« Melior de cinere surgo » dont la traduction du latin est « je renais meilleure des cendres », ce sont les mots d’une inscription célèbre qui se trouve à Catane sur la Porta Ferdinandea réalisée en 1768. L’inscription fait référence aux nombreuses destructions que Catane a subi et elle synthétise la fierté d’une population qui, infatigable, continue à reconstruire de plus en plus belle sa ville sur les cendres de la précédente.

Porte Ferdinandea appelée aujourd’hui Porte Garibaldi

Catane est une des villes les plus peuplées et influentes de la Sicile moderne, dont elle constitue le deuxième centre économique, politique et culturel. Fondée en 729 avant J.C. par les colonies grecques sur les pentes de l’Etna (le plus haut volcan actif de la plaque eurasienne), Catane a eu une longue histoire millénaire caractérisée par dominations variées (Romains, Goths, Byzantins, les musulmans, les Normands, les Souabes) qui enrichissent le patrimoine culturel et artistique de la ville. Grâce à son ambiance intellectuelle, la ville devient souvent le siège de privilèges importants : la domination aragonaise a permis la naissance de l’université la plus ancienne en Sicile « Siciliae Studium Generale  » (1434) et sous le même gouvernement, la ville devient la capitale du royaume de Trinacria. Sa position géopolitique avantageuse et hégémonique dans le territoire sicilien, fait de Catane un pôle d’attraction pour tous ceux qui désirent conquérir la Sicile, motif pour lequel la ville est souvent envahie et pillée. En même temps, la géographie de l’Etna à sa proximité lui rend souvent victime de catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre et les éruptions volcaniques qui viennent à raser au sol toute la province. L’histoire de Catane montre comment la ville a toujours réussi à renaître à la suite des destructions, artificielles ou naturelles, jusqu’à retrouver son rôle d’hégémonie sur le territoire national.

La renaissance d’une ville

C’est surtout le tremblement de terre de 1693 qui met à rude épreuve la ténacité de l’urbe. Le séisme dévastateur a détruit plus de 45 centres habités et il a causé au moins 60 000 victimes, en décimant les habitants de Catane dans laquelle environ 16 000 personnes sont mortes sur une population de 20 000 résidents. Le séisme a empêché la survie du tissu urbain ancien et médiéval et il a marqué profondément la structure socio-économique de la ville, en annulant presque toute la production artistique précédente. Presque toutes les traces de la ville grecque ont disparu, mais un meilleur destin ont eu des monuments romains-impériaux tels que le Théâtre Romain, l’Odéon ou les Thermes della Rotonda. Cependant, le tremblement de terre de 1693 représente dans l’histoire italienne l’un des rares cas où une catastrophe sismique s’est révélé une opportunité pour le développement et le redressement économique des zones touchées.

P. Del Callejo, Explication du plan de Catania, 1719

Au lendemain de la catastrophe, Catane apparaissait détruite totalement. La tâche de la reconstruction a été confiée à Giuseppe Lanza duc de Camastra, qui a donné au nouveau dessin urbain de la ville un système de routes droites larges et orthogonales, utile non seulement à l’expansion isotrope mais aussi pour respecter les normes hygiénique-sanitaires modernes et des mesures de précaution contre les catastrophes naturelles. Une des premières décisions prises par le duc de Camastra fut celle de la reconstruction in situ de la ville, en raison de sa position stratégique et de la nécessité de ne pas abandonner les bastions défensifs restés indemnes. Le schéma orthogonal est conditionné par la présence physique des murs et des altimètres forts par lesquels la ville est caractérisée. Dans le plan général de reconstruction, une ligne idéale divisait la ville en deux parties, assignant aux terrains deux différents prix conventionnels : la zone à l’ouest était destinée à accueillir, comme auparavant, les quartiers populaires ; à l’est étaient les bâtiments de la noblesse laïque et ecclésiastique. Deux axes furent définis patrons routiers (le cours du Civita et rue Uzeta) en superposant des lignes droites à l’ancien cours tortueux des voies et en soulignant dans la partie ouest l’ancienne installation de la ville romaine.

