Je marchais sur la Calle Leòn y Castillo (rue de Leon y Castillo) dans le centre-ville de Las Palmas. Alors que je longeais la ligne de côte à l’Est, je me suis trouvée entre une rue très passante et un mur complètement opaque. L’île ne manque pas de grandes plages et de promenades sur le bord de la mer, pourtant je me suis trouvée complètement coupée du paysage de la mer, même la ville  se retournait sur elle-même à cet endroit. La rue n’était pas agréable, très passante et bruyante et je ne me suis pas senti très à l’aise sur le petit trottoir trop près du passage des véhicules.

Ce qui a motivé mon voyage est justement ce mur qui me restreignait si près de la route, plus particulièrement ce qui se trouve derrière : El Arsenal. Je suis allé à Las Palmas en tant qu’étudiante, pour en apprendre plus sur la ville et son histoire et éventuellement comprendre les enjeux entourant ce site de El Arsenal.

HISTORIQUE DE LA VILLE ET DE SON PORT

Les voyages dans le cadre des études sont toujours très enrichissants et ce que j’ai appris au cours de mon séjour est particulièrement pertinent dans le cas complexe de El Arsenal.

Brièvement, la ville de Las Palmas se situe sur l’île de Gran Canaria qui fait partie de l’archipel des Iles Canaries en Espagne. Elle fut fondée en 1478 et a rejoint la couronne espagnole en 1483. Las Palmas est aujourd’hui la ville la plus peuplée et la plus grande de l’archipel.

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Emplacement du premier port de Las Palmas

Dès son origine, la ville de Las Palmas se trouve favorisée par sa situation géographie qui en fait un pôle important au niveau économique. En effet, les vents favorisent le passage des bateaux pour le commerce de la canne à sucre. Puis, le commerce évolue de plus en plus pour se diversifier. Le port joue alors le rôle central de développement pour la ville qui se construit autour.

Plus tard, le port va se heurter à des limites de développement à cet emplacement et n’arrivera plus à s’imposer auprès de la concurrence. Dans la perspective de relever le port et ses activités, il sera déplacé au 18e siècle. Le quartier de Vegueta et de Triana, qui sont aujourd’hui la vieille ville de Las Palmas, sont les vestiges de la ville de l’époque, construite autour de ce premier port.

Ces deux quartiers ont un charme intéressant et sont un des arrêts incontournables des nombreux touristes aujourd’hui. J’ai adoré me promener dans les rues avec les bâtiments à l’architecture singulière par rapport au reste de la ville.

Petite rue du quartier de Veguetta

Petite rue du quartier de Veguetta

Le nouveau port, le Puerto de la Luz, est construit dans la baie de La Isleta, au nord-est de l’île. Naturellement, la ville reprend son développement autour de ce nouveau noyau. C’est ce qui donne une particularité au développement de cette ville : elle se développe en deux pôles à des époques différentes. Les deux parties de la ville sont alors séparées par un corridor de sable.

À la suite de la construction du nouveau port, la ville se développe économiquement ainsi que le reste de l’île. Le port devient un élément en constante croissance avec des exportations, du commerce, de la pêche et du tourisme qui atteignent un essor impressionnant. Le port est encore aujourd’hui en croissance avec des plans d’expansion d’envergure.

En parallèle à l’expansion du port, la ville s’est développée de plus en plus en se densifiant, et peu à peu, le corridor de sable a été comblé pour ne laisser qu’une lisière de plage à l’ouest de la côte. Les deux pôles de la ville se sont ainsi rejoints pour ne faire plus qu’un.

Apparition de El Arsenal

Au cours de la deuxième guerre mondiale, une forte présence de navires de pays en guerre près de la ville de Las Palmas amène le gouvernement espagnol à prendre la décision d’établir un arsenal. Cet arsenal maintient alors une flotte de navires permanents pour assurer la protection de la ville. Suite à la guerre, l’arsenal ne quitte pas la ville et y prend officiellement place sur un site du port. Ce site qui était alors dédié au marché de fruits et légumes et qui était directement lié à la ville se retrouve cloisonné. Le site reste aujourd’hui connu sous le nom de El Arsenal.

