C’est seulement une fois assise dans l’avion, alors que les discussions en français s’estompaient peu à peu pour laisser la place au Mandarin, que j’ai commencé à réaliser que j’allai passer deux mois à l’autre bout du monde sans savoir parler un seul mot de chinois. Comme pour me rassurer, je sortis de mon sac le fameux routard sur la Chine et commença une longue et passionnante lecture sur la ville de Guangzhou dans laquelle j’allais séjourner, le voyage avait déjà commencé. 

Un petit mot sur la Chine

Quand on pense à la Chine, on peut songer d’abord à son économie florissante. Aujourd’hui la Chine est la deuxième puissance économique mondiale. On sait que depuis l’année 1978, elle a connu une croissance exceptionnelle. Par ailleurs, on parle de la Chine comme étant « l’usine du monde ». C’est bien le pays le plus industrialisé et le plus peuplé du monde avec 1,3 milliards d’habitants. Dans ce contexte, comment s’organisent et se développent les villes ? Comment font-elles pour accueillir tout ce monde ? Même si l’on en parle peu, on constate le développement d’une urbanisation massive et brutale depuis les années 80. Elle se justifie en partie par l’apparition d’une classe moyenne, classe moyenne qui ne cesse de croître. Environ 400 millions de personnes aujourd’hui, soit plus d’un quart de la population chinoise. Ce type de développement a donné à certaines villes des formes urbaines bien atypiques.

Guangzhou

Dans la ville de Guangzhou, ce modèle d’urbanisation est très lisible et en devient même caractéristique. Cette ville se situe au sud de la Chine, à seulement deux heures de Hong-Kong, sur les berges du delta du fleuve des Perles. Guangzhou est la capitale de la province du Guangdong, extrêmement dense, c’est la troisième ville la plus peuplée de Chine après Pékin et Shanghai, on y compte 17081 habitants au km2. Guangzhou est également couramment appelé « Canton ». On y parle le «Cantonais », dialecte différent du dialecte mandarin employé en majorité dans le reste de la Chine. Sa proximité de Hong-kong, a favorisé l’émergence de la ville dans les années 80. Du fait de sa situation géographique stratégique, Guangzhou est devenu un centre industriel et commercial très important. Pour avoir un ordre d’idée, avec la ville de Shenzhen, elles représentent à elles seules, un quart des exportations de produits manufacturés de tout le pays. La ville de Guangzhou serait effectivement un bon exemple de ce que peut produire une urbanisation massive et extrêmement rapide ou se côtoient deux modes d’habitat.

Vue des logements depuis la voiture

Entrée dans la ville

Les nouvelles constructions sont extrêmement denses. Elles s’élèvent sur des centaines de mètres, elles peuvent atteindre un nombre d’étages impressionnant. La distance qui sépare chaque immeuble est très faible (pour perdre le moins de surface au sol), les buildings s’imbriquent les uns dans les autres formant ainsi de nouveaux quartiers. Les bâtiments n’ont aucune identité puisqu’ils sont tous parfaitement reproduits à l’identique. C’est également ce qui accentue le caractère écrasant et grossier de ces ouvrages. La répétition d’un même objet qui conserve son gabarit, produit un effet de masse: on ne distingue plus un bâtiment mais un ensemble d’habitations.

Premières sensations

Ainsi, je me suis sentie minuscule à l’intérieur de la voiture. Ce changement d’échelle transforme notre perception de la ville, celle-ci semble se répéter à l’infini. Et elle a pris alors une toute autre dimension. C’est aussi la raison pour laquelle, plus tard, j’ai ressenti certaines difficultés à m’orienter, à trouver des repères dans la ville. Cette absence de singularité, est un phénomène récurrent à l’échelle du pays, voire même du continent asiatique. Elle tend à fabriquer des villes dites « génériques », une expression employée par l’architecte Rem Koolhas dans son ouvrage « S, M, L, XL » -1995 lors d’une étude urbaine réalisée en Thaïlande, au Vietnam et en Corée.

