Ça y est je suis dans le car destination Fromentine, petite ville vendéenne peu connue, si ce n’est parce qu’elle est située à l’entrée du pont de Noirmoutier. Et pourquoi s’en aller là bas ? Fromentine n’est pas ma destination finale, puisque je pars pour l’île d’Yeu. L’île d’Yeu, tu connais ?

De nom me répond une grande majorité. Les plus intrépides y auront peut-être passé une journée ou deux, à y faire du vélo. En effet, elle est assez inaccessible. J’y vais donc aujourd’hui, pour la centième fois peut-être. L’île d’Yeu je la connais bien, mais elle n’est pas beaucoup plus accessible pour moi. En ce samedi de début mars, trois bateau reliaient l’île depuis le continent, tous trois au départ de port Fromentine. Un des catamarans (NGV : navire grande vitesse) à 8h, l’insula (Insula Oya II, un navire de marchandises et passagers) à 9h45, et un autre cata à 19h15. Cependant ce matin les réseaux sociaux affichaient une panne du cata, empêchant le départ du bateau de 8h, surchargeant l’insula d’après, et ne me permettant pas, étudiant nantais sans voiture, d’accéder à l’île d’Yeu aujourd’hui. Le premier car était en effet trop tard pour pouvoir avoir les bateaux du matin. Heureusement, dans la journée, les mêmes groupes Facebook m’apprenaient par bouche à oreille, puis par source officielle que le bateau était réparé et que le trajet que j’avais prévu pour la fin de la journée était maintenu. Je suis donc dans le car qui, depuis Nantes, va m’amener à Fromentine en 1h20, puis il me restera 35 minutes de bateau pour arriver à l’île d’Yeu. Une fois sorti de la cohue du bateau, je serai chez moi en 3 minutes, en voiture. Le samedi soir le trafic routier de l’île n’est pas trop encombré à cette saison.

Dès que le bateau a été engagé dans le chenal il s’est mis à bouger. Au bout d’une quinzaine de minutes certains vomissaient dans les sacs prévus à cet effet, que l’équipage s’empressait de remplacer en s’occupant des plus malades. Le bateau était plein à moitié, la plupart des voyageurs étant des islais (habitants de l’île d’Yeu) qui revenaient d’une journée sur le continent. Une équipe de jeunes garçons revenaient d’un déplacement sportif. J’ai croisé des amis qui revenaient de voyage. A l’arrivée du bateau les familles venues chercher quelqu’un attendent devant les conteneurs à bagages. Sur la route qui passe devant la gare maritime, les voitures sont garées sur les trottoirs, parfois en double file. Un petit garçon de l’équipe court vers sa mère en criant fièrement « Maman, j’ai vomi dans le bateau ». Chacun s’empresse de récupérer ses bagages, ses proches, et se précipite dans sa voiture pour éviter la pluie qui commence à tomber, et le vent qui se lève. Ce week-end, c’est tempête.

L’Isula Oya II à quai à la gare maritime de l’Île d’Yeu

La journée du dimanche a été rythmée d’averses de pluie et de grêle. Le lundi matin, la tempête Zeus est arrivée après le premier bateau, qui a pu faire l’aller-retour, mais l’insula et le bateau de 14h ont été annulés. Dans ce cas là c’est l’hélicoptère qui assure le lien au continent. Celui-ci représente le lien au contient par tous les temps. Outre son activité touristique de tours de l’île et de baptêmes de l’air, l’hélico est un véritable service public. La presse et la poste arrivent tous les matins à 7h30 par l’hélico, tout comme les colis des commandes sur internet. Le soir, le courrier repart par l’hélico de 16h30. Ce sont les deux vols réguliers chaque jour. Selon les saisons, l’affluence et l’état de la mer (le mal de mer reste redouté malgré les bateaux de plus en plus confortables) des vols sont rajoutés. L’hélico représente un lien très important pour les islais puisqu’il est aussi le lien médical au continent. A toute heure du jour et de la nuit l’hélico de l’île d’Yeu joue les ambulances et relie l’hôpital de l’île, où les médecins généralistes assurent les urgences, aux hôpitaux de Challans, La Roche sur Yon, ou même Nantes. Beaucoup de femmes enceintes ont quitté l’île en hélico pour aller accoucher sur le continent. Il arrive cependant que le brouillard immobilise l’hélico et c’est alors le canot de sauvetage de la SNSM qui assure les urgences médicales.

