C’est pendant des vacances de fin d’année que j’ai visité Barcelone, quelques jours à découvrir les ouvrages de certains grands noms de l’architecture. C’est la première fois que je viens dans cette ville catalane tant prisée des touristes du monde entier. Bon, il est vrai qu’on y entend beaucoup de français, mais quand on voit la richesse et la qualité de l’architecture dans cette ville, on comprend vite pourquoi des gens des quatre coins du monde viennent la visiter. En allant à Barcelone, je savais que j’allais voir le pavillon de Mies van der Rohe, j’attendais ce moment depuis quelque temps déjà, on en parle beaucoup en cours, on le voit dans beaucoup de livres mais pourtant toutes les photos et textes le concernant ne peuvent remplacer une vraie visite du bâtiment.

Vue générale du pavillon à l'arrivée sur site

Vue générale du pavillon vue depuis la grande place centrale

l’arrivée au pavillon

C’est à la fin du séjour que je suis allé visiter le fameux pavillon allemand de Mies van der Rohe. L’édifice se trouve dans le Parc de Montjuic situé au Sud du centre-ville. Je suis entré du coté de la Plaça Espana et ce qui frappe en premier, c’est la perspective monumentale de l’endroit, qui dirige le regard vers le haut de la rue, mais pas de pavillon allemand à l’horizon. Finalement, je le découvre au loin, au fond d’une immense place. J’ai eu l’impression qu’on l’avait mis là un peu délibérément, par manque de place, évidemment j’avais tort et je m’en suis rendu compte dès que j’ai approché le bâtiment.

Entrée du pavillon

Entrée du pavillon

L’HISTOIRE DU PAVILLON

La foire internationale de 1929

Le pavillon Allemand de Barcelone a eu, pour ainsi dire, plusieurs vies. En 1929, se tient la foire internationale de Barcelone. L’Allemagne y est conviée mais assez tardivement, en 1928. La conception d’un pavillon est alors confiée à l’architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe, incarnant à cette époque l’espoir de l’architecture moderne. Dix ans après la fin de la première guerre mondiale, la république de Weimar veut montrer une nouvelle image de l’Allemagne, plus performante, plus rassurante, plus ouverte. Le pavillon doit pouvoir accueillir des réceptions officielles pendant la foire, c’est pour cela que les produits de l’industrie allemande sont exposés dans d’autres pavillons. Celui-ci montre plutôt le savoir faire allemand en matière de construction qui est alors à la pointe de la modernité. Il reflète la « clarté, la simplicité et l’intégrité ». A l’époque de la foire, le pavillon Allemand reste quelque peu inaperçu, seul quelques architectes et critiques comme Peter Behrens et Raymond McGrath vont partager un même enthousiasme autour du travail de Mies van der Rohe. Bien que la qualité architecturale de ce bâtiment soit assurée aujourd’hui, il faut savoir qu’en 1929, le mouvement moderne n’en est alors qu’à ses débuts.

l'horizontalité, principe fort du pavillon, voulue par Mies van der Rohe

l’horizontalité, principe fort du pavillon, voulue par Mies van der Rohe

Les photographies

A la fin de la foire internationale de Barcelone, en 1930, le pavillon est détruit entièrement. Seule trace de son existence, une séries de photographies commandées par l’architecte lui-même et un morceau d’un des piliers métallique de la structure. Ces clichés serviront pendant des dizaines d’années de support d’analyse et de critique à de nombreux architectes. C’est pendant cette période que le bâtiment sera vraiment reconnu, l’amenant alors au rang de chef-d’oeuvre de l’architecture moderne.

vue intérieure

vue intérieure

La reconstruction

Dans les années 80, un grand plan urbain est en projet, des architectes catalans, Ignasi de Solà Morales, Cristian Cirici et Fernando Ramos, seront chargés de la reconstruction du pavillon Allemand à son emplacement d’origine. Le chantier commença en 1983 et le bâtiment sera inauguré une nouvelle fois en 1986. Il est alors considéré comme un élément majeur du travail de Mies van der Rohe dans son ensemble. Rien n’a été modifié de l’ancien projet et ce grâce au travail de relevé d’architectes passionnés, travail rendu possible par les photographies et les dessins de l’architecte auteur du pavillon. Il est désormais le témoignage d’un mouvement architecturale dominant du XXème siècle qu’est le modernisme. Cette reconstruction est en soi une résurrection de l’oeuvre qui malgré son caractère éphémère initial, réussi à s’inscrire dans une volonté architecturale forte, aujourd’hui reconnue à sa juste valeur.

