UN PETIT PÉRIPLE DANS LE VASTE SAHARA MAROCAIN
Nous débutons notre parcours par la visite de ASSA, une petite ville qui s’est agrandie au fil des années et qui atteint aujourd’hui environ 13 000 habitants. Au fur et à mesure du développement démographique, le petit village s’est transformé en profondeur. Assa, se situe sur un relief qui domine la palmeraie de la ville. Le premier autochtone que nous rencontrons nous raconte que les tribus Ait-Oussa se rassemblent en ce lieu saint à l’occasion de la fête du Mouloud, fête célébrant la naissance du prophète Mohamed. A cette occasion, les habitants sacrifient un dromadaire au centre d’une place publique, dotée d’une bouche d’égout pour évacuer le sang. Cette place est appelée « la Zaouia ». Elle a été fondée quelque siècle auparavant par un saint fondateur du village.
Pour nous, le plus magique dans cette ville, reste son palais, un « Ksar » en arabe. Il est antérieur à la Zaouia et les mots peinent à en décrire la beauté. Ces ruines ne sont ni les vestiges des pharaons, ni celles des romains. Tout le mystère du palais est exposé dans sa nudité originelle : la terre, la pierre et le palmier. Sur son sommet se trouve des tours presque en ruine. On aperçoit la pierre qui les constituent et leurs permet d’avoir encore fière allure, ainsi que les traces des quatre portes d’accès au palais. Le mariage entre la terre et la pierre et l’architecture sobre et robuste à la fois rendent cet endroit tout a fait gracieux.
L’intensité de la pierre brune donne une certaine homogénéité à la ville. Elle impose une réelle cohérence entre la riche bâtisse et la modeste maison. Toutes les habitations sont taillées de cette même pierre. Leurs toits reposent sur des poutres en bois de palmier dont certaines montrent quelques signes d’affaissement.
Après une nuit passée à Assa, nous prenons la route vers Tamanart, un village très réputé pour sa palmeraie. Après trois heures de route sèche et désertique, en face de nous apparait une ligne de palmiers verts, nous sommes enfin arrivées dans ce « petit coin de paradis ». Cette palmeraie a la particularité d’être traversée par un chemin carrossable. Nous remarquons que le soleil qui règne en maître dans cette région a asséché la végétation ainsi que le fleuve, il ne reste plus que les traces du lit, sans aucune flaque d’eau. Cette région dépend fortement de l’eau et des palmiers-dattiers. La majorité des villages obéissent à cette règle élémentaire du sédentarisme : les habitants s’installent la où ils ont à manger et surtout à boire.
A Tamanart, nous nous arrêtons devant chaque petite porte de maison. Nous sommes émerveillées devant leurs particularités. Elles sont généralement fabriquées en métal, avec des motifs losanges au milieu. Elles sont décorées avec la palette d’un peintre qui méprise les tons ternes. Le meilleur dans ces portes, ce sont les couleurs vives qui varient du seuil d’une maison à une autre. Elles sèment la féerie dans ce tissu urbain très homogène.
Nous poursuivons notre chemin afin d’atteindre le village voisin nommé Amtoudi. Pour y accéder nous empruntons un chemin étroit et tortueux qui nous conduit en colimaçon jusqu’au point le plus haut de la montagne. Au bout de notre parcours, la forteresse qui domine le village impressionne par son éclat sombre et l’étroitesse du chemin qui y conduit. On dirait un décor sorti tout droit du film « Le Seigneur des anneaux ».
Ce village se distingue par son grenier qui tient de la forteresse. Ce grenier fortifié comprend des portes très étroites qui semblent miniatures au regard de la taille impressionnante de l’édifice. Un habitant nous explique que les familles du village y conservaient les récoltes à l’abri des agressions extérieures. Ils ont bien choisi cet endroit, littéralement imprenable, pour cacher des céréales. Pendant des siècles, cette forteresse a su abriter l’essentiel : la nourriture, le bien le plus précieux permettant aux habitants du village de vivre et de trouver la force de travailler. Rien ne différencie cette grosse bourgade des autres du royaume : mêmes bruits, mêmes commerces, même empressement des chauffeurs de taxis. Seul le costume introduit un peu d’exotisme, la plupart des femmes portent la « melahfa » et les hommes la gandoura.
Nous en profitons pour visiter le vieux souk, très animé. Des commerces de produits locaux sont attenants à des boutiques qui proposent des articles électroniques. Les bijoux en argent, le henné et les gandouras acceptent sans heurt la présence des téléphones mobiles, des caméras et des récepteurs numériques. L’âme d’un souk ne tient pas à la nature des articles commercialisés, mais à sa capacité d’appel sur les clients. Les commerçants sont affables. L’un d’eux étale par terre des bijoux investis de pouvoirs surnaturels. Il montre un ensemble de bagues colorées qui « protègent contre les énergies négatives ». Elles servent d’écran contre des frappes invisibles… La bague vole en éclats quand elle reçoit ne charge trop forte ! Et preuve à l’appui, le vendeur sort une petite étoffe en velours qui enveloppe les débris d’une petite bague : « le coup qui a été porté pouvait être fatal au porteur de ce bijou !!!»
