J’ai fait ma licence à l’ENSAPL et j’ai donc eu l’occasion de visiter Lille et sa périphérie. Deux édifices m’ont particulièrement marqué et je garde un souvenir précis de leurs visites. Il s’agit du Fresnoy et de la Condition Publique. J’ai d’abord découvert le Fresnoy à l’occasion d’un exposé dans le cadre de l’école, puis la Condition publique peu de temps après à l’occasion d’un concert.
Introduction à l’idée de balade urbaine
Le Fresnoy est le Studio national des arts contemporains situé à Tourcoing dans la métropole de Lille. Il s’agit de la 2ème réhabilitation du lieu, auparavant déjà culturel puisqu’il abritait un complexe de divertissements populaire jusqu’à sa fermeture à la fin des années 70. Avant, les écuries du château Descat de Tourcoing occupaient le terrain. Le programme et l’ambition du Fresnoy est large : école de cinéma, salles d’expositions, cinéma. Sa réhabilitation est confiée à Bernard Tschumi, représentant du Déconstructivisme. Pour ce projet, l’architecte prend le parti de conserver la plupart des bâtiments, en opposition à la table rase et il dissocie l’ancien du nouveau pour scénographier l’histoire du lieu.
Visite
J’y suis allée pendant la période de l’exposition Panorama 8 mais nous y allions dans le but de découvrir le bâtiment. L’imposant escalier en façade nous invite à monter découvrir ce lieu surnommé le « grenier à l’échelle urbaine ». Nous commençons la balade en groupe pour s’éparpiller au fil du chemin offrant plusieurs possibilités de parcours, invitant à déambuler, à monter, descendre puis revenir sur ses pas et profiter des vues sur les toits de la ville. En pratique, il y a tout de même un certain temps nécessaire pour comprendre la structure assez complexe, on peut tout d’un coup se sentir perdu dans cette forêt de poteaux et de tirants. Le projet peut se décomposer en trois strates : le programme contenu dans l’existant, la promenade architecturale comme une respiration dans l’espace interstitiel du toit et enfin le « toit-parapluie » suspendu 10m. au-dessus des toits de l’existant qui camoufle la partie plus technique dans son épaisseur et qui est percée de « nuages » laissant passer la lumière.
Le concept d’entre-deux permet plus de liberté et de surprise dans la création, en invitant à l’appropriation de différentes manières, offrant des opportunités en lien avec le programme. Les nouveaux espaces sont la résultante du projet et non des espaces résiduels au sens péjoratif. Il y a ainsi deux types de vide hors-programme : intérieur et extérieur. Tschumi dira à propos de ce concept : « pour reprendre la problématique du hasard, c’est dans ces vides que le hasard non programmé, que l’événement peut se produire ».
Une fois tous rejoint, nous redescendons et entrons dans le bâtiment après avoir eu un aperçu des volumes qui se devinent déjà sous les toits. Seul le hall est éclairé par la lumière naturelle, le reste est plongé dans une semi-obscurité, ce qui crée une ambiance particulière, comme une seule grande salle de spectacle avec ses balcons, aujourd’hui réinvesti pour les expositions. Au sol, on distingue encore des traces des anciens marquages qui datent de ses fonctions d’antan, difficiles à deviner.
La Condition publique à Roubaix
Transformation d’un lieu industriel en laboratoire créatif
Le bâtiment est une ancienne lainerie située dans le quartier de la Pile à Roubaix, dans la métropole lilloise. Il date du début du XXe siècle et a été conçu par l’architecte Alfred Bouvy. Dès la fin du XXe siècle, le lieu est inscrit aux Monuments historiques et est racheté par la ville qui souhaite le transformer en lieu culturel. Il fait partie de la série des maisons folies qui sont ces lieux culturels de la métropole lilloise. Cette friche industrielle a été réhabilitée par Patrick Bouchain en 2004 lors de Lille2004 (capitale européenne de la Culture) et a d’ailleurs été nominée à l’Équerre d’Argent. Le bâtiment est souvent défini comme une manufacture culturelle. C’est un lieu à la fois de création et de diffusion pluridisciplinaire mais aussi d’économie culturelle, d’innovation sociale et un véritable lieu de vie. En effet, il accueille de nombreux usages selon les temporalités : expositions / workshop autour de deux saisons (Automne et Printemps), spectacles et concerts, café-restaurant, travail autour de la maison des artistes, la pépinière d’entreprise culturelle et l’espace botanique d’expérimentation sur le toit-terrasse et même habitats temporaires comme nous allons le voir par la suite.
