Perdu au milieu de la jungle tropicale sud asiatique, la cité « perdue » d’Angkor est le bijou de la civilisation Khmer. Erigée entre le IXème et XIIIème siècle, cette ville tentaculaire aujourd’hui disparue, fut un des hauts lieux du monde asiatique à son apogée. Cette civilisation a su développer des techniques architecturales et urbanistiques remarquables avant de sombrer dans l’oubli, recouverte par la dense forêt tropicale de cette région du monde.

Dans cet article nous ne nous intéresserons pas aux célèbres temples angkoriens dont la renommée n’est franchement plus à faire. Le sujet vise à dépeindre l’ambiance unique de ce site gigantesque, dans lequel subsiste des centaines de temples abandonnés. Là où la nature reprend ses droits, invoquant en nous l’impression d’être des explorateurs perdus au milieu d’un enfer végétal dense, humide, et chaud, tel un archéologue redécouvrant une civilisation disparue. Ainsi, disséminé sur plusieurs kilomètres carrés, de nombreux petits temples s’élèvent ici et là.

10

Photographie du temple de Tà Som élevé à la fin du XIIe siècle

Au détour de vastes amas de végétation, raccourcissant considérablement notre vision, parfois ne la laissant filer que sur quelques mètres. C’est alors que nous apparaît un mur, en ruine, s’effondrant, mais ayant tout de même survécu à un millénaire d’agression naturelle. Longeant celui-ci, nous débouchons sur un ensemble de plateforme, déformé par les racines d’arbres gigantesques, déplaçant d’impressionnants blocs de pierre de plusieurs tonnes. Cela nous plonge dans une ambiance chaotique, mais où règne curieusement une sérénité propre à un temps passé, celui où la vie battait son plein dans cette jungle du bout du monde.

Ces petits temples, plus ou moins isolés dans la foret tropicale, sont eux peu visités, étant parfois distants de plusieurs kilomètres des principaux sites de la cité d’Angkor, les touristes se font ici plus rares. Cette apparente solitude permet alors une totale immersion dans l’univers angkorien. Laissant cours à notre imagination, on se prend à rêver, un tigre pourrait surgir du mur derrière nous, un serpent de trois mètres de long se trouve peut être sous le tas de pierres formé par l’effondrement d’un morceau du temple. Cette sensation d’être un aventurier, redécouvrant une civilisation oubliée dans une région hostile, est extraordinaire, unique.

12

Bas relief du temple de Tà Prohm élevé à la fin du XIIe siècle

En nous enfonçant dans les ruines de ces petits temples, et au fur et à mesure d’une observation minutieuse des pierres qui nous entourent, se dévoilent à nous une richesse architecturale et culturelle dissimulée par l’apparent chaos du premier regard. Sculptures et bas-reliefs sont omniprésents, dans un style chargé nous découvrons la vie de cette société disparue. Des scènes de guerre, sont opposées à des représentations romantiques, des alignements de statues massives à l’apparence humaine, semblent être les gardiens de ces lieux, et que dire de ces têtes géantes de trois peut être quatre mètres de diamètre.

Puis, après avoir été profondément attentif et interpelé par la richesse artistique de cette civilisation, en arrivant au cœur de ce qui reste de ces temples, c’est l’architecture qui nous éblouit. Jusqu’ici nous ne pouvions qu’imaginer à quoi ressemblait cette ville, les ruines de bâtiments effondrés, ne nous avaient alors pas permis de voir ; à quoi cela ressemblait réellement. Stupéfait par le coté massif de cette architecture monochrome de grès gris, on se sent presque écrasé par la dimension des impressionnantes sections de pierres qui la compose.

7

Photographie du temple de Tà Prohm élevé à la fin du XIIe siècle

L’usage d’un matériau unique, induit l’unité de l’ensemble, si bien que la ressemblance des différents espaces rend parfois l’ensemble labyrinthique. On se sent alors comme égaré, déambulant au travers d’un monde disparu, mais qui ne semble pas si lointain du fait de la faible détérioration de la pierre. Le grès n’a quasiment pas été érodé, seul la végétation a permis d’effacer ces constructions. Recouvrant l’architecture, provocant son éboulement, la jungle est partout, à l’intérieur des bâtiments des arbres poussent sur les murs, des mousses et lichens dissimulent l’aspect gris de la pierre derrière un camaïeu de vert.

L’architecture, dans un état encore intacte, permet de constater un système constructif plutôt primitif, bien que très ordonné et organisé. On note par exemple la non maitrise de la voûte de compression, les plafonds sont alors réalisés grâce à la technique de l’encorbellement, provoquant une sensation d’écrasement. Cela, en addition avec l’usage unique du grès gris comme matériau de construction, oblige à de faibles portées, il en résulte une impression de verticalité accrue, parfois tramés par de longues colonnades, qui accentuent alors encore cet effet.

8

Corridor éboulé du temple de Tà Nei édifié à la fin du XII siècle

L’ambiance intérieure de ces édifices prolonge celle précédemment décrite à l’extérieur, des éboulements bloquent certains accès, réaffirmant l’esprit d’aventure lors de leurs découvertes. Le manque de lumière de certains espaces donne un aspect mystique à ces temples, quelques percées de lumière dues à l’effondrement de plafond illuminent quelques uns de ces volumes sombres, dans lesquels semblent nous attendre pièges et autres stratagèmes visant à protéger les lieux. Mais il n’en est rien, seul notre esprit nous joue des tours, probablement influencé par des récits d’aventures lues auparavant.

Pour conclure, visiter la cité d’Angkor c’est bien évidemment voir les majestueux temples de Angkor Vat, Angkor Thom, Ta Prohm et autres. Mais se limiter à ces quelques impressionnantes visites ne permet pas de pouvoir ressentir l’ambiance générale du site. Je ne peux qu’encourager toute personne à visiter de nombreux autres temples, eux toujours perdus dans la jungle, en dehors des masses touristiques, de se perdre dans la forêt tropicale, à la recherche d’une autre aventure.

carte-angkor

carte du site d’Angkor extrait de : Ortner Jon, Angkor, Citadelles & Mazenod, Paris, 2002, p 271

Frédéric Scheffer

Voyage Aout 2014

bibliographie :

Stierli Henri, Angkor, Office du Livre, Fribourg, 1970, 192p

Ortner Jon, Angkor, Citadelles & Mazenod, Paris, 2002, 279p