La découverte de cette église commence dans une rue résidentielle de Tokyo. Elle se situe dans le quartier de Sekiguchi. C’est un foisonnement de collages, de formes, de matières à l’image de la majorité des quartiers de cette ville. L’épaisseur et la hauteur du bâti descend peu à peu et nous commençons à apercevoir une longue ligne qui semble couper le ciel en deux.

Plus elle monte et plus elle s’affine. Au moment ou elle touche le ciel, une croix marque la rencontre entre l’horizontale et la verticale. C’est la première rencontre, fine et élégante, un repère dans cette ville, une forme inattendue. Petit à petit, entre les arbres, un tout autre langage s’élance à son tour. Un métal luisant et plié qui se développe vers le haut, comme des lames de tôle qui nous proposent d’avancer vers elles. Une fois tous les obstacles dépassés, le portail franchi, on découvre des courbes féminines. L’excroissance aux quatre branches s’affaisse en son centre et monte à ses extrémités pour marquer l’entrée. En plan, c’est une croix latine ouverte dans un losange plié.

L’espace sombre entre les deux lames nous invite à entrer, quelques marches appuient également cette invitation, comme les lignes de fuite qui se croisent à cet endroit précis. Surprise, porte close, ou comment toute une mise en scène s’écroule. En fait, l’entrée se fait sur le côté, par l’un des blocs massifs qui jouxte l’émanescence métallique. Nous entrons. Ce qui était léger à l’extérieur devient ici lourd et menacent. Une sensation comparable avec celle que l’on peut avoir en visitant la grande salle d’une grotte. Une cathédrale de béton, qui stupéfait par sa hauteur, et menace par sa masse. Les traces de banches sont encore visibles, on plisse les yeux en suivant ces marques jusqu’aux ouvertures très fines qui participent à cette sensation de rencontre entre blocs minéraux. Les traces de cernes dans le béton, témoins de la mise en œuvre et d’une technique, marquent les parois. Les veines du banchage dessinent comme des strates géologiques et les nœuds, des fossiles.  Associées au travail de la lumière par la fente, le trou, ces marques se contrastent. Elles sont les témoins d’un moment qui participe à la sensation de temps suspendu et accumulé dans ce lieu. Un temps que l’on trouve dans beaucoup de bâtiments religieux, quand ils sont endormis, évidés de leur substance cantatrice. Ici, plus que dans aucun lieu visité un rapport de silence et d’humilité, s’installe. Une sorte de grotte à la vierge  Marie, référence présente à l’extérieur par un artefact de parois rocheuses creusées.

Sous les paraboloïdes

Sous les paraboloïdes

Des bruits sourds remontent par moment, des bruits qui se faufilent entre les parois de béton et le sol, par des sortes de boyaux. Certaines lames de béton plongent dans le sol.

Quand on se penche sur la rambarde pour observer cette fuite, on aperçoit la forme qui se retourne et qui s’échappe, en bas. Grâce à une des sœurs de l’église, nous avons accès à cet entre-sol, sous l’église, là où le béton s’enfouit.

C’est l’espace des morts. Encore plus silencieux. Le plafond est bas et le sol recouvert de marbre blanc. Le marbre blanc lisse rencontre le béton rugueux et strié. De longs couloirs, où encore une fois, la trace des cernes de bois file et nous guide. Un dédale où l’on croise parfois des espaces plus larges, où sont classés, horizontalement et verticalement les plaques aux souvenirs. Plus loin, ce sont des photos, derrière des petits morceaux de verre. Encore une fois, le temps semble suspendu mais aussi multiple, arrêté par ces souvenirs qui jonchent les murs. Des temps à la fois singuliers et pluriels.

sous-sol

La principale source de lumière sont des néons disposés sur les murs de manière systématique, le long des couloirs. Parfois on rencontre des statues, elles pourraient être suspendues elles aussi mais sont animées d’une lumière zénithale. Une lumière presque inattendue dans cet espace sous terre, amenée par des cheminées qui remontent à la surface. Une lumière réellement étrange, colorée par le jaune passé des pavés de verre, en mouvement par le reflet de la façade et des arbres qui jouent avec. Un certain mouvement émane de cette lumière qui donne une présence extrêmement forte aux statues. Le mur du fond de ces ponctuations remonte à la surface, il passe à travers le plancher et inonde ces espaces de lumière.

Nous nous prenons peu à peu au jeu de ces couloirs, oubliant le poids de ces murs, de ce plafond. L’odeur elle aussi est très particulière. Elle semble tout droit venue des années 70, une odeur ancienne, celle du béton sec, imprégné des odeurs de passages, des parfums des familles qui se mélangent. Ces couloirs se dilatent parfois. Ils accueillent des autels ou des statues de Sainte Marie. Au bout d’un des couloirs nous tombons sur une porte en verre, presque un cadeau de légèreté dans cet espace. Derrière, nous découvrons une chapelle privée, étonnamment grande. C’est un tout autre langage. Du crépi blanc, des bancs en bois, une lumière artificielle vive. Nous remontons.

Malgré les fentes qui éclairent la cathédrale, le lieu reste sombre. L’ouverture zénithale, qui reprend le symbole de la croix chrétienne ne suffit pas à éclairer l’espace. De grands projecteurs de stade ont été installés pour combler ce manque. Derrière l’autel, une grande ouverture monte au sommet de la cathédrale, éclairant en contre-jour les cérémonies qui y ont lieux. Une lumière douce et chaude car il ne s’agit pas de vitrages mais de fines plaques de marbre. Une sorte de vitrail, le seul présent dans cette cathédrale où le motif des veines de la roche remplace des scènes d’évangile. Une installation qui renforce l’aspect minéral du lieu. Depuis 2004, un orgue surplombe l’entrée, un emplacement assez récurent dans les cathédrales occidentales. Son positionnement dans le resserrement des murs de béton offre un son incroyable qui enveloppe les 2000m2 de ce rez-de-chaussée. Un escalier circulaire très fin, datant de la construction, permet d’accéder à la tribune où se trouve l’orgue.

A l’extérieur, différents bâtiments accompagnent l’église. Ils reprennent les mêmes codes. Ils se développent sur des fondations épaisses en pierres grossièrement taillées. Des blocs d’environ un mètre sur lesquels une architecture vitrée avec des bandeaux en métal qui réfléchissent la lumière.

les courbes

Rencontre entre les courbes

Saint-Marie de Tokyo, c’est l’expression de la force des matériaux. Une rencontre entre la culture catholique et la culture shinto. Une réinterprétation des codes, où Kenzo Tange déploie des paraboloïdes pour reprendre l’architecture élancée des cathédrales, où les gargouilles laissent place à des parois apotropaïque, où le travail de lumière semble animer les statues. La culture shinto y est bien présente, notamment par le lien que fait l’architecte entre le ciel et la terre. C’est un roc ou l’on trouve la lumière, une adaptation par Kenzo Tange de l’évangile selon St Mathieu.*

* « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos. » d’après l’archidiocèse de Tokyo

Adrien Le Bot

Voyage Octobre 2014

KUAN, Seng, LIPPIT, Yukio, Kenzo Tange Architecture for the World, 2012,  Lausanne, Lars Müller

TAMBA, Akira, L’Esthétique contemporaine du Japon : théorie et pratique à partir des années 1930, 1997, Paris, CNRS, 215 p