Peter Zumthor est un architecte exceptionnel. Depuis quarante ans il habite et il travaille dans un petit village suisse : Haldenstein. Son architecture intemporelle et poétique résulte de l’histoire, de la culture locale, des matériaux et des conditions naturelles d’un endroit. Au cœur des Alpes suisses, à deux heures de route de Zurich, Peter Zumthor, invite à détendre notre corps et notre esprit.
Les Thermes de Vals
Ce bâtiment, construit en 1996 rend un architecte inconnu Peter Zumthor célèbre dans le monde entier. Les Thermes deviennent une icône de l’architecture internationale en moins de deux ans après son ouverture, grâce au classement au titre de monument historique en 1998.
L’œuvre de Peter Zumthor a également contribué à améliorer le développement économique du lieu. Chaque année il y a de nombreux touristes venant pour se reposer dans les bassins des Thermes.
L’eau et la pierre sont les principales ressources naturelles de cette région. Le village de Vals, exploite depuis des siècles une source d’eau thermale chaude, à 29 dégrées. La pierre utilisée pour la construction, le gneiss, vient de la carrière locale et elle est utilisée depuis les siècles sur les toits des chalets de Vals. Dans ce projet, ces deux matériaux, l’eau et la pierre, s’harmonisent et se complètent pour créer une architecture sensuel et tranquille.
« Quand je me lance, ma première idée de bâtiment part du matériau. Je pense que l’architecture est une question de matériau – et non de papier ou de formes. Tout est une question d’espace et de matériau. » Peter Zumthor [1]
L’histoire et la conception
En 1960 un promoteur allemand a construit un ensemble de cinq hôtels à Vals pour lancer le tourisme dans cette vallée un peu perdue. Mais peu après cet ensemble hôtelier fait faillite et est racheté par la commune de Vals en 1986. L’intention est de construire un établissement thermal entre les cinq bâtiments existants, là, dans une endroit où la source jaillit.
La décision de confier la construction à Peter Zumthor est surprenante, puisqu’il n’avait encore quasiment rien construit, mais la commune prend le risque. Pour ne pas gâcher la vue des clients de l’hôtel principal, la commission interdit à Zumthor de construire en hauteur. Mais il a déjà eu une idée « d’ouvrir la montagne et de créer une carrière » [2], d’enterrer complètement le bâtiment, de le fondre dans le paysage. Les premiers dessins de Zumthor sont très simple mais ils reflètent parfaitement l’idée et l’atmosphère du projet.
« Montagne, Pierre, Eau : construire dans la pierre, construire en pierre, construire à l’intérieur de la montagne, construire au flanc de la montagne, être au cœur de la montagne. Comment traduire toutes les acceptions et toute la volupté de ces expressions en langage architectural ? C’est en essayant de répondre à ces questions que nous avons conçu cet édifice lequel, petit à petit, a pris forme sous nos yeux. » Peter Zumthor [3]
La visite commence
Vals, c’est un village isolé, situé dans une vallée étroite. La route étroite qui mène à la vallée de Vals est taillée dans le flanc de la montagne. Elle tourne, elle monte et descend, et surplombe des gorges où s’écoule une rivière.
Nous arrivons du sud, du bas. Le massif du bâtiment apparait comme un énorme rocher rectangulaire sculpté dans la colline. C’est une grande « pierre » construite en pierre.
Nous nous approchons directement de la façade pour commencer une promenade architecturale autour du bâtiment. Cette façade unique émergeant d’une montagne, façade exposée sud-est, est ouverte sur la vallée par de larges et petites ouvertures.
Nous passons devant les salles de repos, tournées vers la montagne qui possèdent des vitres monumentales. Nous touchons cette pierre, ce bijou architectural qui constitue l’âme de ce projet.
En fait, sur ce bâtiment il y a soixante milles dalles minces d’un mètre de long de pierre grise, de gneiss, formant le revêtement des murs. Chaque rang de pierre conserve la même hauteur en parcourant tout le bâtiment, alors que nous avons impression que chaque dalle a une épaisseur différente.
