Sous un ciel gris, Ottawa se présente à moi toute engoncée dans le sérieux de son rôle. Il est 9h et l’on se presse aux alentours pour rejoindre l’un des nombreux bâtiments du Parlement ou l’un des gratte-ciels qui marquent le centre névralgique de la ville. Le drapeau à feuille d’érable flotte dans les airs. La flamme du centenaire du Canada brûle sur une eau bouillonnante. Nous voici donc dans la capitale. Mais pourquoi certains hésitent-ils encore quand il s’agit de la nommer ? Montréal, Toronto… Non, Ottawa !
Ottawa, une localisation stratégique
Ottawa se situe à l’extrémité du Canal Rideau, là où ce dernier se jette dans l’immense rivière des Outaouais. Aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, le canal traverse la ville du Nord au Sud marquant le paysage de cette dernière. On se presse en hiver autour de ses huit écluses devenues patinoires géantes ou on le traverse en bateau l’été. S’il est de nos jours un atout touristique pour la ville, c’est le Canal Rideau qui permit, par le passé, le développement de la ville de Bytown qui deviendra par la suite Ottawa.
C’est en 1800 qu’a lieu le premier établissement européen sur ce site, du côté québécois de la rivière, l’actuel Gatineau. Le nombre de colons dans la région accroît rapidement grâce au développement du transport maritime de billots de bois vers Montréal. Mais en 1812, les États-Unis indépendants depuis 1776 tentent d’envahir l’Amérique du Nord britannique. Face à cette menace, décision est prise de contourner le fleuve St Laurent – dangereux car il se rétrécit près de l’État de New York – en construisant un canal. Le lieutenant-colonel By est chargé de sa construction qui se déroule de 1826 à 1832. Il fait établir un campement en haut de la colline surplombant la rivière. En 1828 le village qui s’y est développé compte près de 1000 habitants et prend le nom de son fondateur : Bytown.
Puis, la ville se développe rapidement et devient le centre de l’industrie du bois dans le pays. A l’abri des attaques américaines car située loin de la frontière, la ville est aussi suffisamment développée grâce à la présence du Canal Rideau – qui connecte en outre la ville à sa voisine au Sud-Ouest, Kingston –, la ville change de nom et devient Ottawa en 1855 pour s’assurer une candidature plus persuasive comme capitale. Malgré les critiques qui lui reprochent son caractère trop rural, Ottawa est choisie deux ans plus tard par la reine Victoria. La ville ne cessera par la suite de développer son image de capitale en asseyant son rôle parlementaire dans l’organisation de la colonie puis de la fédération des colonies puis, enfin, du pays.
Ottawa, siège du pouvoir politique
Trois villes pour trois fonctions
Bien qu’elle ait été nommée capitale depuis le XIXe siècle, il n’est pas si rare, encore aujourd’hui, qu’Ottawa surprenne dans ce rôle. Il faut dire que ses deux grandes voisines, Toronto à l’Ouest et Montréal à l’Est, semblent lui faire de l’ombre. En réalité, tandis que Paris rassemble encore de nos jours la plus grande vie économique, culturelle et parlementaire française – avec néanmoins de plus en plus de concurrence grâce aux tentatives de décentralisation –, le Canada a distribué ses cartes : Ottawa la parlementaire, Toronto l’économique, Montréal la culturelle.
Choisie en 1857 par la reine Victoria comme capitale – au grand dam de Montréal, Toronto et Kingston –, Ottawa a par la suite développé son statut parlementaire face aux critiques. Aujourd’hui, c’est à Ottawa que demeurent le Premier ministre et le Gouverneur général et que siège le Parlement. Les principales activités de la ville sont donc celles des ministères et des organismes du gouvernement fédéral et du parlement canadien.
La Colline Parlementaire, symbole de la ville
C’est en grande partie à travers les édifices de la Colline Parlementaire qu’Ottawa a pu asseoir sa légitimité en tant que capitale. Un premier ensemble de bâtiments est construit dès 1859 sur le point culminant où avait été fondé le village de Bytown, surplombant la rivière et le canal.
Mais en 1916, un incendie les ravage, épargnant seulement la bibliothèque et engageant la ville à les faire reconstruire. Les nouveaux bâtiments font aujourd’hui rayonner la ville à l’étranger et leur architecture néogothique rythmée de briques jaunes et brunes et coiffés de toits de cuivre n’y est pas pour rien.
