Première approche. La pierre au fond du jardin

Un parking. En bord de route. Quelques dizaines de mètres carrés de terre sèche, encerclés par de la végétation à peine entretenue. Un endroit banal, perdu dans la campagne de Mechernich, à une petite heure de route de Cologne. Un endroit banal, oui ; mais pourtant le début d’un pèlerinage. Car de ce parking s’échappe un petit chemin, qui part au loin dans les champs, sillonnant entre les plantations de choux et les mauvaises herbes. Un chemin qui semble se perdre dans l’horizon.

La Bruder Klaus Feldkapelle se mérite !

Le début du pèlerinage

A peine quelques foulées sur ce chemin, que commence déjà à se détacher au loin, une silhouette. Une pierre. Un rocher. Un édifice peut-être ? Un édifice, bien sûr ; l’hésitation n’a pas lieu d’être. Quand on a tourné en rond pendant trente minutes en voiture dans la campagne de Mechernich, on sait pourquoi on est venu.

On sait que se dessinent timidement les lignes du saint monolithe que Peter Zumthor a posé là en 2006, transformant les chemins terreux aménagés par les fermiers du coin, en parcours de pèlerinage (religieux, mais aussi architectural, bien entendu). Alors l’excitation monte. On accélère le pas, même si la chapelle semble à des kilomètres de nous. Un détour. Puis un autre. On tourne dans les choux, jusqu’à la dernière ligne droite. La silhouette grandit alors de plus en plus, devient plus nette. Ses contours s’affirment. Puis vient la dernière ligne droite. A mesure que l’on se rapproche, on commence à entrevoir certains détails. Les irrégularités du béton banché sur place de manière artisanale. Les nombreux trous qui percent l’enveloppe pour faire entrer la lumière dans l’édifice… Malgré l’apparente rudesse du bâtiment, tout est dans la subtilité, comme toujours chez Zumthor. Un savoir faire unique. Un respect de la tradition, du patrimoine. Et une sensibilité.

Une chapelle au milieu des champs

C’est d’ailleurs ce qui avait poussé le fermier allemand Hermann-Josef Scheidtweiler à adresser sa commande à Peter Zumthor. Il avait en effet été touché par le travail de celui-ci pour le musée Kolumba de Cologne, où il avait allié avec brio architecture moderne et respect des ruines d’une église détruite pendant la seconde guerre mondiale. Alors quand Scheidtweiler a voulu bâtir une chapelle sur ses terres après la mort de sa femme pour remercier les cieux pour la longue et belle vie qu’elle avait menée, il n’a pas hésité à se tourner vers l’architecte suisse, lauréat du Pritzker Prize en 2009.

Pour l’anecdote, si Zumthor – dont la renommée grandissait à l’époque – a accepté cette modeste commande, c’est en partie parce que le saint auquel Scheidtweiler voulait dédier la chapelle, Bruder Klaus (d’où le nom de l’édifice), se trouvait être l’un des saints préférés de sa mère. L’architecture brute mais élégante de la chapelle est la rencontre entre ce personnage austère appartenant à la religion réformée et le langage architectural caractéristique de Zumthor.

La dernière ligne droite

Deuxième approche. L’élégance de la masse

Ce qui frappe de prime abord, c’est évidemment la masse du bâtiment. La pierre au fond du jardin s’est transformée en véritable monolithe, culminant à plus de douze mètres. L’édifice, en forme de pentagone irrégulier, se dresse tel un menhir dans un champ. Seule une porte triangulaire métallique (de trois mètres de haut) et les trois cent cinquante trous dans lesquels sont placés des billes de verre viennent percer son enveloppe compacte. Si l’envie de pénétrer dans l’édifice se fait pressante, on prend quand même le temps d’observer l’extérieur avant. Faire le tour. S’asseoir sur les petits bancs aménagés sur les parois de la chapelle. On regarde quelques personnes rentrer, sortir, faisant pivoter cette immense porte sur son unique gond. On remarque au-dessus la finesse de la petite croix gravée dans le béton, indiquant l’appartenance de l’édifice à la religion catholique. C’est pourtant un autre type de religion qui semble avoir amené la majorité des gens présents. Habillés en noir, des carnets de croquis à la main ; les indices ne trompent pas. Le public est essentiellement « architectophile » !

La masse de l’édifice

Vue de plus près, la géométrie radicale du bâtiment tranche avec l’aspect artisanal du béton beige utilisé pour construire la chapelle. L’intégralité de l’édifice a été réalisée par la famille et les amis de Scheidtweiler. Ainsi, le béton a été fabriqué sur place, avec des graviers et du sable local, conférant à l’édifice une matérialité unique.

Mais assez parlé de l’extérieur, il est temps d’entrer !

Une architecture du détail

Troisième approche. La forêt embrasée

L’intérieur est surprenant. Dans la continuité de la porte, un chemin de section triangulaire sillonne à travers la masse de béton. Celle-ci n’est d’ailleurs plus lisse et géométrique, mais courbe, et nervurée verticalement. Comme si le béton avait été appliqué sur des rondins, laissant le négatif d’une forêt sur les parois de l’édifice. C’est d’ailleurs à peu près ainsi qu’a été réalisée la chapelle. Une structure primaire constituée de 112 troncs de pins locaux a été assemblée par la famille et les amis de Scheidtweiler. Le béton artisanal a ensuite été appliqué sur les douze mètres de hauteur de ce tipi en bois. Le tout a été réalisé en moins d’un mois. Enfin, la structure de bois a été brûlée lentement pendant trois semaines, ne laissant plus que le béton et sa texture unique. Les traces de cet « incendie » sont encore visibles, le béton ayant noirci à l’intérieur.

L’entrée de la chapelle

A peine quelques pas et on se retrouve au centre de la chapelle. Immédiatement, le regard est attiré vers l’oculus aménagé au somment de l’édifice. En forme de goutte d’eau, il permet à la lumière de rentrer dans l’édifice, mais également à la pluie ! Une petite flaque stagne d’ailleurs au sol, dans laquelle les petits globes de verre viennent se refléter.

L’occulus

L’aménagement est sommaire. A l’intérieur, seuls un petit banc en bois, une sculpture de Bruder Klaus et un bac en métal pour faire brûler des cierges viennent accueillir le visiteur. Cette sobriété est assumée par Zumthor et vise à ramener le pèlerin à la vie d’ermite du saint auquel est dédiée la chapelle. Ce saint qui a abandonné sa famille pour mener une vie de privation et s’approcher du divin.

Les petits globes de verre

Quatrième approche. L’âme et la matière

C’est donc un édifice unique que réalise Peter Zumthor pour Hermann-Josef Scheidtweiler. La chapelle est la rencontre entre la pensée, la spiritualité et une forte expression de la matérialité, caractéristique de l’architecture de Zumthor. Des croquis d’intention à la réalisation, tout tend à rendre ce bâtiment singulier. Le processus inédit avec lequel il a été construit a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses études en agence pour trouver la structure en bois idéale. Ici tout est dans le détail. Alors, que l’on vienne pour le dieu helvète ou pour celui des cieux, on ne peut qu’éprouver une véritable révélation, au milieu des champs de choux.

La pierre au fond du jardin

Hans Fritsch, voyage effectué en novembre 2016.

Photographies de l’auteur.

Bibliographie :

http://fr.phaidon.com/agenda/architecture/articles/2015/february/04/sacred-stories-bruder-klaus-field-chapel/

http://www.archdaily.com/106352/bruder-klaus-field-chapel-peter-zumthor

Casabella, n°747, Septembre 2006