Hambourg. La deuxième plus grande ville d’Allemagne a vu les médias s’intéresser un peu plus à son cas lors de ces derniers 365 jours.
Possédant pourtant une histoire riche et une architecture variée, cette ville hanséatique n’a pas su réellement se faire une place médiatique. On connait Berlin pour son mur, Munich pour sa fête de la bière, mais Hambourg n’a aucun élément fort. Elle a beau faire 755km² avec un peu plus de 1 780 000 habitants – alors que Munich n’en a que 1 550 000 – la ville n’imprime pas vraiment dans les esprits. Revenant d’une année à Hambourg, j’ai été surprise de constater que beaucoup de personnes étrangères que j’ai cotoyées ne connaissaient pas la ville avant de décider d’y aller pour un an. Mon entourage français aussi avait quelques lacunes dans ses connaissances de la ville, s’arrêtant souvent à la ressemblance de nom avec le hamburger – nourriture réellement originaire de là-bas. Mais depuis un an, on parle beaucoup d’Hambourg dans le monde. La cause ? Premio un symbole architectural. Secundo un sommet politique international.

Carte Hambourg
© auteure

L’Hafencity est un des quartiers de l’ancien port de Hambourg. Aujourd’hui c’est le site d’un grand plan de réaménagement, en logements et activités tertiaires principalement mais qui comprend aussi la nouvelle école d’architecture HCU (HafenCity Universität). Toujours en progression, il est considéré comme le plan urbanistique le plus vaste en Europe. La ville mise beaucoup sur ce projet qui se gentrifie très rapidement : les logements agréables avec pour la plupart une vue sur le fleuve l’Elbe se vendent rapidement. Ce projet oscille entre réhabilitation de bâtis anciens – comme le cas de la Speicherstadt, un quartier d’anciens dock portuaires où tous les bâtiments ont été conservés – entre constructions nouvelles de bâtiments et la réutilisation d’un bâti ancien pour créer une nouvelle architecture. C’est notamment le cas de l’Elphilharmonie.

Hafencity © photographie de l’auteure

Speicherstadt © photographie de l’auteure

Hafencity et Speicherstadt © photographie de l’auteure

 

Ce nouveau complexe géant est construit à partir d’un ancien hangar de stockage de café et de cacao construit par Werner Kallmorgen sur le Kaispeicher A. Ce quai A est le plus important de tout l’ancien port d’Hambourg : il est visible de très loin sur l’Elbe et est aussi la première partie de la ville accessible en bateau. Il fallait donc que l’architecture créée à cette place soit îconique, forte, en bref un réel symbole pour la ville. Ce sont les deux architectes suisses de l’agence Herzog & de Meuron qui, à partir de décembre 2001, ont réalisé cet important projet pour la ville, au programme ambitieux, inauguré au début de l’année 2017. Le bâtiment contient entre autre deux salles de concert, un hôtel, 44 appartements de luxe – dont le plus petit fait 120 m². Un riche programme donc dont les initiateurs sont Alexander Gérard et Jana Marko, un couple d’architecte et historienne de l’art qui ont choisi les architectes et suivi le chantier jusqu’à ce qu’ils quittent l’équipe de projet en 2004. Le projet a en effet dû faire face à plusieurs difficultés : complètement livré sept ans après la date initialement prévue, il a aussi coûté 789 millions d’euros, ce qui est plus de dix fois le prix annoncé. En 2007, lors de la pose de la première pierre le chantier s’annonçait bien et les travaux devaient être finis en 2010. Cependant une mauvaise organisation entre l’entreprise de construction et l’agence d’architecture, une complexité plus importante que prévue du chantier et une controverse avec le sénat de Hambourg ont stoppé les travaux plusieurs années et augmenté les coûts de la réalisation. Ces contretemps ont fait de l’Elbphilharmonie un projet détesté par un grand nombre d’hambourgeois durant les presque 10 ans de construction.