L’ensemble se compose de trois bâtiments, organisés autour d’un vaste rectangle d’herbe accueillant une fontaine d’eau bouillonnante surmontée d’une flamme qui commémore les 100 ans du Canada, allumée pour la première fois en 1967. Mais c’est surtout l’édifice central – le seul ouvert au public – qui attire les visiteurs, abritant la bibliothèque octogonale qui fut épargnée par les flammes. Celle-ci vient se placer du côté de la rivière, à l’arrière, cachée par la façade principale. Contourner le bâtiment permet néanmoins aux plus curieux de découvrir l’extérieur de cette bibliothèque à la forme singulière.
Le hall central de l’édifice et les trois couloirs, desservant en plan rayonnant depuis ce centre les différentes salles d’audience ou bureaux, sont assez sombres avec peu de percements. Le sol y est de marbre noir et blanc et le plafond de voûtes. La pierre blanche gravée ou sculptée et les colonnes de marbre noir et de pierres blanches rythment les déplacements. Enfin, la Tour de la Paix révèle en son sommet une vue sur la ville toute entière ainsi que sur Gatineau, de l’autre côté de la rivière.
Ottawa, une ville bilingue et cosmopolite
Au-delà de son éloignement de la frontière américaine et de son relief avantageux, Ottawa dispose surtout d’un autre argument en 1857 : la ville se situe à la frontière entre le Haut-Canada et le Bas-Canada. A une époque où les tensions entre anglophones et francophones sont très présentes et suite à la publication du rapport Durham en 1839 qui recommande la fusion de ces deux zones linguistiques, cette position d’Ottawa ne peut qu’apparaître positive aux yeux de la reine. Encore aujourd’hui, la ville se trouve à la limite de ces zones puisqu’elle fait face à la province du Québec qui commence sur la rive Nord de la rivière des Outaouais, à Gatineau.
Le gouvernement du Canada soutient de nos jours le bilinguisme. Il prend ainsi à cœur au Parlement de protéger l’usage de la langue française. Chaque député(e) peut ainsi choisir de s’exprimer en français ou en anglais selon ce qu’il/elle préfère et la province qu’il/elle représente et ce, même si l’on s’adresse à lui/elle dans l’autre langue officielle. Il n’y a que lors des questions au gouvernement que la coutume veut que les ministres désignés répondent à leur interlocuteur dans la langue avec laquelle ce dernier les a interpellé. De nombreux stagiaires français sont aussi embauchés chaque année. Par sa situation et le rassemblement parlementaire de toutes les provinces qu’elle accueille, Ottawa est l’une des villes les plus bilingues du pays avec en 2011, 63,7% de ses habitants qui déclarent avoir l’anglais comme langue maternelle quand 15% parlent plutôt français et 34,1% se disent bilingues. On peut néanmoins voir dans ses chiffres, une préférence faite pour l’anglais, même à Ottawa. Sur place, je n’ose d’ailleurs trop tenter d’imposer mon français. Une technique que l’on me recommande est de saluer par un « Hello/Bonjour » laissant le choix à mon interlocuteur de s’adresser à moi dans la langue qu’il désire. Je remarque bien vite que le « Hello », de ce côté de la rivière, l’emporte bien plus fréquemment…
A cette dualité entre français et anglais viendront s’ajouter avec l’immigration – pendant et après la Seconde Guerre Mondiale surtout – d’autres langues. Ottawa possède ainsi au Sud-Ouest de sa Colline un quartier italien et un quartier chinois, à l’instar d’autres grandes villes cosmopolites comme Montréal ou New-York.
Ottawa : la Washington D.C. canadienne ?
Dès les premiers instants et au fil de mes ballades, Washington D.C. m’apparaît comme le pendant états-unien d’Ottawa. La distribution des rôles du Canada peut ainsi se retrouver aux États-Unis, bien que le schéma soit moins évident puisque le nombre de grandes villes y est plus important et les attributions moins clairement réparties. New-York fait ainsi autant d’ombre dans la culture collective à Washington D.C. que Montréal à Ottawa et l’on pourrait comparer le trio Montréal/Toronto/Ottawa au trio New-York/Chicago/Washington D.C. D’autre part, la Maison Blanche se retrouve au travers du 24 Sussex Drive où loge le Premier Ministre canadien et au travers du Rideau Hall où habite le Gouverneur Général du Canada.
