La Haye, The Hague, Den Haag ou encore S’Gavenhage, cette ville possède bien des noms ainsi qu’un rôle central dans le fonctionnement des Pays-Bas. Capitale du royaume, centre juridique et administratif, c’est là qu’on trouve la Cour Internationale de Justice, le Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie, l’Office Européen des Brevets ou encore l’Agence Spatiale Européenne, ainsi qu’un grand nombre d’ambassades.

Jouissant d’un statut internationale, la ville endosse le rôle de capitale administrative du pays et en fut même sa capitale officielle durant la première moitié du XIXème siècle, à la suite des invasions napoléonienne de 1806. La ville se constitue de la fusion entre S’Gavenhage (en néerlandais “la Haie du comte”, repère de chasse du comte Floris II de Hollande durant le XIIIème siècle) et Scheveningen, petit village de pêcheur dont les premières traces remontent à la fin du XIIIème siècle. C’est aujourd’hui une véritable métropole, connectée aux villes voisines et au reste du monde (Delft, Rotterdam, Amsterdam) par un savant réseau de tram, de train, et de pistes cyclables, moyen de locomotion favori des habitants du pays. S’étant fortement développée au XIXème siècle grâce au tourisme balnéaire et à une économie portuaire importante, elle conserve encore aujourd’hui l’image d’une ville riche, caractérisée par cette architecture de brique spécifique au pays. La cité présente de plus un visage résolument moderne, et c’est ce que nous allons voir au travers de cet article : l’étroite collaboration entre ville contemporaine et ville historique, avec l’étude de plusieurs quartiers que j’ai longtemps fréquenté durant ma vie de lycéenne.

 

HET PIER – LA JETÉE ET LA PLAGE

La plage de Scheveningen constitue l’un des lieux les plus attractifs de la ville : tous les habitants de La Haye et des villes alentour envahissent en effet massivement les lieux dès les premiers rayons du soleil d’été, créant alors de nombreux embouteillages, remplissant trams et pistes cyclables de l’engouement estival. Et cela ne date pas d’hier : dès le XIXème siècle, la ville jouit d’une certaine réputation, la désignant comme le lieu idéal pour les cures thermales et les bains de soleil. Les armateurs ayant fait fortune grâce au commerce fluvial investissent alors fortement dans la région, se faisant construire de belles demeures en brique de style néo-classique : certaines sont encore visibles aujourd’hui, dominant la promenade balnéaire de toute leur majesté. C’est ainsi le cas du Kurhaus, immense bâtisse construite en 1885 par deux architectes allemands, comportant un hôtel et une salle de concert.

Kurhaus – Façade vers la mer

Mariant astucieusement la brique et la pierre, son style résolument néoclassique fait écho aux grandes architectures conçues à la même période dans les villes majeures du continent. Abritant encore aujourd’hui un hôtel de luxe, le bâtiment fait face à la mer et accueille les riches touristes comme les résidents le temps d’un café, d’une séance au spa ou d’une partie au casino. Juste en face du Kurhaus, se déploie le Pier (la jetée), qui contraste harmonieusement avec l’architecture du grand hôtel : inaugurée en 1961, cette jetée appartient aujourd’hui à une riche famille néerlandaise, qui l’a complètement remaniée en y intégrant des commerces et des établissement de loisirs. Sa structure en acier, béton et verre, ses colonnes en béton assises dans l’eau et sa forme de fleur déployant ses corolles sur la mer ont un langage moderne affirmé, permettant à l’édifice de s’imposer comme l’un des symboles de la promenade de Scheveningen, au même titre que le Kurhaus.

Si cette promenade le long de la plage est donc historique, elle fut en revanche mainte fois remaniée pour protéger la ville de la montée des eaux, présentant aujourd’hui un aspect radicalement différent. Une partie de la ville étant en effet située sous le niveau de la mer, une grande digue fut ainsi construite dès la première moitié du XXème siècle et renforcée au fil des ans, protégeant la ville de la montée des eaux et bloquant la vue sur l’horizon.

Les dernières réparations de la digue qui eurent lieu entre 2009 et 2013 se sont agrémentés d’un remaniement complet de la promenade iconique : longeant désormais la digue côté plage, elle est bordée de restaurants éphémères qui ne sont présent que lors des saisons chaudes. De nombreuses statues de bronzes se prélassent et s’amusent et, en attisant la curiosité, invitent à la promenade et à la découverte de ce lieu si spécifique à la ville.

