* pour maison médicale, la maison des étudiants en médecine

Dimanche 23 novembre 2014. Quatre mini-bus essayent de se garer avenue Louis-Berlaimont. Pas facile, c’est en pente. Jean-Yves s’improvise placier. Nous descendons quelques minutes pour saluer Lucien et Simone Kroll. En plus de « Voir en vrai » la Mémé. Nous allons la découvrir en compagnie de son auteur, Lucien Kroll. La bonne humeur est au rendez-vous. Les blagues y vont bon train. Et les rires ne s’arrêtent pas. Le temps pour Joffrey de « prendre un selfie » avec Lucien, Ricardo et Jean-Yves. Cette journée promet ! La conversation débute. Étant située à l’arrière, je n’entends pas très bien. Mais il me semble que Lucien se fait guide pour cette traversée de Bruxelles encore inconnue. Nous arrivons à la Mémé.

Encart historique

En 1968, une décision politique éjecte de Louvain toute la partie francophone de l’université. En contre partie, le pouvoir en place garantit le financement nécessaire à sa réinstallation en territoire Wallon. Il est alors décidé de créer une ville-nouvelle, Louvain-la- Neuve, en plein campagne, à 15km de Bruxelles.

Un premier schéma directeur exprimant les volontés de l’administration universitaire est dressé. Aussitôt, une contestation s’organise. Les étudiants refusent la conception d’un plan d’ensemble comme l’on peut en faire lors de la création de ville nouvelle. Ils ont la volonté de choisir eux même l’architecte.

C’est ainsi qu’en 1969, les étudiants en médecine de l’Université catholique de Louvain font appel à l’Atelier Kroll pour la conception de leur nouveau campus, à Woluwe-Saint-Lambert.

La « Mémé », maison médicale des étudiants en médecine, est conçue et construite entre 1970 et 1972. Il s’agit d’un des cinq sites conçus par Lucien Kroll avec la mairie, le restaurant universitaire, le centre œucuménique et la station de métro Alma.

Nous longeons une rue pavillonnaire, et arrivons au pied de la station de métro du campus. La visite s’improvise. Le groupe se rassemble autour de Lucien. « On va aller se promener… » nous dit-il. La découverte se fera donc ainsi. Au fil de nos pas. Au son de la voix de Lucien, très souvent recouverte par les rires et le brouhaha des enfants qui jouent.

Un tissu urbain vivant, une diversité de petites intentions

« La Mémé synthétise un processus participatif, une conception à partir de composants modulables et compatibles, et une pensée paysagère. » Patrick Bouchain. On y est ! Dès les premiers regards, cette phrase prend tout son sens. Il y a tout d’abord, l’étonnement vis à vis de l’étendu du projet. Et de sa pluralité, aussi. 30 000 mètres carrés de caractéristiques très diverses. Lors de la visite, Lucien l’exprime ainsi : « Bon j’ai commencé un mur, je me suis emmerdé au bout de 10 mètres donc j’ai commencé à faire ça, puis j’ai continué à faire ça et puis il y avait des ouvertures puis on a repris autre chose on n’allait quand même pas de nouveau remettre des briques, donc j’ai fait mettre des palplanches. Vous voyez ce que c’est ? Pour les chantiers, etc. De petits modèles enfoncés et j’ai exigé, d’en avoir d’occasion, rouillé, qu’on puisse chromer. Mais à chaque fois, on change vous savez. » Il nous est impossible de tout sonder lors des premiers instants. Alors, on se dépêche d’aller inspecter cette passion du détail. Un peu malgré nous. Une surprise nous conduisant jusqu’à la suivante. « Et Simone qui est aussi peintre et végétaliste, a peint des légumes, des fleurs, des mauvaises herbes avec une poudre grise en petit godet. Et j’ai été odieux parce que je lui ai fait faire de l’autre côté à l’envers la même chose pour avoir, vous verrez, un volume au lieu de seulement une surface. Elle a fait des centaines de mètres et c’est là, c’est fiché dans le sol, ça résiste à tout… » Lucien Kroll. Et même si, nous n’avons pas pu visiter les logements, nous nous sommes fait un malin plaisir d’arpenter la Mémé dans sa totalité.

La diversité des éléments

La diversité des éléments

La gare, point d’intensité

D’un commun accord, les universités et le ministère ont dévié la ligne à travers le domaine. Le métro passe par là. On le voit d’ailleurs. Subitement, on est avec les voyageurs, qui se déplacent au soleil, en longeant les réalisations de Simone. Il se produit ici, comme un changement de rythme. La gare est là, ouverte et lumineuse, fabriquée par une centaine de mètre de quais dialoguant avec son environnement. Il y a toutes ses colonnes qui ne sont pas les mêmes, elles sont dimensionnées en fonction du poids qu’elles reçoivent. C’est logique, mais on a souvent l’habitude de les faire à l’identique. Comme une forêt, l’enveloppe des colonnes a été réalisé grâce à des empruntes caoutchouc d’arbres de l’Ardenne Belge. Au milieu de celles ci, se trouve une colonne métallique emballée dans un coffrage en aluminium coulé, et ornée de légumes peints par Simone. Ce qui est assez incroyable, si on y approche le bout de son nez, c’est de voir toutes les signatures des responsables, entrepreneurs, ouvriers, … Il n’y aucun alignement perceptible. Lucien nous explique pourtant qu’ « en réalité, elles sont militairement sur un axe, d’une grille de 30cm qui fait deux zones : une de 10 et une de 30. Et alors, on a cette grille qui règne sur tout le désordre, la grille a été respectée partout». Et puis, en levant les yeux, on aperçoit le plafond triangulé. Comme une montagne. Il a aussi été peint par Simone. Son travail, aux formes douces contraste avec les arrêtes saillantes de la toiture.