L’hélicoptère décolle au lever du jour pour aller chercher le courrier et la presse

L’île d’Yeu je connais bien. Comme mon père y habite et travaille depuis plus de dix ans, j’y vais régulièrement et j’y passe tous mes étés. J’y ai fait 5 saisons à travailler dans un supermarché mais je me suis aussi intéressé à l’architecture sur place puisque j’y ai effectué trois semaines de stage en maçonnerie en hiver et j’ai fait l’été dernier un stage de deux mois avec une architecte à l’île d’Yeu. Mais que se passe-t-il derrière ces paysages de carte postale ?

La façade du port

L’ïle d’Yeu est une seule commune mais regroupe plusieurs villages qui ont chacun leur identité. Port Joinville, appelé le port, est le centre des activités de l’île d’Yeu. C’est avant tout, et comme son nom l’indique, le port de l’île d’Yeu. On y trouve donc le port de pêche, le port de plaisance, le bassin à flots (qui se ferme à marée basse pour garder une profondeur suffisante pour les plus gros bateaux), la gare maritime, la criée… C’est là que débarquent les gens qui arrivent sur l’île et donc tous les touristes l’été. A proximité des arrivées de bateau on trouve donc tous les loueurs de vélo. Plus loin, le long du port de pêche se trouvent les bars, offrant de grandes terrasses au soleil le matin. L’hiver, on y trouve le marché. L’été, celui-ci s’établit sur le quai de l’ancienne criée pour ne pas gêner les commerces qui ont des terrasses. Les matins d’été, cette façade est l’endroit le plus visité, les gens viennent acheter leur pain, faire le marché, se promener. Elle était et reste la façade de l’île d’Yeu où il fallait se démarquer : on trouve un hôtel, la mairie et un bâtiment qui abritait les affaires maritimes. Dans les petites rues qui remontent, on trouve les boutiques et les restaurants. Ces rues sont typiques du port ancien, étroites pour se protéger du vent. Dans cette partie les constructions sont élevées au minimum sur un étage, mais peuvent aller jusqu’à 4 étages. Dans le reste de Port Joinville on trouve les deux supermarchés de l’île d’Yeu, le cabinet médical, la pharmacie…

Le port était autrefois rempli de bateaux de pêche

Un peu plus retiré dans les terres, sur les hauteurs du port, on trouve « La Citadelle », le fort de Pierre Levée. Entouré d’un petit bois, ce fort du XXème siècle a connu de nombreux usages. Après avoir servi de garnison (ce pour quoi il a été construit), il est transformé en prison, notamment pour les prisonniers de guerre de la première Guerre Mondiale. Lors de la deuxième Guerre Mondiale il est occupé par une garnison allemande. Il sera ensuite la prison du Maréchal Pétain, qui mourut quelques années après à Port Joinville, à l’hôpital. Il est d’ailleurs enterré au cimetière de Port Joinville. Symbole fort, sa tombe est la seule tournée vers le continent, les autres, lui faisant face, sont tournées vers la mer. Après avoir servi de colonie de vacances, le fort est un peu délaissé pour servir aujourd’hui aux associations. Dans chacune des salles sur lesquelles rayonne la cour une association tient son activité. Au centre de la cour un grand chapiteau a été dressé pour remplacer temporairement la salle des fêtes. Initialement prévu pour un usage temporaire, il y est resté. Ce chapiteau accueille tout au long de l’année mariages, concerts et réunions en tout genre. Chaque été, le festival « Viens dans mon île » propose trois soirées de concert dans la cour de la citadelle.