Elles apparaissent disposées au hasard, par contre ce n’est qu’une illusion. L’ordre dans lequel elles sont disposées c’est une déclinaison de trois dalles d’épaisseurs différentes, mais dont la somme fait toujours 15 centimètres. Ça permet une variété visuelle de disposition sans compliquer la construction.
Ce qui n’est pas visible de l’extérieur c’est l’entrée, en fait l’accès à l’intérieur ne se trouve pas sur la façade. Pour y entrer il faut passer par l’hôtel. L’entrée aux thermes se trouve sous la terre, c’est un tunnel sombre, une sorte de transition entre le monde extérieur et l’intérieure spectaculaire.
En suivant le mur du bâtiment, nous arriverons devant le bassin d’eau chaude. L’espace des thermes s’organise autour de deux grands bassins l’un au centre du bâtiment, à l’intérieur, et l’autre en plein air. Entouré de hauts murs, ce bassin extérieur semble creusé dans la montagne. Il est alimenté par la source naturelle d’eau chaude de 29 degrés et après réchauffée au 32 degrés.
Il y a une ambiance très particulière autour de ce bassin en hiver. La musique de l’eau, le rythme, est créé par la force de trois jets d’eau. La vapeur d’eau s’élève de l’eau et forme un nuage translucide au-dessus du toit et des baigneurs créant une atmosphère de mystère.
Le bâtiment est à moitié enterré dans la colline, il travaille avec l’environnement naturel. De cette façon, les salles se trouvent sous une structure de toit en herbe. Sur la toiture il y a un dessin géométrique, qui ressemble à des ruines. Il révèle la forme des différentes salles de bains qui se trouvent en bas.
« En développant cette idée, nous avons aimé penser que le bâtiment pouvait donner l’impression d’être plus ancien que le bâtiment adjacent, c’est-à-dire une présence intemporelle dans ce paysage. » Peter Zumthor [4]
Le bâtiment est constitué de quinze blocks différents, de cinq mètres de hauteur couverts des unités de toit en béton. C’est comme un puzzle géant. Les toits ne se rejoignent pas, il y a les interstices de 8 cm recouverts de verre. C’est ça le dessin sur le toit. Ces ouvertures permettent également à la lumière naturelle d’entrer. À l’intérieur, cela crée un contraste, le béton donne l’impression que le toit est lourd, mais la lumière entre les unités fait apparaître que le toit flotte.
Zumthor voulait aller un peu plus et suspendre le temps à l’intérieur en n’y mettant pas d’horloge. Mais les clients lui ont demandé et trois mois après l’ouverture il a posé deux petites montres.
Pour certains, la visite se termine par un bain relaxant et la découverte de cette œuvre de l’intérieur, de la surface de l’eau. Les autres font 50 minutes de route en autocar pour voir la minuscule chapelle de même architecte.
Chapelle Saint-Benedict, a Sumvitg
Dans la chapelle Saint-Bénédict conçue en 1988, avant les Thermes de Vals, Zumthor montre son respect pour le site et les matériaux.
Il construit cette chapelle dans un village de Sumvitg, après que l’ancienne chapelle baroque a été détruite par une avalanche en 1984.
Pour voir ce bâtiment, nous sommes obligées de prendre une route asphaltée qui en tournant et grimpant nous mène à la chapelle. Nous passons devant des fermes, des étables et des maisons de vacances en admirant le paysage de montagne autour de nous. Le long chemin nous met dans une état de réflexion. L’effort de marcher en montée est compensé quand la chapelle apparait devant nous, beaucoup plus petite que prévu. Elle est petite à côté des maisons qui l’entourent.
L’extérieur très simple et modeste, à l’échelle humaine la beauté de la simplicité des œuvres de Zumthor. Sa forme ressemble à un bateau amarré sur la colline et en plan elle rappelle une goutte d’eau ou une feuille.
La chapelle est construit avec des bardeaux de bois, semblables aux maisons traditionnelles dans la région. Le bois est vieilli. Les carreaux de la façade ont perdu leur couleur d’origine à cause de conditions atmosphériques, ce qui crée un gradient très spécifique.
