«Je suis entré au Parti communiste, et j’y suis resté» C’est une phrase de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer qui témoigne de son engagement politique. «Il ne reste que deux communistes au monde, moi et Oscar.» lui répondra quelques années plus tard Fidel Castro.

Une architecture qui se veut politique, démonstrative de la puissance d’un parti politique, un parti à l’élan d’intellectuels et à la sève détonante ouvrière.

C’est peut-être la seule architecture politique aussi spectaculaire de Paris.

Oscar Nimeyer, au début des années 60, fuyait le régime dictatorial brésilien et était réfugié politique en France. Il est placé sous l’aile d’André Malraux alors ministre de la culture. Le général De Gaulle en personne rédigera une dérogation pour lui permettre d’exercer en France ce qui permet à l’architecte de continuer son activité, en accédant à certaines commandes comme au Havre ou comme ici, le siège du PCF. Une aubaine pour ce parti en pleine reconstruction.

Bientôt 50 ans que cette façade aux vitrages ondulés réalisés par Jean Prouvé reflète la place du Colonel Fabien. C’est en sortant de la station de métro, en contre bas de la parcelle, cachée par le dôme blanc que la façade se découvre.

Nous accédons au bâtiment par la place qui le devance, une place en pente, nous montons vers l’entrée. Cette place serpente autour du dôme, qui vient la percer. Une pente assez prononcée où il est impossible de se tenir droit. Elle nous mène jusqu’à la rampe qui marque l’entrée, surplombée d’une languette en béton qui elle aussi nous invite à descendre. Le bâtiment ne touche pas le sol, le béton qui compose la place gonfle et semble vouloir rejoindre la sous face. Un plan libre, un sol préservé, une vision communiste du partage du sol.

L’entrée se fait donc par en dessous, un dispositif qui renforce la grandeur du bâtiment. Une descente dans le béton, animée par des portes en verre sur vérin qui sont une démonstration de modernité, une sorte de futur du passé assez comique.

L’espace de l’entrée est assez sombre, massif par la présence du béton banché mais il reste très chaleureux. Un temps suspendu dans l’atmosphère des hautes heures du parti communiste français. Ce sous-sol abrite différents espaces. Un bunker aveugle  divisé en deux, les espaces publics, pour les expositions notamment, et les espaces privés pour accéder aux bureaux, les deux reliés par un accueil où les hôtesses nous dirigent vers l’un, ou l’autre.

Toute une topographie se développe dans la partie dédiée aux expositions. Les murs en courbes et contre-courbes dilatent puis contractent l’espace, léchés par un éclairage au sol qui fait ressortir le motif des banches. Cet aspect minéral est renforcé par certaines parois en béton brut, des restes d’anciennes fondations ou les traces des marteaux piqueurs sont encore visibles. Les plafonds, blanc, sont disposés comme des voiles, qui montent et descendent, ils donnent une dynamique à l’espace en laissant entrer quelques rayons de lumière. Parfois, des jeux de miroirs laqués noir disposés en quinconce viennent eux aussi dynamiser mais aussi décupler cet espace. Par endroit, le sol se soulève pour aménager des éclairages. Le sol en moquette verte coule vers la salle de conférence. Ce ventre blanc gonflé perce le plafond pour apporter de la lumière et forme ainsi une entité qui attire et se démarque dès l’entrée par sa luminosité.

entrée de la salle de conférence

Entrée de la salle de conférence

L’accès à cette salle de conférence se fait par le côté, par des portes penchées elles aussi sur vérin qui renforce l’aspect «science fiction» de cet espace. Le dôme est recouvert de lamelles blanches qui éclatent la lumière des néons dans chaque recoin de la salle. Des éléments aux formes organiques marquent des percements dans ce plafond qui descend jusqu’au sol. Ces espaces sont ceux des interprètes. En bas de la salle, une scène, où les vieux fauteuils en cuir, présents depuis l’inauguration font figure de trônes. Les tables sortent du sol, il n’y a pas de rupture entre une horizontale et une verticale, tout est fluide. Une languette similaire à celle de l’entrée surplombe cet espace scénique et accompagne les différents dispositifs acoustiques. Cette salle, c’est le lieu de la gestation, tant dans l’usage que dans une allégorie formelle dessinée par l’architecte. Un espace convoité, préservé, et souvent privatisé pour de grandes marques ou de grands films.

le dôme

Le dôme, vue intérieure

En sortant, nous accédons à divers espaces de repos, avec des assises, des tables et des éclairages tamisés. Le même langage formel et matériel continue ici, entre béton, moquette verte et cuirs marron. Des éclairages bas invitent à s’asseoir, c’est un espace très silencieux dédié aux réceptions. Plus loin, nous accédons à des salles de réunion. Autre lieu de naissance des idées, les plafonds sont recouverts du même dispositif que sous le dôme. Un plafond presque vivant, qui reprend des mouvements capillaires d’ondulation.  Des espaces presque mystiques, étranges, qui intriguent et servent aujourd’hui souvent de lieu d’exposition. Dans certains bureaux il y a une continuité du sol au mur, la moquette verte rejoint le plafond. Les tables de réunion sont en plan de la même forme que la pièce, elles épousent la forme des murs en laissant un passage tout autour. Ces espaces de réunion sont très réglés, rien n’est laissé au hasard, c’est un dessin très poussé par l’architecte qui amène à une ambiance très spécifique. C’est à cet endroit que sont reçues les délégations étrangères, certainement impressionnées par ce contrôle total sur nos sens, privés de vues vers l’extérieur et des bruits de la ville.