Emplacement du site El Arsenal

INTÉRÊT POUR EL ARSENAL

Même en arrivant à Las Palmas bien préparé, ayant effectuée des rechercher et étudié des cartes, je n’ai cessé d’être surprise pendant mon séjour. Ma visite de la ville a éclairé mes idées par rapport au site de El Arsenal. Il m’intéresse moi, mais beaucoup d’autres personnes également. Je pense ici aux élèves de l’école d’architecture de Las Palmas, mais également à des architectes tels SANAA. Qu’est-ce qui fait de ce site un élément d’intérêt ? El Arsenal à lui seul présente un intérêt moyen, mais étudié dans l’ensemble de son contexte urbain, il recèle un potentiel immense. La ville pose des problématiques urbaines absolument intéressantes et le site se pose alors avec le potentiel de les résoudre.

Même si le site n’est pas disponible officiellement pour y implanter un projet aujourd’hui, il amène à réfléchir. La ville n’a plus besoin d’être protégée des envahisseurs, car la guerre est terminée et beaucoup se questionnent sur El Arsenal à notre époque. De plus, les activités de l’armée semblent réduites et le font de mer au niveau des quais n’est plus suffisant pour amarrer certains des bateaux plus imposants. C’est cette situation qui attise l’imaginaire de visionnaire qui aimerait bien voir El Arsenal disparaître dans les prochaines années au profil de la ville qui cherche à développer la front de mer à l’est.

PROBLÉMATIQUES DE LAS PALMAS

La ville de Las Palmas est une ville assez dense, construite dans une zone bien délimitée. Avant mon arrivée en ville je dois dire que je n’avais pas compris ce si petit étalement sur le territoire, maintenant je saisis le problème : le relief. La ville s’est construite sur plusieurs niveaux de sol et s’est développé de manière linéaire en suivant la côte de l’île, là où le relief est plus régulier.

J’ai senti la pression foncière élevée en me promenant au travers de la partie de la ville qui est à proximité du port. Cette partie de la ville est dans une situation très particulière, surtout au niveau de ce qui était autrefois le corridor de sable. J’ai adorée me promener à cet endroit parce qu’il est très facile de s’imaginer le corridor de sable  à la place de la ville. En effet, elle est si étroite que l’on peut, seulement en tournant sur soi-même, voir les deux lignes de côte en même temps ! Cette condition hors du commun a amené le bâti à se concentrer énormément entre les deux. La côte revêt alors une importance capitale pour la population, car elle a le potentiel d’offrir de l’espace de divertissement et de loisir que le bâti dense ne permet pas nécessairement ailleurs.

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La ville à différents niveaux

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Persée sur le front de mer dans le tissus urbain

Alors que je m’approchais de la côte à l’est, j’ai été déçue de la situation actuelle : une autoroute en barre l’accès. Il se trouve que cette autoroute longe même toute la côte est de l’île. J’ai trouvé la traversée de cette route très difficile et même si elle se trouve enterrée à certains endroits, les accès pour piéton sont rares. De l’autre côté de cette route bruyante, j’ai découvert un paysage portuaire impressionnant. Je m’attendais à un paysage lointain qui semble inatteignable, pourtant le port semblait tellement près, il y a une vrai proximité avec la ville. Je suis restée très longtemps à observer l’effervescence qui se dégageait de ce paysage coloré.

Ce qui est dommage est le fait qu’il n’y ait pratiquement pas d’interface possible entre la ville et ce paysage à cause de l’autoroute. Le lieu n’est pas occupé, j’étais pratiquement la seule personne présente. Pourtant, le port est un lieu dynamique et j’ai trouvé complètement paradoxal d’être dans un espace sans fonction où rien ne se passait. La ville a clairement la volonté de créer des espaces attrayants, j’ai remarqué qu’il y avait des aménagements (à fonction un peu trop indéfini), mais personnes pour en profiter. Le fait est qu’aucun de ces espaces n’est assez grands pour permettre un recul suffisant avec la route et ainsi favoriser l’aménagement d’espaces programmatiques ou permettre de se projeter dans ce paysage portuaire et d’en profiter.