« L’édifice vieillit en beauté au gré des intempéries, noircissant toujours plus au sud et s’argentant au nord » [5]
La chapelle est située traditionnellement sur l’axe est-ouest, mais l’entrée n’est pas sur l’axe. L’entrée est pensée comme un élément de transition, prolongée du corps de l’église. Un bloc de béton brut est ancré au sol, et s’assoit à côté de la chapelle. Il y a cinq marches et une plate-forme. Le visiteur est guidé par les rails très fin en acier.
Dès que nous y entrons, il n’y a plus de contact visuel avec le monde extérieur. Nos yeux sont dirigés directement vers le toit, vers le ciel, vers la présence de la religion.
Le toit de la chapelle rappelle la coque d’un bateau, c’est spectaculaire et totalement inattendu. Il repose sur un anneau de colonnes en bois. C’est un excellent exemple de la simplicité et de la beauté artisanale des détails de Zumthor. En fait, il a commencé sa carrière comme un menuisier. Le sol aussi en bois ne touche pas de colonnes et de cette façon il semble flotter dans l’espace.
L’intérieur est très accueillant, très calme, crée une atmosphère de la réflexion et du repos. Il est éclairé par des panneaux de verre en bandeau qui couronnent la chapelle, permettant à la lumière naturelle de pénétrer dans l’espace intérieur. Cela crée un espace très claire où les visiteur sont tête-à-tête avec eux-mêmes.
Ces deux bâtiments de Peter Zumthor montrent que ce ne sont pas les bâtiments eux-mêmes qui sont le plus importantes dans l’architecture, mais les atmosphères qu’ils créent. Indépendamment de l’échelle et du matériel utilisé, les constructions de Peter Zumthor restent dans la mémoire comme quelque chose d’extraordinaire.
Joanna Olszewska
Voyage du 02/03/2015 au 06/03/2015
Visite le 04/03/2015
Notes
[1] « Pritzker Prize goes to Peter Zumthor », Robin Pogrebin, New York Times le 12 avril 2009
http://www.nytimes.com/2009/04/13/arts/design/13pritzker.html [22.11.2017]
[2] Architectures, Richard Copans et Stan Neumann, photographies Pierre-Olivier Deschamps, Chêne, Arte editions, 2007, p.141
[3] Sensibilité suisse : La culture de l’architecture en Suisse, Anna Roos, Birkhauser, 2017, p.128
[4] Peter Zumthor Works : Buildings and Projects 1979-1997, Peter Zumthor, Helene Binet, Birkhauser, 1999
[5] Peter Zumthor 1985 – 1989, Realisations et projets, Tome 1, Scheidegger & Spiess, 2013
Bibliographie
Architectures, Richard Copans et Stan Neumann, photographies Pierre-Olivier Deschamps, chêne, arte editions, 2007
The Environmental Imagination: Technics and Poetics of the Architectural Environment, Dean Hawkwes, Taylor & Francis, 2007
Peter Zumthor 1985 – 1989, Realisations et projets, Tome 1, Scheidegger & Spiess, 2013
Peter Zumthor Works : Buildings and Projects 1979-1997, Peter Zumthor, Helene Binet, Birkhauser, 1999
Sensibilité suisse : La culture de l’architecture en Suisse, Anna Roos, Birkhauser, 2017
« The Spa in Vals (1994 – 1996). Peter Zumthor » par Alfonso Acocella http://www.architetturadipietra.it/wp/?p=192 [16.11.2017]
« Les thermes de Vals, un temple de pierre et d’eau » par Dale Bechtel
https://www.swissinfo.ch/fre/les-thermes-de-vals–un-temple-de-pierre-et-d-eau/5498310 [17.11.2017]
« Simplicity Married Craftsmanship at Peter Zumthor’s Saint Benedict Chapel » by Samuel Nguma
https://www.archute.com/2016/01/20/saint-benedict-chapel/ [22.11.2017]
« Pritzker Prize goes to Peter Zumthor », Robin Pogrebin, New York Times le 12 avril 2009
http://www.nytimes.com/2009/04/13/arts/design/13pritzker.html [22.11.2017]