En 1546, le célèbre architecte toscan Giorgio Vasari écrivait qu’un jour, « Les Florentins décidèrent de construire, au sein de leur ville, une église principale qui, par ses dimensions et sa magnificence, fût telle qu’on n’en pût souhaiter voir surgir de plus grande ni de plus belle de la main des hommes ».

Ainsi, en arrivant dans la capitale de la Toscane, je m’attendais à être émerveillé par la beauté du Duomo de Florence et de son dôme, chef d’œuvre de Brunelleschi, initiateur de la Renaissance architecturale italienne. En revanche, je ne pensais pas être autant étonné par la façon dont la cathédrale s’insère dans le tissu urbain de la ville, et par la manière dont l’édifice est perçu depuis les rues adjacentes. 

La piazza del Duomo, abritant non seulement Santa Maria del Fiore mais également un campanile et un baptistère, est en effet une place unique en son genre, donnant à voir aux visiteurs ces édifices d’une manière bien particulière, et sans pareil.

Après plusieurs voyages en Italie (Venise, Bari, Rome, Pise, Sienne et Milan), je m’étais familiarisé avec ces immenses places aménagées devant les plus belles cathédrales et églises, permettant de prendre le recul nécessaire pour admirer l’ensemble de l’édifice et en apprécier la monumentalité. Les rues alentour étaient d’ailleurs souvent orientées vers cette place, avec de longues percées laissant deviner la silhouette du lieu de culte depuis de nombreux lieux dans la ville. C’est le cas à Rome par exemple, où l’immense percée mussolinienne donne à voir la Basilique Saint-Pierre depuis le Castel Sant’Angelo. On peut également citer l’exemple de Milan, où là c’est même l’ensemble de la ville qui s’organise autour du Duomo et de son immense place, les différentes avenues sillonnant le tissu urbain s’étant organisées de manière concentrique autour de la cathédrale.

Plan de Milan avec son Duomo (à gauche) et plan de la percée mussolinienne à Rome (à droite)

Plan de Milan avec son Duomo (à gauche) et plan de la percée mussolinienne à Rome (à droite)

A Florence en revanche, la Piazza del Duomo, située au cœur du centre historique de la ville, se distingue d’une tout autre manière. Point d’immense esplanade où s’entassent les vendeurs de roses et où les touristes viennent lécher leurs glaces. Nulle possibilité d’utiliser son smartphone pour capturer un magnifique panorama à montrer à sa famille au retour. Il n’y a en effet qu’un très faible recul entre la cathédrale et les bâtiments la bordant. Il n’existe pas d’endroit sur la place où vous pourrez avoir, dans le même angle, une vue dégagée sur Santa Maria del Fiore, sur le campanile et sur le baptistère. Il en résulte un jeu de perspectives étonnant, révélant puis cachant tour à tour au visiteur les différents trésors que la place renferme.

« L'entassement » des chefs-d’œuvre sur la place

« L’entassement » des chefs-d’œuvre sur la place

Mais avant d’étudier d’avantage cette place et de chercher à comprendre comment s’y crée le jeu de perspectives, il est nécessaire d’en savoir un peu plus sur ces bâtiments présentant un grand intérêt architectural.

Les trois édifices qui font la réputation de la Piazza del Duomo sont de véritables chefs-d’œuvre de l’architecture toscane. Le tout premier édifié, le Battistero San Giovanni (baptistère San Giovanni), est non seulement un des édifices les plus remarquables de la ville, mais également un des plus anciens. Il a effectivement été bâti au IV ème siècle, devant l’église Santa Reparata (l’église qui occupait originellement la place de Santa Maria del Fiore). Cependant, la construction originelle a subi de nombreux travaux au cours du temps. Ainsi en 1059, le baptistère est reconstruit sur un plan octogonal (inspiré du plan du Panthéon), et se voit même promu au rang de cathédrale suite à la désaffection de Santa Reparata. En 1150, la lanterne que l’on peut admirer aujourd’hui est construite sur la toiture pyramidale de marbre, elle-même édifiée en 1128. Les travaux se poursuivirent jusqu’au début du XV ème siècle pour donner au baptistère l’apparence qu’on lui connaît aujourd’hui, avec notamment sa célèbre porte du Paradis, sculptée dans le bronze par Lorenzo Ghiberti. C’est la pureté de sa forme géométrique, ainsi que la richesse des marqueteries de marbre vert (de Prato) et blanc (de Carrare) qui confèrent à cet édifice son aspect si unique. On est en effet ici assez loin de l’art roman « traditionnel » répandu à l’époque. La bichromie et le raffinement des décorations de la façade sont caractéristiques de l’art florentin.

