Il faut savoir qu’en avril 2014, je suis en première année, je sors directement de l’option de Michel Velly qui n’a pas manqué de nous faire comprendre que les pays nordiques, et plus précisément le Danemark, étaient un eldorado en terme d’architecture. Ma destination, bien qu’extra-scolaire (A l’origine, je venais rendre visite à ma soeur à Hambourg) n’est donc pas anodine. Il nous avait d’ailleurs été présenté en long, en large, et en travers un certain musée d’art contemporain, à Humlebaek, près de Copenhague qui, je pense, nous avaient tous marqué. Ni une ni deux, je file à Louisiana pour prendre la mesure de l’ouvrage.

GÉNÈSE DU PROJET

Un peu d’histoire tout d’abord. Le projet de musée Louisiana naît en 1955 quand Knud W. Jensen, entrepreneur, amateur d’art, et citoyen de la ville de Humlebaek, découvre en promenant son chien une propriété comprenant une villa avec un immense et magnifique terrain en confrontation directe avec la mer : Louisiana. Construite en 1855, ancienne propriété de Alexander Brun, maître de la chasse royale, elle tient son appellation des trois femmes successives de ce dernier, toutes prénommées Louise. La maison bourgeoise cherchant désespérément acquéreur, la municipalité la prédestine tantôt à devenir maison de retraite, cimetière, ou station d’épuration… Jensen voit le potentiel du site et le sauve de son destin funeste.

Les trois compères

Evolution du Louisiana

Evolution du Louisiana

On peut réellement dire que le succès de toute la transformation de Louisiana en musée dépend de trois protagonistes : Knud W. Jensen, le maître d’ouvrage, propriétaire, fondateur, et directeur historique de Louisiana, ainsi que Jorgen Bo et Vilhelm Wohlert les architectes responsables des travaux entre 1958 et 1991. Ce projet est exemplaire quand il s’agit de démontrer que de bonnes relations entre les architectes et leurs clients sont déterminantes de la qualité du projet. Au préalable, tous les trois ont voyagé ensemble en Suisse ainsi qu’en Italie, afin de se nourrir de ce que ces pays pouvaient proposer d’intéressant dans l’architecture de leurs musées. Bo et Wohlert ont tous deux passé un mois entier chez Jensen afin d’étudier le site en profondeur et de s’en imprégner. De ces expériences est née une réelle amitié entre les trois hommes.

Bo et Wohlert ont tous deux une trentaine d’années lorsque Jensen les contacte pour la première fois. Sortant des Beaux Arts de Copenhague, ils possèdent les bases de la formation classique. Ils en tirent une pratique de l’architecture à mi-chemin entre le vernaculaire danois, se traduisant par un usage important de la brique par exemple, et une appropriation du langage moderniste qui leur est contemporain. Cette philosophie architecturale peut se résumer par cette phrase de Wohlert : « Toute tradition restant en vie, et se développant, se doit d’être mise à l’épreuve et adaptée aux nouvelles conditions de son époque. »

Ce n’est que par la suite que Wohlert part à Berkeley, Californie, pour y faire ses études de « Post-Graduate ». C’est par le biais de ses professeurs américains (William Wurster, ou encore Bernard Maybeck) qu’il s’initie à l’usage du bois, notamment en charpente, et qu’il s’ouvre aux cultures constructives japonaises avec l’utilisation unique du matériau bois dans toutes les strates de l’ouvrage, avec très souvent une planification modulaire.

UN PROJET DANS LE TEMPS

De ces personnalités, parcours, et influences, on en vient à la réalité du projet Louisiana. Les règles du jeu imposées par Jensen sont simples et au nombre de trois : premièrement, la vieille maison doit être conservée; deuxièmement, il est nécessaire de prévoir une salle relativement large avec une grande ouverture sur l’extérieur et le lac artificiel (actuelle salle où sont exposées les œuvres de Giacometti); troisièmement et enfin, une cafétéria avec terrasses en bout de parcours.  Tout le reste est libre d’interprétation pour le duo d’architectes.

