L’oeuvre de Michel Roussel

Un homme construit seul une maison-musée-manifeste. Rien n’y est droit, mis à part le sol parfois. Il se considère comme un Anarchitecte. L’oeuvre est à l’image du personnage : atypique.

Vous connaissez l’histoire du Facteur Cheval ? C’était un facteur curieux des photos qu’il voyait passer sur les cartes postales qu’il délivrait. A la mort soudaine et tragique de tous les membres de sa famille, il consacre sa vie à la construction d’un palais. Il ramasse quelques pierres lors de sa route journalière de facteur et rentre chez lui pour les poser et construire une curiosité architecturale. Le palais du Facteur Cheval, c’est une hybridation entre l’architecture religieuse à travers le monde et l’univers de la pâtisserie. un gigantesque gateau atypique qui est aujourd’hui devenu un musée, un monument notable que l’on peut visiter pour six euros et cinquante centimes. De son vivant, le facteur était considéré comme le fou du village. Il avait même construit un muret en périphérie de son terrain pour se protéger du regard et du jugement de ses voisins. Il a mis trente-trois années à finir son oeuvre, seul.

facteurcheval.com

Palais du Facteur Cheval – www.facteurcheval.com

Michel Roussel est un personnage à l’oeuvre similaire. Cela fait déjà plus de trente ans qu’il travaille tous les jours sur sa maison qu’il nomme un « manifeste contre l’enfermement humain ». Aucune information n’est disponible sur internet, il n’a pas de téléphone, ni d’adresse e-mail. Pour entrer en communication avec lui, l’interressé peut se rendre à son domicile le 5 de chaque mois pour assister a une conférence et à un partage de savoirs sur l’éco-construction, sur l’alimentation micro-cosmique, sur l’architecture, sur l’architecture antisismique, sur l’anarchitecture, sur la solution contre la faim dans le monde, sur la spiruline, et d’autres sujets fondamentalement humanistes.

Michel Roussel a suivi une formation d’architecte, mais lui se considère comme un anarchitecte. Son projet de fin d’études était une maison d’une trentaine de mètres carrés qui coutait 1500 francs. Le problème, c’est qu’il l’a construite sur le parking de l’école d’architecture de Montpellier mais sans autorisation. Il fut renvoyé de son établissement, et ne passa jamais son diplôme d’architecte. C’est pourquoi il privilégie la pratique de l’architecture sans diplôme, sans norme, sans ordre. Certains le décriront comme un « fou », d’autres comme un « génie ».

C’est dans les profondeurs du Gard, aux alentours du village d’Euzet que l’on peut faire cette rencontre architecturale et humaine atypique. Comme il n’y a vraissemblablement aucune adresse que l’on peut entrer dans le GPS pour s’y rendre, je vais tenter de vous expliquer l’itinéraire le plus clairement possible dans ce paragraphe. Si vous passez dans le coin, et que le cinq du mois est proche, ne manquez pas le détour. Vous êtes sur la route départementale entre Uzès et Alès, un croisement vous indique le village Euzet, tournez et suivez la direction de Saint Just sur la D4. Prenez à droite pour rejoindre le village de Vacquières. Continuez tout droit, jusqu’à ce que vous ayez l’impression d’être arrivé au bout de la route. Engagez votre véhicule dans le chemin en terre devant vous. Restez en seconde. Conduisez lentement, les nids de poules et les pierres sont fréquents. Juste avant le col du Coutez, vous tomberez sur cette mystérieuse construction.

plan de la propriété - vue satellite bing.comUne grande souche d’arbre scintillante surgit entre les branchages des chênes verts. Ce n’est pas un arbre, c’est une construction humaine.  Rien n’y est droit, à part le sol parfois. Des courbes dans tous les sens. Une grue de quelques douze mètres de haut s’adosse à la construction, confirmant l’état de « travail en cours ». Des matériaux : pierres, plastiques, pièces de voitures, verre pilés, sable, carrelages, pare-brises, vitrages divers, cages d’oiseaux sont répandus autour de l’oeuvre. Ils attendent leur tour avant de rejoindre la maison. Oui, c’est une maison, mais le 5 du mois, c’est un musée. La visite guidée se fait par le propriétaire Michel, qui nous accueille dans le sas d’entrée pour débuter sa conférence. En échange de ses savoirs et de ses explications sur une vision altermondialiste, il demande aux visteurs présents de rester l’aider pour une journée ou la somme de 20 euros. Nous sommes restés la journée.