Le baptistère San Giovanni

Le baptistère San Giovanni

Juste en face, à peine à une vingtaine de mètres, on retrouve le splendide portail du Duomo de la ville. A la fin du XIII ème siècle, la ville de Florence décide d’ériger une nouvelle cathédrale, d’une taille impressionnante, à la place de l’église Santa Reparata (datant du IV ème siècle), décrite par Giovanni Villani comme étant « de forme trop grossière et trop petite pour une cité si établie ». La décision de construire un tel édifice vise également à concurrencer les cités rivales, Sienne et Pise, qui venaient d’achever leur propre duomo. La construction démarre en 1296, sous le commandement dArnolfo Di Cambio, ayant déjà travaillé sur Santa Croce, autre église majeure de Florence. Le chantier se poursuit jusqu’en 1415, date à laquelle le tambour octogonal est achevé. Mais en l’absence de solution technique pour bâtir la coupole, ce tambour reste un immense occulus dans l’église. Ce n’est qu’en 1418 qu’une solution est trouvée, par l’architecte florentin Filippo Brunelleschi. Débute alors la construction de ce qui deviendra le plus grand dôme du monde en maçonnerie, et marquera le début de l’architecture de la Renaissance italienne. Quant à la magnifique façade de marbre blanc, vert et rose telle qu’on la connaît aujourd’hui, elle ne fut réalisée qu’à la fin du XIX ème siècle ! En effet, la façade originelle est longtemps restée inachevée, et les différents projets pour la terminer n’ont jamais été concluants.

La façade de Santa Maria del Fiore

La façade de Santa Maria del Fiore

Enfin, le dernier élément de la « trilogie » est le campanile, dessiné par l’architecte Giotto. Mais après la mort de celui-ci, le projet est repris par Pisano, qui s’éloigne fortement du dessin de base sur le premier étage. La fin de la construction est alors confiée à Talenti qui revient à la conception de Giotto. Tout en marqueteries de marbre rose, blanc, rouge et vert, la façade du campanile inspira fortement les différents architectes qui dessinèrent les façades de Santa Maria del Fiore.

Le Campanile, vu depuis la coupole

Le Campanile, vu depuis la coupole

Malgré une apparente unité dans l’ensemble, nous avons donc affaire à trois édifices ayant été construits à des époques bien différentes, le baptistère étant un rare témoignage du roman florentin, le campanile un trésor du gothique toscan et la coupole de Santa Maria del Fiore la première réalisation architecturale de la Renaissance. Et il en va de même pour la place. La Piazza del Duomo est en réalité la réunion de deux places : la place de la cathédrale et la place San Giovanni. Cette dernière a été tracée au IV ème siècle, en même temps que le baptistère. Elle n’était d’ailleurs à l’origine qu’un simple couloir entourant l’édifice, qui s’est progressivement élargi. Quant à la première, elle s’est peu à peu créée au fur et à mesure des travaux qui ont mené au duomo tel qu’on le connaît aujourd’hui. Les bâtiments entourant Santa Reparata ont été petit à petit détruits pour permettre la construction de Santa Maria del Fiore, d’une taille trois fois plus importante. On comprend alors pourquoi le tissu urbain est resté assez dense autour de la place. La largeur des rues permettait pourtant autrefois à de nombreux commerçants d’y vendre leur marchandise. Il doit donc bien y avoir un autre facteur à cette sensation de « non recul » que l’on peut éprouver sur le site…

Plan de la place du Duomo

Plan de la place du Duomo

Cet autre facteur est bien évidemment la monumentalité des édifices. L’effet aurait été tout autre si la coupole ne culminait pas à 114 mètres, et le campanile à 85 mètres. La hauteur des bascôtés de la cathédrale procure également un sentiment d’écrasement quand on débouche sur la place depuis les rues qui leur sont perpendiculaires. Arrivé le premier soir par la rue donnant sur la façade nord, j’ai été saisi par ce mur se dressant devant moi, sur lequel la répétition des motifs décoratifs ne faisait qu’intensifier la verticalité.

Le « mur » édifié dans le tissu urbain

Le « mur » édifié dans le tissu urbain

Très peu de rues donnant sur la place permettent d’ailleurs d’avoir un recul sur les bâtiments qu’elle abrite. Il n’y a que les deux rues à l’ouest, qui arrivent donc devant le baptistère. La plus au nord ne permet de voir qu’une abside et une partie de la façade ouest, le champ visuel étant bloqué par le baptistère à l’entrée sur la place et empêchant de voir l’intégralité de la cathédrale. La plus au sud offre cependant une percée intéressante sur le campanile, et est peut-être le seul angle de vue d’où l’on peut observer dans un même plan (du moins partiellement) le campanile, le Duomo et le baptistère. Toutes les autres vues voient rapidement leur horizon fermé par les motifs du campanile, du baptistère ou du duomo, comme on peut le voir sur ce relevé.

