Tard le soir, je sors de l’agence. Ne sachant pas où aller, je laisse mes pas me guider, décidant de marcher toujours vers le Sud. Je longe des petites maisons sombres dans une rue étroite d’un district silencieux de Taipei, me frayant un chemin à travers les scooters rangés en pagaille, traverse un carrefour par les passerelles piétonnes surélevées, puis suit la courbe d’un pont. En dessous sont entassées des voitures poussiéreuses, attendant d’être réparées et revendues. Plus loin, alors que la voie rejoint presque le sol, un petit temple est coincé, serré entre la route et le sol. Je m’arrête. Des lampions jaunes illuminent la sous face du pont. Un autel, quelques sièges, des encens. Un homme passe, tourne la tête, s’incline trois fois et repart en se servant un verre d’eau à la bonbonne placée près de l’autel. Un vélo passe à toute allure.

Rez de chaussée aménagé en temple, Taipei

Rez de chaussée aménagé en temple, Taipei

 

TEMPORALITÉS ET FONCTIONS DES TEMPLES
Le temple à Taïwan n’a pas la même fonction, le même rapport au temps et au lieu que nous européens pouvons avoir aujourd’hui à nos lieux de cultes. Certains passants traversent la cour d’un temple au pas de course, s’inclinent rapidement leurs mains jointes devant leur torse puis s’en vont aussi vite qu’ils sont arrivés ; d’autres installés dans les sièges regardent l’agitation. Dans un coin du temple, quelques hommes sont assis devant un poste de télévision. Un autre temple propose, sur un panneau clignotant, de louer son espace pour les fêtes. Un karaoké résonne de la cour le soir. Les temples sont des lieux de vie, des lieux de passage. Situés près de marchés, pour les plus anciens, qui ont été attirés par le grand nombre de croyants, on y entend les bruits des marchands, on y sent les odeurs des poissonniers ou des brochettes qui grillent.

Dans certains temples, les dieux peuvent être mélangés: le temple de Longshan, dans le centre historique de Taipei est dédié à des dieux confucianistes, taôistes et bouddhistes. On pourra donc prier ces trois religions en un passage au temple, privilégiant les divinités de chaque religion la plus adaptée à sa situation et son besoin : Confucius pour les étudiants, le dieu de la mer pour un pêcheur, le dieu de la terre pour la richesse… Le nom du dieu est inscrit à l’entrée du temple, pour plus de commodité. Notons que ces religions ne sont d’ailleurs pas strictement considérée comme telles par les universitaires, et leur statut varie entre philosophie et religion selon les personnes que l’on peut interroger.

Longshan temple, construit en 1738, patrimoine culturel. Les nouvelles constructions se pressent contre l'ancien bâtiment.

Longshan temple, construit en 1738, patrimoine culturel. Les nouvelles constructions se pressent contre l’ancien bâtiment.

 

TEMPLES SAUVAGES: RÉSULTAT D’UNE CROISSANCE URBAINE RAPIDE ?
Mais ce qui peut surprendre le plus le visiteur attentif, c’est la multitude des petits temples inscrits dans la ville. Certains de ces temples ont vu leur environnement pousser autour d’eux et se sont retranchés à leur occupation minimale, d’autres ont germé dans les espaces que l’urbanisation a étonnement épargné. Temple incrusté dans un coin d’immeuble, temple sous un pont, sur un toit, au dessus de la rue, à roulettes, sur un rond point, ces petits éléments peuvent varier de la taille d’une voiture à celle d’un immeuble.

Typologies de temples répertoriées sur place  (extrait de carnet de voyage).

Typologies de temples répertoriées sur place (extrait de carnet de voyage).

La ville de Taipei s’est développée extrêmement rapidement depuis l’après guerre, sans avoir de plan général d’urbanisation, mélangeant quartiers résidentiels et commerciaux, dans une logique de densification de la ville. Face à cette croissance démesurée et cependant rationnelle, se sont développés de manière chaotique, organique, presque irrationnelle de nombreux bâtiments ou éléments s’ajustant travers les espaces libres que laissaient les grands projets.

