En arrivant à Turin pour mon échange Erasmus, j’ai découvert une ville magnifique, qui recèle de nombreux trésors à découvrir : des musées, les célèbres glaciers, les arcades s’étendant sur plus de 19 km, les tramways datant des années 1950, les anciens sites olympiques des JO de 2006… Une ville très éloignée des a priori qu’on a sur elle. Un bâtiment, qui a tout d’une curiosité architecturale tant son expression tranche avec les façades de briques rouges composant le reste de la ville, a tout de suite attiré mon attention : la Mole Antonelliana.
Du haut de ses 167 mètres, elle domine le centre ville dont les bâtiments s’élèvent rarement au dessus de 20 mètres. Il est difficile de traduire le nom « Mole Antonelliana » en français. On peut simplement dire que « Mole » se traduit par « masse » et « Antonelliana » vient du nom de l’architecte du bâtiment, Allessandro Antonelli. Cela en dit déjà beaucoup sur la perception de ce monument, qui est devenu, avec sa forme si caractéristique, le symbole de la ville à travers le monde.
Depuis l’année 2000, la Mole Antonelliana abrite le Musée national du cinéma, baptisé « Fondation Maria Adriana Prolo ». On peut également accéder à un belvédère au sommet de la toiture. Cette terrasse offre un magnifique panorama sur la ville et ses alentours. La Mole Antonelliana est le bâtiment le plus haut de Turin, excepté les deux tours « Grattacielo Intesa Sanpaolo » et « Palazzo Piemonte », construites récemment ou en bordure du centre ville. Cependant, rien ne disposait la Mole Antonelliana à un tel avenir…
Une histoire mouvementée
Construite à l’origine pour devenir un lieu de culte israélite, la Mole Antonelliana connaît un tout autre destin. C’est pour symboliser l’obtention de la liberté de culte en 1848 dans l’État d’Italie que la communauté juive souhaite bâtir « la plus grande synagogue d’Europe » dans le centre ville de la capitale italienne de l’époque : Turin. Le projet ambitieux décrit « une tour carrée surmontée d’un dôme interminable » et inclut la construction d’une école juive à proximité.
Alessandro Antonelli di Gheme Novarese (1798 – 1888), architecte piémontais, remporte le concours lancé par la communauté israélite en 1863. Le projet initial prévoit un édifice qui cumule à 47 mètres de haut. Cependant, Antonelli transforme les plans dans l’objectif de construire un nouveau péristyle et de rehausser la hauteur de la coupole jusqu’à 113,57 mètres. Ces modifications entraînent des délais et des coûts de construction supplémentaires, ce qui amène à la suspension du chantier en 1869. Un toit provisoire est alors posé sur l’édifice.
Quelques années plus tard, en 1873, la communauté juive reçoit de la part de la municipalité un nouveau terrain pour y construire sa synagogue actuelle. Ce don vient entériner l’arrêt du chantier. Ce dernier reprend vie en 1877 lorsque la ville de Turin achète le bâtiment, encore propriété de la communauté juive. Une fois les modifications de l’architecte approuvées, le chantier redémarre l’année suivante, sous la direction d’Antonelli lui même. Avec le soutien de la ville, il apporte une nouvelle série de modifications en cours de travaux et porte la hauteur totale de l’édifice à 163,35 mètres, construisant ainsi la construction en maçonnerie la plus haute d’Europe.
Devenu propriété de la ville, la fonction de la Mole Antonelliana s’en trouve modifiée. D’édifice religieux, elle deviendra Musée du Risorgimento, dédié au roi Victor-Emmanuel II à sa mort en 1878.
Cependant, la Mole Antonelliana n’est toujours pas achevée. L’architecte continue d’y apporter des modifications jusqu’à sa mort en 1888, date à laquelle le bâtiment culmine à 153 mètres. Si les plans ont étés modifiés par l’architecte, ils ont aussi subit le fait des éléments naturels. En effet, suite à un tremblement de terre le 23 février 1887, Antonnelli lance des travaux de consolidation de la structure. Après à sa mort, son fils Costanzo, entreprend d’achever le monument. Le 10 avril 1889, il est enfin inauguré, après 26 ans de chantier.