Vue aérienne du festival « Viens dans mon île » – photo Facebook VDMI

Saint Sauveur est le deuxième centre de l’île d’Yeu. En effet, l’île était autrefois composée de deux communes : Port Joinville et Saint Sauveur, regroupées aujourd’hui en une seule commune : L’île d’Yeu. On pouvait habiter à l’île d’Yeu et ne voir la mer la première fois qu’à 10 ans. Le bourg comprenait une église, un cimetière, une école, des commerces… Aujourd’hui les écoles sont toutes à proximité de Port Joinville mais le bourg reste un point de passage car on y trouve des activités ouvertes à l’année : le centre aéré, une boulangerie et le café-tabac-presse. Cependant hors saison les habitants de l’île ne font que passer à Saint Sauveur, la plupart des maisons ont été rachetées par des résidents secondaires ou des locations saisonnières. L’été, c’est donc un tout nouveau visage que nous montre Saint-Sauveur. C’est un bourg très animé, où s’ouvrent plusieurs commerces pour la saison : une supérette, une poissonnerie, une cave à vin, une pâtisserie, un antiquaire, des boutiques de bijoux… Le matin, un marché s’installe dans la rue principale qui devient piétonne, le café installe une terrasse, les gens viennent s’y promener.

Cadouère est un des grands villages. Plus excentré, il est sur la route de l’aérodrome et de la pointe ouest de l’île. Il est surtout connu pour son grand « vide galetias », vide grenier en patois local. Le premier dimanche du mois d’Août, les estivants comme les habitants à l’année se retrouvent sur le bord des rues où des dizaines de stands proposent tout ce que l’on peut s’imaginer trouver. Dans un champ une buvette et une restauration rapide sont montées, animées par les voies bien connues de la radio locale : Neptune FM. Après Cadouère, c’est la route de l’aérodrome. Peu animé en hiver, il accueille tout de même l’hélicoptère qui relie l’île au continent. En été un parking est installé dans un champs pour recevoir les machines venues du continent. Elles remplacent pendant un mois ou deux les lapins qui habitent cette zone le reste du temps.

Au-delà de l’aérodrome, à l’extrême ouest de l’île on trouve la Pointe du But. Autrefois point stratégique majeur, les postes d’artillerie qui y étaient installés permettaient de contrôler l’embouchure de la Loire. Aujourd’hui il n’en reste que des ruines et un seul bâtiment debout, faisant face à la tourelle des Chiens Perrins. Ces deux constructions servent de repère pour la navigation qui est particulièrement périlleuse de ce côté de l’île. Le lieu n’est pourtant pas abandonné puisque c’est ici que se couche le soleil tous les soirs : à l’instar du roi éponyme, le soleil se couche rarement sans public.

la tourelle des Chiens Perrins est implantée sur des récifs immergés

A partir de cette pointe démarre la côte sauvage qui court sur toute la façade sud de l’île. Cette côte de granite surplombe la mer et laisse un petit accès à la mer par endroits. Cette côte rocheuse exposée aux éléments est longée d’un sentier qui est ouvert aux voitures hors saison. Il n’est pas rare de voir, le week-end, des voitures se succéder pour admirer le paysage. Ce « tour de côte » est une des activités incontournables sur l’île où le rapport à la mer est partout. Cette partie de l’île apparaît sur une carte comme une dentelle, morcelée, trouée. Des criques, des points de vue, des plages ou petits ports de pêcheurs s’ouvrent sur l’élément omniprésent : l’Océan. Ce paysage de lande avec une végétation très basse et très robuste (bruyère, genêts) est à l’opposé du paysage que l’on peut trouver de l’autre côté de l’île. En effet, sur la côte est c’est une grande plage de sable fin qui s’étend sur plusieurs kilomètres. A la fin de ces plages on trouve la pointe opposée à la Pointe du But : la Pointe des Corbeaux.

