Et me voilà face à ma vie. Face à Christchurch qui s’étale sous moi à perte de vue. Les étoiles de la ville s’allument peu à peu sur la Terre alors que les dernières lueurs du jour s’effacent. Bientôt c’est le grand départ et je serai dans une boîte de métal qui va me catapulter à toute vitesse vers l’ancien continent. Comme cet avion qui clignote au loin, au-dessus du Mont Somers, et qui survole les traces de mon voyage.

Christchurch vu du "afternoon highline spot".

Christchurch vu du « afternoon highline spot ».

J’ai tellement changé… J’ai tellement appris… J’allume ma clope faisant face au vide, face au vent, face au paysage qui m’enveloppe. Par où commencer ?

DOUG & ANNIE

Totora North 

C’est après ma première nuit dans le van, passée sous un orage mémorable, que je me dirige vers chez D&A. Je suis en Nouvelle Zélande depuis 2 semaines, et je viens tout juste d’acquérir Loulou, un Toyota Hiace de 87 qui est censé me conduire jusqu’a mon prochain WWOOFing. Je galère un peu mais je finis par trouver la maison, perchée au bout d’une gravel road qui se termine en une montée effrayante. A peine sorti du van j’entends D qui demande avidement à A : « Is it beer o’clock now ? ». Un sourire d’acquiescement et je me retrouve alors, sans vraiment comprendre ce qu’il se passe, attablé au bar dans l’espace qui me sert de chambre avec D, A et trois pintes. Autour de nous, une table de ping pong, un lit, un jeu de fléchettes et des souvenirs accrochés un peu partout aux murs. La discussion se déroule tout naturellement dans cette ambiance détendue.

Cette semaine passée chez D&A, au tout début d’un séjour qui dura près d’un an, a été pour moi révélatrice à de nombreux niveaux. L’un d’eux fut la découverte du mot « permaculture ». Au départ ça ne signifiait pas grand chose pour moi, mais ce mot faisait écho quelque part. Le premier pas d’un long chemin.

D&A ont décidé un jour de changer certaines choses dans leur façon de vivre. D me l’a très bien résumé autour d’une bière faite maison : « less work, more fun ». En tant que builder, il travaille trois jours par semaines tandisqu’A donne quelques cours de danse. Un rythme tranquille qu’ils peuvent se permettre en substituant les ressources financières par des ressources naturelles. Chez eux on mange majoritairement des produits de la pêche, de la viande élevée sur place, des œufs et des légumes du jardin. C’est un style de vie qui demande du temps et de l’investissement. Ici, les journées de travail se terminent à beer o’clock.

Chaque matin, A descend en quad pour rejoindre le poulailler. À l’arrière, le seau rempli des restes de nourriture de la veille, une boîte d’œufs vide, un supplément de graines pour les poules et Bella, la chienne enceinte jusqu’aux yeux. Quand l’engin remonte avec les œufs tout le monde s’affaire déjà aux différentes tâches de la maison-ferme. Les travaux sont très hétéroclites et on se retrouve facilement à refaire une clôture, une évacuation d’eau, planter des arbres ou s’occuper du potager. On travaille selon le principe du learning by doing.

À ce moment du voyage, la permaculture signifie pour moi une logique d’organisation spatiale des structures permettant de faciliter le travail et le fonctionnement de l’ensemble. Une visualisation du tout comme d’un organisme qui, s’il était étudié et organisé correctement, fonctionnerait en grande partie par lui-même, ne générant que peu de déchets et ne nécessitant que peu d’apports.

Je quitte la maisonnée après une superbe marche dans le bush des collines environnantes. Direction le cape Reinga, porte qu’empruntent les esprits pour passer dans l’underworld et la Spirit’s Bay, où D a fait naufrage il y a plus de 30 ans.

La rencontre des deux eaux au Cape Reinga

La rencontre des deux eaux au Cape Reinga

J’expire. Le froid me mord le visage, le vent griffe mes joues. Je joue doucement avec mes souvenirs, ils vont, viennent, se mêlent et se confondent. Il ne reste, au final, rien de réel. Des couches d’interpretations de visages, de sons et d’images. Je me concentre et j’essaye de faire ressortir un plan, une ligne directrice, une suite logique… Logique? Je souris doucement…

C’est vrai que D&A, c’est indiscutablement un début. Mais ce n’est finalement qu’une graine… Bien plantée, elle a commencé sa croissance de manière inattendue. À l’antithèse de la logique.