Si le bâtiment est achevé, il ne revêt toujours pas ni sa taille ni son visage actuel. La dernière touche est apporté en 1904, lorsqu’un violent orage abat « le génie ailé », figure en fonte qui ornait le sommet du bâtiment. Lui est alors substitué une étoile de quatre mètres de diamètre qui permet au bâtiment de se hisser à sa hauteur finale de 167,50 mètres. En 1908, le musée du Risorgimento est ouvert au public, celui-ci y restera durant 30 ans, avant de s’installer au palais Carignan. Ce musée relate l’histoire de l’Italie récente, à partir de la fin du XVIIIe, siècle et présente une collection d’objets ayant appartenu aux rois et présidents italiens : vaisselles, mobiliers, armes…
Les différentes modifications que la Mole connaît par la suite sont dues aux caprices du ciel et de la terre. Une première intervention, en 1930, vient stabiliser le bâtiment, trop sensible aux tremblements de terre, par un système de poteau-poutre en béton armé. L’espace intérieur est sensiblement dénaturé par cette modification. Une seconde intervention a lieu en 1961, après que la Mole fut une nouvelle fois victime d’un orage extrêmement violent. La flèche de l’édifice s’écroule sur près de 47 mètres. Cependant, par souci de durabilité, elle ne sera pas reconstruite en maçonnerie mais avec une structure métallique recouverte de pierres. Dans le même temps, le bâtiment est doté d’un ascenseur panoramique permettant d’accéder à la terrasse belvédère à 85 m du sol. Cette dernière offre une vue somptueuse sur les alentours. Cette fonction de terrasse panoramique devient majeure jusque dans les années 90, puis la commune se désintéresse progressivement de la Mole Antonelliana. Une réflexion s’engage alors sur la fonction et l’utilisation d’un tel monument en ville.
La rénovation du bâtiment dans les années 1990 et 2000, permet de le restructurer afin d’y installer le Musée National du Cinéma. Ce dernier, créé en 1941, était précédemment installé dans le palazzo Chiablese. L’objectif de la mairie était alors une « réhabilitation philologique de la structure antonellienne ». Celle-ci, confiée à l’architecte suisse François Confino, efface la structure en béton armé construite en 1930 pour restituer au maximum les volumes d’origine du bâtiment, dont celui de la grande salle du temple. Pour rendre la visite du musée du cinéma agréable, l’architecte obstrue les nombreuses fenêtres par des rideaux, afin de reconstituer l’ambiance d’une salle de cinéma. La restauration comprend également la restructuration de l’ascenseur, qui devient intégralement en verre.
La Mole Antonelliana, au cœur du centre ville
Maintenant que nous connaissons un peu mieux l’histoire de ce bâtiment, voyons pourquoi il est si important dans la ville. Tout d’abord, sa hauteur le met fortement en valeur : avec ses 167 mètres, c’est le plus haut bâtiment du centre historique de Turin, et il dépasse d’assez haut les autres constructions. Sa situation est également remarquable : il occupe un demi îlot du cœur historique de Turin, entre les rues Montebello et Gaudenzio Ferrari. Ce bâtiment s’intègre donc parfaitement dans la trame bâtie de Turin, et se situe à quelques centaines de mètres de la Via Pô, artère principale du centre ville qui relie le cœur du centre ville au fleuve éponyme.
Ce bâtiment n’est pas sans dégager un certain charme. Plus on regarde vers le haut et plus le décor devient sculpté et raffiné. Quand on arrive aux dernières colonnes, celles qui soutiennent le dôme, on se rend compte de la portée néo-classique du monument. Enfin, le dôme qui couronne l’édifice est assez colossal et spectaculaire. Au pied du bâtiment, on a du mal à croire que le toit culmine à 167,5 mètres. Pour appréhender cette hauteur, il faut se reculer, afin de voir l’échelle du bâtiment comparé aux autres constructions de la ville. Quand on se trouve au pied du monument, on a l’impression qu’il ressemble à un énorme clocher posé sur un socle fait de piliers ornementaux carrés. Cependant, les critiques d’architecture et les habitants ne sont pas unanimes à propos de la Mole Antonelliana. Selon certains, ce bâtiment appartient à un « moment du kitsch du XIXe siècle » (Libération : « Turin, l’anar chic ») et dénature la ville, n’ayant aucun rapport avec le reste de celle ci.
La nuit, le toit de la Mole Antonelliana est mis en lumière par l’œuvre d’art de l’artiste Mario Merz, « Il volo dei numeri » (l’envol des ombres), installée en 1998. Cette œuvre représente la suite de Fibonacci qui s’élève vers le ciel en augmentant.
L’accès principal de la Mole Antonelliana se situe Via Montebello, rue piétonne dans laquelle de nombreux vendeurs à la sauvette essayent de vendre aux touristes des portes clefs souvenirs en forme de Mole. Plus on s’approche, et plus l’impression de gigantisme s’empare de nous. En effet, le bâtiment semble être hors d’échelle par rapport au reste de la ville. L’entrée du bâtiment est matérialisée par un monumental porche à colonnes, haut de deux étages. Une fois les quelques escaliers qui descendent dans le hall d’accueil franchis, nous entrons dans le vif du sujet : l’ascenseur est là, devant nous, et il nous invite à l’emprunter.