Les principes d’un projet

Ainsi la première version du Musée Louisiana jaillit du sol en 1958. La mise en œuvre est simple : une base béton surplombée d’un structure bois, avec ponctuellement, quelques murs de brique qui viennent définir les rares espaces clos. Il faut savoir que ce qui prévaut à Louisiana c’est cette forte horizontale, basse de plafond, ouverte, cohérente du début à la fin de la déambulation. Ce sont ces longs couloirs vitrés qui incarnent le mieux cette idée de transparence. Tantôt d’un côté pour donner sur le hêtre centenaire, tantôt de l’autre pour laisser distinguer la Suède dans le lointain horizon, tantôt des deux côtés, permettant à l’architecture de disparaître dans son environnement. Tous ces couloirs de verre ne sont soutenus que par de fins poteaux de bois, teintés noirs, intercalés comme de simples menuiseries, et créant ainsi un rythme discret en façade.

Gaicometti - Fenêtre - Lac

Giacometti – Fenêtre – Lac

Au loin, la Sudède

Au loin, la Suède

Cool-oire

Cool-oire

Humilité de l’architecture dans le paysage

A Louisiana, on ressent d’emblée que le soucis de la matérialité a bien été pris en compte par les architectes. Il y a donc cette omniprésence du verre qui joue un rôle prépondérant dans la relation architecture/nature. Il y a aussi l’usage de la brique structurelle, laissée apparente, à joint creux, et peinte en blanc, créant ainsi un fond possédant un certain relief qui n’est pas inintéressant pour faire ressortir les œuvres qui y sont accrochées, ou simplement positionnées devant. Cette brique on la retrouve également au niveau du sol :  un  pavage de briques rouges sombres : une certaine cohérence de la terre cuite qui retourne dans la terre, associé à la connotation « chaude » de la terracotta. Au plafond, de longues lattes de bois lasurées renforcent l’impression de linéarité des couloirs.

Des évolutions dans la continuité

Cafét'

Cafét’

Joan Miro

Joan Miro

Richard vous ouvre ses portes

Richard Serra vous ouvre ses portes

Le Hêtre

Le Hêtre

BILAN

Cela peut paraître un peu naïf, mais à Louisiana il y a une très bonne atmosphère qui découle directement de la politique du musée. On est loin des boites aveugles classiques, coupées de l’extérieur, privatives, élitistes, et qui au final font du musée un espace qui ne touche qu’une trop petite partie de la société. Dans sa volumétrie, Louisiana est à des années lumières du « mégamusée », aussi large que long que haut, bref très spectaculaire. L’essence de Louisiana réside dans des concepts simples, le bâti est discret, il rase le sol, s’enfonçant parfois même légèrement afin de se faire encore plus humble par rapport à l’environnement naturel qu’il met généreusement à disposition du visiteur. C’est aussi ça qui fait la force de Louisiana, tout s’offre à tout : l’architecture vous offre la nature, la nature vous offre aux œuvres, les œuvres se posent naturellement dans l’architecture, toutes ces interactions en faisant un espace foncièrement agréable. Loin d’être aussi extravagant que beaucoup d’autres musées de son époque, Louisiana en est aussi un endroit beaucoup moins anxiogène. Au delà de disposer des oeuvres des plus grands, (Warhol, Miro, Giacometti, Serra …) Louisiana se définit par une ouverture à son public et la liberté qu’elle lui offre. Ici on se projette facilement pour y passer du temps, ou bien revenir une autre fois, même si l’on à déjà tout vu, rien n’empêche rester encore un peu, juste par plaisir d’être là.

11

Voyage effectué en avril 2014

Alexis Chatellier

RÉFÉRENCES :

  • BRAWNE Michael, « Lousiana Museum », Wasmurth, 1993, 58 p.
  • https://www.louisiana.dk/
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Mus%C3%A9e_d%27art_moderne_Louisiana