T & J

Omahuta Forest

J’arrive en fin d’après-midi dans le salon de coiffure de T. La description en ligne du helpX avait pour mots clés recyclage, auto-construction, hors réseau. C’est exactement ce que je recherche! Les présentations faites, elle me guide d’abord sur une route goudronnée, qui se transforme en gravel road pour se détériorer au fur et à mesure de notre avancée. Nous nous arrêtons enfin sur le bas-côté, alors que je me demande si Loulou sera capable d’aller plus loin. Là, T m’annonce qu’on attend J. Il va descendre nous chercher car seuls les 4×4 peuvent monter en cette saison. Les affaires emballées, je regarde le Patrol rouge bordeaux descendre la colline. Une gamine s’applique à ouvrir les gates qui ponctuent le chemin. Lorsque J descend de la voiture, taillé en bloc, une grosse barbe et un crâne rasé, des vieilles fringues toutes décousues, une grosse punamu pendant autour de son cou, il me met immédiatement en confiance. Je me fraye une place à l’arrière, au milieu d’un amoncellement d’objets et de boue. Oui, je m’enfonce bel et bien dans le bush! Au bout de 15-20 minutes de montée au milieu de flaques et de boue, de plusieurs gates à ouvrir et d’une belle glissade sur la dernière descente, je découvre la clairière, taillée dans la forêt. Ici se trouve la maison, là les poules, le camion, un bus, des frigos, des fenêtres dans un coin, de la tôle, un cheval, un étang, des arbres, une cabane dans les branches, un potager, des motos, une autre voiture. Des grains semées au vent. Leur vie.

Commence alors une scène de théâtre dans laquelle je suis traîné par les enfants dans tous les sens, mené par les parents qui me font visiter l’endroit pendant qu’une multitude d’animaux me courent dans les pattes. La découverte de la maison est à l’image de la clairière ; un tas impressionnant d’objets occupe la moitié du salon, parmi lesquels les gosses se cachent et sortent comme des marmottes. Ils sont censé être 4 mais il me semble qu’ils sont 6 et qu’ils sont tous le même. Et love-love, la chienne, est tout aussi dynamique, diabolique et attendrissante.

Lorsque je découvre la sérénité du camion qui sera ma maison pour les prochains jours, après le dîner, je me sens immédiatement chez moi. Là aussi, une accumulation impressionnante de trésors et un désordonné d’objets divers. Au milieu des livres, l’encens tient en équilibre sur un cadre de bois flotté. La cuisine et la chambre s’entremêlent. Un lit, un feu de bois, du gaz, de l’eau de pluie : je suis complètement autonome.

Tout au long des 10 jours que je passerai dans ce hangiriki, je vais aider J à couper du bois, planter des arbres et à construire une maisonnette de deux étages.

Pour vous esquisser la scène, couper du bois veut dire : prendre la voiture, parcourir 1 ou 2 km au milieu de la boue et des flaques, trouver des arbres morts et secs, descendre de la voiture, démarrer la tronçonneuse, se rendre compte qu’un truc est cassé (recyclage oblige), le réparer sur place, commencer à couper, s’arrêter, aiguiser la tronçonneuse, continuer de couper, charger le bois dans la voiture, trouver plus de bois et recommencer. La patience qui au départ était de mise s’est déjà transformée en une acceptation positive de la situation. La construction de la maisonnette s’est passée dans cette même ambiance intemporelle. Quand il pleut on attend que ça passe, on fait au fur et à la mesure du rythme de la journée. Comme J me l’a appris, « time doesn’t matter ».

Dans cet environnement niché au cœur du bush néo-zélandais, le recyclage a pris une autre dimension. C’est comme si leur volonté de conserver leurs valeurs, leur culture, la préservation de l’environnement, leur envie de vivre un mode de vie plus simple, tout ça c’est entrelacé dans un gigantesque capharnaüm duquel jaillit des bribes de maison, de potager, de jardin, de projets et de vie. Rien n’est à jeter, tout a été utilisé, est utile, sera utile. Le temps n’a pas d’importance et tout verra le jour, un jour. Ces valeurs, ces idées, je pense qu’ils les ont forgées au travers d’une vie de vagabondage en NZ, essentiellement dans le Northland à bord du camion dans lequel j’ai séjourné.

