Originaire de plusieurs endroits, j’ai passé presque dix ans à vivre à Brest. Une ville souvent victime de sa réputation, une ville grise, avec un temps gris, avec de l’espace public gris, des bâtiments gris, même l’océan est parfois un peu gris.

Pour ma part, j’y ai passé de mes 8 à 18 ans, dans un environnement plutôt privilégié. Brest est partagé en deux grandes parties, la Rive Gauche et la Rive Droite, chacune de son côté de la Penfeld, le fleuve traversant la ville. La Rive Gauche, à l’est de la ville, et donc à gauche du fleuve, qui se déverse dans la rade de Brest, est la plus “attractive” des deux. Elle comprend le centre ville, reconstruit après guerre, un plan orthogonal, des constructions rapides, en r+4, commerces au rdc et logements en étages, des teintes beiges/grises, des rues larges, pensées pour la voiture. Bien que la mise en place d’une ligne de tram dans la ville, la traversant d’ouest en est, a permis la piétonisation de la plus grande avenue qui définit plus ou moins tout le centre ville ; la rue de Siam qui se poursuit au dessus de la mairie devenant la rue Jean Jaurès. Le rive gauche comprend également les facs, les cités universitaires, les grandes structures touristiques, l’accès à la mer aussi. Pour une ville portuaire, les habitants et passants ne bénéficient pas d’un accès privilégié à la rade de Brest.

Cette ville est militaire, marine même. L’Arsenal, énorme structure de la marine nationale, occupe les deux tiers des accès à la mer. La moitié de la population brestoise travaille dans ou en rapport avec ce secteur. Aussi, toute la rive droite est occupée par les grandes structures militaires et ceci presque jusqu’à la limite administrative. La première plage par laquelle on peut parvenir à la mer est la plage des quatre pompes, complètement à l’ouest de la ville. Face à la mer, toute la partie gauche de ce qu’on y voit est gênée par une base sous-marine typique des constructions en béton armé ayant supporté les bombardements de la seconde guerre mondiale, le même genre qu’à Saint-Nazaire, sauf qu’ici, elle est toujours en fonction.

La rive gauche par contre, entretient un rapport plus intime à l’eau. Que ce soit à l’entrée de la ville, tout à l’est avec la plage des 4 moulins, très touristique, seule plage de sable de Brest-même, ou par ses ports de commerce et de plaisance, où le centre ville s’étend pour y poser des restaurants, bars, boutiques, et surtout animations, festivals, et tous les quatre ans, l’événement maritime mondial : Brest 2016 (pour le dernier).

Cette ville décrit un contexte urbain en opposition, d’un côté une ville animée, fréquentée, visitée, de l’autre côté, une ville de travail, militaire, résidentielle et pavillonnaire parfois.

 

Ainsi, quand le projet du plateau des capucins fut évoqué les premières fois, j’ai eu du mal à y croire. A cette jonction entre les deux rives, du côté de la délaissée, la ville décide de rénover une ancienne usine de pièces à destination de la marine, icône inhérente de la ville en un projet ambitieux et généreux. On parle ici d’un site, en front de fleuve, planant au dessus de la forteresse qu’est l’Arsenal, de 16 hectares dans le centre de l’agglomération, et d’une architecture du dix-neuvième siècle, patrimoine précieux d’une ville qui a souffert de 90% de destruction pendant la seconde guerre mondiale.

 

Il faut également prendre en compte que Brest n’est pas connu pour ses projets audacieux en matière d’urbanisme et d’espace public. En général, les nouvelles constructions brestoises, comme un vestige de la période de reconstruction d’après guerre, ont pour programme du logement, du logement, du logement. Tellement que cela en devient obsolète. Il y a tout bonnement trop d’offres pour la demande, et en conséquence, Brest est encore aujourd’hui qualifiée de ville étudiante au loyer le moins cher de France.

L’entrée de l’atelier des capucins

Pour en revenir au projet du plateau des capucins, il s’imbrique dans une logique urbaine mise en place par Brest Métropole Océane : redynamiser son cœur d’agglomération : reconquête du front de mer, équipements culturels structurants, animations, réhabilitation et mise en valeur du patrimoine… et arrivée du tramway en 2012. Cette ligne de tramway était une première étape dans la liaison des deux rives, l’Arena, projet de grande salle réunissant équipements sportifs, événementiels et culturels, installé en plein cœur de la rive droite, fut une deuxième grande étape. Dans son élan, BMO promet avec les capucins un nouveau projet culturel combinant dans son programme une médiathèque, un cinéma, une rue commerçante, un Centre National des Arts de la Rue, Le Fourneau, et un grand espace public de 10 000m², couvert sous les halles. On comprend également que la mise en place de ce projet permet à la ville la construction de 560 logements sur le plateau, partie haute du site et de 25 000m² de bureau, commerces et services. Encore du logement. Le projet est placé dans les mains de l’architecte urbaniste Bruno Fortier, nommé pour tracer les plans guides du projet.