Piazza del Duomo

Après le tremblement de terre, la ville est devenue un immense chantier de construction : « Les citoyens rivalisaient pour reconstruire des maisons et des bâtiments », écrit l’historien bénédictin Vito Amico. Il rapporte ainsi un fait important : la dimension autonome, en partie populaire, des efforts déployés pour remplir le tracé que les autorités avaient établi et donner une nouvelle vie à la ville. La ferveur de la reconstruction donne le ton à la vie de Catane au XVIIIe siècle qui attire depuis des décennies la population et les travailleurs, qui mettent en mouvement l’économie, qui enseigne de nouvelles techniques et les diffuse à son tour. Le signe le plus certain de cette vitalité, au-delà de l’expansion du tissu urbain lui-même, est l’événement de la culture. À Catane, en fait, aux côtés de la renaissance physique de la ville, on assiste à une renaissance de la culture qui permet le développement d’une culture vivante, grâce aux grandes figures intellectuelles telles qu’Ignace II Paternò Castello di Biscari. Ce noble aristocrate, en plus d’ériger le somptueux Palazzo Biscari sur les murs anciens, a fondé un musée pour abriter les vestiges trouvés dans les décombres. Sa précieuse collection est aujourd’hui au Castello Ursino. Dans cette période les moines bénédictins ont créé un travail exceptionnel : la reconstruction du monastère de San Nicolò l’Arena, peut-être le monument le plus fascinant de la ville baroque et certainement le plus grandiose. Ce climat jette les bases de l’établissement d’une société bourgeoise et démocratique qui deviendra encore plus établie au siècle suivant.

Monastère des Moines Bénédictins – Particulier des escaliers intérieurs

Les rues larges et droites, les palais et les églises sont uniformes pour style, décorations et matériaux ; l’installation scénographique comme la Piazza del Duomo : tout fait partie d’un projet organique, la ville a reçu un visage baroque, dont les protagonistes étaient l’imagination des tailleurs de pierre locaux et un groupes d’architectes qui, en exploitant les matériaux uniques du lieu tel que la lave noire et la pierre calcaire claire, donnent un nouveau visage à la société naissante. Le chef parmi ces architectes est l’abbé Giovan Battista Vaccarini – un élève du Bernini, nommé architecte de la ville en 1730 – qui a uni l’académisme romain et la liberté de la tradition. Il est suivi par son élève Giuseppe Palazzotto et Francesco Battaglia, qui est arrivé à un style plus sobre et formel, ainsi que Carmelo Battaglia Santangelo, témoin de la décoloration du style baroque.
La construction du chemin de fer Catane-Messine remonte à cette période, en affectant une partie importante du tissu historique de la ville constituée par la promenade sur la mer, qui perd considérablement sa valeur. Le choix est pris par le Royaume, qui pour des raisons économiques exige la construction du chemin de fer dans les espaces publics pour éviter de payer le prix des expropriations. Le sud de l’Italie est le seul cas où les innovations technologiques n’apportent pas d’améliorations au territoire, mais causent au contraire des inconvénients ; dans les autres régions italiennes, ces interventions deviennent une opportunité pour une amélioration globale de la ville, tandis qu’à Catane par exemple, le chemin de fer déqualifie le lieu et se limite à effectuer la simple action de transport.

Agrandissement et modernisation du XIXe siècle

Aujourd’hui Catane apparaît comme une nouvelle ville, très différente des autres villes siciliennes, car son processus d’urbanisation est différent. Quand arrive le temps de la modernisation du XIXe siècle qui imprègne toute l’Europe, la ville de Catane se trouve favorisée par rapport à d’autres villes italiennes, en raison des interventions récentes du duc de Camastra après le tremblement de terre catastrophique de moins de 200 ans avant. Pour l’expansion, par exemple, il n’y a plus d’obstacles physiques dans le périmètre de plus, la présence de nombreux terrains vacants dans la ville permet à l’administration de construire des bâtiments publics sans la nécessité d’une expropriation, actions que donne une grande aide pour les caisses publiques de la ville qui peuvent consacrer leurs finances à la place que l’expropriation, à la création et à la modernisation des infrastructures, réseau hydrique, l’assainissement, etc. La mise en œuvre d’un plan dédoublé (reconstruction et modernisation) est très facile à Catane, la démolition n’est pas nécessaire et l’État peut consacrer à la création et à l’achèvement des pièces manquantes (éclairage public, la construction des abattoirs, les hôpitaux, les casernes, cimetières) ainsi que la création de nouveaux monuments pour la culture bourgeoise, ainsi que le nivelage des routes pour atténuer la dénivellation présente dans la ville.