LE PAVILLON

Lorsque qu’on arrive devant le pavillon, la première chose que l’on observe, c’est ce podium sur lequel se trouve le bâtiment, à la manière d’un temple grec, il prend un peu de hauteur par rapport au sol. Cette référence à l’antique n’est pas anodine puisque Mies van der Rohe affectionnait tout particulièrement cette période. C’est très certainement ce goût pour l’Antique qui le motiva à refuser l’emplacement d’origine du projet situé à côté du pavillon Français. Il choisit donc un autre site, plus à l’écart. Il est précédé, à l’époque de la foire internationale, d’une rangée de huit colonnes ioniques  délimitant la grande place centrale, colonnes qui ont aujourd’hui disparues. Derrière, une colline boisée amenant à une autre partie de la foire, le village Espagnol. En le plaçant de cette manière, le visiteur devra passer par le pavillon Allemand pour accéder au village.

Le pavillon, surélevé par rapport au niveau de la place

Le pavillon, surélevé par rapport au niveau de la place

Pour accéder à ce grand podium, on prend les escaliers qu’on ne voit pas en arrivant de face, ils sont insérés dans un décalage par rapport au pavillon. On arrive alors sur cette grande plateforme qui se divise en deux. D’un côté, un grand bassin repoussé dans l’un des angles du podium. On ne peut pas en faire le tour car un mur bâti sur cet angle l’en empêche. De l’autre côté, une construction d’un unique niveau à toit plat. Une des extrémités se termine par un petit bassin fermé de tous côtés, ce qui le rend invisible depuis l’extérieur. Les deux parties sont reliées par un grand mur auquel l’architecte adosse un banc.  Derrière ces murs, un espace de circulation qui fait penser à un couloir de service, dissimulé par ce grand mur. Cette jonction des deux parties fait apparaître un petit local technique lui aussi recouvert d’un toit plat, mis à l’écart du reste.

Vue du pavillon depuis une des extrémité du bassin

Vue du pavillon depuis une des extrémité du bassin

A l’époque, le pavillon allemand de Barcelone propose une autre manière de percevoir l’espace. Les différents espaces composant l’ensemble intérieur ne sont pas clos, ils s’ouvrent les uns sur les autres tout en restant indépendants. A l’origine, l’architecte voulait une ouverture totale de son œuvre, mais on l’obligea à intégrer des portes au projet. On peut tout de même les différencier de par leur matérialité que nous allons aborder plus tard. La composition de l’ensemble est à la fois symétrique et désordonnée, elle est dynamique. Ici, l’horizontalité règne en maître. Que ce soit avec le grand mur extérieur ou le toit plat, la ligne horizontale s’impose dans cette symbolique du modernisme.

L’édifice reprend le système constructif emblématique du mouvement moderne dont l’élément fondamental réside dans la séparation de la structure porteuse des parois. Ainsi, le toit plat repose sur huit piliers métalliques positionnés selon une trame géométrique régulière. Cela permet à l’architecte de placer les parois librement, sans contraintes. C’est la disposition de ces parois qui va créer les différents espaces intérieurs du pavillon. On a comme l’impression que certaines parties sont inachevées, en fait, en y regardant de plus près, c’est tout le contraire. En considérant l’ensemble des parois, leur disposition met clairement en évidence le caractère déconstruit du pavillon voulue par l’architecte qui serait parti d’un forme simple en rectangle qu’il aurait ensuite déplacé, découpé, éclaté. Cette disposition des parois permet de cacher la structure porteuse et la symétrie de la composition. Mies van der Rohe décompose ce qui est considéré comme une habitation, il peut se permettre un telle démarche parce que personne ne va l’habiter. Cette décomposition est renforcée par l’écart fixe entre un piliers et une paroi qui souligne la séparation de « la peau et du squelette » ici, le squelette est d’ailleurs à l’extérieur.

La structure porteuse est détachée du système de paroi

La structure porteuse est détachée du système de paroi

LA MATERIALITE

Les matériaux utilisés sont assez étonnants pour un bâtiment symbolisant le modernisme. Comme nous le savons, Mies van der Rohe porte un intérêt tout particulier à l’antiquité auquel il va emprunter les matériaux caractéristiques de cette époque. Il va ainsi choisir du marbre vert de Grèce, de l’onyx des montagnes de l’Atlas et du travertin, pierre de prédilection des constructions antiques, moins coûteuse que le marbre. A ces matériaux antiques, il associera des matériaux contemporains tel que l’acier chromé et de grands panneaux de verre.

Ces matériaux, à la fois traditionnels et luxueux rendent la modernité moins provocante, plus acceptable pour les visiteurs de la foire de 1929. Cependant, ces matériaux de grandes qualité ne sont en réalité que des habillages. Le marbre et le travertin sont fixés sur une armature métallique mais la qualité d’assemblage est telle que l’illusion de la continuité du matériau est efficace. De même, pour les piliers métalliques, c’est un assemblage de métal chromé vissé sur  des pièces en acier industriel. Le marbre et l’onyx des parois sont polis et cirés ce qui les rend très brillants et reflète tout ce qui se trouve autour, la perception de l’espace intérieur est alors altérée, perturbée par tout ces reflets. L’unique mur d’onyx se trouve en plein milieu de l’espace intérieur et s’offre au visiteur comme une sorte de tableau, comme un élément à contempler de la composition.