Un impressionnant point de vue sur la ville
Nous voilà donc partis pour l’ascension vers « le balcon de Turin ». L’ascenseur, géré par « GTT (Gruppo Torinese Transporti) », la régie publique qui gère les transports en commun de Turin, permet d’accéder à la terrasse au sommet de coupole de la Mole Antonelliana. À l’occasion de la rénovation des année 1990, un nouvel ascenseur a été installé, et celui semble flotter dans le vide, n’étant retenu que par de fins câbles d’acier. De plus, ce dernier est complètement vitré, du sol au plafond, ce qui rend la montée particulièrement impressionnante. Après avoir traversé les 5 étages du musée, l’ascenseur s’élève dans le vide de la grande coupole, et la traverse en son centre. On se retrouve alors à grimper au centre d’un immense espace vide, avec le musée du cinéma sous nos pieds, et les magnifiques fresques ornant le dôme devant nos yeux. La montée semble magique, on s’élève sans bruit vers le sommet de la coupole. De plus, la vitesse assez lente de la montée fait que l’on se rend parfaitement compte de la hauteur à laquelle on s’élève, et on voit s’éloigner les gens présents dans le musée du cinéma au fur et à mesure que l’on monte. Une fois les 59 secondes d’ascension effacées, nous voilà sur la terrasse à 85 mètres au dessus du sol.
La petite plate forme entourée de colonnes est posée au dessus de la toiture de la Mole Antonelliana.
La vue qui s’offre à nous depuis ce « tempietto » (le balcon de Turin) est imprenable et on voit toute la ville, les Alpes entourant la ville et la plaine du Pô (fleuve emblématique de Turin, qui prend sa source aux pieds du Mont Viso et se jette dans la Mer Méditerranée à proximité de Venise). La terrasse faisant le tour du dôme, on a une vue à 360°. On peut donc voir tous les édifices marquant du centre ville : le Palazzo Madama, la Piazza Vittorio Veneto (l’une des plus grande place d’Europe avec ses 31 000 m²), le Palazzo Reale, l’église de la Gran Madre, le marché de Porta Palazzo, le complexe indistriel du Lingotto…
Après avoir admiré cet impressionnant panorama, nous redescendons par l’ascenseur, puis commençons la visite du musée du cinéma.
Le « temple » du cinéma
Le musée du cinéma, aujourd’hui installé dans la Mole Antonelliana, trouve ses origines avec la création de la maison « Lux films » en 1941. En effet, en parallèle de la gestion de sa maison de production de films, Maria Adriana Prolo entame une collection diverse et variée d’objets se rapportant au cinéma : bobines, films, caméras, costumes… Aujourd’hui, cette collection est complétée et mise en scène dans le « Museo Nazionale del Cinema », au cœur de la Mole Antonelliana, plus haut musée du monde mais aussi musée plus fréquenté de Turin avec 2,5 millions de visiteurs par an. Pour certains, la muséographie est splendide alors que pour d’autres, la mise en scène révèle le côté « Disneyland » du musée. Quoiqu’il en soit, ce musée mérite le détour, ne serait-ce que pour l’ambiance particulière qui y règne à l’intérieur.
Comme nous l’avons vu précédemment, le musée est aménagé sur 5 étages, et la visite commence au départ de l’ascenseur, pour se terminer au dernier étage, dans la grande salle de la Mole Antonelliana, sous la coupole traversée par l’ascenseur panoramique. L’aménagement muséographique se répartit en hauteur, sur les différents niveaux du musée.
Le parcours de visite est « hyperinteractif », et il permet de prendre connaissance de toute l’histoire du cinéma, de son invention par les frères Lumière jusqu’à la création des effets spéciaux contemporains. Pour commencer la visite, un théâtre d’ombres est présenté à l’entrée. Ensuite vient la chambre noire, les boîtes optiques, les stéréoscopes, les lanternes magiques, le kinétoscope… Et, pour finir, le cinématographe. Tout le long des couloirs sont exposés des objets appartenant aux collections historiques du musée.