B. Gentile Cusa, Plan urbanistique pour l’extension nord-sud de la ville, 1888

Bernardo Gentile Cusa est l’auteur du « Plan d’urbanisme pour la réhabilitation et l’expansion de la ville » en 1888. C’est un plan dont la partie principale est l’extension de la ville sur une plaine, ce qui pousse l’auteur à laisser l’existant presque inchangé. Gentile Cusa fait de nombreux voyages dans les villes italiennes et européennes les plus importantes avant de rédiger son plan, pour jeter un coup d’œil sur les méthodes déjà adoptées en matière d’urbanisme de la ville ; il s’inspire des modèles parisiens, pas pour des raisons esthétiques mais pour leurs dispositions planimétriques et les dimensions de leurs réseaux routiers. Pour l’agrandissement, une liaison routière orthogonale est prévue avec la présence d’espaces et de services publics (tels que des places). Cependant, les zones sujettes à expansion sont traitées différemment. La partie nord de la ville est construite avec plus de précision, les rues sont plus grandes et les espaces publics nombreux car c’est la zone dédiée aux classes bourgeoises. Les expansions vers le sud ou l’ouest montrent des calculs moins précis parce qu’ils sont prévus pour les branches pauvres de la population. Les seules opérations d’éviscération s’opèrent entre la rue Etnea et la partie bourgeoise, non pas pour un réel besoin de construction, mais pour éliminer les habitations des pauvres qui divisaient les deux régions d’élite et pour donner vie à une construction purement spéculative.

Le dialogue entre style baroque et style contemporain

En 1983, l’Université de Catane a demandé à Giancarlo De Carlo de rédiger le « Guide du projet » pour le Monastère bénédictin (reconstruit à partir de 1702 après sa destruction avec le tremblement de terre du 1693) qui doit être adapté à recevoir le nouveau siège universitaire. L’intervention de récupération a conduit à l’introduction d’éléments fortement contemporains, qui s’ajoutent à «l’ancien» en rappelant sa force et lui redonnant une nouvelle identité. L’ancienne structure est réparée et remise en lumière, et des solutions conçues en continuité avec la langue originale y sont ajoutées. Le présent dialogue avec le passé. Giancarlo De Carlo est responsable de la réalisation de l’Auditorium, des salles de classe didactiques dans les anciennes écuries du monastère ; le nouveau mobilier du Jardin des novices, le Jardin de via Biblioteca ainsi que le Pont de la Manche, une salle d’étude entre les deux cloîtres.
Dans le complexe monumental, l’espace de l’Auditorium est, à certains égards, désarmant. Il apparaît extérieurement comme un simple volume, net, presque carré dans le plan, recouvert de plâtre traditionnel d’azole, avec une seule fenêtre circulaire coupée sur le coin pour dialoguer avec le monastère, mais s’offre comme un espace dynamique, polycentrique. Il n’y a pas de point unique sur lequel se concentrer, mais l’événement peut se dérouler sur trois étapes (scènes) à différents niveaux. Il peut avoir lieu dans un feu ou dans l’autre, ou dans deux, ou dans le trois en même temps. Les fauteuils, conçus par Giancarlo De Carlo, tournent pour permettre une visibilité de plus de 200 degrés. Ceci détermine une perception spatiale dynamique, jamais statique. L’œil n’est pas capturé par une directrice forte ; il n’est pas obligé de suivre une direction spatiale unique. On y accède depuis le coin, depuis une entrée qui laisse libre le bord en pierre blanche. Nous ne sommes pas confrontés à une vision préétablie de l’espace, mais plutôt est le spectateur qui devient le protagoniste.

Vue extérieure de l’Auditorium de la Faculté de Lettres et Philosophie du Monastère Bénédictin, Giancarlo De Carlo, 2001

Vue intérieure de l’Auditorium de la Faculté de Lettres et Philosophie du Monastère Bénédictin, Giancarlo De Carlo, 2001

Chiara Vitabile
Voyage du 12 au 19 novembre 2016

Bibliographie

Benevolo, Leonardo, Le origini dell’urbanistica moderna, Bari, 1963
De Lucia, Vezio E., Se questa è una città, Roma, 1989
Salzano, Edoardo, Fondamenti di urbanistica, Roma-Bari, 1998
Recupero, Nino, Guida di Catania e provincia, Catania, 1991

Sitographie

http://www.monasterodeibenedettini.it
https://www.comune.catania.it