Expression de la ville générique

Expression de la ville générique

Petit à petit ces constructions écrasent les villages plus traditionnels, soit en les substituant, soit en les juxtaposant. L’échelle de ces building est d’autant plus imposante lorsqu’elle est comparée aux maisons traditionnelles, à échelle humaine. On voit se dessiner alors, un nouveau paysage très contrasté, confrontant deux écritures architecturales, l’une rurale, l’autre urbaine, aux morphologies distinctes et aux modes d’habiter divergents. Cette dualité est constamment présente, elle compose le tissu urbain actuel de la ville en formant de nombreuses enclaves urbaines. Le résultat n’est ni homogène ni harmonieux. Le contraste qui tend à opposer l’architecture traditionnelle à l’architecture plus moderne devient caractéristique de la ville de Guangzhou. C’est aussi ce que l’on appelle les VIC, les « villages dans la ville » un phénomène qui émergerait dans les banlieues chinoises au cours de la transition urbaine, du rural à l’urbain, d’après le livre Village in the City de Bruno De Meulder, Yanliu Lin, et Kelly Shannon. Cette violente et soudaine urbanisation me donne l’image d’une ville rigide et angoissante à travers la fenêtre de la voiture, je redoute un peu l’idée de devoir habiter dans ces grandes barres perdues au milieu de rien. Je comprendrai un peu plus tard que cette disparité physique, ces formes architecturales contrastées, s’accompagnent d’une disparité sociale. Traduction de fortes inégalités et d’écarts de développement importants entre les deux milieux.

Par ailleurs, au cours de la transition urbaine, avec l’afflux de population, l’utilisation des sols s’intensifie, les infrastructures se multiplient pour desservir la ville. C’est également ce que je ressens toujours dans la voiture sur le trajet depuis l’aéroport à la résidence étudiante où je vais séjourner. Aucune priorité, chacun pour soi, petit ou gros, il faut prendre des risques, s’engager le premier, s’imposer parmi tout ce monde et prier très fort pour que ça passe ! J’observais par la fenêtre des familles de 4 à 6 personnes perchées sur de si petites mobylettes, se frayant adroitement un chemin entre les voitures. Une situation chaotique, des routes dans tous les sens, et toujours les retentissements des klaxons, caractéristiques des grandes villes. Un trafic brouillon et désordonné.

La rue de Zhichang

La rue de Zhichang

Finalement, je suis arrivée dans les quartiers dits plus « traditionnels » autour desquels la ville s’est développée et s’est densifiée. D’après Village in the city, la paupérisation, l’absence de service, la spéculation, la surdensification génèrent une image plutôt défavorable de ces quartiers. On aurait tendance à les assimiler directement à des bidonvilles. Les affreuses barres de logement n’avaient pas pour autant disparu, elles faisaient toujours partie du paysage même si, dans ce quartier, elles semblaient plus effacées par l’animation continue des rues. C’est la réelle différence entre ces quartiers où l’on a encore des relations de voisinage, où les rues dégagent une chaleur humaine, au contraire des grands ensembles uniformes des quartiers neufs. En effet, ici l’environnement est sonore, il y a l’excitation de la rue, et des grands arbres qui nous surplombent. Ils tiennent à distance le paysage urbain bétonné.

Quartier Haizhu

Quartier Haizhu

Mon expérience de la rue cantonaise

La rue mobilise tous nos sens, si bien qu’on ne prête presque plus attention à l’environnement très dense et construit qui nous entoure. L’atmosphère des rues est particulière, il fait très chaud et humide. Il y a des gens partout, dans tous les sens, à pied à vélo, en mobylette, en bus, ou en voiture… Ici la hiérarchie est inversée, les véhicules sont prioritaires sur les piétons. C’est complètement contradictoire avec la psychologie européenne actuelle, elle qui prône des centres villes aux circulations douces. Une autre chose tout à fait surprenante, c’est l’odeur qui se dégage de la rue, elle est accentuée par la chaleur et l’humidité. Cette odeur provient essentiellement des étals disposés de part et d’autre de la rue sur les trottoirs. Des étals de viandes, de fruits et légumes, de vêtements, semblables aux marchés occidentaux mais intégrés dans la rue comme le prolongement des commerces. On ne peut donc pas y échapper car c’est l’espace public du trottoir que se sont appropriés les habitants. Ces odeurs font partie du quotidien. Ils ne les sentent plus avec le temps. La circulation sur les trottoirs est très importante, et comme dans les marchés, les gens s’agglomèrent autour des étals pour attendre leur tour, bloquant ainsi le passage des autres. On zigzague de trottoir en trottoir, tout en esquivant les engins motorisés qui circulent au centre. Finalement il est assez périlleux d’emprunter la rue et paradoxalement quand on arrive dans le métro souterrain avec l’air conditionné, on a l’impression de respirer librement.