Chez eux, j’en ai énormément appris sur la flore néo-zélandaise. Ils avaient décidé de conserver la faune et la flore natives sur leur terrain. Lorsque j’ai commencé à discuter et à exprimer un intérêt pour la nature et la culture locale, je me suis rendu compte qu’ils avaient beaucoup à m’apprendre et ils l’ont fait avec plaisir. Je les sentais heureux de m’expliquer les plantes comestibles, les remèdes, les différents types de bois, de me raconter la culture et m’enseigner du vocabulaire maori.

Le départ fut difficile. Je me sentais si bien là-bas. Mais il faut rester en mouvement pour continuer à découvrir et à explorer. Au moment de partir, J m’a raconté une légende qui raconte le combat de deux géants de la mythologie maorie. La tête de l’un d’eux, Taratata, fut tranchée d’un coup d’épée et roula jusqu’au Totara North Harbour pour former une montagne. Son corps décapité forme une autre montagne qui ne se situe pas très loin de chez T & J.

Le corps de Taratata

Le corps de Taratara

Je me souviens que je voulais absolument grimper cette montagne. Je m’étais dit: « tu ne seras pas complètement parti tant que tu n’auras pas atteint le sommet ». Et c’est au bout de 2h de déambulations hasardeuses au milieu du bush à me battre avec du gorse et autres plantes inidentifiables que j’ai enfin pu contempler le panorama incroyable que l’on m’avait promis.

Un frisson me fait quitter le belvédère exposé. Repli stratégique vers le van. Le feulement des herbes hautes, le bruit de mes pas sur le bitume, le roulement familier de la porte latérale qui s’ouvre et qui enferme le dehors, le démarrage du réchaud, l’odeur du thé qui commence à se répandre dans Loulou…

GERLINDE

Honeymoon Valley

Deux tasses sont servies et le soleil illumine l’immense salon par les ouvertures zénitales qui percent la toiture. Assis dans le salon autour de la table, G se met à raconter son histoire alors que je tourne les pages de l’album photo. J’apprends qu’après plusieurs années passées sur les routes de la NZ à faire du WWOOFing, G et son ex-mari décident d’acheter un terrain et de garer définitivement leur bus dans la Honeymoon Valley. Ainsi commence l’histoire de leur auto-construction. Ils décident que de l’esquisse à la réalisation, ils feront tout eux-même avec l’aide de wwoofeurs. Au fur et à mesure que les pages se tournent, je comprends que c’est la propriété entière qui a été pensée et organisée autour de ces voyageurs sans qui rien n’aurait été possible et que ce sont eux qui, aujourd’hui encore, donnent vie à la maison.

La construction s’est faite en deux temps : d’abord l’habitat temporaire puis la maison principale. Vu qu’ils avaient déjà une maison sur roues, il suffisait de sédentariser un peu tout ça à grand coup d’adobe ! L’avant du bus a d’abord été entouré de trois murs et d’un toit. Cela le protège du vent, de la pluie et permet d’y ajouter un espace stockage/rangement (pour le bois par exemple). Une petite salle de bain est adaptée juste à côté de la porte d’entrée et des toilettes compost installées dans le jardin. Les travaux de la maison principale sont entamés en toute tranquillité, en se donnant le temps de bien faire les choses tout en vivant dans un endroit confortable. Cela permet aussi d’avoir un coup d’essai puisque les techniques de construction des deux habitats sont très similaires. On peut ainsi prendre du recul, anticiper les éventuelles détériorations de l’adobe, adapter le mélange et surtout s’entraîner !

Par son aspect extérieur, la maison sort tout droit d’un conte pour enfant, avec ses briques d’adobe rondes et son toit rouge et vert. Elle est organisée autour du WWOOFing : les 3 chambres des enfants maintenant grands sont disponibles, le potager est énorme, et le tout est de toute façon bien trop grand pour Gerlinde seule. Comme elle le dit elle-même : « It wouldn’t make sense if it wasn’t for WWOOFing. Why would I grow so many vegetables ? Have so much space ? It’s a way of life ».

Je n’ai pas pu rester très longtemps chez G. Mais elle m’a présenté un voisin chez qui, pendant une semaine, j’ai joué les élagueurs, bûcherons et menuisiers dans une ambiance sobre, simple et reposante.