Certains immeubles ont aménagé au rez de chaussé un temple, pour profiter de la bonté des dieux qui vivent alors avec les habitants. D’autres temples, la plupart, sont installés dans l’espaces public ou les rares parcelles encore libres. Certains temples, associés à des éléments naturels (rivière, arbre, rocher) datent également parfois d’avant la construction de leur environnement et se retrouvent retranchés entre deux routes ou coincés entre de nouveaux immeubles.

Entre deux routes, un indice. (Crédit photo: Po Wei Lai)

Entre deux routes, un indice. (Photographe: Po Wei Lai)

Enfin: un ancien rocher vénéré, temple sous-terrain. (Photographe: Po Wei Lai)

En effet, en sous terrain: un ancien rocher est l’hôte d’un temple (Photographe: Po Wei Lai)

Autre exemple: ce temple sous un pont (photo Google)

Autre exemple: ce temple sous un pont (photo Google)

Un moyen de repérer leur date de construction peut être d’observer leurs matériaux : les plus anciens sont faits de bois et de maçonnerie; puis certains ont été construits en béton et les plus modernes peuvent être faits en acier. Beaucoup sont également faits de matériaux de récupération. Notons des processus ingénieux, illustrant l’aspect dynamique et organique de ces éléments, s’adaptant toujours avec leur environnement : certains sont à roulettes pour être rangés le soir, d’autres,- à proximité des fleuves, et donc soumis aux fluctuations de hauteur-, peuvent même se soulever (Lift temple dans la dénomination des typologies précédente).

Temple à roulette: un des temples 'parasites' les plus légers. Il emporte les éléments principaux: un réceptacle pour la statue, un autel, une place pour s'agenouiller, un vase, et quelques lampions. Photographe: Po Wei Lai

Temple à roulette: un des temples ‘parasites’ les plus légers. Il emporte les éléments principaux: un réceptacle pour la statue, un autel, une place pour s’agenouiller, un vase, et quelques lampions. Photographe: Po Wei Lai

Leur organisation spatiale est cependant très similaire : de loin, il est facile de les repérer de nuit grâce aux lampions jaunes suspendus dans la rue, dans la direction du temple. De l’extérieur, presque 90% de ces temples sont par ailleurs rouges. La pièce principale comporte un autel pour un ou plusieurs dieux, un vase pour l’encens, et une place/cour plus ou moins grande selon la situation du temple, pour permettre aux croyants de se prosterner. Ces temples peuvent varier de taille dans l’année selon les rites. En août, durant la période des fantômes, de grandes cérémonies et offrandes sont organisées. Les plus petits temples s’agrandissent pour permettre aux croyants de mieux s’installer : un petit temple à un coin de rue aura par exemple installé une bâche au dessus de la route,devenant une extension à l’heure de la prière.

A Kaoshiung, un temple s'agrandit pendant les cérémonies: une tente  au dessus de la route vient accueillir les offrandes.

A Kaoshiung, un temple s’agrandit pendant les cérémonies: une tente au dessus de la route vient accueillir les offrandes.

Faisant partie de la vie quotidienne des taiwanais, ils sont à peine remarqués. Cependant un projet est maintenant lancé par quelques architectes taiwanais pour tenter de répertorier ces temples de la capitale, patrimoine du quotidien, et étudier de plus près ce phénomène. J’ai de la chance de faire partie des premiers participants de ce mouvement et vous tiendrai au courant de son avancée et ses futures publications.

Lien bibliographique/ Architecture 2.0 Ying Fong Chen

Temple de Cingquan, Taipei

Temple de Cingquan, Taipei

 

Honorine van den Broek d’Obrenan – voyage à Taiwan été 2014

honorine.van-den-broek@laposte.net