Après quatre années passées à Nantes, l’été 2015 j’ai décidé de retourner en Guinée, ma terre natale. Une fois arrivé à Conakry je me suis rendue compte que certaines choses ont évolué mais par contre beaucoup d’autres sont restées figées voir même se sont dégradées. J’ai été très surprise de voir le degré d’anarchie qui règne encore dans cette ville. Car dans beaucoup de quartiers populaires l’occupation spontanée a pris le dessus. Cela m’a paru assez impressionnant de voir comment les gens s’appropriaient les différents espaces notamment l’espace public considéré comme la propriété de personne, donc appartenant à tous. C’est d’une façon assez singulière que les habitants occupent et vivent la ville. Pour l’illustrer, je vais vous présenter Kaloum le centre ville de Conakry à travers ces « faces cachées », les endroits qui ne sont pas forcément mis au premier plan. Je vais mettre en avant le quartier Boulbinet  qui est assez particulier.

Kaloum un centre urbain

Kalum est actuellement l’une des cinq communes de la ville de Conakry capitale de la Guinée. C’est la commune la plus importante de la capitale car elle regroupe l’essentiel des fonctions nationales. Dans le domaine administratif, on y trouve le siège du gouvernement et celui de l’assemblée nationale, le palais présidentiel «Sékoutoureya», les différents ministères, les différents organismes internationaux et les ambassades. Sur le plan économique, elle comporte l’essentiel du tertiaire, les banques, les agences de voyage. On y trouve le port autonome et le port de pêche artisanale. Sur le plan de la santé, il y a l’hôpital Ignace Deen l’un des premiers hôpitaux du pays construit à l’époque coloniale. Sur le plan culturel, il y a le musée de Sandarvalia l’unique musée du pays, des édifices culturels. Enfin, il y a aussi des zones résidentielles et des bidonvilles.

Carte de Kaloum. Source: Stratégie de mobilité durable dans les villes des pays en développement, guide pédagogique_transport- expansion- avenir-agir

Carte de Kaloum. Source: Stratégie de mobilité durable dans les villes des pays en développement, guide pédagogique_transport- expansion- avenir-agir

Comprendre Kaloum aujourd’hui, cette commune assez particulière, nécessite de connaitre l’histoire de Conakry.

Historique

A l’origine, le site de Conakry est composé de la presqu’île de Kaloum et de l’île de Tombo qui lui a été rattachée en 1881. Conakry fut choisit comme la capitale des rivières du sud. A cet effet, en 1889 commencèrent  les travaux de construction sur l’île de Tombo sur un plan en damier avec des avenus placées sur l’axe est-ouest et les boulevards nord-sud. Le site étant  quasiment vierge, il offrait la possibilité de réaliser une conception européenne de la ville coloniale qui tient compte des principes d’hygiène, d’assainissement, de construction et de réhabilitation des investissements. La ville fut construite en six ans. Cela a nécessité la main d’œuvre locale entraînant une vague de migrants, la population qui était de 300 habitants en 1885 passe à plusieurs milliers à la fin du siècle. Le développement de la ville fut intense jusqu’en 1910.

Après l’indépendance, avec la croissance démographique, la  ville de Conakry s’étend à l’extérieur de Kaloum tout en longueur suivant deux axes routiers, sur des zones loties et sur des zones non loties avec des habitats spontanés. Jusqu’à nos jours, la ville continue de s’étaler entre lotissement et occupation désordonnée.

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Carte du développement urbain de Conakry. Source: Stratégie de mobilité durable dans les villes des pays en développement, guide pédagogique_transport- expansion- avenir-agir

La structuration de Conakry et les mauvais états des routes créent de graves problèmes de circulation. Les flux sont dans un sens. Le matin tout le monde essaye de rejoindre son lieu de travail, le centre ville communément appelé « en ville », le soir à contrario les gens quittent la ville pour rejoindre la banlieue. L’accès au centre ville se fait par un échangeur appelé « 8 novembre » .

Construit depuis 2012, l’échangeur du 8 novembre à remplacé un édifice chargé d’histoire appelé « pont du 8 novembre ». Il était presque impossible de rentrer à Kaloum sans l’emprunter. En termes de dimension, il n’avait rien d’impressionnant, moins de 4 mètres de haut avec une largeur qui fait à peu près le double de la hauteur. Mais d’une manière symbolique, il représentait le témoin d’un passé chargé d’histoires ayant marqué le peuple de Guinée tout entier. Plusieurs personnes trouvèrent la mort à cet endroit. En 1971, sous le régime de Sékou Touré, certains cadres guinéens jugés traîtres à la nation  furent tués par pendaison au niveau du pont 8 novembre. Durant les années 2000, sous le régime militaire, lors des différentes grèves, les manifestants sur le chemin de Kaloum trouvaient toujours au niveau de ce fameux pont, une division militaire prête à tout pour les repousser même à se servir des armes. C’est ainsi que plusieurs personnes ont trouvé la mort au pont du 8 novembre.