Mais il nous faut déjà repartir pour poursuivre notre découverte du sud et ce n’est que très tard dans la nuit que nous atteignons Tan-Tan, le chef-lieu de la province du même nom. Malgré notre envie de faire de faire une petite visite nocturne de la ville, nous décidons de poser nos valise dans le petit motel « Riad el Bahia » qui se situe a l’entrée de la cité. De notre chambre, nous pouvons remarquer les deux chameaux géants sculptés à l’entrée de la ville. Les voitures passent sous l’encolure des bêtes. (Le terme français pour désigner le roi des animaux dans le Sahara est « dromadaire ». Il possède, sans possibilité d’équivoque, une seule bosse dorsale, alors que le chameau sème la confusion parce qu’il désigne aussi des animaux à deux bosses. Mais tout le monde, ici, parle de chameaux. Il nous faut accepter un mot indécis pour être plus près de l’expression populaire.) Malgré la distance nous arrivons à déchiffrer au loin sur un mur une petite phrase écrite en français et majuscule : « TOUS POUR SM LE ROI ». Il s’agit du plus vieux bâtiment de la ville, le seul édifice éclairé de nuit a Tan-Tan, a priori une ancienne casbah, transformée en caserne.
Le lendemain matin, nous prenons le petit déjeuner sous un soleil de plomb. Un jeune serveur du motel vient à notre rencontre et nous explique l’origine du mot Tan-Tan. La région est connue pour sa généreuse nappe phréatique. Il suffit de creuser un puits peu profond pour trouver de l’eau. Lorsqu’on descend un seau avec une corde, il fait Tan-Tan au contact de l’eau. Un précieux avantage qui distingue cette ville du Sahara et explique son expansion.
Notre serveur nous offre une théière de thé, puis se joint à nous. Il s’assoit par terre devant un grand plateau en argent où sont disposés une vielle théière et quelques petits verres de couleur bleue. Un deuxième plateau à proximité contient une bouilloire et un brasero. Omar commence par verser de l’eau bouillante dans la théière puis la vide, il répète ce rituel plusieurs fois. On a l’impression qu’il cherche à purger et à désinfecter la théière. Il incorpore une grande poignée de thé vert puis rince encore une fois avec cette eau les grains de thé. Il place un bouquet de menthe qui embaume toute la pièce. Il remplit ensuite la théière avec un nombre de verres d’eau proportionnel au nombre d’invités. Nous l’observons toute avec attention, il est très patient. Il ne se soucie pas du temps. Il n’est pas pressé. Il attend. Une fois l’infusion accomplie, Omar ajoute du sucre, beaucoup de sucre… il verse avec une dextérité qui participe de la jonglerie, plusieurs fois le liquide chaud dans les verres. Après un temps qui nous paraît bien long, Omar nous sert enfin ce breuvage délicieux. Ici, le temps du thé n’a pas de durée. Il peut se prolonger plusieurs heures. Le breuvage, servi dans un verre d’une très petite taille, est réduit à quatre ou cinq gorgées. La boisson compte peu ; c’est le cérémonial dont elle est investie qui est important. Ce cérémonial se rapporte à l’un des signes les plus marquants de la convivialité dans le Sahara : la conversation autour d’un verre de thé.
Nous quittons notre hôte pour nous diriger vers le site ou se tient le Moussem de Tan-Tan. Sur notre chemin, nous sommes frappés par la multitude des espaces plantés. Nous remarquons au moins deux lignes d’arbres et d’arbrisseaux verts bordant les avenues. Certaines maisons possèdent des champs avec des cultures . L’arrosage au goutte à goutte a révolutionné les moyens d’irrigation. Avec une petite quantité d’eau, il permet d’obtenir de bons résultats de croissance des végétaux. La plantation la plus dense se trouve au Djebel-Labied, une dune qui lâchait régulièrement des rafales de sable sur les soixante mille habitants de la ville. Pour contrer ces coulées avalancheuses, une « forêt » a été plantée sur la dune. Des eucalyptus, des acacias sont alignés en bon ordre. Ces soldats verts neutralisent les mouvements du sable. Nous visitons le site où se tient le Moussem de Tan-Tan. Du côté où se porte la vue, rien qu’une étendue sans limites. Les festivités de ce Moussem n’avaient pas eu lieu depuis trente ans. La renaissance de la manifestation, en 2004, s’est déroulée de façon somptueuse. Des tentes ont été dressées en si grand nombre qu’il était difficile de trouver une parcelle de terre dépourvue d’animation. Les multiples manifestations de la vie culturelle dans le Sahara ont été exposées comme autant de témoignage vivant des cultures orales et artistiques sahraouies.
