Le Trek Choquequirao.

Les premiers mots écrits sur mon périple péruvien sont rédigés à même le sol dans un couloir de l’aéroport de Lima. Non pas par peur d’oublier, mais plutôt par besoin de mettre des mots sur cette expérience sublime et inattendue.

Assise là, je suis dans un contexte complètement différent de l’histoire racontée. Je n’ai en effet plus aucun contact avec l’extérieur, comme si mon voyage ne m’appartenait déjà plus, pourtant je suis encore là. Les vitres opalines ne me laissent aucun indice sur le temps et l’heure de la journée. Tout est rythmé par les pas, le bruit des talons d’hôtesses de l’air et des roues de valises qui défilent.

Les premières lignes du récit sont vite orientées vers Choquequirao. Je me souviens parfaitement du moment où l’on a décidé de faire ce TREK : dans une chambre d’hôtel un peu défraichie de Lima. La lecture à voix haute, de certains passages du Guide du routard, fait raisonner les mots « à flanc de montagne », « forêt dense » et « peu touristique ». Choquequirao est devenu ce soir-là un cri de guerre qui résonnait, en nous donnant à la fois hâte d’arriver sur le lieu, mais aussi et surtout le courage nécessaire dans les moments difficiles comme l’ascension des montagnes.

Vue du bus

Vue du bus

Eloigné de 100 km de Cuzco, Choquequirao est un site archéologique de ruines Incas. Exclusivement accessible à pied, après trois jours de marche,  sans auberge ni hôtel. Situé à 3100m d’altitude, l’accession passe par la descente d’une montagne, la traversée du fleuve Apurimac, à 1650 m d’altitude, et enfin l’ascension de la montagne d’en face. On comprend assez vite que ce site permet un rapport privilégié avec la nature, voire même d’exclusivité. Notre décision est unanime, avec mes trois amies nous décidons alors de partir sans mule et sans guide.

Nous sommes donc quatre au départ de Cuzco pour Cachora, un village tellement peu fréquenté par les touristes, que le chauffeur de bus oublie de nous déposer et nous « jette » au milieu de nulle part sur le bord de la route. L’air frais soulage nos joues rouges chauffées par la chaleur du bus. Le goudron brûlant se dessine dans la montagne de manière brutale et semble trancher la roche. Pendant quelques instants, le paysage infini semble paisible mais très vite les klaxons se mettent à envahir la vallée : les véhicules affirment bruyamment leur présence à chaque virage. Nous nous mettons en marche sur cette route dangereuse et bruyante mais rapidement, une petite camionnette nous ramasse pour nous déposer à Cachora. Les sacs de riz de 50kg sur le toit déforment l’habitacle de la petite auto, qui vibre de tout son long. La route disparaît peu à peu pour un chemin de roche, de terre et d’eau : nous voilà enfin en pleine nature. A la descente de la camionnette, il est déjà tard, ici la nuit tombe de bonne heure. Il est en effet grand temps de nous mettre en route car Choquequirao est ici, quelque part, dans les montagnes. Nous n’avons encore aucune idée de ce qui nous attend.

Trek Choquequirao

village de Cachora

Quelques maisons en briques de terre ponctuent le paysage au milieu des champs cultivés. L’appareillage irrégulier des briques laisse un jour entre les façades latérales et la toiture, ce qui donne la sensation de construction inachevée mais permet la ventilation naturelle de l’habitat.

 

BIS 8001

chemin entre Cachora et Colmena

 

Très rapidement nous arrivons à Colmena, chez Lucia comme le routard le précise. La vielle bâtisse de pierre enduite de terre est de belle dimension. La façade face au chemin se prolonge pour dessiner un porche et un mur qui délimite la propriété. Nous sommes accueillies par des enfants qui nous proposent de dormir dans le jardin. Le terrain n’est pas tout à fait plat, il dessine une délicate pente qui s’ouvre sur les cultures de la maison en contrebas. A peine les sacs posés sur le sol, les deux petites filles et le jeune garçon nous proposent un jeu, deux bouts de bois reliés par une ficelle : un presque rien les contente. Ils ne manquent pas de se présenter, de nous poser des milliards de questions, de scruter avec attention notre matériel de camping et surtout de nous raconter des histoires d’ours qui se promènent dans la région pour nous effrayer.

Colmena

Colmena

 

Le lendemain matin, le paysage de la veille avait disparu, nous sommes dans les nuages. La brume ne fait apparaître que des masses sobres et abstraites : cette épaisseur blanche nous cache la réalité du paysage. La fraicheur des nuages s’associe à l’odeur de la terre mouillée et amplifie l’atmosphère déjà particulière de cette matinée. La pluie est tombée toute la nuit, la terre devenue rouge et glissante se transforme en boue qui s’accumule sous nos chaussures. Nous descendons la montagne avec ces semelles lourdes et glissantes qui accentuent la sensation de déséquilibre. L’absence de paysage contribue à concentrer mon attention sur le moindre pas.