Je remplis mon thermos de thé, et je me cale bien confortablement dans le lit. Mon regard parcours l’intérieur de Loulou. Il est le reflet de cette année passée sur les routes. Le témoin impeccable du chemin parcouru. Chaque objet qui le compose raconte une histoire. Un livre d’objets. Une lecture rythmée par chaque poignée de porte, poster, lampe, plume, drapeau. Le cendrier…

FAY

Otaki

Cela fait 30 ans que Fay accueille des wwoofers chez elle. Autant dire qu’elle est bien rodée et que l’organisation n’est plus à revoir.

Ce petit bout de femme à l’énergie inépuisable gère avec une facilité déconcertante la centaine de poulets et de canards, les quelques moutons et la dizaine de paire de bras qui s’activent de façon quasi-permanente dans sa ferme organic. Grâce à elle, l’endroit est paisible, simple et accueillant. Les légumes comme la viande sont produits et consommés sur place, les salles de bain n’ont que le ciel comme plafond, et l’on dort au choix dans une cabane perchée sur les hauteurs ou dans une petite maison de terre sous le couvert du bush. Si quelque chose ne se passe pas comme elle l’entend Fay le fait savoir sans délais ! Elle n’aime pas les non-dits et la priorité est de préserver la paix qui règne chez elle. Un point sensible est la vaisselle : on rince tout avant de laver dans de l’eau bouillante ET SANS TROP DE PRODUIT !

Sa force et son courage sont inspirants et touchants tout comme son projet de construire une maison auto-suffisante, faite de terre et de matériaux recyclés. Cela fait plus de 10 ans qu’elle se bat pour commencer le chantier et ce n’est pas une mince affaire. Les autorités ne sont pas vraiment du côté de la nouveauté, surtout lorsque cela permet de ne plus dépendre du système… Fay nous montre un film à ce sujet : « Garbage Warrior », le combat de Michael Reynolds pour faire légaliser les Earthships aux USA. Pour elle, l’exemple est le meilleur moyen d’inciter les gens à vivre plus respectueusement de l’environnement. C’est aussi pour cela qu’elle accueille tant de wwoofers du monde entier. Montrer au plus grand nombre qu’un autre mode de vie est possible, voilà sa manière à elle de militer pour la cause environnementale.

Nous passons une dizaine de jours chez elle, à jardiner dans le magnifique potager organic aux légumes démesurés, à réparer les poulaillers, à fabriquer un plafond avec de la laine, de la lavande et du bambou, à se balader dans la petite forêt et à faire semblant de ne rien entendre quand on demande si quelqu’un veut bien « réparer » les toilettes compost. Nous nous entendons très bien avec Nicolas, Thomas, Idit, Yoav, Anna et les autres wwoofers qui sont là comme nous pour quelques semaines et qui viennent d’Israël, de Belgique et d’Allemagne. On cuisine ensemble, on rigole beaucoup, on sauve le monde même !

La maison principale et le potager

La maison principale et le potager

L’élément perturbateur de cette magnifique expérience se présenta sous la forme d’un gros clou rouillé qui est venu se loger dans mon pied. Les feuilles de Kawakawa n’ont pas réussi à éviter l’infection, je me retrouve donc sous antibiotiques et je le supporte très mal. Il est temps de changer d’endroit pour refaire surface ! A très bientôt Fay…

Une forte lumière blanche frôle sur la gauche. Un cycliste. Ils sont beaucoup à courir et à faire du vélo, qu’importe l’heure, le temps, le vent. Une proximité avec l’extérieur que j’admire.

Je me demande si tout n’étais pas déjà écrit? C’est comme si chaque personne m’attendait sur le bord du chemin et me donnait un enseignement sans lequel je n’aurais pas pu comprendre celui de la personne suivante. Ou alors est-ce moi qui ai tracé mon chemin en fonction de ces personnes? Et si c’était moi qui était sur leur chemin?

URSUS

Collingwood

Ursus c’est avant tout un personnage. Suisse, il passe six mois de l’année au Mont SoNNoS (Spirit of Nature, Nature of Spirit) comme il se plait à l’appeler, et six mois chez lui. Enfin chez lui … chez ses dix enfants de quatre femmes différentes. Octogénaire, il parle sans se presser dans un anglais moyen aux intonations suisse-allemandes ultra-prononcées. Je ne l’ai que rarement vu sans son petit bonnet de laine rouge délavée. Idéaliste aux convictions inspirantes et au passé riche d’expériences communautaires alternatives, d’action activistes et de voyages, il n’a qu’une parole : « Protect Mother Earth ». Mais c’est aussi une sacrée tête de bois, susceptible et parfois difficile à gérer. Que de débats et discussions ont lieu à Spirit of Nature !