Villes touristiques, villes de musées
Ottawa et Washington D.C. sont également deux capitales très portées sur l’activité touristique et le développement de musées reconnus pour leur qualité. D’un côté, le Mall de la capitale états-unienne attire des millions de touristes avides de se presser autour de la statue de Lincoln, de découvrir l’un des musées qui jalonnent l’immense rectangle de verdure ou de s’émerveiller sous la coupole du Capitole. De l’autre, Ottawa se découvre à l’extrémité du Canal Rideau et abrite la Colline Parlementaire, la National Gallery, des musées canadiens réputés sur la Guerre, l’Histoire, la Nature ou l’Aviation et l’Espace. Tous ces musées illustrent d’ailleurs l’Histoire du pays tout entier.
La National Gallery met ainsi en avant l’art canadien à travers les siècles, dont l’art inuit, qui forment une large partie de ses collections. Le musée canadien de l’Histoire se dessine de l’autre côté de la rivière tout en courbes, l’architecte autochtone Douglas Cardinal ayant voulu rendre hommage à la nature canadienne à travers cet édifice.
Deux anciennes colonies
De plus, les deux capitales ont été érigées à partir de quadrillages orthogonaux d’artères très larges et extrêmement longues, se révélant peut-être peu enclines à être arpentées par les flâneurs mais étant extrêmement efficaces pour accueillir les flux de ces fourmilières parlementaires. En s’éloignant de quelques rues du centre-ville, on rencontre rapidement les quartiers résidentiels d’Ottawa qui s’organisent souvent autour d’espaces publics, en ensembles rectangulaires de maisons, et présentent des porches pour marquer le seuil entre privé et public, comme aux États-Unis. La rupture entre quartier parlementaire et économique et quartiers résidentiels est soudaine. En effet, on peut lire à Ottawa comme à Washingon D.C. cette même volonté des premiers colons d’un nouveau mode d’organiser la ville. Tandis que les villes européennes sont pétries de règlements, l’urbanisme de l’autre côté de l’Atlantique est plus libre. Les buildings voisinent ainsi les églises et les différentes architectures se juxtaposent au fur et à mesure des réhabilitations et des constructions.
Ottawa, au-delà du rôle de capitale
Il serait bien maladroit de conclure cet article en ayant résumé Ottawa à son rôle de capitale, à ses artères de buildings, à ses rectangles résidentiels et à ses musées nationaux. La ville vit aussi au rythme du quotidien de ses habitants. Beaucoup plus au Sud de la Colline, un quartier -entre autres- s’organise autour du stade de la ville. Là, les bâtiments n’excèdent pas le deuxième étage et le piéton trouve plus facilement sa place lorsqu’il arpente ses rues. De nombreuses boutiques y sont installées et de grandes places y ont été aménagées, accueillant jeux d’enfants et skateparks. Un cinéma, des restaurants et des bars complètent le paysage.
En plein centre-ville, de l’autre côté du Canal Rideau par rapport à la Colline, non loin du pont menant à Gatineau, se trouve également le cœur de l’animation d’Ottawa. Le marché ByWard accueille le temps du déjeuner travailleurs et touristes. De petits stands, pour la plupart de nourriture, y sont installés et l’intérieur très coloré de l’édifice en a fait un autre symbole de la ville, dévoilant un aspect plus convivial de la capitale.
Une importante vie nocturne s’est développée tout autour du bâtiment à travers des restaurants, des bars et les principales boîtes de nuit de la ville. Quelques boutiques, l’immense centre commercial un peu plus au Sud et la rue Rideau très arpentée participent à l’animation du quartier.
J’y dévore une dernière queue de castor, spécialité locale, avant de quitter la ville. Capitale par sa localisation, par son histoire et par sa volonté, tout de même différente de Washington D.C. par sa taille plus humaine et surtout par l’ambiance un peu plus conviviale qui la baigne, Ottawa s’est peu à peu déridée au fil des jours que j’y ai passé, se dévoilant à travers des quartiers moins empreints du rôle parlementaire de la ville.
Estelle Braconnier
Voyage du 19 au 25 avril 2017
Références
http://www.statcan.gc.ca/pub/75-006-x/2013001/article/11795-fra.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ottawa
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bilinguisme_au_Canada
https://www.tourismeottawa.ca/membre/quartier_chinois/
Guide Le Routard, Québec, Édition 2016-2017
COUTURE Pascal, Guide Escale à Ottawa et Gatineau, mars 2015
Témoignage d’un stagiaire parlementaire
Documentations touristiques locales