoins, être un piéton à Naples n’est pas chose aisée : même s’il est facile d’atteindre l’autre bout de la ville à pied, les scooters cabossés n’hésitent pas à klaxonner au moindre ralentissement et à slalomer entre piétons et voitures. Ce son des klaxons s’accorde au retentissement des sirènes des ambulances. Ce tumulte ininterrompu résonne dans la ville comme un bourdonnement perpétuel.

Décalages dans la ville

Naples m’a semblé assez hétérogène dans sa composition. On peut y sentir une richesse, mais qui par endroit ma paru fanée, car probablement peu entretenue pour des raisons économiques.

J’y ai trouvé des lieux fastes comme la Via Toledo qui est une des rues principales, la Piazza del Plebiscito semi-circulaire, la Galleria Umberto I galerie couverte par une verrière. Sur les collines, sont flanqués d’imposants bâtiments colorés et soignés et qui donnent sur la mer et le Vésuve au loin. En contre-bas, se trouve le port dont une partie a laissé place à une longue promenade.
Ces endroits cités se différencient néanmoins avec les étroites ruelles du Quartier espagnol, par exemple, qui est encore assez régulier dans son tracé. Mais le contraste est davantage marqué dans le centre, comme la Via S. Agostino alla Zecca, où nous logions dans un Airbnb.
Revenons brièvement sur le contexte historique de Naples.
Au XVIe siècle, la ville a un rôle important dans le sud de l’Italie et voit de beaux édifices se construire, ses voies restaurées et un soin particulier est apporté au port avec notamment la création de nouveaux accès aux quais.
Au XVIIIe siècle, malgré le fait que la ville ait de nombreux problèmes économiques, une société contrastée et un environnement urbain dégradé, c’est à cette époque, sous Charles Bourbon, que des interventions ont lieu dans le tissu urbain central et périphérique. C’est ainsi que se construisent dans le centre-ville de nouveaux édifices publics luxueux comme le Tribunale della Salute qui constitue le palais de justice ou encore l’Albergo dei Poveri dédié initialement à des œuvres de charité.
&Acute; cette époque, le port représente un équipement stratégique pour le commerce et sa zone portuaire est ainsi modernisée et équipée d’infrastructures.
Grâce à une voie littorale où convergent les routes provinciales, le port est lié avec l’arrière-pays. La promenade pavée avec les laves du Vésuve qui le longe, amenait les personnes à venir observer les quais et profiter des villas et des maisons de jeu. C’est ainsi que les habitants napolitains de classes privilégiées s’installaient sur les flancs des collines afin de profiter de la vue sur la mer avec ses îles et de l’animation urbaine, le tout dans un cadre végétalisé.
Au début du XIXe siècle, l’ensemble des villes portuaires est marqué par une industrialisation moderne avec la construction de lignes ferroviaires ou encore l’utilisation de bateaux à vapeur favorisant ainsi le développement de l’industrie sur les côtes de la ville napolitaine. Son port s’étend vers l’Est avec la construction d’entrepôts et de magasins. Ces projets contribuent à une séparation de la ville et du port, notamment avec le « Plan d’Assainissement » mis en place après l’épidémie de choléra de 1885. Quelques nouveaux quartiers à la périphérie est de la ville seront construits, ainsi qu’une large artère après la démolition d’un vieux quartier au dos du port.

« Le ciment est le pétrole du sud » – Roberto Saviano

Le 23 novembre 1980, un tremblement de terre d’une magnitude de 6,9 sur l’échelle de Richter sévit près de Naples causant la mort de près de 3000 personnes.
S’ensuivent déblayage, pelleteuse, béton et constructions. Une aubaine pour les clans mafieux qui, sous-traités par des entreprises légales, se répartissent l’ensemble des grands chantiers.