(de gauche à droite) Une avant la fin de la construction © Hamburger Morgenpost – « Frustration de l’Elphi» (dû aux problèmes d’argent). Une après l’inauguration © Hamburger Morgenpost – « Alleluia, le monde entier nous admire pour cette cathédrale de musique »

Mais trois mois après l’ouverture de la grande place, la «Plaza», déjà 600 000 visiteurs étaient venus visiter cette partie du bâtiment accessible gratuitement. Et les hambourgeois étaient déjà un peu plus réconciliés avec leur nouveau bâtiment devant le succès de ce dernier. Il faut reconnaître que même si l’architecture d’Herzog & de Meuron n’est pas votre fort, l’Elbphilharmonie vous séduit ! La Plaza s’atteint par un long escalator courbé au bout duquel une grande fenêtre étale aux yeux du spectateur, pour la première fois de la visite, le port de Hambourg et l’horizon maritime. Déjà admiratif de la vue, il faut reprendre un petit escalator – beaucoup plus sobre – pour se rendre à la Plaza. Ce niveau est la liaison entre le bâtiment ancien et la surélévation rajoutée par les architectes suisses. De la Plaza on sort sur une promenade extérieure par les grandes fentes visibles sur chaque côté de la façade. Une promenade extérieure  à 360 degrés qui permet aux visiteurs ébahis de voir à tour de rôle le port de Hambourg, le nouveau quartier de la Hafencity, la Speicherstadt, mais aussi au nord toute la ville de Hambourg. Une visite dont on ne se lasse jamais ! Mais on ne peut pas monter plus haut : pour cela il faut payer l’entrée à un concert – ils sont tous déjà complet pour un an minimum – dormir à l’hôtel ou encore habiter à l’Elphi, mais ce n’est pas réservé à tout le monde !

 

Tourisme sur l’escalator de l’Elphi © photographie de l’auteure

J’ai pourtant pu assisté à un concert donné dans la grande salle, grâce à un séminaire de l’école d’architecture HafenCity Universität. C’est une montée enivrante que de poser le pied sur les marches de l’escalier géant qui mène à la Hoch Saal. Les espaces sont parfaits, propres et scintillants comme pour accueillir la clientèle de luxe qui chaque soir se retrouve avant d’entrer dans la grande salle. Et au milieu de ce beau monde, le groupe de vingt étudiants en architecture que nous étions inspectait chacun des détails. De la forme rondes des lumières, à la rampe de l’escalier : tout est finement soigné. Enfin les portes s’ouvrent et la salle de concert, maintes fois décrites et vantées dans les revues est accessible.
L’acoustique, sous la directive de Yasuhisa Toyoto, a été pensée pour être parfaite, de nombreux tests ont été effectués pendant plusieurs années pour atteindre ce résultat : la forme des sièges, les matériaux, une maquette miniature – au 1/10 s’il vous plaît – avait était réalisée pour des expérimentations sonores. En entrant dans la pièce on est directement attirés par le revêtement des murs. Il s’agit d’une revêtement en plâtre creusé de petites cavités qui permettent de renvoyer rapidement le son dans toutes les directions en évitant un effet d’échos. Puis l’œil contemple la salle brillante, chapeautée d’un immense champignon qui semble tenir par magie et dont les capacités acoustiques font le charme de cette salle de concert. Enfin c’est à l’oreille d’admirer le travail qui a causé tant de retard à la fin du chantier : et même quand l’orchestre et le chœur jouent et chantent une composition contemporaine criarde, les capacités de la salle arrivent presque à la faire sembler mélodieuse.

Escalier menant à la Hoch Saal © photographie de l’auteure

Hoch Saal © photographie de l’auteure

 

C’est donc avec un peu de mal mais beaucoup de satisfaction que l’Elbphilharmonie s’est enfin complété et a mis Hambourg en avant sur la liste des destinations de voyage. Malheureusement Hambourg a aussi fait parler d’elle dans le monde au début du mois de juillet dernier, alors qu’elle était la ville choisie pour la tenue du sommet du G20 de 2017.
Ville-Etat, ville ouverte sur le monde, ville natale de la chancelière allemande Angela Merkel, Hambourg possédait plusieurs atouts pour mettre en valeur son pays et sa chancelière au cours de cet événement mondial, notamment pour les élections de septembre 2017. Cela n’a pourtant pas été le cas, malgré les nombreuses forces policières amenées en renfort de toute l’Allemagne dans le nord du pays. En effet, l’événement s’est fait remarqué par les nombreuses manifestations anti-G20, dont certaines étaient très violentes. Pendant plus d’une semaine, la protestation de citoyens venus de toute l’Allemagne et du monde entier s’est fait entendre en différents endroits de la ville et leur passage a souvent laissé des cicatrices à la ville.