Vivre là-bas c’est un peu faire un voyage dans le temps. Commençons par la maison. Construite il y a trente ans en matériaux recyclés, elle abrite la seule salle de bain en fonction au sol défoncé qui mériterait un bon coup de balai (et de pinceau par la même occasion). Tous les matins nous nous réveillons au son de la cloche qui résonne aux quatre coins de la propriété. Il faut ensuite nourrir les poules et pétrir le pain assez tôt pour qu’il puisse lever avant d’être enfourné dans la cuisinière à bois, l’outil principal qui impose, en fonction des ses caprices, le rythme de la journée. Nous prenons les repas tous ensemble dans la petite pièce principale qui sert à la fois de salon, de salle à manger et de cuisine, nous éclairant à la bougie une fois la nuit tombée. Ici pas d’électricité et l’eau provient d’une source un peu plus haut sur la colline.

La particularité singulière de cette communauté est qu’elle ne présente qu’un seul habitant à l’année. Joseph, un grand type timide et plutôt solitaire, s’occupe à plein temps de l’immense jardin potager. Il n’aime pas que les choses soient structurées, et l’organisation du lieu lui va très bien puisqu’il n’y en a aucune. Ursus souhaite que les idées, les projets et même les règles de Spirit of Nature proviennent des volontaires sans que rien ne leur soit imposé. C’est selon lui le meilleur moyen de faire vivre cet endroit qu’il qualifie de learning space. Mais comment fonder un mode de vie et mettre en pratique des idéaux à partir de courants d’air ? Les gens ne font que passer ici, ils restent un mois tout au plus et n’ont le temps ni de s’approprier les lieux, ni de comprendre la méthode implicite qu’Ursus cherche à appliquer sans vraiment le dire. L’idée est belle mais je ne pense pas qu’il soit possible de construire quelque chose de durable sur des bases aussi fragiles, de surcroit sans leader. Car Ursus le dit lui même : « I am a bad teacher ». Il se voit plutôt comme le vieux du village, apportant conseils et sagesse. Mais sans structure et faute d’actions concrètes, il est difficile de s’investir efficacement et de contribuer réellement au développement du lieu …

Le séjour ne comporte certainement pas que du négatif, au contraire. C’est une leçon bonne à prendre, d’autant plus que nous rencontrons des gens très intéressants avec qui nous échangeons sans cesse. La plupart ont plus d’expérience en matière de communautés et de mouvements alternatifs, et les échanges d’expériences sont nombreux. Urus nous donne un conseil : si l’on cherche à fonder une communauté, il est nécessaire que ses membres travaillent ensemble à la réalisation de quelque chose de plus grand, une sorte d’objectif commun qui puissent les relier qu’il nomme higher purpose. Car si on se concentre seulement sur son propre bien-être, la communauté sera rongée par l’ego de chacun et ne pourra pas être durable. Se mettre au service des autres, via l’éducation ou les soins par exemple, permet de cimenter les membres du groupe. C’est de plus un bon moyen de rendre son mode de vie et ses valeurs accessibles au plus grand monde.

Nous quittons la communauté avec Caro que nous avons rencontré chez Ursus et c’est le départ vers la grande ville de Christchurch.

Petite pause dans le Nelson Lakes National Park

Petite pause dans le Nelson Lakes National Park

Mon regard se porte mécaniquement vers la ville qui s’étend sous moi. Ce voyage n’est pas une suite de leçons de vie. Il n’est pas non plus un catalogue d’expériences. Ce voyage est avant tout spirituel. Ce sont ces expériences, ces gens, leur énergie, leur vision du monde, tout ça qui a contribué à former mon regard : une autre manière de voir, une autre manière de faire, une autre manière de vivre.

IAN & ALICIA

Lower Hutt

Nous avons rendez-vous à 11h ce matin pour ce qui semble presque un entretien d’embauche pour ce nouveau wwoofing. Malgré la courte distance qui sépare Otaki de Lower Hutt nous arrivons en retard. Ian, grand maître de l’organisation, ne nous en tient pourtant pas rigueur et nous fait visiter sa magnifique propriété.