Une fois ce dédale de salles et de couloirs passé, nous voici dans le cœur du musée : la grande salle de la Mole Antonelliana. Un sentiment de gigantisme nous envahit une fois de plus : le plafond a une hauteur de plus de 70 mètres et le sommet semble impossible à atteindre. Le long des murs, une rampe tournante permet d’accéder à d’autres salles. Le long de ce parcours, des affiches de films célèbres et des photos d’acteurs sont placardées sur les murs. Les visages de Dustin Hoffman, John Travolta, Pedro Almodovar ou Roberto Benigni ponctuent ainsi la montée. D’autres affiches, plus grandes, montrent d’autres personnages de fiction importants du cinéma, comme Superman, Frankenstein ou Dracula. Ce cœur spectaculaire du musée est donc consacré aux grands genres et thèmes de l’histoire du cinéma : les films d’horreur, le fantastique, le cinéma d’animation, le western…
Après avoir gravi ce chemin le long des murs de la grande salle, la visite se termine en bas de cette même salle. Le musée propose aux visiteurs de s’allonger confortablement sur des chaises longues en plein milieu de la salle et de devenir spectateurs. Deux films sont projetés sur deux écrans géants différents placés au milieu de la salle et le son sort d’enceintes incorporées dans l’appuie tête de chaque siège. Ces films présentent les plus grandes séquences du cinéma turinois.
Une critique que je pourrais faire tout de même à ce musée est son côté « gadget » et la mise en scène de ses collections. Par exemple, il est difficile de comprendre ce que représentent les objets tant la muséographie est peu claire et parsemée d’écrans, détournant notre attention. Cependant, ce côté ludique est intéressant pour les enfants qui visitent ce musée avec leurs parents : cela leur permet de moins s’ennuyer, et donc de découvrir le musée en s’amusant ! De plus, je n’ai pas trouvé les collections du musée du cinéma « renversantes », au contraire du Musée Égyptologique de Turin ou du Palazzo Madama par exemple…
Enfin, ce musée ressemble à un « attrape touristes » : la boutique à la sortie du musée est immense et pensée pour les enfants, on peut manger un repas typiquement italien dans le restaurant du musée… Mais pourtant, on croise surtout des turinois en famille ! Peut être une spécificité de la culture Italienne ou simplement parce que les touristes boudent quelque peu la ville de Turin, lui préférant Rome ou Florence, villes plus historiques dans notre imaginaire collectif… Alors que Turin recèle de magnifiques endroits qui n’attendent que les touristes !
J’ai choisi de vous parler de ce bâtiment car il m’a marqué durant mon séjour Erasmus à Turin, mais aussi car il revêt une importance forte pour les Italiens, et plus encore pour les Turinois. Par exemple, la Mole Antonelliana est représentée sur le verso de la pièce italienne de 2 centimes d’euro.
Enfin, une croyance, très populaire parmi les étudiants turinois, amène ceux-ci à éviter de se rendre sur la terrasse panoramique de la Mole, car cela pourrait entraver le bon déroulement de leurs études. Personnellement, je suis allé 4 fois sur la terrasse de la Mole durant mon séjour à Turin et… je n’ai pas validé mon semestre passé en Italie !
Simon Gueyraud
Semestre Erasmus à Turin de mars à juillet 2015.
Toutes les photos de l’auteur.
Bibliographie
« Essere fiume (être fleuve) Turin Ville Mondes – Escale 2 ». France Culture [en ligne]. 2015. https://www.franceculture.fr/emissions/villes-mondes/essere-fiume-etre-fleuve-turin-ville-mondes-escale-2 (consulté le 29 octobre 2017).
« Turin – La Mole Antonelliana – Musée du cinéma ». The French Tourist. http://www.thefrenchtourist.fr/fr-italie/fr-turin-mole-antonelliana-musee-cinema/ (consulté le 29 octobre 2017).
« Turin, l’anar chic ». Libération [en ligne]. 2005. http://www.liberation.fr/week-end/2005/01/15/turin-l-anar-chic_506241 (consulté le 31 octobre 2017).
« Paris remet Turin au premier plan ». Libération [en ligne]. 2001. http://next.liberation.fr/culture/2001/03/28/paris-remet-turin-au-premier-plan_359423 (consulté le 28 octobre 2017).
« Visite au très riche Musée national du cinéma de Turin ». Le Monde [en ligne]. 2007. http://abonnes.lemonde.fr/voyage/article/2007/02/02/visite-au-tres-riche-musee-national-du-cinema-de-turin_862917_3546.html (consulté le 30 octobre 2017).
« La Mole Antonelliana, un temple du cinéma au coeur de Turin ». Untitled Magazine [en ligne]. 2014. http://untitledmag.fr/la-mole-antonelliana-un-temple-du-cinema-au-coeur-de-turin/ (consulté le 1 novembre 2017).
« Mole Antonelliana ». Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mole_Antonelliana (consulté le 28 octobre 2017).