Trek Choquequirao

Trek Choquequirao

Toutefois quelques kilomètres plus bas les nuages sont au-dessus de nos têtes. En sortant de cette épaisseur abstraite, nous pouvons enfin découvrir les monts enneigés, les forêts à flanc de montagne et le fleuve en contrebas qui semble infiniment loin. Ces sommets lointains au ton bleuté accentuent cette impression de profondeur infinie. J’ai presque la sensation d’être dans les Alpes, avec une végétation de fougères et d’herbes basses qui frissonnent dans le vent qui semble effleurer la montagne. Un mur de roche colossal surplombe la vallée, son immensité donne le vertige et nous donne la sensation d’être infiniment petites. Au sol, des roches de petite taille se transforment pour devenir plus bas, des roches bien plus imposantes qu’il faut escalader. Le paysage change, la végétation est plus haute et diversifiée. La terre sèche devient poussiéreuse et perd sa teinte rouge pour une teinte dorée. Le vent devient plus léger, voire inexistant à certains endroits et nous sentons très vite que la lourdeur du soleil pèse sur nos vêtements trempés et collés au creux du dos. Chaque coin d’ombre devient un soulagement. Plus haut, le paysage était plus lointain et plus ouvert. Ici on se retrouve parfois enserrées dans le paysage dont on observe de plus près la végétation à proximité du chemin. A chaque kilomètre parcouru, le fleuve devient de plus en plus accessible. La violence de ses courants trouble et teinte l’eau de couleur terre, le bruit du fleuve contraste avec le silence du paysage précédent.

Pont du fleuve Apurimac

Pont du fleuve Apurimac

Après la descente de la première montagne et il nous faut continuer pour arriver au camping. Il est impossible de percevoir le sommet de notre point de départ. Regarder en arrière est à la fois impressionnant et effrayant. Comment remonter cette montagne si difficile à descendre ?

Trek Choquequirao

campement près de Colmena

Allongée dans la tente, dans la nuit froide, je suis fatiguée. Face au voile bleuté, la question d’abandonner se pose, j’ai la sensation que mon corps lâche et refuse de m’emmener plus loin. Le lendemain matin à 5h, l’énergie et la curiosité de découvrir Choquequirao est pourtant indemne, excepté pour Charlotte et Jenn qui décident d’abandonner. Kathleen et moi partons donc seules avec peu de nourriture dans le sac à dos : un avocat, des barres de céréales, de la confiture et quelques tranches de pain. Notre prochaine halte a lieu dans la maison d’une vieille dame qui nous propose immédiatement un bon repas chaud.

Dernier village avant Choquequirao

Dernier village avant Choquequirao

La maison faite de terre et de tôle est composée de trois pièces : une sorte de hangar , la chambre et la cuisine. Cette dernière grouille de cochons d’Inde qui courent dans tous les sens sur le sol de terre battue. La table, préparée avec soin, est recouverte d’un tissu multicolore et disposée dans le hangar défraichi. Elle ne semble pas faire partie de l’univers de cette pièce sombre et délaissée. Notre hôtesse, une femme aussi coquette que les femmes de la ville, porte également une longue jupe et une tresse qui descend jusqu’au bas du dos. Elle nous apporte deux assiettes immenses, pleines de riz, frites, œufs et une petite banane cuite posée sur le tout. C’est un réel régal mais la marche devient lourde avec tout ça dans l’estomac. Dans ce village inaccessible en voiture, isolé dans la montagne, nous marchons entre les poules, les cochons poilus et les chevaux en liberté.

Site Choquequirao

Site Choquequirao

Après avoir gravi cette deuxième montagne, nous arrivons enfin sur le site d’où nous apercevons les premières terrasses Incas, à flanc de montagne.

Choquequirao est une « cité perdue », abandonnée aux environs de 1572 lorsque le dernier souverain Inca, Tupac Amaru a été capturé et exécuté à Cuzco par les autorités coloniales espagnoles.

Nous sommes seulement cinq sur le site, bien loin du nombre de visiteurs du Machu Picchu : Kathleen et moi, ainsi qu’Antoine et Camille avec leur guide. Ces deux jeunes hommes ont fait le choix de venir avec une agence. Un guide, un muletier et même un cuisinier se chargent de toute l’intendance. Ils nous ont d’ailleurs avoué que trouver une agence n’a pas été une mince affaire. En effet, lors de la saison des pluies, le chemin est dangereux et peu acceptent de faire le voyage d’où leur étonnement de trouver deux filles voyagant sans guide et sans mule !

Arrivés sur le site, on découvre les anciennes maisons, temples, canaux et réservoirs de feuille de coca. Tout est entièrement en pierres parfois encore ensevelies sous la végétation. Sur le plateau haut, la vue d’ensemble montre la connexion entre tous ces fragments de ruines.

Après cette belle découverte, il nous faut maintenant refaire le parcours à l’inverse pour rentrer à Cusco et dormir dans un lit moelleux.Mais très vite nous repartirons pour un autre TREK en pleine nature.

Marie Seiller

Voyage au Pérou du 5 au 22 février 2016

Bibliographie :

-Effondrement, Jared Diamond, Folio France, 2009.

-Amérique précolombienne, Léonard, Jonathan Norton, Time-Life, 1973.

– L’architecture péruvienne, en quête d’identité, Maria- Luisa Aguilar de Vinatea, Mémoire ENSAN, 2007.

– Pérou et la civilisation inca, Wiesenthal, Geocolor, 1978.