Dominant le port du Légué, une tour mystérieuse jaillie de la végétation. Bien que partiellement dissimulée par cette dernière, cet appareil rocheux fait, sans nul doute, parti du paysage Briochin. D’elle, je ne connaissais pourtant que son nom : « La tour de Cesson ».

Étant né à Saint-Brieuc et y ayant passé mon enfance, je me suis toujours dit que je la visiterai un jour, sans jamais pour autant me renseigner sur le sujet. D’ailleurs, peu de gens connaissent son histoire voire même son nom. Elle est pourtant très visible et on ne peut pas la rater du pont du Gouët sur lequel passe une route très fréquentée entre Saint-Brieuc et les villes alentours.
La tour de Cesson surplombe la baie de Saint-Brieuc, ainsi que le port du Légué, dans le nord de la Bretagne. Elle se situe en haut d’une falaise à environ 75 m. au dessus du niveau de la mer. D’une hauteur actuelle de 16,40 m elle en faisait 20 avant d’être partiellement détruite. Des quatre étages, il n’en reste plus que trois.
La maçonnerie est faite de pierres non taillées, excepté dans l’encadrement des ouvertures. Le mortier, constitué de sable, de graviers et de coquillages pulvérisés, qui a servi à assembler les pierres, est devenu avec le temps aussi solide que celles-ci.
La tour, cylindrique en dehors, avec un rayon de 5 mètres 50 au rez de chaussée, est hexagonale à l’intérieur. Les murs d’une épaisseur de 3 mètres 20 au niveau du sol diminuaient à chaque étage à mesure que le diamètre intérieur augmentait. Dans l’épaisseur de ces murs se trouvait un escalier en hélice qui permettait de desservir tous les étages, différentes circulations, ainsi que des tuyaux. Ceux-ci servaient, selon les sources, soit à transmettre les ordres rapidement, soit d’évacuation sanitaire.
L’entrée de cette tour se fait par une porte à l’Est protégée par un pont levis.

La tour et son histoire

La tour était en fait le grand donjon d’une forteresse, implantée sur une succession de fortifications depuis l’époque romaine. La construction a été initiée par le Duc Jean IV de Bretagne en 1395 et sera terminée par son fils, Jean V, lorsque celui-ci y ajoutera une couverture en plomb. Jean IV ne verra donc pas sa tour terminée, mais elle sera cependant occupée par différents capitaines de 1395 à 1407.
Entre la fin du XIVe siècle et le début du XVe, la guerre fait rage dans la Manche entre les français et les anglais. De nombreux bateaux partent de Bretagne pour rejoindre les côtes anglaises. Des navires marchands sont d’ailleurs réquisitionnés pour l’occasion. Durant cette guerre maritime, Jean V garda une position plutôt neutre, mais en prévision des potentielles représailles des anglais, il fit construire de nombreuses fortifications sur les côtes du nord de la Bretagne. Il traitait avec les deux camps afin de pouvoir continuer le commerce maritime dans le port du Légué, qui était donc protégé par la tour de Cesson. La tour était en effet une place forte, qui permettait de voir arriver les navires ennemis de très loin et de défendre le territoire.
Elle servait à l’époque, et encore aujourd’hui, de repère. En effet, durant la Guerre de 100 ans, pour prévenir rapidement les garnisons françaises de l’arrivée des anglais, le choix avait été fait de communiquer par le feu. Évidemment, la tour de Cesson accueillait l’un de ces feux.
La tour a ensuite certainement subi plusieurs sièges, mais les informations manquent à ce sujet.
Un peu plus d’un siècle plus tard, la tour est prise par le duc de Mercoeur, gouverneur de Bretagne, en 1592 pendant la guerre de la Ligue. Le duc renforce les fortifications et conserve la tour jusqu’à la fin de la guerre. Celle-ci opposait la Ligue au roi de France Henri de Navarre. Les ligueurs estimaient que celui-ci n’avait pas de légitimité au trône car il était protestant alors que la France était majoritairement catholique. Sa conversion au christianisme a permis de calmer les conflits. Une fois la paix revenue, les habitants demandèrent le démantèlement de la tour de Cesson, et le roi l’ordonna.
La tour est donc partiellement détruite en 1598. On la vide d’abord de tout son armement, puis, le capitaine de l’époque, étant devenu propriétaire de la tour, commence précautionneusement le démantèlement de celle-ci afin de récupérer et de vendre les matériaux, à commencer par la couverture en plomb.
La procédure pour enlever les pierres est cependant très lente, car le mortier est devenu extrêmement dur. Les habitants de Saint-Brieuc ainsi que le roi commencent à craindre que des pillards viennent s’y loger. C’est pourquoi la destruction de la tour revient finalement sous la tutelle royale bien que les matériaux appartiennent au capitaine.
La décision, radicale, est donc prise de placer une mine pleine de poudre à canon à l’intérieur de la tour, afin que l’explosion la fasse s’écrouler. Le résultat n’était pas tout à fait là. En effet, l’explosion a provoqué la scission de bas en haut en deux parties de la tour. Celle orientée à l’Est est restée quasi intacte, tandis que l’autre s’est effondrée dans les douves en gros blocs. La tour ne pouvant plus accueillir ni loger personne, la mission était accomplie et elle fut laissée en état.
Au début du XVIIe, il est demandé à ce que la tour soit complètement détruite. Mais la ville de Saint-Brieuc s’y oppose car celle-ci sert de repère pour les navires arrivant au port. La tour de Cesson, bien qu’en partie détruite a donc su garder son importance, en atteste le titre de gouverneur donné pour les différents chefs de la ville de Saint-Brieuc, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle : Gouverneur des villes et château de Saint-Brieuc, Tour et forteresse de Cesson.
En 1791, la tour est pour la première fois privatisée et vendue au sieur Jouan. En 1852, le terrain sera ensuite vendu à Alexandre Glais-Bizoin, où il fait construire sa demeure : le manoir de la tour de Cesson. En 1887, il est question de classer la tour Monument Historique, mais le propriétaire refuse. Ce dernier a cependant effectué des travaux de sauvegarde en récupérant notamment une partie des débris pour renforcer le soubassement car un pan de mur menaçait de s’effondrer.
Aujourd’hui, le terrain est toujours privé et est au centre d’un conflit familial. La tour, ainsi que le manoir sont à l’abandon et sont inaccessibles au public. J’ai cependant réussi à m’approcher de celle-ci. Et c’est ce que je vais maintenant vous raconter.