La plage des Sabias est occupée les vacances de Pâques

Parmi ces points clés le long de la mer, le plus célèbre est le port de la Meule. A l’origine petit village de pêcheurs associé à son port, la Meule est aujourd’hui un des endroits incontournables de la visite de l’île. La petite chapelle blanche au toit à deux pentes de tuiles « du pays » qui surplombe le port est en effet le bâtiment le plus emblématique de l’île. Le port, dans une crique naturelle est seulement protégé d’un quai qui relie des rochers. Le long de ce quai on trouve les cabanes, assez répandues à l’Île d’Yeu, qui permettaient à l’origine à ranger le matériel de pêche. Aujourd’hui ces cabanes servent sur les plages à entreposer le parasol et les jeux, et à s’abriter pour boire un coup à la Meule.

La chapelle de la Meule surplombe le port

Le port de la Meule avec ses bateaux de pêche au mouillage et ses cabanes

Au cours de son histoire, l’île a connu très tôt une occupation. Sur toute l’île on retrouve des marques d’occupation à la Préhistoire. Outre les menhirs et dolmens, qui ont souvent été réutilisés pour construire les maisons, on trouve aussi des pointes fortifiées. La Pointe du Châtelet, connue également sous le nom de redoute romaine, présente un ancien rempart qui témoigne d’une occupation très ancienne. La côte sauvage, par ses falaises très hautes a longtemps présenté un intérêt défensif. Au Moyen-Age un château fort y est édifié. Connu sous le nom de vieux château il a été en partie détruit à la fin du XVIIIe siècle mais constitue un des éléments majeurs le long de la côte sud de l’île.

Le vieux chateau disparaît dans les rochers

Au début du XIXe siècle on trouve quelques maisons bourgeoises qui s’établissent, mais les activités principales de l’île restent la pêche et l’agriculture. Depuis les années 1960 l’île accueille de plus en plus de tourisme l’été, mais aussi des résidents secondaires la moitié de l’année et des touristes hors saison pour la durée d’un week-end. Le tourisme est devenu très important et transforme la vie de l’île. La pêche n’est plus au premier plan et c’est le milieu du bâtiment qui a beaucoup de poids, l’île se densifie énormément le long des routes principales. Comme on peut le voir sur cette vue satellite on ne distingue plus réellement les villages.

L’Île d’Yeu vue de l’espace – Photo Thomas Pesquet

Ca y est nous sommes en avril, c’est les vacances scolaires et il fait beau. Très beau et chaud. Le bateau que je voulais prendre est plein. Tant pis, je prendrai le prochain. La deuxième compagnie de bateaux qui dessert l’île a recommencé son activité. Les touristes affluent, beaucoup viennent de grandes villes comme Nantes ou Paris. Ils viennent rechercher le calme et l’intemporalité de l’île d’Yeu. Par son architecture et ses paysages l’île semble en effet sortie des cartes postales, tout semble y être un décor enchanteur. Même les voitures qui circulent ici semblent sorties d’images d’archives. Malgré son caractère hors du temps l’île subit chaque année un afflux conséquent de touristes, qui change complètement, le temps de quelques mois, le visage de l’Île d’Yeu. Visiter l’île c’est donc un moment magique mais venir en février ou en août, c’est effectuer deux voyages différents. Vous ne découvrirez pas la même île, pas les mêmes paysages, pas les mêmes activités. C’est là la richesse cachée de l’île d’Yeu.

Le café du centre et une R5, l’intemporalité de l’île d’Yeu

Louis Moncanis

Île arpentée depuis 2006

Photos Louis Moncanis (hors mention dans la légende)

Bibliographie :

– COUTUREAU Eric, MAHEUX Hubert, Yeu et Noirmoutier, îles de Vendée, Ed. Cahiers du patrimoine, 1994

– AUGE Marc, L’impossible voyage, Le tourisme et ses images, Ed. Payot et Rivages, 1997

– DORDOR Gertrude, L’île d’Yeu, mémoire d’islais, Ed. Gisserot, 2003

– « Les voix du large, vivre ensemble à l’île d’Yeu », Film documentaire, Xavier Liébard, Prod. Olivier Roncin, 2017