Quelques visites

Ma première visite a été celle du temple des Ancêtres de la famille Chen situé sur la grande avenue Zhongshan.

Temple des Ancêtres de la famille Chen

Temple des Ancêtres de la famille Chen

Ce temple a été construit en 1894 par le clan Chen sous la dynastie Qing, dans un style architectural que l’on appelle le « Lingnan » caractéristique du Guangdong. Le style cantonais est facilement identifiable par sa forme singulière et la décoration de ses toitures. La famille Chen l’a érigé afin d’honorer et de vénérer ses ancêtres. En 1959, ce temple a été converti en musée folklorique des arts. Lors de la révolution culturelle de Mao en 1966, beaucoup d’édifices ont été détruits, il est donc assez rare de trouver des monuments historiques dans la ville ; celui-ci à été épargné. Aujourd’hui, les cantonais en sont fiers, c’est l’un des plus importants et le mieux conservé de la capitale provinciale. Le temple se compose de trois sanctuaires principaux, de petits pavillons et des cours, il est assez difficile de s’y repérer. La nature y est omniprésente, elle fait ressortir les couleurs des fresques qui contrastent avec les murs de pierre.

Une visite beaucoup plus contemporaine, cette fois-ci je me rends dans le district de Tianhe où se trouve aujourd’hui le grand centre d’affaire de la ville de Guangzhou, et le nouveau quartier de Zhujiang. C’est un petit Manhattan chinois, on y observe la course aux buildings les plus innovants. Je me rends à l’opéra réalisé par l’architecte Zaha Hadid.

L'opéra de Guangzhou - Zaha Hadid

L’opéra de Guangzhou – Zaha Hadid

D’après un article du Monde écrit à l’inauguration de cette œuvre, la construction de l’opéra ferait partie d’une grande « opération urbaine qui a accompagné l’organisation des Jeux Olympiques de 2008 ». Un concours international a d’abord été organisé en avril 2002, auquel ont participé également d’autres figures de l’architecture comme Coop Himmelb(l)au et Rem Koolhaas. C’est finalement le projet de Zaha Hadid qui sera retenu, « deux grands galets polis, deux blocs aux formes à la fois étranges et naturelles » cite l’article du Monde. Je n’avais peut être pas assez de recul sur le bâtiment, mais ce n’est pas l’image que j’avais gardé en tête de cette réalisation. Un objet singulier, oui, il n’y a aucun doute, un objet que l’on peut gravir en partie. Un objet futuriste, aérospatial, qui dialogue avec ses tours voisines, en déployant de grandes surfaces vitrées triangulées. Cette forme organique joue avec la topographie du paysage en proposant différents accès, au dessus, en dessous… J’ai mis un peu de temps avant de trouver l’entrée principale, celle-ci se trouve en souterrain. Je n’ai malheureusement pas eu accès à la grande salle de concert. En revanche le hall d’accueil est rendu accessible au public, il comprend un petit café et un espace polyvalent où ont lieu des cours de peinture. Le plafond est assez bas, mais travaillé de manière originale avec un jeu de caissons permettant d’y insérer de manière subtile la ventilation. Les colonnes du hall d’entrée sont parfois inclinées ; elles créent un mouvement qui invite à la déambulation. Et même si elles ont une épaisseur importante, elles peuvent également nous évoquer une certaine fragilité du bâtiment.

Sur le même site, nous pouvons observer la bibliothèque publique qui est la dernière opération culturelle réalisée à Guangzhou à la demande du gouvernement.

Vue de la bibliothèque, photographie prise depuis l'Opéra

Vue de la bibliothèque, photographie prise depuis l’Opéra

Celle-ci est conçue par le groupe japonais Nikken Sekkei. Depuis la rue, le bâtiment a une forme un peu surprenante, il est relativement fermé sur l’extérieur. On pourrait sensiblement imaginer un monument religieux, tel une église ou une chapelle. En entrant à l’intérieur j’étais surprise d’y découvrir une bibliothèque, mais je comprenais mieux la volonté d’occulter les façades pour conserver et préserver au mieux les livres. L’espace central du bâtiment se présente sous la forme d’un gigantesque atrium.