Expédition et visite de la tour

Pour accéder à la tour, il est impossible de passer par l’entrée du domaine. Celle-ci est fermée au public.

Entrée du domaine, situé au 105 Chemin de l’écluse à Saint-Brieuc

Le manoir ainsi que la tour sont abandonnés depuis le décès du dernier propriétaire, soit depuis une trentaine d’années. Les descendants n’arrivent pas à s’entendre sur l’avenir de leur manoir et de la tour de Cesson.
Pour accéder à la tour, je suis passé par un chemin situé un peu plus bas, qui longe au départ l’ancienne voie de chemin de fer.

L’entrée du chemin

On aperçoit déjà la tour en haut de sa falaise qui domine la mer et une partie du port du Légué.
En empruntant ce chemin, j’ai remarqué une sorte de sentier avec une pente très forte qui montait sur la droite. Rien n’indiquait que je ne pouvais pas prendre cette direction, donc j’ai commencé à grimper. Après quelques efforts et quelques glissades, j’ai pu enfin voir la tour, qui avait disparu de mon champ de vision depuis que je m’étais engouffré dans la végétation dense.

J’aperçois pour la première fois de près la tour au milieu des branchages

Un dernier effort pour m’approcher de la tour et je me retrouve enfin à son pied. Première impression : elle est très imposante. Il est difficile d’appréhender son entièreté lorsque l’on est juste devant. D’autant plus que la végétation masque beaucoup la vue et a nettement repris ses droits en grimpant sur la tour. On a un peu l’impression que cette dernière sort de nulle part au milieu des arbres très denses, ce qui la met d’autant plus en valeur. L’explosion de la mine de poudre à canon a coupé très nettement la tour en deux.

Vue au pied de la tour

En m’approchant, je commence à (re)découvrir ce que j’avais lu précédemment sur la tour, avec notamment son entrée à l’Est, qui accueillait le pont levis.

Entrée Est de la tour

On distingue sur la photo la différenciation entre les pierres taillées des bordures des ouvertures, et celles non taillées qui forment la majorité de l’édifice. Le trou au dessus de la porte accueillait la poutre pivotante qui faisait partie du mécanisme permettant d’abaisser et de lever le pont.
Ayant visité la tour en fin de journée, les couleurs du soleil couchant donnent l’impression de la présence d’un foyer au centre de la tour. Pourtant toute trace humaine semble bien avoir disparu de ce lieu hors du temps. Les seules traces remarquables sont celles de tagueurs ayant voulu apposer leur signature sur la tour de Cesson. Ces tags restent cependant peu nombreux et n’enlèvent rien à la beauté du lieu.