Le mur d'onyx séparant l'espace intérieur

Le mur d’onyx séparant l’espace intérieur

On ne peut pas parler du pavillon allemand de Barcelone sans parler de l’importance des matériaux et notamment du verre dans la perception de l’espace, qu’on se trouve à l’extérieur ou à l’intérieur. Les différentes parois de verre renforce le jeu de reflet. L’accumulation des parois brouille complètement l’espace qu’on regarde, à travers la fenêtre, la succession de couches de verre par ce jeu de reflet, nous plonge (quand la lumière du soleil le permet) dans un monde de réflexion de couleurs et de formes qui « habille » l’espace intérieur du pavillon.

l'importance du jeu de reflets des parois vitrées, une profondeur quasi-infinie

l’importance du jeu de reflets des parois vitrées, une profondeur quasi-infinie

LE MOBILIER

La fauteuil Barcelone

A l’occasion de ce projet de pavillon pour la foire internationale de 1929, Mies van der Rohe va aussi concevoir un ensemble de fauteuils et tabourets. L’assise est en cuir et la structure en acier chromé. La qualité du mobilier va de paire avec le pavillon lui-même, comme le voulait l’architecte. Ce mobilier, tout comme le pavillon, s’est hissé au rang d’icône  modernisme mais cette fois-ci pour le design.

Sa place dans le pavillon

De part la présence du mobilier et sa disposition dans le pavillon, l’abstraction spatiale est atténuée. L’édifice est un espace de réception avec son intérieur avec ce salon dans le grand volume central et son extérieur avec cette terrasse partiellement couverte créée par le débordement du toit plat. Deux types d’espaces qui sont séparés l’un de l’autre par une double paroi en verre qui s’éclaire la nuit venue. C’est d’ailleurs le seul endroit qui soit éclairé dans tout le pavillon.

LA STATUE

Installée dans le petit bassin partiellement couvert du pavillon, cette statue de Georg Kolbe intitulée « le Matin » est la reproduction d’une statue destinée à un square berlinois (1925). Posée sur un petit socle à fleur d’eau, on ne peut en faire le tour. On ne sait pas réellement pourquoi Mies van der Rohe a choisi cette statue, peut-être à cause du rapport qu’elle entretient avec le toit qui lui est proche. Elle est comme éblouie par le soleil dont la lumière se reflète dans le bassin. Les reflets de la statues ne se font pas seulement sur l’eau qui, protégée par les murs de marbre, reste lisse et paisible, mais aussi sur ces murs qui l’entourent et renvoient des images illusoires de la statue.

La statue de Georg Kolbe dans le petit bassin

La statue de Georg Kolbe dans le petit bassin

Cette statue, on peut la voir depuis de nombreux endroits. Le jeu de parois et les rapports qu’elles entretiennent entre elles crée des perspectives dirigeant le regard vers cette dite statue. C’est en quelque sorte un repère pour le visiteur qui se sentirait un peu désorienté. Les points de fuite convergent vers cette statue, incitant le visiteur à venir découvrir le pavillon. Elle est parfois révélée, parfois cachée aux yeux du spectateur.

la perspective dirige le regard vers cette statue

la perspective dirigeant le regard vers la statue

RETOUR SUR …

Après avoir visité le pavillon allemand, je comprends bien mieux pourquoi et comment ce bâtiment s’est hissé au rang d’icône de l’architecture moderne et du XXème siècle. Ce n’est ni la monumentalité, ni la complexité constructive qui en fait une référence. Ce serait plutôt l’espace en lui-même qui révèle toute la valeur de cette architecture. Ce qui est étonnant pour tout visiteur, c’est la finesse du détail, des finitions, le choix des matériaux qui rendent ce lieu encore plus noble. Le pavillon Allemand de Barcelone a su bousculer les codes architecturaux de l’époque en requestionnant la forme tout en utilisant des matériaux qui eux ne sont pas nouveau mais rendent cette transition architecturale plus acceptable pour le public de 1929. Mies, dans son travail veut « en finir avec la froideur du rationalisme » de ces paroles naîtront les nombreux projet de cette architecte. Le projet du pavillon servira d’ailleurs de base au travail de Mies qui va reprendre les grands principes empruntés au modernisme pour ses autres travaux. Le pavillon, quant à lui restera j’en suis sûr, une référence d’architecture majeure.

Sylvain GOUYER

Séjour du 30 Décembre 2015 au 2 Janvier 2016

BIBLIOGRAPHIE

BONTA, J.P. (1975), Mies van der Rohe Barcelona 1929, Barcelone, Editorial Gustavo Gili

QUETLAS, Josep (2001) Fear of glass, Suisse, Birkhaüsser

SOLA-MORALES, Ignasi de – CIRICI, Cristian – RAMOS, Fernando (1993) Mies van der Rohe, Barcelona pavillon, Barcelone, Editorial Gustavo Gili

Auteur inconnu,  – The pavillon – Documentation, 2015. fundacio mies van der rose. [ en ligne ] consulté le 27 Octobre 2016