L'accueil des visiteurs par l'Anarchitecte

L’accueil des visiteurs par l’anarchitecte – Luc Franco / Michel Roussel / Manuel Bertrand / Antoine Piketty

Le sas d’entrée est une pièce globuleuse, aux ouvertures ressemblant à des entailles dans les murs, des courbes qui s’ouvrent et se referment. Le sol est une mosaïque irrégulière, comportant des objets prisoniers sous des plaques de verres, tels que des pièces ou des montres.

Axonométrie façade ouest

Axonométrie coupée de la façade ouest – par Luc Franco

On peut y voir aussi le plan original de cette demeure. Depuis cette extrusion, un passage vous mène à un cloître de transition, où des femmes nues sculptées s’enlacent avec des hommes pour supporter la toiture. Cette pièce est ouverte sur l’extérieur, mais sera fermée à terme. Nous sommes ici au croisement entre une oeuvre d’Hundertwasser, de Gaudi et des fameuses caryatides. Depuis cette pièce, un escalier étriqué peut nous faire circuler le long de la demeure par l’extérieur pour rejoindre le grand four-solaire ou nous faire pénétrer dans les parties privées de la demeure. Le séjour, un des plus grands volumes de la maison, malgré le fait que tous les volumes se croisent à partir de cet instant grâce à l’absence de porte. Entre escaliers, doubles hauteurs, niches et courbes, chaque point de vue offre une expérience unique. Les espaces se divisent par l’absence de connection visuelle. Une petite caverne aux faibles lueurs se trouve en contre-bas : c’est un bain en mosaïque de céramique brisée. Les courbes y sont omniprésentes.

Façade est en construction

De là, une sortie est possible en face, d’où l’on observe la piscine en construction. Une cuisine se situe sur la gauche. L’anarchitecte s’affranchit des modules carrés de cuisine en les plaçant dans un ilot central, afin d’assurer une lisse propagation des courbes le long des murs. Un escalier hors normes nous mène à l’étage supérieur. Les marches sont uniques, chacune possède une identitée et une forme particulière. les murs penchés et ventrus de cet étage ainsi que le dispositif d’ouverture zénithale fait rupture avec les conventions que l’on peut imaginer avoir dans une habitation. Et pourtant c’est ici que Michel nous montre sa chambre, vitrée de pare-brises récupérés et nous dit « j’ai mis vingt trois ans avant de pouvoir dormir dans mon lit ».

Perspective de mémoire – Aquarelle – 35x50cm – Luc Franco

A cet étage, nous entrons dans la salle à manger une table sur pivot est couplée avec un système d’accrochage d’assiettes permet de faire la vaisselle au jet d’eau. Il suffit de faire basculer la table et de l’asperger d’eau sous pression, les déchets ruissellent pour rejoindre un bac de compostage. Le prototype de cette table n’était pas achevé lors de notre visite. Dans cette pièce, des sculptures métalliques au sol et au plafond font la liaison visuelle verticale avec les pièces supérieure et inférieure. Ces moulures sont inspirées du sexe féminin, pour dénoncer la vision monogame des relations emotionelle et sexuelle dans certaines religions. Une grande baie vitrée composée de parebrise et de vitres de voiture (dispositif similaire aux ouverture de sa chambre) s’ouvre sur la canopée. A droite, une  trape, un tube, un grand tobogan qui plongera directement dans sa piscine. Les espaces se connectent comme des organes dans un corps, boyaux, nerfs, artères.

Le pic de la maison, courbes et sculptures. Vue depuis la grue sur la façade ouest

Un escalier hélicoïdal en pales d’hélice d’avion nous donne accès au toit, enfin, à la partie haute de l’habitation. On y trouve des panneaux solaire photovoltaïques brisés. Ils nous explique qu’il les a récupéré gratuitement, ces marchandises brisées dans les transport ne peuvent être vendues, et seront jetées si personne ne les réccupère. Il se les est appropriés en allant rendre visite à certains chantiers environnants. Ils ont moins de rendement, mais sont en état de fonctionner. Grâce à ces panneaux, il peut alimenter sa demeure en electricité, puisqu’il n’est connecté à aucun réseau. L’édifice est un emblème de la réutilisation de matériaux, un hacking up-cyclé.