 

Pendant la réflexion sur le projet, et au tout début des travaux, la ville a ouvert les halles une dernière fois au public, proposant pour l’occasion à des artistes, surtout de street art de venir investir les lieux. C’était en 2013, je découvrais alors pour la première fois cet espace, ce symbole, que l’on voit, imposant à chaque fois qu’on traverse la Penfeld pour changer de rive, par tous les ponts. Un espace grandiose, immense, généreux, patrimonial. J’y suis retournée plusieurs fois, remarquant après quelques temps un espace où la structure était détruite, ouverte, donnant un point de vue unique sur l’autre rive. Je n’ai compris qu’en y retournant à sa réouverture qu’il s’agissait du départ du téléphérique. Eh oui ! Un téléphérique à Brest. Il traverse la Penfeld pour rejoindre le plein centre de l’autre côté, la rue de Siam. Au tout début, comme la réaction de beaucoup, mais vraiment beaucoup de brestois, je trouvais ça un peu inutile. Le pont de Recouvrance, récemment rénové, proposait déjà une traversée agréable pour les piétons, à une vingtaine de minutes à pied. Mais quand je l’ai pris la première fois, j’ai compris sa pertinence, ou tout du moins sa poésie. Il se soulève au dessus de la ville, crée un lien fort et direct avec l’hyper centre. En deux minutes, on est de l’autre côté. On peut enfin regarder une partie de l’Arsenal librement. Un acte à la fois très urbain, mais également un peu hors du temps, ce n’est pas la même sensation que de prendre le tram, pourtant tout aussi neuf et avec le même genre d’équipements et les mêmes tickets de transport. C’est plus intime, plus impressionnant, presque cérémonieux.

Vue du plateau des capucins depuis le téléphérique

Au bout de la ligne jaune, l’accès au téléphérique

En ce qui concerne la réhabilitation en soi, menée par l’équipe Canal architecture / Ingerop / De la Peschardière pour la médiathèque et les architectes Serge et Lipa Goldstein pour le plateau. Toute la structure des halles a été conservée, les programmes viennent se placer dans les trames de cette structure, un étage nous rapproche des nefs, et donne accès au départ du téléphérique. Les matériaux des façades ont été conservés également, les ouvertures quant à elle, ont été entièrement repensées, 200 baies vitrées ont été construites. Et un espace public immense, sous toute une nef, comprenant certaines anciennes machines des ateliers industriels, et pouvant accueillir tous types d’événements. À chaque fois que j’y suis allée depuis, l’espace était toujours occupé, des danseurs s’entrainaient à l’étage, sur le parquet revêtant l’entièreté du sol public, des parents apprenaient à leurs enfants à faire du roller, et même du vélo, des jeunes tournaient des vidéos, une jeune femme jouait de la guitare installée sur les grandes tables au centre, des étudiants révisaient dans des petites cellules un peu plus intimes au centre, des gens entraient et sortaient de la médiathèque.

L’espace public centrale sous nef, avec des dispositifs plus intimistes

A l’entrée du plateau, les matériaux conservés

La médiathèque, seul équipement public ouvert lors de mes dernières visites, est très soignée, innovante, ouverte, généreuse en espace, tout à fait en accord avec le reste du projet. Des dispositifs en bois permettaient de créer des zones plus ou moins intimes, plus ou moins éclairés, permettant de s’y reposer, lire, de regarder une projection (le système était directement intégré au dispositifs), en bref, de se l’approprier.

Intérieur de la médiathèque

Idem

 

S’il y avait un seul mot pour décrire ce projet, ce serait généreux. Réellement. Et c’est un espace que les brestois attendaient je pense. Il n’est pas inconnu qu’il ne fait pas toujours beau temps dans cette ville. Sans être des trombes de pluies en permanence, le petit crachin breton n’est pas un mythe. Le bord de mer apporte beaucoup de vent, et une fraîcheur souvent handicapante quand il s’agit de s’approprier l’espace public. Sans être un espace isolé et chauffé, cet espace public couvert et fermé offre exactement ce qu’il manquait à la ville, tout en mettant la culture au centre de ses valeurs.

 

Morgane Tiroir
Dernière visite effectué en octobre 2017

Photographies par l’auteur

Sitographie

http://www.capucinsbrest.com/

http://www.brest-bma.fr/content/les-capucins

http://canal-architecture.com/projets/mediatheque-des-capucins-brest-446

Conférence :

Bruno Fortier : Le projet du plateau des Capucins, 2011, Oufipo, 32 minutes, disponible sur : http://oufipo.org/bruno-fortier-le-projet-du/