Aujourd’hui, malgré que le pont n’existe plus, l’échangeur de Moussoudougou continu d’être appelé pont 8 novembre. Ce nom est gravé dans la mémoire collective des guinéen et je pense qu’il va le rester à jamais.

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Échangeur du 8 novembre. Source: http://sierrafrench.mondoblog.org/bienvenue-a-conakry/

Le Quartier Boulbinet

Boulbinet est un quartier d’habitat traditionnel très dense de Kaloum qui s’est formé autour de l’un des plus importants ports de pêche artisanale de la capitale. Le site possède des alignements de maisons basses, avec des toitures en tôle, entre rue et cour. Les maisons sont de type très économique et souvent réalisées avec des matériaux de seconde main. Avec le temps, la plupart de ces maisons ne tiennent plus, on remarque notamment en traversant ce quartier, de grosses pierres posées les toits des habitations, on pourrait presque croire que c’est la coutume, en réalité ces pierres jouent un rôle « structurel », elles empêchent que les tôles de la toiture ne s’envolent.

Les gens vivent dehors, ou dans les cours, la maison sert juste à dormir. Cela peut s’expliquer par le fait que la maison est trop petite pour le nombre de personnes qu’elle accueille. Plusieurs personnes peuvent banalement partager un lieu de vie de 20 m². Dès fois la hauteur sous plafond est tellement basse qu’on ne peut pas s’y tenir debout. Ainsi toutes les activités sont reportées à l’extérieur du bâti et le plus souvent dans la rue

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Photos de Boulbinet

La rue un espace aux multiples usages

La rue qui est normalement réservée à la circulation, devient un espace de survie pour les gens les plus vulnérables. A Boulbinet, comme dans de nombreux quartiers populaires de Conakry, la rue est le moteur des activités informelles. C’est un espace investi par les activités économiques, sociales, politiques. Le long des rues sont disposées des échoppes qui ont trouvés place dans des containers recyclés qui servent d’épicerie mais aussi de lieu de vie pour ces petits commerçants. Dans cet espace, prennent aussi place des menuisiers, qui étalent sur le trottoir leurs dernières chambres à coucher, des garagistes qui réparent des voitures, des « tailleurs » qui exposent leurs dernières créations de vêtements traditionnels colorés comme des œuvres, des vendeurs de pains qui présentent le pain sur des tables pour le vendre, des fruits, des légumes.

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La rue lieu de petits commerces

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Un garage à ciel ouvert

Généralement des enfants et des jeunes jouent au football dans les rues secondaires, monopolisant ainsi l’espace et obligent les conducteurs à emprunter une autre rue ou à limiter la vitesse pour éviter de s’attirer des ennuis.

Espace de jeux des enfants

Espace de jeux des enfants

En soirée, la rue se transforme en un lieu de danse traditionnelle « sabar », « farée gnakhi », « show de la rue ». Le  weekend, elle se transforme en lieu de célébration de cérémonie de mariage ou de baptême.

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La rue lieu de cérémonie

La rue est très souvent perçue comme une ressource, un espace à prendre, qui n’appartient à personne en particulier, par déduction c’est la propriété de tous.

Une école pas comme les autres

Le manque d’équipement scolaire dans certains quartiers défavorisés de la ville, et le coût trop élevé des écoles privées ordinaire, conduisent à l’émergence d’école non réglementée. Le plus souvent, ces écoles sont composées d’une ou deux salles de classes qui prennent place dans des bâtiments d’habitation ou sur des vérandas. Le cadre n’est  vraiment pas approprié, l’intérieur des classes est aménagé par des bancs sur lesquels, les enfants sont assis et tiennent leurs ardoises en main pour noter le cours. Cet environnement assez ouvert sur la rue, rend les enfants inattentifs aux cours.

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Une école particulière

Enfin, si Boulbinet renvoie à une image de bidonville, certains endroits de ce même quartiers sont bien structurés avec des résidences de haut standing. Il faut noter que Kaloum ne se résume pas qu’à des quartiers d’habitat « populaires », c’est d’abord un centre administratif qui a pour ambition de refléter l’image d’une capitale africaine contemporaine. Il reste encore beaucoup d’effort à fournir de la part de l’état, des collectivités territoriales, mais aussi des habitants afin de ressortir de cette ville « anarchique » pour aboutir à une ville plus structurée et cohérente dans son ensemble.

Diaka TOURE

voyage effectué du 3 août au 20 septembre 2015.

Bibliographie:

  • Stratégie de mobilité durable dans les villes des pays en développement Guide pédagogique_transport- expansion- avenir-agir
  • Gestion de la croissance des grandes villes côtières d’Afrique de l’ouest, série séminaire PDM-IV
  • http://lims.mondoblog.org/le-pont-8-novembre-fin-d%E2%80%99un-édifice-charge-de-memoire/