 

SCHEVENINGEN – QUARTIER RÉSIDENTIEL

Derrière cet endroit si dynamique se déploie le quartier de Scheveningen, quartier résidentiel construit en grande partie entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème. Son architecture de brique ressemble exactement à l’architecture que l’on imagine lorsqu’on parle des Pays-Bas : des maisons étroites et hautes, à larges fenêtres sans rideaux, parfois des balcons, un jardin à l’arrière, un toit plat et une corniche ornementée. Parfois la brique rouge est remplacée par une brique plus jaune, jouant ainsi de motifs qui individualise une maison de sa voisine. Car en effet, si chaque façade développe un langage qui lui est propre, ce n’est pas le cas du plan intérieur : toutes les maisons sont organisées de la même façon, avec l’escalier à gauche en entrant, la cuisine au fond donnant sur le jardin, les salons et salles à manger sur la droite, une cave, les chambres se répartissant sur les deux étages, les salles de bain se situant systématiquement au dessus de la cuisine, et des ateliers ou dressing aménagés dans les petites pièces créés au-dessus de l’entrée. Ainsi même si l’on n’est pas chez soi, on sait systématiquement où se trouvent les toilettes ; quelques maisons sont parfois plus fantaisistes, se permettant alors de retourner le plan de manière symétrique.

La succession de maisons identiques

Cette organisation presque chirurgicale se retrouve dans l’organisation des rues, qui sont fortement hiérarchisées : de larges trottoirs de chaque côté des maisons, des places de parking, une piste cyclable dans les deux sens, une voie à double-sens au centre et quand la rue est très large, le tram sur une bande de verdure au milieu, voire parfois un canal bordé de végétation, achevant ainsi de donner l’impression que la nature s’invite jusqu’au cœur de la ville. Cette impression est d’ailleurs confirmée lorsqu’on se promène du côté du Scheveningse Bosjes, ou Bois de Scheveningen, grande étendue verte abritant lacs et forêts, au cœur même de la ville : cette respiration verte fut préservée afin de maintenir les dunes situées à l’arrière qui constituent un rempart naturel contre la montée des eaux. Le rapport à la nature est ainsi très présent dans la ville et plus particulièrement dans ce quartier, et pas une rue ne manque d’arbres ou de petits parcs, créant une atmosphère paisible qui semble contraster avec la réputation de “grande ville” que possède la cité.

Si le quartier de Scheveningen présente un visage résolument traditionnel, il a su, comme le quartier de la plage, se doter d’édifices qui apportent une touche moderne certaine. Au cœur du district se situe ainsi le Gemeente Museum ou Musée Municipal, conçu par Paul Berlage et achevé en 1935. Conservant la brique caractéristique du pays, l’architecte a néanmoins adopté un style Art Déco, dotant l’édifice de formes géométriques chaotiques, séparé en deux ailes par un grand bassin, et les reliant par une galerie vitrée qui est aujourd’hui devenu l’un des symboles du musée. Les bordures de toitures en cuivre, contrastent par leur couleur verte avec les briques beiges, tranchant avec les coloris traditionnellement utilisés ; les ouvertures sont toutes de dimensions différentes, et les salles souvent surmontées de verrières qui permettent d’éclairer abondamment l’intérieur sans avoir à recourir à de la lumière artificielle. Le musée accueille des œuvres caractéristiques du XXème siècle (notamment un collection assez importante d’œuvres de Piet Mondriaan) ainsi que des œuvres plus contemporaines; il expose également des objets plus anciens, illustrant cette capacité de la ville à faire cohabiter histoire et modernité avec harmonie. Au cœur du musée sont par exemple construit quatre salles, qui présentent les styles de décors intérieurs de quatre époques différentes : le Moyen-âge, la Renaissance, le XVIIIème siècle et la fin du XIXème  siècle. Ces écrins d’un autre temps produisent un effet de surprise lorsque l’on sait qu’ils sont construits dans un bâtiment moderne.

 

LE CENTRE-VILLE – CENTRE DES INNOVATIONS

Le centre-ville est l’illustration parfaite de ce rapport entre architecture ancienne et architecture moderne qui caractérise la ville : ici cohabitent aussi bien des édifices art déco que des édifices médiévaux et des bâtiments beaucoup plus récemment construits. Les néerlandais ne semblent pas s’embarrasser de la proximité d’éléments modernes avec leur patrimoine architectural : ils construisent, recréent, donnent au centre de leur ville un visage métamorphique qui n’est pas sans charme.