Salle de réunion

Salle de réunion

Nous nous dirigeons ensuite vers l’étage, qui accueille les bureaux et développe un vocabulaire complètement différent. Pour s’y rendre nous empruntons l’escalier principal. Il y a 5 étages de bureaux avec un couloir central, nous y passons rapidement pour ne pas déranger les personnes qui travaillent, même si ce jour la il n’y avait personne.

Les anciennes affiche du PCF sont encore collées aux murs et les portraits de Robert Hue tronent fièrement.

Au-dessus des bureaux une grande cafétéria avait été aménagée, elle est aujourd’hui presque à l’abandon laissant de larges patios sans vie. Une vue imprenable sur la capitale qui est rare pour ces espaces généralement relégués en sous-sols. La façade de Jean Prouvé est assez incroyable. Les ouvrants ne disposent pas de menuiserie, ce sont des feuilles de verre qui peuvent directement s’ouvrir. Un dispositif qui participe à la légèreté et à la transparence de cette façade.

vue depuis la terrasse

Vue depuis la terrasse

Au dessus de ce niveau se développe un toit terrasse, accessible par un escalier en colimaçon. Cette toiture propose une topographie toute en béton, une sorte de paysage rapporté qui répond à celui du sous sol. Un paysage exclusivement minéral où sont proposés des assises et des espaces pour s’allonger. Cette installation sculpturale n’était pas prévue dans les premiers dessins. Elle répond à un désir de dissimuler des gaines d’aération ajoutées au dernier moment. En effet, pendant le chantier les membres du PCF craignent un attentat au gaz, une rumeur qui se répand vite et qui amène à apporter des modifications de sécurité au nouveau siège.

«L’ennemi de l’angle droit et du capitalisme»

Cette formule lisible dans les publications du parti communiste pour justifier le choix de Nimeyer pour la réalisation de ce projet prend forme dans la partie en sous sol qui est alors nommée «foyer de la classe ouvrière».

Pour ce projet, rien n’est laissé au hasard. Le projet commence en 1967, une période de profonde restructuration au PCF appelée la période d’aggiornamento en référence aux reformes menées quelques années plus tôt dans l’église catholique. Une période de débats idéologiques et théoriques, sur la place de l’humanisme, sur la question de la création, mais aussi une période de remise en question de la politique de l’URSS dont le PCF se détache peu à peu. C’est également un moment de grands mouvements sociaux, venant des étudiants et des ouvriers qui ne seront que peu soutenus par le PCF.

A ce moment, l’instance centrale du PCF est dispersé en plusieurs sièges dans Paris, ce qui ne permet pas de rassembler l’ensemble des forces. Ces sièges sont empreint d’une image vieillissante.

C’est l’ensemble de ces éléments qui conduit le PCF à un désir de nouveau siège. Au-delà de faciliter l’organisation du parti, il aura pour but de synthétiser les nouvelles dispositions et positionnements politiques de ce parti, notamment vis-à-vis de l’URSS, tout en prônant un acte créateur par le biais de l’architecture. Aucun des architectes proches du parti ne veut prendre cette responsabilité. Les attentes de ce projet sont telles, qu’aucun n’en prendra la charge. Pierre Macherey parlera même d’aliénation.

La présence de l’architecte brésilien est une aubaine, il est habitué à l’architecture communiste. Cependant, le PCF lui fait la demande d’une monumentalité réservée, pour ne pas reproduire une architecture stalinienne, l’ouvrage doit être un miroir de l’aggiornamento. «La transparence a également servi de parure symbolique» contre une politique opaque. Une transparence qui n’est qu’une illusion car de l’extérieur le verre est opacifié et réfléchissant, à l’intérieur, de hautes cloisons amovibles renvoient à une culture du secret.

Pour le PCF, Nimeyer est la figure qui permet d’associer cette réalisation au mouvement moderne associé à un désir de modernisation. L’emplacement est lui aussi très symbolique. En plein quartier de Belleville, un quartier très populaire et ouvrier, le PCF s’implante au centre de ses préoccupations. Il propose une nouvelle centralité dans ce quartier. En contre poids de cette justification largement communiquée dans la presse communiste, le projet devait être suffisamment haut pour cacher les «habitations bon marché» qui étaient derrière.

La place qui fait face, place Colonel Fabien (PCF), est un rattachement à une histoire du partit en pleine réécriture. Une affirmation des valeurs anti-fasciste. Le colonel Fabien était un jeune ouvrier communiste espagnol qui a organisé la résistance contre Hitler jusqu’en France et pour laquelle il a trouvé la mort. Tout un symbole.

L’organisation du bâtiment, avec des hauts responsables dont les bureaux sont au dernier étage (proche de la cantine, rien que ça) et où la place du foyer des ouvriers est en sous sol, reflète l’organisation hiérarchique du parti.

Le siège du PCF marque donc un réel désir de rayonnement politique. Il scelle l’âge d’or de ce parti, à travers un bâtiment résolument moderne, pour rattacher le parti à son temps. Il propose par endroit une vision technologique du futur et refuse les formes capitalistes comme celles de l’angle droit. Un bâtiment difficilement pénétrable, où il a été demandé, dès la construction, un contrôle total des entrées. Encore aujourd’hui, et après un mois de  négociation avec les services du parti, s’est en clandestin que cette visite c’est effectuée. Un bâtiment impénétrable, caché derrière une fausse transparence mais qui permet de conserver intacte une époque où le communisme était un parti puisant en France.

Façade coté place - Crédit photographique Marie-Paule Halgand

Façade coté place – Crédit photographique Marie-Paule Halgand

Adrien Le Bot

Voyage réalisé en Octobre 2016

http://www.ina.fr/video/CAF94060709/nouveau-siege-pc-video.html

GROSSMAN, Vanessa, Le PCF a changé ! Editions B2, 2013