Un tag à l’intérieur de la tour

Une autre trace de visiteurs clandestins, beaucoup plus subtile cette fois, se traduit par la présence d’accroches d’escalade, semble-t-il assez anciennes au vu de la rouille qui s’est déposée dessus. On ne peut malheureusement qu’imaginer ce que ces grimpeurs ont pu voir une fois là-haut.

Les accroches d’escalade sont visibles à partir du centre de la photo et suivent une ligne jusqu’en haut

Lorsque l’on contourne la tour, et que l’on rentre à l’intérieur de celle-ci, on peut apercevoir les restes de l’escalier en hélice. Quelques marches subsistent encore et ont résisté à l’explosion et au temps.

Vue de l’intérieur de la tour – escaliers

On voit aussi nettement la différence entre l’aspect extérieur cylindrique et la forme hexagonale intérieur. On aperçoit aussi quelques portes des différentes circulations.

Vue de l’intérieur de la tour

Dans tous les cas, la végétation a bien repris le dessus et s’appuie sur la tour pour s’étendre. Un arbre a même pris racine au sommet de celle-ci.

Vue intérieure de l’entrée

On retrouve aussi des percements en meurtrières, avec des bancs en pierre de chaque coté formant un petit appartement.

Vue sur la meurtrière

Vue de la meurtrière

En présence de cette ruine, on laisse facilement l’imaginaire prendre le dessus en s’amusant à reconstituer les événements passés. On se retrouve seul au milieu d’une forêt avec comme unique présence cette immense tour. On entend seulement vaguement au loin le bruit des voitures, parfois des sirènes de pompiers ou de police (ce qui m’a valu une petite frayeur), mais principalement le bruissement du vent dans la végétation et le chant des oiseaux.
On comprend alors pourquoi les ruines ont pu fasciner de nombreux peintres comme Hubert Robert, car l’ambiance de ce lieu est difficilement descriptible. On peut d’ailleurs questionner la conservation et/ou la restauration d’un tel monument, car il en sera peut-être question un jour. En effet, avant de faire ma visite, je pensais qu’il était dommage qu’un lieu comme celui-ci soit laissé à l’abandon et qu’il ne soit pas accessible au public. Maintenant que j’en ai fait l’expérience, je me demande si cet endroit ne perdrait pas de son charme s’il était aménagé. Le fait d’avoir été seul face à cet édifice m’a procuré des émotions que je n’aurais certainement pas pu ressentir si du public avait été présent.
Avant de repartir, je décide d’aller jeter un œil au manoir. Mais je ne retrouve pas l’ambiance apaisée qu’il y avait aux abords de la ruine. Au contraire, le manoir étant lui aussi abandonné et régulièrement squatté, le fait de s’en approcher n’est pas très rassurant. Il dégage plutôt une image de maison hantée.

Vue du manoir

Actualité de la tour

Comme nous l’avons vu, la tour de Cesson est sur un terrain privé et au sein d’un conflit familial depuis la mort du dernier propriétaire en 1983. Sept des huit propriétaires sont favorables à l’idée de rendre la tour aux habitants de la ville. C’est le huitième qui bloque la procédure depuis trente-quatre ans.
Depuis février 2017, la ville de Saint-Brieuc a annoncé vouloir entamer une procédure de sauvegarde pour que l’état d’abandon cesse. Cet été, un huissier a pu venir pour constater son état. Suite à cela, il a rendu ses observations à la ville. Une demande de sécurisation du site a ainsi été transmise aux propriétaires. Ceux-ci ont 3 mois pour entamer des travaux sur la tour mais aussi sur le manoir, sinon ils risquent l’expropriation.
A partir du 23 janvier 2018, l’expropriation pourra donc être demandée si aucun travaux n’a été entamé. Étant donné qu’en novembre aucun aménagement n’a été commencé ni même prévu, il est fort probable que la ville puisse racheter le terrain fin janvier. Plusieurs collectivités pourront participer au financement du projet, de même qu’une participation citoyenne pourra être demandée.

Antoine Peltier
Visite le 1er novembre 2017

Sitographie

InfoBretagne.com
https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/saint-brieuc-tour-de-cesson-l-expropriation-dans-trois-mois-5334103
https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/saint-brieuc-tour-de-cesson-un-huissier-constate-son-etat-d-abandon-5142419