Relevé des angles de vue sur la place depuis les rues adjacentes

Relevé des angles de vue sur la place depuis les rues adjacentes

Si la proximité de ces édifices et leur monumentalité empêchent d’en avoir un aperçu d’ensemble sur la place, le jeu de perspectives qui se crée alors, n’en est pas moins intéressant. En effet, la succession de plans en fonction de l’endroit où le regard se pose, offre une découverte permanente et un émerveillement constant. Le visiteur pourra, à sa guise, faire se superposer les motifs du baptistère avec celui du portail ; puis du campanile. Puis comparer la hauteur de celui-ci avec celle de la coupole. Et enfin revenir quelques pas en arrière pour opposer les nervures de la forme ovoïdale de celle-ci aux arêtes de la coupole octogonale du baptistère… Un jeu permanent de matières et de formes permet de redécouvrir la place sans arrêt, de se créer inlassablement de nouveaux points de vue, contrairement à une « vue standard » qu’offrirait une simple place devant le portail du duomo. Un régal pour les photographes et les dessinateurs !

Jeu de matériaux entre la façade du Duomo et le Campanile

Jeu de matériaux entre la façade du Duomo et le Campanile

De plus, la forme non rectangulaire résultant de la réunion des deux places permet de découvrir au fur et à mesure la cathédrale en en faisant le tour. Tous ces éléments architecturaux ne se dévoilent pas d’un seul coup. Chaque virage révèle une nouvelle surprise. La richesse de la décoration des trois édifices, depuis la plus grande à la plus petite échelle, créé un aller-retour permanent de l’œil entre les sculptures dans les niches, les marbreries, les lanterneaux, les colonnes, …

La coupole du baptistère

La coupole du baptistère

Cette richesse de l’ornementation des façades est d’ailleurs l’élément qui assure l’unité des bâtiments sur la place. En effet, les intérieurs des trois édifices sont, eux, très différents. La sobriété du campanile et de Santa Maria del Fiore contrastent avec la mosaïque dorée recouvrant l’intérieur de la coupole du baptistère (qui n’est pas sans rappeler un certain style byzantin, bien que réalisée au XIII ème siècle).

La Piazza del Duomo est donc une place peu commune. Au delà de la magnificence des bâtiments qu’elle renferme, elle les donne surtout à voir d’une manière unique, offrant sans arrêt un assemblage, un collage différent ; en fonction d’où le visiteur se trouve, et où il pose son regard. Un jeu de perspectives en immersion pousse à ne pas seulement regarder l’architecture depuis un point de vue, mais à l’observer, depuis son propre point de vue. La proximité créée sur cette place, rapproche le spectateur des édifices, et pas seulement d’un point de vue physique. Lorsque l’on dîne à la terrasse d’un des restaurants de la place, on ne mange pas devant le duomo, mais avec le duomo.

Et si vous souhaitez malgré cela quitter Florence avec une belle photo d’un panorama sur la cathédrale, rien ne vous empêche de grimper jusqu’à San Miniato al Monte, d’où vous pourrez avoir l’une des plus saisissantes vues sur la ville.

Florence et son Duomo, depuis San Miniato al Monte

Florence et son Duomo, depuis San Miniato al Monte

Hans Fritsch

Voyage effectué du 25 juillet au 5 août 2016

Bibliographie

Ouvrages :

DE COSTER Léon, NIZET François. 16 promenades dans Florence. Éditions Universitaire. Begedis, 1990, 357 p. (« Découvrir l’architecture des villes »)

NALDI Alessandro. Les places de Toscane : fonctions et architecture de l’espace public. Édito-Éditions Citadelles & Mazenod. Paris., 2006, 240 p.

Pages internet :

Centre historique de Florence [en ligne], UNESCO. Disponible sur http://whc.unesco.org/fr/list/174/ [consulté le 13 novembre 2016]

Santa Maria del Fiore [en ligne], wikipédia. 19 novembre 2016. Disponible sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Santa_Maria_del_Fiore [consulté le 12 novembre 2016]

Baptistère Saint-Jean (Florence) [en ligne], wikipédia. 13 février 2016. Disponible sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Baptist%C3%A8re_Saint-Jean_(Florence) [consulté le 12 novembre 2016]

Piazza del Duomo (Florence) [en ligne], wikipédia, 23 août 2015. Disponible sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Piazza_del_Duomo_(Florence) [consulté le 12 novembre 2016]