Nous prenons la direction de la localité d’Al Ouatia où se trouvent le port et la plage de Tan-Tan. Un bâtiment, avec un toit en pagode, attire notre attention. Mais que vient faire un édifice de style asiatique dans le Sahara ? Nous pensons d’abord à une fantaisie architecturale mais nous apprenons qu’il s’agit, tout simplement, d’un restaurant construit par un Sud-Coréen !
Trois dauphins sourient sur la grande place d’AL Ouatia. Cette sculpture souligne la vocation maritime de la région. On se représente habituellement le Sahara comme un océan de sable où des dunes tiennent lieu de hautes vagues. Le Sahara marocain ne correspond pas à cette représentation. C’est un désert rocheux, tavelé de sable et de poussière. Les Sahraouis le nomment « Reg ». Ce mot sort de leur bouche de façon gutturale. Il est à l’unisson de la réalité en roc qu’il désigne.
D’un seul coup, le paysage se fend : nous longeons des falaises, de hautes falaises si abruptes qu’on les dirait taillées par un coup de hache. La roche montre son ventre nu avec des stries, des affaissements brusques, des zones ondulées, une imbrication de lignes en équilibre, des variations de tons et de couleurs. Nous admirons cette rencontre de la mer et du désert, confondus ici dans leur pureté originelle. Pas d’interface, pas de transition : le reg s’arrête brutalement au bord d’une falaise. Les mots peinent à décrire la grandeur de cette ligne de rupture entre l’océan et un désert de sable et de cailloux.
En prolongeant notre promenade, nous atteignons l’embouchure de l’oued Chbika. Pour ceux qui aiment les dunes, le panorama défie toute concurrence. Le vent est le principal architecte d’un magnifique agencement de monticules de sable arrondis, tous orientés dans le même sens. Quelle grâce quand le désert salue la mer avec une éminence de sable fin ! L’embouchure de l’oued Chbika est fréquentée par des oiseaux migrateurs. Un flamant rose plonge son long cou gracieusement recourbé dans l’eau. Il faut se garder de croire que les « regs » présentent un spectacle monotone. Le miracle du Sahara, c’est qu’il change d’apparence et de couleur suivant le temps qu’il fait et l’heure du jour : le désert passe du roux au gris, au rose ou à l’orange volcanique.
Nous atteignons enfin la lagune de Khenifiss. C’est une magnifique réserve écologique, fréquentée par quelque 150 espèces d’oiseaux, dont le goéland railleur et la sterne Pierre-Garin. Ces deux espèces ne sont visibles au Maroc qu’à cet endroit. Nous sommes éblouis par la rencontre des falaises, de la lagune et des dunes. Nous sommes enchantés par les cris des oiseaux et le sifflement du vent, uniques sons qui peuplent l’espace. De la falaise qui domine la lagune, nous assistons en plongée au vol des oiseaux. Au loin, la ligne d’horizon se confond avec un cordon dunaire. A khenifiss règnent une paix et une tranquillité qui se communiquent au visiteur. Il en ressort avec une paisible possession d’un site inoubliablement beau.
Nous apercevons des salines. Ces lieux d’exploitation du sel marin par évaporation sont jonchés de plates-formes rondes et polychromes. Deux couleurs dominent : le roux des saumures et le blanc du sel. Le soleil commence à nous abandonner aussi, et sa lumière commence à changer. Nous voyons alors toutes les tonalités du jaune, passant par l’ocre, puis des oranges intenses laissant derrière des tonalités de bleu qui se transforment en nuit. Mais il est temps de rentrer et cette image de carte postale est notre dernier souvenir de ce magnifique périple en terre inconnu.
AALLALOU Selma- Voyage Juin – Juillet 2013-
Bibliographie:
SEARIGHT S. 2004. The Prehistoric Rock Art of Morocco. A study of its extension, environment and meaning. BAR International Series 1310. Oxford.
SEARIGHT S. & Martinet G. 2001. Peintures rupestres d’un nouveau genre dans le Sud marocain. Sahara, Segrate, 13: 115-118.
SKOUNTI A., Lemjedi A., Nami M. 2003. Tirra, aux origines de l’écriture au Maroc. Publications de l’Institut Royal de la Culture Amazighe, Rabat.
VERNET R. 1996. Le site rupestre d’El Rhallaouiya (Adrar de Mauritanie). Beiträge zur Allgemeinen und Vergleichenden Archäologie 16: 109-137.
VERNET R. 2006. Les peintures du haut de la passe d’Amogjar (Mauritanie). Cahiers de l’AARS 10 [Mélanges sahariens en l’honneur d’Alfred Muzzolini], 199-206.
AALLALOU Selma
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