Aménagement vide à l'est

Aménagement vide à l’est

Quand je suis allée du côté ouest, ce fut une expérience toute autre. De ce côté de la côte, le paysage et l’espace ne manque pas d’intérêt ! La plage s’étend sur des kilomètres et est magnifique, c’est un lieu totalement occupé et dynamique. Il y a une programmation très marquée également par les restaurants et les bars qui longent la plage et il y a une promenade immense qui permet de profiter du grand espace et du paysage. C’est le lieu idéal pour tirer bénéfice des belles journées ensoleillées.

Plage de l'ouest très animée

Plage de l’ouest très animée

En faisant l’expérience des deux fronts de mer j’ai compris la dualité qui se joue dans la ville de Las Palmas : la ville présente une polarité de ses fronts de mer qui est une vraie problématique. L’est de la côte, en partie occupée par des activités portuaires, n’arrive pas à se développer comme un lieu intéressant pour les habitants ou pour les touristes. Le fait est que le port est pourtant le lieu d’arrivée de beaucoup de touristes chaque jour par bateau de croisière et aurait intérêt à être intéressant.

El ARSENAL DANS CES PROBLÉMATIQUES

Le site qui est occupé par les militaires est actuellement isolé de la ville par un mur, car les activités sont confidentielles. Dans le paysage portuaire de l’est de la ville, El Arsenal est clairement visible et imposant. Je suis arrivée sur la côte au nord du site et je l’ai tout de suite aperçu. Le site présente une superficie de plus de 100 000 mètres carrés et je m’étais imaginée l’observer de loin avec distance, mais il y a une réel proximité avec lui. Même si la périphérie du site en contact avec la ville est fermée, le reste ne l’est pas et la vue sur le site au nord est très bonne. En plan, El Arsenal m’apparaissait comme lointain à la fois de la ville et du port. L’expérience sur place m’a fait sentir le contraire, c’est-à-dire que les trois espaces sont finalement très liés.

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Le site vu d’un centre commercial à proximité

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Proximité entre le bord de mer et le site

J’ai effectué tous les parcours qui pouvaient permettre une vue sur le site. La vue du quai d’arrivée des bateaux de croisière est celle qui m’a le plus fait réfléchir. En effet, sur le quai d’arrivée c’est le site de El Arsenal qui prédomine sur la ville, il s’impose vraiment à l’avant et je me suis dit que ce site aurait vraiment la possibilité d’être la porte de la ville, son image pour ces voyageurs au moins.

Site en avant par rapport à la ville

Site en avant par rapport à la ville

El Arsenal en premier plan

El Arsenal en premier plan

En me promenant sur la côte j’ai vraiment senti que le site devrait appartenir à la ville. Le port qui se trouve juste à côté fonctionne en parallèle à celle-ci et se trouve un peu à distance du site, par contre la ville se trouve juste de l’autre côté du mur d’enceinte de El Arsenal. Ce mur d’enceinte parlons-en, il rend la promenade sur la côte à cet endroit particulièrement désagréable, car il nous comprime entre lui et l’autoroute. C’est un réel problème, parce que le site bloque ainsi toute possibilité pour la ville d’aménager une promenade continue le long de la côte. Toutes les initiatives tentant de créer un événement ou d’aménager un ensemble cohérent le long du front de mer semblent se heurter à un obstacle : l’Arsenal coupe le front de mer à cet endroit. El Arsenal divise le peu d’espace de  front de mer dont la ville dispose à l’est et est donc le site qui pourrait lui redonner un accès à la mer sur ce front.

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Inconfort entre la route et le mur

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Continuité naturelle possible entre la ville et El Arsenal. Le mur coupe la ville de sa vision sur le port et la mer

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Autoroute et mur comme front de mer

Finalement, le site est le seul site d’envergure ayant le potentiel de réellement offrir une fenêtre sur la mer à l’est, et ce, loin de la route. De plus, il se trouve dans une situation complètement stratégique et il est également une fenêtre sur le port qui apporte une richesse incroyable au paysage, mais qui revêt également une importance capitale pour la ville. Entre les deux, ville et port, El Arsenal pourrait être une vraie charnière. Ça serait une véritable opportunité, une ouverture pour cette ville qui n’a pas de potentiel d’accès à la mer à l’est.