Au croisement de la Grote Halstraat et de la Gravenstraat, on peut ainsi trouver une grande place, où un ancien palais médiéval, tout en briques, menuiseries et volets de bois peints de rouge, abrite l’hôtel-restaurant Goude Hoof, et côtoie un bâtiment circulaire en brique émaillée multicolore, construit en 1998 et contenant un magasin de vêtement qui se déploie sous une impressionnante verrière (qui n’est pas sans rappeler la période des grands magasins du XIXème siècle).

Derrière ce dernier se situe la plus vieille église de la ville, construite au XIIIème siècle, surmontée d’un immense clocher qui fait écho aux grandes tours de bureau construites de l’autre côté du canal. Et pour compléter ce mélange hétérogène, s’ouvre en face de l’hôtel-restaurant un passage commercial (d’ailleurs nommé « De Passage »), construit en 1885 et s’inspirant largement des nombreux passages construits à Paris et dans d’autres grandes villes européennes. Il se constitue de trois bras, qui se rejoignent sur une place circulaire, surmontée d’une verrière qui illumine l’ensemble et met aussi bien en valeur les mosaïques du sol que les façades d’une blancheur immaculée construites de chaque côté, et qui contiennent boutiques de luxe et riches appartements.

L’extrémité de ce passage se modernise radicalement lorsque l’on va vers la Grote Markstraat, ou rue des Grands Magasins. L’ensemble, longtemps en travaux et livré en 2016, fut conçu par Bernard Tschumi : réutilisant la blancheur et le verre qui caractérisaient la partie ancienne, il dessine ici un bâtiment résolument contemporain, dont les formes brisées et les ouvertures ovoïdes contrastent fortement avec le Bijenkorf situé juste en face. Autre icône du grand magasin, ce dernier fut ainsi construit en 1929 par l’architecte Piet Kramer, dans un style caractéristique de l’école d’Amsterdam : sa façade monumentale, en brique de terre crue et brique de verre, déploie ses courbes et relie la Grote Markstraat et le quartier chinois (signalé par un grand portail en béton d’inspiration chinoise). Le Bijenkorf, grâce à son architecture audacieuse, fut ainsi longtemps le symbole du développement économique de la ville, avant d’être détrôné par la bibliothèque, construit par Richard Meier en 1985.

Situé à quelques centaines de mètres du Bijenkorf, ce bâtiment en reprend sa forme semi-circulaire : de la même blancheur que le Passage (couleur caractéristique des projets de Richard Meier), il accueille également en son sein une bibliothèque, dont les espaces de lecture sont astucieusement disposés à proximité de l’immense verrière qui surplombe la partie courbe de l’ensemble. La lumière abonde à l’intérieur, et est à peine atténuée en cas de mauvais temps, ce qui est assez fréquent dans cette partie du pays.

L’hôtel de ville de Richard Meier

Cet hôtel de ville constitue alors la limite entre la ville très moderne et la ville traditionnelle : vers l’Est, on peut ainsi apercevoir les grandes tours du centre économique, encadrées par des grues qui témoignent d’une construction frénétique ; tandis qu’a l’Ouest, subsiste le long du canal Hofvijver les restes des portes de la ville, ainsi que le Palais de la Reine, ou Binenhof, le vieux ministère de Justice, ainsi que le Mauritshuis, ancien palais aujourd’hui transformé en musée (présentant notamment dans sa collection la Jeune Fille à la Perle de Vermeer). Les pieds dans l’eau, tout de brique et d’ardoise, ces bâtiments possèdent une certaine majesté, à peine voilée par les fameuses tours que l’on peut toujours distinguer à l’arrière, réaffirmant cette confrontation entre ancien et moderne qui donne cet aspect si particulier à la ville de La Haye.

Le Binenhof ou Palais des rois

Le Mauritshuis et les tours modernes

 

Bérénice Darrigo

Photos de Bérénice Darrigo

A vécu sur place de 2008 à 2013

Bibliographie :

ROINTRU Sandrine, S’Gavenhage, Den Haag, La Haye, The Hague : aménagements urbains pour une ville durable, Nantes, Ecole d’architecture de Nantes, 2000, 155 pages

WIKIMEDIA FOUNDATION, « La Haye », wikipedia.org, https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Haye, [consulté le 3 avril 2017]