Au gré des pas, l’importance des espace entre les bâtiments

Nous prenons l’escalator. Des cheminements, des sentiers, permettent de se rendre dans les différentes entités du lieu. Un paysage fertile où la nature laisse croître les plantes qu’elle a elle même choisi nous y accompagne. « Le travail paysager est parti de l’image d’un terrain vague. Le caractère dense de la colonisation d’espèces végétales aux essences diverses a été le point de départ du concept. » Patrick Bouchain. Il faut aussi se freiller un chemin au milieu de toute une tribu de scouts qui courent partout. Et puis ici ou là, une bouche incendie peinte par Simone apparaît. C’est assez beau parce que ça surgit dans un coin, discret, a chaque fois. Lucien nous explique : « Au départ c’était vraiment un vallon, c’était… Oui c’était la campagne, un sentier avec un sol stable. Alors normalement, l’hôpital est là. Il n’y avait rien, tout ça je l’ai fait en piratant. J’ai demandé à l’entrepreneur complaisant mais qui est payé pour ça, de prendre toute les pierres de déblais, il y en avait beaucoup, et de les balancés là-dessus pour faire une colline artificielle. Tu vois ça monte et ça cache l’hôpital. Il y a des arbres denses de ce coté ci, ici tu as la paix. »

Ses cheminements s’accompagnent de terrasses plein sud accessibles avec un escalier qui permet de monter, d’entrer chez soit par la façade. Sur internet, dans les revues, on voit toujours un peu les mêmes approches de la Mémé. Mais il y a toute une profondeur entre les bâtiments. C’est très grand finalement. Approchés de l’extérieur, avec leurs masses très découpées, très fouillées, les volumes feront penser à un grand amas de rochers aux arrêtes émoussées, à des ruines reconquises par la végétation, à une concrétisation naturelle en évolution continue et imperceptible (le temps est la dimension principale de cette architecture), à une grosse éponge parcourue de circulations intérieures, extérieures, horizontales, verticales, obliques, souterraines, et montrant à tous ces niveaux les habitants qui s’y promènent. » Patrick Bouchain

La main de l’artisan

Deux statues réalisées par le maçon

Deux statues réalisées par le maçon

Lors de notre parcours, nous arrivons au pied de deux grandes statues qui ont su impressionner tout le monde. Lucien Kroll nous explique : « J’ai demandé au maçon de faire des sculptures ici. Ils ont fait ça. Moi je n’ai rien dessiné. Je crois que c’est lui et sa femme. » « Si la trace de la main de l’artisan s’ajoute déjà à l’architecture, nous faisons le simple pari que la trace de l’habitant sera encouragée à s’y ajouter aussi. » Patrick Bouchain Si une aussi grande pluralité, et diversité est possible au sein de la Mémé. C’est aussi grâce aux nombreux artisans. « À chaque fois, c’est une discussion, une aventure… Au début je leur ai demandé de faire n’importe quoi dans une fenêtre qui allait être masquée pour voir comment ils font. Ils ont fait bêtement un parpaing comme ça, un comme ça, un comme ça, un encadrement de fenêtre. J’ai félicité, c’est très bien, j’ai dis on va faire ça plus difficile. J’ai dis voilà, on est ici, le mur est là. Et bien à un mètre d’ici, à un mètre de là, il y a un point, ce point là vous le continuez avec des parpaings et vous visez la fenêtre qui est là donc jusqu’à 25 centimètres au dessus du seuil de la fenêtre vous devez arriver là. Donc, c’est ça! Donc ils ont monté l’échafaudage, ils ont commencé à mettre des parpaings. Ils ont vu que ça allait là mais pas là donc ils ont continué et ça commence à faire quelque chose. Et chaque fois les modules ne sont pas les mêmes entre la brique et le parpaing. Il n’y a pas de commune mesure, le parpaing fait 25 centimètres et la brique 6 centimètres. Donc ils ont fait des briques sur tas  pour pouvoir les couper de trois quarts et caetera… Et tout ça fait une symphonie de maçonnerie, et c’est incroyable! Et figuriez-vous que la fenêtre elle n’existe pas puisqu’on fait le mur! Donc en croyant qu’elle est là… donc c’est du sport pour eux, normalement ils pensent à autre chose la radio à fond; ils ont du éteindre la radio parce qu’ils n’en sortaient pas. ils sont revenus le dimanche avec la famille pour montrer ce qu’ils font. » 

Bibliographie :

– Patrick Bouchain. 2013. Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée. 360p.

estelle sauvaître. estelle.sauvaitre@hotmail.fr                                            voyage effectué du 21 au 25 novembre 2014