FRONT DE MER

On le sait aujourd’hui, la réhabilitation des ports et les aménagements en front de mer posent des enjeux intéressants de patrimoine, d’attraction pour les visiteurs, d’économie et de liaison entre la ville et l’eau. Ma visite de la ville m’a permis de comprendre qu’elle s’inscrit très bien dans cette problématique. Il est dans l’intérêt de la ville de trouver une solution à sa problématique d’aménagement de front de mer à l’est.

J’ai relevé plusieurs facteurs qui suffisent, je le pense, à classer Las Palmas et son site El Arsenal dans cette catégorie de «Water front» à réhabiliter. D’abord, les bateaux de touristes arrivent exactement par le quai voisin à El Arsenal. Il est question ici d’aménagement d’image de la ville et de sa porte d’entrée lors d’accès par bateau. Et il ne faut pas oublier que Canaria est une île, le transports par bateau n’est pas quelque chose de négligeable.

Ensuite, une ile entretient une relation particulière avec l’eau et son port et je l’ai vraiment compris à Las Palmas. Le port et la mer doivent être valorisés, la ville a la chance d’avoir une grande possibilité de relation à l’eau et c’est une chance que peu de ville ont ! Selon mes constatations, il serait temps par rapport à l’aménagement actuel et futur de la ville que El Arsenal lui soit cédé par l’armée. Le site semble être un élément clé du développement d’activités au travers le paysage portuaire qui est une richesse.

Un site comme El Arsenal fait bouillonner mon imagination. La ville pourrait y construire tout un nouveau quartier tourné vers l’eau ou en faire un espace totalement public. L’armée tient entre ses mains la clé d’un tournant majeur pour Las Palmas. Beaucoup d’initiatives, manifestes d’étudiants et d’architectes, s’enchaînent dans le but de faire découvrir et possiblement faire avancer les choses. La question reste à ce jour, la ville prendra t’elle un jour possession de El Arsenal ?  Tout ce mouvement et ces idées ne sont que pure spéculation, en définitive la solution réside peut-être ailleurs. Le problème majeur de la ville est pour moi l’autoroute, si El Arsenal subsiste, alors peut-être que c’est cette route infernale qui doit quitter. C’est au finale la question que je me pose, il serait peut-être temps pour Las Palmas, qui est une ville qui laisse encore une grande place à l’automobile, de prendre des initiatives radicales et de reprendre possession de son front de mer.

 

Anne Sergerie

Voyage effectué du 30 octobre au 5 novembre

 

SOURCES

Sites Internet

Articles

  • [Armada Espagnola], Arsenal de Las Palmas : Historia. Mis à jour le 4 décembre 2016, http://www.armada.mde.es/ArmadaPortal/page/Portal/ArmadaEspannola/conocenos_organizacion/prefLang_es/04_Apoyo_fuerza–01_jal–05_organos_perifericos–04_arsenal_las_palmas–01_historia_es,  Consulté le 4 décembre 2016.
  • [Gran Canaria], Historia del borde del mundo.
    http://www.grancanaria.com/patronato_turismo/Historia.332.0.html, Consulté le 5 décembre 2016
  • [N/A], Puerto de Las Palmas [En ligne]. Mis à jour le 7 octobre 2016, https://es.wikipedia.org/wiki/Puerto_de_Las_Palmas, consulté le 4 décembre 2016.

Images

  • [Service hydrographique de la marine], Baie de Las Palmas : Port de la Luz. https://www.delcampe.net/fr/collections/cartes/cartes-marines/baie-de-las-palmas-port-de-la-luz-iles-canaries-grande-canarie-carte-marine-105339152.html, consulté le 9 décembre 2016.

Mémoire

  • Leon Fumero Laura, Investigacion y proyecto : ENTORNOS URBANOS SOTENIBLES. Dans le cadre du cours atelier Territoires liquidesconsulté le 13 novembre 2016.
  • Ramos Diaz Josee, Arsenal 2100 : Entornos urbanos sostenibles. Dans le cadre du cours atelier Territoires liquidesconsulté le 13 novembre 2016.
  • Muller Justine, Nueva guia turistica : El parque nautico de Las Palmas. PFE publié en Janvier 2016, dans le cadre du cours atelier Territoires liquides, consulté le 4 décembre 2016.