Intérieur de la bibliothèque de Guangzhou

Intérieur de la bibliothèque de Guangzhou

L’ouverture zénithale, permet ainsi un apport considérable de lumière naturelle dans le hall et les espaces de circulation, puis une lumière plus diffuse dans les salles de lecture et de travail. En sortant de l’édifice, j’ai pensé que l’équipe d’architectes avait peut-être voulu donner du sens à l’écriture atypique de ses façades, avec la superposition de strates en pierre qui pouvait évoquer les nombreux livres que l’on a l’habitude de voir empilé sur les étagères. La bibliothèque donne sur une grande place publique très touristique. Là se dresse devant nous la célèbre tour de la ville : « Canton Tower », une tour érigée dans le but de transmettre les signaux de la radio et de la télévision pour les jeux olympiques Asiatiques.

Canton Tower

Canton Tower

Comme notre Tour Eiffel à Paris, elle est le symbole de la ville. C’est une véritable prouesse technique et structurelle. En s’élevant sur 600m, elle a été la plus haute tour du monde en 2009 lorsqu’elle a été achevée.

L’agence d’architecture chargée de réaliser l’ouvrage est une agence hollandaise «IBA », Information Based Architecture, située à Amsterdam. Le programme comprend la maison de la télévision, des installations de transmission radio, un restaurant tournant, un espace d’expositions, des salles de conférence, des magasins, des cinémas en 4D, elle offre également une vue panoramique sur Guangzhou et la rivière des Perles. La forme élancée de la tour est générée par deux ellipses mises en rotation l’une par rapport à l’autre provoquant une torsion en son centre. Cette torsion resserre le maillage et affine la structure. La fine armature d’acier produit un effet de légèreté et accorde une certaine transparence à l’ouvrage qui se dessine de manière élégante et gracieuse dans le ciel. De nuit, l’éclairage de la tour souligne la silhouette de l’édifice et met en valeur ses courbures. En fonction des jours de la semaine, celle-ci émet des lumières de couleurs différentes. Sa structure d’acier est dimensionnée pour résister aux situations climatiques contraignantes de la région (typhons et tremblements de terre).

Tout comme les quelques éléments singuliers de la ville que je viens d’énoncer, les centres commerciaux ont, eux aussi, le droit à une attention architecturale particulière. Avec l’émergence de la classe moyenne, une partie importante de la population chinoise accède plus aisément au confort matériel, à une meilleure éducation, à une meilleure alimentation… On voit apparaître ainsi d’énormes pôles de consommation calqués sur le modèle américain, des grands malls. Dans ces complexes commerciaux, l’idée c’est de dépasser le simple achat, concurrencé par les sites internet, on veut apporter une expérience, souvent en réalisant des démonstrations publiques d’un nouveau produit par exemple, mettant en scène les nouvelles technologies.

Les grands malls doivent également surprendre d’un point de vue architectural, ils sont traités de manière singulière pour se démarquer et être facilement identifiable dans la ville. Non loin du centre des affaires, au milieu de deux autres grands malls (Teemall et GrandView mall) le centre commercial Hong chen plazza vient d’achever sa construction. Il a été réalisé par l’agence d’architecture « Ronald Lu and Partners » installé à Guangzhou mais également dans d’autres grandes villes comme Hong-kong, Pékin, Shanghai, et Shenzhen. Ces architectes on travaillé sur ce projet en collaboration avec le groupe d’architectes « Benoy ». Le dessin du plan représente l’image de deux poissons, symbole chinois, mais dont on n’a pas vraiment conscience lorsque l’on est au pied du bâtiment. Les différentes enveloppes de la structure permettent de créer des espaces couverts à l’extérieur afin de pouvoir s’y promener tout en étant abrité du soleil et de la pluie.

Centre commercial Hong chen plazza

Centre commercial Hong chen plazza

Emma Feller

séjour du 02 juillet au 04 Aout 2016

Bibliographie

Livre:

  • Village in the city / Bruno De Meulder, Yanliu Lin, Kelly Shannon — Zurich : Park books : 2014 .- 166 p.

Web:

  •   Frédéric EDELMANN, « Deux galets pour l’Opéra de Canton », Le Monde (en ligne), consulté le 02 novembre 2016.
  • NIKKEN STUDIO, site internet de l’agence consulté le 02 novembre 2016. <http://www.nikken.jp/en/firm/group.html>
  • IBA STUDIO, site internet de l’agence consulté le 02 novembre 2016. <http://www.iba-bv.com>
  • RONALD LU & PARTNERS, site internet de l’agence consulté le 02 novembre 2016. <http://www.rlphk.com/eng/projects/architecture/commercial/31/4/40/parc-central-guangzhou-china.html>