Comment l’architecture d’Athènes a défendu les intérêts du pays au cours de l’histoire.

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Les rues de Exarquia envahies par les graffitis. Photo : Héloïse Gervey

Athènes.

J’en ai surtout entendu par la crise économique de 2008 puis par ses envies consécutives de quitter l’Europe. Et tout de suite en sortant du métro, on peut voir les séquelles d’une ville marquée. Partout des constructions récentes non achevées, des commerces abandonnés, et une quantité phénoménale d’affiches, de stickers, de tags, et même de banderoles qui envahissent les rues plus que tout autre endroit qu’il m’avait été donné de visiter auparavant. La ville bouillonne, une sorte d’électricité règne ici, un mélange d’engagement politique et de ferveur méditerranéenne que j’ai retrouvé dans les villes du sud.  Mais à Athènes, l’ambiance a quelque chose de dramatique. L’ampleur de la crise qui frappe le pays se conjugue avec le nombre de réfugiés partout dans la ville et s’ajoute à toute la drogue que l’on voit dans la rue.

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Conférence avec Yannis El Mansour. Photo : Héloïse Gervey

Les premiers jours passent, on se promène, Exarquia est notre point de chute. Le quartier est anarchiste, des squats sont établis à tous les coins de rue, jusque dans l’enceinte de l’école polytechnique d’architecture et d’ingénierie civile. A chaque jour une nouvelle conférence à l’école, les intervenants se succèdent et me rappellent la menace fasciste qui se terre derrière la mémoire de chacun d’entre eux. Je me souviens alors du mouvement « aube dorée » qu’on avait vu à la télé : le parti néonazi -avec tout le folklore dont ils sont capables- avait accédé à plusieurs hautes sphères du pouvoir et terrorisé le quartier avant l’arrivée de la gauche radicale au gouvernement. Le séjour continue ; lors d’une balade, un escadron d’avions de chasse survole la ville dans un bruit effroyable. On nous fait alors remarquer que la Grèce ne connaît la paix que depuis peu de temps finalement : la seconde guerre mondiale puis la guerre civile ont duré jusqu’en 54. La dictature qui s’en est suivie et son cortège de répressions ont marqués la culture hellénique jusqu’à l’arrivée du parti socialiste en 1981. De l’avis de plusieurs rencontres, la Grèce n’a en fait jamais vraiment eu les deux pieds dans l’Europe, elle a toujours été le théâtre des conflits entre les alliés et l’axe, entre les blocs soviétiques et américains, entre le Moyen Orient et l’Europe qu’elle n’a intégré qu’en 1986. Cette entrée dans l’Europe est jugée vitale par beaucoup dans le petit pays, ils pensent qu’il faut choisir le bon protecteur pour pouvoir tirer son épingle du terrible jeux diplomatique qui s’y trame depuis le 17eme siècle.

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Photo issue d’un quotidiens en ligne, les avions de chasse passent au dessus de la ville

En discutant avec Toufik Hammoudi, nous avons compris des conséquences de ce jeu diplomatique qui m’étaient alors insoupçonnées sur l’architecture dans tout le pays. Une des conférencières nous a raconté comment l’architecture néoclassique, inspirée du Parthénon, avait connu d’abord un succès énorme dans l’Allemagne et dans la France du 18e siècle. Le fait qu’elle permettait aux peuples européens de retrouver leurs origines antiques dans une architecture monumentale, incarnée par l’empire romain qui domina le monde méditerranéen, eu un franc succès au près des grandes puissances de l’époque.  Mais aussi en Grèce : en effet, le développement de l’architecture néoclassique dans le pays se doublait d’un enjeu politique pour montrer aux puissances occidentales que la Grèce pouvait être un grand pays, et se démarquer de la domination ottomane dont elle subissait le joug à l’époque.

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Couverture de la Chartes d’Athènes, ed. Plon, 1964

En y réfléchissant nous nous rappelons une histoire similaire : plus tard, Le Corbusier visita le Parthénon. Le père de l’architecture moderne utilisa en exemple le monument qui avait influencé le plus l’architecture des siècles derniers pour donner force à son propos : Jean Pierre Chupin, dans son ouvrage « Analogie et théorie en architecture » résume ainsi le livre : « Le Parthénon est au temple Grec ce que la Deloréanne est à la voiture, l’aboutissement d’une idée technologique » (p27) et de continuer ensuite sur la nécessite pour l’architecture de suivre la voie de la modernité, son développement industriel, etc. La Grèce encore une fois embrassera avec enthousiasme l’essor occidental des années 60 et les traces du modernisme sont nombreuses dans la ville. La construction d’un réseau autoroutier quadrille depuis la ville. Partout, on retrouve la même typologie de bâtiments issue de la charte d’Athènes.  A l’est de la ville, la croissance industrielle s’étale sur près d’un quart de la surface de la métropole. Ce ne sont là que quelques exemples d’une période qui laisse des marques omniprésentes de son passage, grâce à la volonté de reconstruire le pays au lendemain de la guerre civile.

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Les autoroutes transpercent la ville et la quadrillent, Photo : Taavi Neemu

L’influence américaine de cette même époque permit aux grecs, qui n’avaient pas de constructeurs automobile nationaux, de conduire les grosses américaines des années 50. Le plan Marshall y investit plus d’argent par habitant que partout ailleurs en Europe, et provoqua alors aussi son cortège d’architectures américanisée, la montée d’une street life dans Athènes avec ses cabarets, cinémas, et music-halls qui peuplèrent le centre.

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Images d’archives du Athènes des années 50 https://ourathens.blogspot.fr/2014/01/blog-post_5244.html

 

Donc Athènes est entièrement composée de toute ces architectures inspirées d’ici mais imaginées par des gens d’ailleurs. Chaque période a laissé derrière elle quantité de vestiges, depuis l’antiquité jusqu’à des bâtiments tout à fait récents dont la construction n’a jamais été finie. En visitant Athènes, en assistant aux conférences, on a l’impression que les grecs ont tout vu, tout entendu, des crises les plus invraisemblables aux plus absurdes, des politiques de la ville qui ont toutes produit quelque chose mais qui ont toutes échouées dans leurs différents objectifs. On en vient à se demander comment une métropole de 4 millions d’habitants peut fonctionner avec si peu de clairvoyance, en se sachant complètement dépendante de phénomènes qui dépassent largement l’échelle de son territoire.

Pourtant la capitale vit, il s’y passe une quantité incroyable de choses, et les Athéniens semblent avoir un don mystérieux pour s’accommoder de toute ces crises qu’ils intègrent et empilent comme les constructions de la ville. Peut être parce qu’ils ont pris l’habitude de jongler avec la paix fragile. Athènes, une ville qui prendrais le temps du conflit pour évoluer, qui se vaccinerais des théories pour en insuffler la bonne dose ? L’idée, saugrenue, semble faire exemple ici et mérite que j’y retourne un jour, pour voir en vrai de quoi il en retourne.

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Métro ligne 2 avant la station Monastiraki, Photo Alice Desmots

Alexis Cazeaux, voyage à Athènes du 19 au 26/03/16

Bibliographie :

La charte d’Ahtènes, Le Corbusier, 1933, ed. Seuil

Paris – Rome – Athènes : le voyage en Grèce des architectes français aux XIX et XX siècles, 1982, Paris, ed. École nationale supérieure des Beaux-arts

Histoires d’architecture, Jean Taricat et dessins de Jacques Ziegler, 2003, Ed. Parenthèses

Neoclassical architecture in Copenhagen & Athens, L. Balslev Jorgensen et Demetri Porphyrios, 1987, revue Architectural design, vol. 57, no 3