Après presque 17h. de route, on arrive finalement à notre destination : Crémone. Où ça ?! Et oui, je me suis posée la même question la première fois que j’ai entendu le nom de cette ville. Ceux qui connaissent la ville vont dire « Ah mais c’est la ville des Stradivarius! » Mais comme je ne suis pas une amatrice de violons, je vais vous montrer une Crémone, autre que celle des Stradivarius.

Crémone, ville de la Plaine du Pô

Pour vous éclairer un peu, Crémone est une ville qui se situe au Sud de la Lombardie dans la plaine du Pô, le fleuve le plus long de l’Italie. Crémone est en général méconnu, pourtant croyez-le ou non, au début de la renaissance, son port était l’un des plus important port fluvial d’Europe du Sud.

Plaine du Pô

Nous sommes arrivées tard dans la nuit. Je savais qu’on allait être hébergé dans une ferme chez la famille de ma collègue de projet, en périphérie de Crémone à Scandolara Ripa d’Oglio. Etant donné qu’il faisait noir et surtout qu’on était fatiguées, on est allées se coucher directement et je n’ai pas fait beaucoup d’attention à l’endroit.

Le lendemain matin, à ma surprise, j’ai ouvert les volets et je me suis retrouvé face à une énorme cour centrale d’environ 80 mètres par 50 mètres. Après une visite de la ferme, on m’a expliqué que ce type d’architecture autour d’une cour centrale est très typique de la Lombardie et on les nomme : les cascinas.

Vue depuis l’entrée de la cascina

Elles étaient des anciennes fermes d’exploitation agricole. Elles sont constituées de bâtiments agricoles comme des hangars, des silos, des greniers, mais également par des bâtiments d’habitation. Ces édifices pouvaient accueillir jusqu’à une quinzaine de familles d’agriculteurs avec la demeure du propriétaire qui était la plus cossue. Ce sont des familistères informels où les familles d’agriculteurs et de propriétaires terriens partagent leur quotidien. Tous ces bâtiments sont construits dans un plan quadri-rectangulaire autour d’une grande cour centrale, avec des maisonnettes qui encerclent ce patio. En partant en exploration l’après-midi, j’ai pu remarquer, qu’effectivement, la cascina est un modèle répandu en Lombardie.

Exemple de plan d’une cascina © wikiwand

Centre ville de Crémone

En arrivant dans le centre de Crémone, j’ai constaté qu’il y avait encore des morceaux de murs qui datent de la fortification de la ville par les Romains en 218 av. J.C. On arrive à la Piazza del Comune, la place principale de la ville, où avant, toutes les activités étaient centralisées.

Carte de Crémone, en 1891

Sur cette place se trouve le Duomo di Cremona, qui a été construit en plusieurs étapes entre 1107 et 1129. Son architecture est un bon exemple de la transition romane-gothique de l’Italie du Nord. Malheureusement, la cathédrale étant fermée, on a dû se contenter de contempler sa façade en marbre décorée avec des éléments correspondant à différents styles.

Duomo di Cremona ©Giulia Sassier

Heureusement, on a pu visiter le Torazzo. On a eu le courage de monter cette tour construite en 1267 reliée au Duomo. Après 489 marches et d’innombrables pauses, on s’est retrouvé à 112 mètres de haut avec une vue magnifique sur la ville. La couleur orange des tuiles contrastait avec les champs verts de la plaine du Pô.

Vue depuis le Torazzo

Devant le Duomo et le Torazzo, on trouve le Palazzo Municipale. Une belle façade en briques rouges (matériau très typique de la Lombardie) qui se prolonge le long de la place avec une série de loggias. Au XIIIe siècle, c’est dans ce bâtiment que l’activité économique de la ville et de la province était règlementée. Aujourd’hui le bâtiment accueille la mairie de Crémone.

Façade du Palazzo Munizipale

Une architecture marquée par la période fasciste

En continuant la promenade, j’étais surprise de voir l’architecture de certains bâtiments qui contrastait avec le reste des autres. C’est lorsque l’on en a interrogé un Crémonais, que l’on en a profité pour lui poser des questions à propos de la ville et notamment de l’architecture de ces édifices particuliers qui nous avaient étonné. Il nous a raconté que Roberto Farinacci, le conseiller de Benito Mussolini, a grandi à Crémone et tenait beaucoup à cette ville. Au cours de la période fasciste, Farinacci voulait donner de la valeur à la ville et a ainsi décidé de laisser une trace architecturale de son passage.
Une des interventions qui nous a le plus marqué, c’est la façade de la « Galleria 25 Aprile » avant « Galleria 31 Marzo ». La façade se trouve dans l’angle de rue entre la via Antonio Gramsci et Corso Cavour. Cette devanture est composée d’un énorme portique en marbre avec de larges colonnes d’ordre toscan. Les passants regardent cette façade parce que l’on dirait qu’elle sort de nulle part, elle s’impose parmi ces façades mitoyennes par un effet monumental. Pour cette intervention, Farinacci s’est inspiré de la « Galleria Vittorio Emanuele II » à Milan, même s’il est difficile de trouver un lien.

Façade de la « Galleria 25 Aprile »

Un autre bâtiment qui m’a marquée est l’actuel Palais de l’art qui accueille le Musée du Violon. Ce bâtiment en brique rouge comporte un portique en marbre en son centre, ce qui ordonne et rythme sa composition. Ce palais a été commandé à l’architecte napolitain, Carlo Cocchia par Farinacci. Il avait été conçu pour accueillir le siège de la revue « Il Regime Fascita » que Farinacci dirigeait. Pour cet édifice Roberto Farinacci s’est inspiré de la façade du Palazzo dell’Arte de Milan conçu par Giovanni Muzio. Comparant les deux bâtiments, c’est vrai qu’il y a une forte ressemblance dû à la dualité des matériaux utilisés.
Une autre intervention qui reste presque intacte depuis la période fasciste, est l’aménagement des berges du Po et la construction de la Colonia Padana. Cette intervention est très importante puisque grâce à elle, Crémone qui, au cours de l’histoire, avait oublié son fleuve, lui a permis de se retourner à nouveau vers ce point d’eau. Les jeunes Crémonais se retrouvent à la Colonia Padana pour faire du sport, se rafraichir et se baigner dans son cours.

Colonia Padana ©Juliette Saloux

Mis à part des améliorations des bords, les berges du Po et la Colonia Padana restent intactes. Cette stratégie des pouvoirs publics de rapprocher les habitants au fleuve se perpétue efficacement puisque cela reste une zone de promenade et de loisirs pour les Crémonais notamment les weekends. Cette action a une répercussion maintenant : la privatisation de ces berges. En effet, lors de la période fasciste, des clubs de loisirs ce sont installés le long des berges, créant des îlots destinés à une élite Crémonaise. Aujourd’hui ces clubs persistent, et mettent à distance la ville et son fleuve.

Les berges du Pô

Après quelques jours, sur place et de nombreuses balades en ville le séjour se termine. Visiter Crémone uniquement pour ses violons et louper l’histoire de son architecture aurait été dommage.

Alessandra Cartagena
Voyage du 29/10/2017 au 05/11/2017

Bibliographie

Rumiz, Paolo, Pô, le roman d’un fleuve, Paris, Hoëbeke,2014, 379 p.

Dogliani Patrizia, El Fascismo de los italianos, una historia social, Publicacions de la Universitat de València, València, 2017, 402 p.

Lupo, Salvatore, Il Faciscio, la politica in un regime totalitario, Roma, Donzelli Editore, 2005, 477p.