Le réemploi, le recyclage et la récupération sont au coeur de la démarche artistique, architecturale et philosophique de l’auteur. Le « faire-avec » développe chez Micel Roussel une capacité créative digne des plus grand compositeurs de Jazz. Nous avons pu voir deux dessins d’intentions de la maison datant de 1979, des élévations pour être exact. Comme tout projet, il y a des nuances entre le dessin original et l’oeuvre. Le dessin fusionne avec les matériaux disponibles pour réaliser ce qui est. Les années de chantier et d’expérimentation ont fait de cet homme un virtuose du réemploi. Des chassis de lits, des fers à cheval, des pales d’hélice, des cages d’oiseaux. L’usage premier de l’objet est détourné et  devient matière à projet et matière à penser a l’aide d’une phrase poétique. L’utilisation des cages d’oiseaux pour maintenir l’étanchéité est justifiée par le desaccord avec l’existence de tels objet; initialement créés pour supprimer la liberté de l’animal volant.

echaffaudage « approuvé » par le Bureau de controle.

Pose de l’étanchéïté 2012

La visite et la conférence s’échangent contre notre temps pour la journée qui suit. La mission de la journée consiste à étanchéifier un sas de sortie. Nous grimpons sur la grande souche d’arbre à l’aide d’un échaffaudage défiant toute norme de sécurité. Nous installons des bandes de goudrons. Chauffées au chalumeau, ces dernières sont fixées grâce à des sandwichs de réutilisation : une brochette (de haut en bas) d’une capsule de bière, d’une plaquette en caoutchouc, d’un morceau de cage d’oiseaux tout cela traversé d’un clou qui vient chercher la structure en dessous. Le tout sera ensuite recouvert d’un enduit au ciment, sable, et verre pilé (cela donne un aspect luisant et scintillant à la construction).
Avant de partir, l’anarchitecte nous invite à dîner. Il a une alimentation micro-cosmique, une pratique disant que lorsqu’un homme mange ce qu’il trouve dans son environnement direct, il est en harmonie avec ce dernier.

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Le repas journalier de Michel Roussel – les fruits jaunes sont des coings.

Il se met en marche dans la forêt avec un panier d’osier qu’il remplit de bourgeons, de glands, de feuilles tombées au sol, de parties de plante. A chaque cueillette il nous parle des bienfaits de chaque plante. Notre ronde se termine dans son centre de culture de spiruline, il en récolte un peu. Il ne mange que ça, mais en hiver, il doit compléter ce régime par des chataignes, car cette alimentation lui donne de l’énergie mais il a encore faim. De retour dans la cuisine, il nous prépare son champagne, son élixir de jouvence, en écrasant tous ces produits forestiers. Nous trinquons à sa santé, c’est son soixantième anniversaire. Nous reprenons la route vivifiés, mais nauséeux.

Cet architecte est un activiste de l’open-soucre. Il offre a toute personne le désirant un dossier numérique nommé « la petite goutte d’eau de pluie » dans laquelle l’on peut trouver des plans de maison en paille, d’habitation en matériaux naturels, recyclés, antisismiques, low-cost, low-tech.

exemple de plan open-source qu'il offre aux visiteurs

exemple de plan open-source qu’il offre aux visiteurs

Il donne aux visiteurs le droit d’exploiter ses dessins pour des demandes de permis de construire. Les dossiers sont détaillés et peuvent être la base d’une démarche DIY (do-it-yourself).  Nul n’a besoin d’obtenir un diplôme d’architecture pour être anarchitecte. Les animaux n’en ont pas et pourtant ils réalisent instinctivement des habitations adaptées.
En l’absence de bibliographie concernant cette personne et son travail, il n’est possible que de se fier à ses dits et aux histoires qui le concernent. Il suffit d’une visite et d’une rencontre pour devenir convaincu de ses péripéties.

Luc Franco

Visite le 5 Aout 2012