Aujourd’hui, on constate que la reconstruction n’a été que partielle et une majeure partie des subventions attribuées a été détournée par la Camorra. En effet, le clientélisme est un moyen pour la mafia de s’infiltrer dans les institutions politiques : les affiliés mafieux votent pour un parti ou une personne politique et en contrepartie, les activités criminelles sont sous couvert. Mais cette reconstruction qui a suivi le tremblement de terre d’Irpinia n’est qu’un exemple de la domination de la mafia dans le secteur du bâtiment.
En effet, les chantiers sont également une des méthodes pour faire fructifier le trafic des déchets toxiques, un fait connu pour se dérouler dans la région de Naples.

Les fumées des poussières industrielles se retrouvent dans les bétonneuses et ainsi, le béton sert à faire disparaître les déchets. La mafia peut ainsi proposer des prix à rabais pour se débarrasser de ce qui n’a plus de valeur économique pour les entreprises européennes notamment. Aussi, l’enfouissement des déchets par la Camorra dans le moindre terrain disponible de la région vient considérablement polluer les sols, mais c’est apparemment ce qui donnerait ce goût si extraordinaire à la mozzarella napolitaine.

Incontri italiani

Rencontrer des jeunes napolitains m’a permis de découvrir leurs habitudes, avec notamment la tradition du café après le déjeuner où l’eau est censée être bue avant afin d’éliminer toutes les saveurs du déjeuner et de n’avoir que celle de l’expresso en bouche. Chose étonnante à Naples, ce sont les serveurs qui déambulent avec leur plateau sous cloche d’un endroit à l’autre pour venir servir le café ou autre boisson aux étudiants et travailleurs. Aussi, l’absence de restaurant universitaire amène les étudiants à déjeuner chez les commerçants qui vendent pizzas et autres plats italiens de qualité à bas prix. Les napolitains m’ont aussi raconté par exemple ce que signifiaient leurs gestuelles connues pour accompagner la parole ou encore la façon de manger une pizza avec les mains.
Néanmoins, le fait de prévenir que certaines rues sont à éviter alors qu’elles sont indiquées à suivre en itinéraire par Google maps, m’a rappelée la réputation de Naples, un peu oubliée durant la semaine passée. Même si la forte présence de la mafia ne se voit pas, elle se constate à travers le désordre de la ville. Mais c’est bien ce tumulte qui en fait son charme.

Alice Capdemourlin
Séjour du 1er au 8 octobre 2017, réalisé dans le cadre de l’option de projet Réalités territoriales non-standard avec les enseignants Carlo Grispello, Laurent Devisme et Frédéric Barbe, et dont le but était d’effectuer un workshop avec des étudiants napolitains à propos de notre site commun, Villaggio Coppola, qui est situé à une cinquantaine de kilomètres au Nord de Naples.

Médiagraphie

Claude Chaline, Ces ports qui créèrent des villes, Paris : L’Harmattan, 1994, 299 p.

Roberto Saviano, Gomorra, Gallimard, 2009, 480 p.

Francesco Rosi, Main basse sur la ville, 1963

Italie. Comment est née la Camorra [en ligne], Courrier International, 29 octobre 2008, disponible sur http://www.courrierinternational.com/article/2008/10/29/comment-est-nee-la-camorra [consulté en septembre 2017]

Italie : comment la mafia s’infiltre dans la reconstruction après les séismes [en ligne], Franceinfo, 30 août 2016, disponible sur http://geopolis.francetvinfo.fr/italie-comment-la-mafia-s-infiltre-dans-la-reconstruction-apres-les-seismes-116649 [consulté en décembre 2017]

Italie : les Baby-boss de la Camorra [en ligne], Arte, 15 décembre 2016, disponible sur  http://info.arte.tv/fr/italie-les-baby-boss-de-la-camorra [consulté en septembre 2017]

Révélations : les rouages secrets de l’entreprise Camorra [en ligne], l’Express l’expansion, 3 octobre 2012, disponible sur  https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/revelations-les-rouages-secrets-de-l-entreprise-camorra_1337924.html [consulté en septembre 2017]