La maison, moderne mais chaleureuse, est encaissée dans un vallon. Depuis la large terrasse nous avons vue sur le ruisseau, les jardins, les potagers, les collines couvertes de bush. Les nombreux mandalas et les statues de Bouddha disséminés un peu partout témoignent des voyages de famille ainsi que de leur orientation spirituelle. Le tout est parfaitement entretenu, rangé, net. Ce lieu dégage beaucoup d’énergie, il « vibre ».

Dès le premier soir nous sommes plongés dans leur univers grâce à une séance de méditation d’une heure, suivie d’une discussion philosophique et spirituelle, ésotérique diraient certains. Le petit groupe se réunit deux fois par semaine dans le salon où bois et couleurs vives s’entremêlent et nous enveloppent comme un cocon. Ian guide la quinzaine de personnes de sa voix grave en proposant différentes visualisations et réflexions. Il dégage une grande sérénité.

Alicia et lui ont travaillé pendant quatre ans dans un centre Vipassana en Californie. Chacun dans leur domaines, ce sont de très bons professeurs. Lui, grand et élancé, écoute beaucoup et suggère, guide la réflexion. C’est un cerveau. Il ne ressent d’ailleurs aucun besoin de travailler son corps, et il n’accompagne Alicia à ses séances de yoga hebdomadaire que pour le traditionnel cappuccino qui s’en suit. Mr Bean Yoga, l’appelle-t-il, très juste nom ! Alicia au contraire n’arrête pas. Blonde et fine, débordante d’énergie, elle n’a pas sa langue dans sa poche et nous apprend beaucoup sur le potager et les plantes médicinales. Ici, tous les légumes sont bio, et ils poussaient encore dix minutes avant d’atterrir dans nos assiettes !

Extrait du Journal d’Emma, qui m’accompagne dans ce voyage :

Petit à petit, les doutes qui m’avaient envahie quelques jours plus tôt s’effacent. Etre ici m’aide à me rappeler pourquoi je suis partie, peut être même à le comprendre. Aller plus loin, plus profondément sur ce que je veux faire de ma vie et sur quelles valeurs je souhaite la bâtir. Je peux enfin prendre du recul, expérimenter d’autres modes de vie, voir qu’il est possible de faire les choses autrement ! Apprendre des choses que je n’aurais pas eu l’ouverture d’esprit de rechercher si j’étais restée en France et finalement prendre conscience. Conscience de son corps, de son esprit, du monde qui entoure, de l’énergie qui circule entre tous les êtres et de ce qui fait qu’ils ne sont qu’un. Voilà pourquoi je suis partie. Et je ne le savais pas vraiment jusqu’à présent.

Je me relève sur un coude pour rouler une cigarette. Coup de langue, étincelle, lueur rouge, fumée. Je me demande ce que j’ai été pour ces personnes qui ont été tant pour moi. Ont-elle appris autant que j’ai appris d’elle? Non, ça n’a aucune importance. Aucun sens. On m’a tellement donné et j’ai tellement reçu que quelque part j’ai l’impression que c’est à mon tour de faire ma part. A quoi sert de voyager? Un alpinisme a dit un jour que s’il gravissait des montagne c’était pour s’élever jusqu’au sommet et ainsi redescendre en homme meilleur. 

J’écrase ma cigarette, range le paua, souffle la bougie et me glisse sous les couvertures. En regardant la ville scintiller en contrebas, je me demande si finalement ce ne serait pas le bon moment de repartir.

Loulou

Loulou

LEXIQUE

Builder – contructeur, maître d’ouvrage

Bush – Forêt locale

Cape Reinga – lieu d’entrée dans l’autre monde, l’Underworld dans la culture maori

Gates – portes pour le bétail 

Gorse – plante importée d’Irlande qui forme des buissons épineux impénétrables

Gravel road – une route de gravier typique de NZ

Hangiriki – (maori) petit paradis

HelpX – alternative au wwoofing – helpX.net

Kawakawa – (maori) plante aux propriété médicinales

Learning by doing – apprendre en chemin / apprendre sur le tas

Learning space – sens de communauté comme lieu d’apprentissage

Organic – se dit d’une culture sans pesticide, généralement en cercle fermé

Paua – (maori) Sorte d’ormeau

Punamu – (maori) pierre de Jade traditionnelle maori. Se porte généralement en collier

WWOOFing – World Wide Opportunities on Organics Farms : action de travailler en échange d’un toit et de repas – wwoof.co.nz

 

 

Jérôme Alixant

Voyage du 27/08/2015 au 1/08/2016