C’est un lieu très accessible, nous y allons donc en métro aérien permettant de profiter de la vue sur les différents quartiers, de jour comme de nuit. J’ai découvert ce lieu assez tardivement, l’année dernière en mars à l’occasion des Paradis Artificiels, un événement musical. Nous avions alors vu uniquement la partie basse avec la rue couverte et la salle de concert mais j’avais eu une très bonne première impression. J’y suis retournée au début du mois d’avril. Tout le monde parlait de l’exposition du moment, surtout à l’école d’architecture puisque des étudiants de master y participaient. Cette visite s’inscrit donc dans la temporalité d’une sortie entre amis. Notre parcours comprenait une étape à l’exposition rétrospective sur l’artiste Nicolas Schöffer au Lam (musée d’art brut de Villeneuve d’Ascq), l’exposition étant propice à la photographie avec ses jeux de matière sous la lumière. Ces moments de promenade culturelle étant vus comme un véritable échappatoire à la frénésie du studio de projet, particulièrement intensif pendant ce semestre.
L’exposition « Habitarium » ou comment habiter la Condition publique ?
Ce laboratoire sur l’habitat s’est installé à la Condition publique du 30 mars au 8 juillet 2018 et comprenait notamment une exposition, des événements, des résidences d’artistes, des workshops ou encore un camping. L’habitat est un enjeu actuel puisque c’est un besoin primaire qu’il faut mettre en relation avec les problématiques du développement durable, à travers des projets alternatifs ou parfois utopiques. Environ 50 artistes, architectes, designers et collectifs ont proposés un regard possible sur l’habité. Le commissariat d’exposition a été mené principalement par Lauranne Germond, la co-fondatrice de COAL (association sur le lien entre art et développement durable). Elle a d’ailleurs fais six podcasts sur six œuvres principales de l’exposition.
En arrivant, on est immergé dans l’habitat primaire de l’Homme à travers l’œuvre intitulé « la grotte » de Xavier Veilhan : œuvre monumentale qui propose une expérience de l’espace par le biais de l’imaginaire collectif autour de l’habitat vernaculaire, ici réalisé avec des matériaux contemporains. L’artiste a un univers particulier qui génère une ambiance spécifique dans les lieux qu’il investit. J’ai eu la chance de le rencontrer à la biennale d’arts de Venise en 2018 lors d’un voyage d’études où il nous avait présenté son installation autour de la musique dans le pavillon français. On retrouve ici des points communs comme l’utilisation du bois et de la figure du cocon pour envelopper et s’approprier les espaces. Nous sommes ensuite attirés naturellement vers « Poussière » de Clément Richem, qui questionne sur les enjeux du changement climatique comme la disparition du sable sur certaines côtes : conséquence des excès du tourisme balnéaire. Cette imaginaire du château de sable renvoi à la notion de construction / déconstruction. Cette thématique est abordée de façon ludique plus loin avec des legos laissés à disposition des visiteurs : adultes comme enfants peuvent assembler librement.
Le photographe Sébastien Godefroy avec « l’image n’est rien » a choisi de réfléchir sur le mal logement en utilisant des photographies, complétée par une installation vidéo. Il a utilisé le temps de sa résidence d’artiste à faire le récit du quotidien d’un couple de sans-papiers de Roubaix avec les questions que cela pose sur leurs conditions d’habiter. Au fond, la présentation du projet « Habiter 2030 » sur le thème de la réhabilitation des maisons ouvrières, dans le cadre du Solar Décathlon amène à réfléchir au futur. La condition publique a accueilli en résidence un groupe d’étudiants de l’ENSAPL avec quatre workshops thématiques (terre crue, gonflables, bois et plastiques bio-sourcés).
Pour finir la visite, on monte au toit-terrasse, on franchit la passerelle au-dessus de la rue intérieure en suivant les flèches qui indique « camping » qui au moment où nous sommes passés était en cours d’installation par le collectif « yes we camp ». On poursuit la balade avec l’autre côté du toit investi par du mobilier urbain et l’œuvre de graphistes. Prendre de la hauteur sur la ville, pouvoir saisir ses limites pour mieux la comprendre et l’apprécier est une manière de l’habiter.
Le fil rouge qui relie ces deux bâtiments est par leur pratique de la 5ème façade comme un parcours architectural à part entière qui permet de révéler ces deux bâtiments culturels tout deux réhabilités, d’une manière qui révèle l’existant et nous permet d’habiter leur vécu l’espace d’un moment.
Claire Romsée
Dates : 16 novembre 2016 (Le Fresnoy) et 8 avril 2018 (Condition publique).
Photographies de l’auteur.
Bibliographie
Guiheux, Alain, Tschumi une architecture en projet : le Fresnoy. Éditions du Centre Pompidou Supplémentaires, Paris, 1993.
Tschumi, Bernard, Le Fresnoy Studio National des Arts Contemporains, Editeur Massimo Riposati, Paris, 1993.
Médiagraphie
http://www.lefresnoy.net/fr , consulté le 22/04/19
http://tschumi.com , consulté le 22/04/19
https://www.laconditionpublique.com/ , consulté le 22/04/19
http://www.projetcoal.org , consulté le 22/04/19