Une de journeaux – début juillet © der Berliner Kurier « Une ville devient un champs de bataille – La honte de Hambourg» – Bild « personne ne peut arrêter la haine de la gauche »

Pourquoi y a t-il eu tant de mobilisation anti-G20 ? D’abord parce qu’Hambourg est historiquement un lieu où la contestation des groupes d’extrême-gauche est très active et peut être violente, la ville a notamment vu la naissance du groupe «Black Blocs». Ensuite parce que certains des chefs d’Etat étaient désapprouvés par les manifestants qui n’avaient aucune envie de les voir sur leur sol. La semaine qui a donc précédée le sommet du G20 a été ponctuée de manifestations anti-capitalisme, anti-G20 mais aussi de manifestations contre des chef d’états précis, cherchant même à les empêcher de gagner les lieux de discussions internationales. «Bienvenue en enfer» est par ailleurs un des nombreux slogans utilisé par les contestataires, imageant assez bien la semaine qu’allait vivre la ville.
Ces fortes masses de protestations et de haine se sont marquées dans Hambourg, en particulier dans certains quartiers de la ville où les mouvements contestataires sont les plus représentés. C’est notamment le cas de Sternschanze, un quartier dans lequel se trouve plusieurs lieux alternatifs connus pour leurs contestations plus ou moins violentes. Le quartier a été dévasté par les différentes manifestations qui se sont enchaînées, les vitrines des magasins détruites et pillées, dans ces rues où les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants se sont plusieurs fois rencontrés. Partout dans la ville, on voyait des supermarchés et boutiques fermer leur portes avant le passage d’une manifestation, même les moins violentes. Si bien que ce qu’on retient de la ville pendant cette semaine ce ne sont que les vidéos d’affrontements, de flammes et d’éclats de verre.

 

(de gauche à droite) Forces de l’ordre devant Rote Flora. Manifestation anti-G20. Habitants nettoyant la ville après les manifestations.

Et que lorsque la tempête de contestations a été terminée il a fallu ramasser les bouts de la ville, la remettre en état et nettoyer ce que les passages récurrents de la semaine avaient laissé, oublié dans leur passion contestataire. Une initiative «Hamburg Räumt Auf» (Remettre en ordre Hambourg) a été lancée sur Facebook et entre 8000 et 10 000 personnes se sont retrouvées pour, ensemble, réparer leur ville. Une belle initiative qui montre qu’Hambourg n’est pas seulement un lieu de luttes à ceux qui n’entendraient pas régulièrement parler de cette ville.
Une autre initiative aussi est à souligner pendant la période du G20. Il s’agit de Gängeviertel : un ancien quartier de maisons de travailleurs sauvé de la démolition par un collectif d’artistes engagés dans la lutte contre la construction des villes sans prise en compte de l’aspect social de celles-ci. Bref un quartier politisé – relié comme les autres soixantes initiatives de lieux alternatifs au site internet «Recht auf Stadt» (Le droit à la ville) – qui dialogue et négocie avec la mairie pour arriver à un compromis de création de la ville. Evidemment à Gängeviertel, les personnes n’étaient pas favorables au sommet du G20 et ont participé aux contestations à leur manière. Il faut savoir que le site de Gängeviertel se trouve à quatorze minutes à pied du Centre des Congrès dans lesquels étaient réunis les vingt dirigeants réunis à Hambourg. Face à cette réunion, il y avait à Gängeviertel un grand festival de dix jours, une oasis en pleine ville, rythmée par des débats, des workshop, des manifestations, des performances artistiques et des fêtes. De part sa proximité avec le Centre des Congrès, la rue principale devant le quartier était gardée de cinq voitures blindées de polices, alors que l’atmosphère intérieure du quartier était relâchée et conviviale.

Oase Gängeviertel © https://oasegaengeviertel.wordpress.com

En un an Hambourg n’aura jamais été autant couvert médiatiquement : un nouveau symbole architectural, un sommet politique international. Un an pour briller aux yeux, un an pour résonner aux oreilles, la ville se dévoile sous les projecteurs du monde. Mais le meilleur moyen de découvrir cette métropole reste encore de la fouler du pied !

 

 Agathe Bertin

Séjour de septembre 2016 à juillet 2017

Bibliographie

Elbphilharmonie Hamburg, Joachim Mischke & Michael Zapf

« Elbphilharmonie », A+U,  mars 2017

Sources

https://www.arte.tv/fr/videos/064747-064-A/l-elbphilharmonie-a-hambourg

http://das-gaengeviertel.info