J’ai eu l’occasion de m’intéresser au centre-ville d’Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne dans le cadre de mon mémoire en architecture. L’impression qu’il m’a laissé est la suivante : Ivry ressemble à un village. La ville d’Ivry a toujours mis l’emphase sur la proximité des équipements entre eux, de façon à entretenir et resserrer les liens des habitants ivryens. C’est l’épicentre de toute la commune, qui regroupe toutes les fonctions et activités nécessaires au quotidien. Ainsi les fonctions sont toutes regroupées en son centre et très proches les unes des autres. Parmi les équipements, on trouve plusieurs écoles, gymnases, bâtiments culturels, de nombreux ensembles de logements, des espaces verts et des commerces. Cette concentration s’explique historiquement, et fait du centre-ville d’Ivry un quartier très dense.

Jusqu’au milieu du XXème siècle, Ivry est une cité fortement ouvrière et connait un essor industriel fulgurant : de nombreuses entreprises industrielles s’y implantent et emploient des milliers d’ouvriers ivryens. Après la seconde guerre mondiale, la crise du logement aggrave les conditions de vie des habitants. Les autorités communistes de la ville décident alors de se mobiliser pour maintenir l’activité fortement industrielle de la ville, et se lancent le défi de reconstruire tout le centre-ville pour repenser l’urbanisme et la demande en logements sociaux. Cette refonte totale est ancrée dans le climat politique d’Ivry, qui fait alors partie d’une couronne de villes communistes autour de Paris appelée « la ceinture rouge ». La remarquable stabilité politique de la commune depuis les années 30 a permis une planification urbaine poussée et suivie pour une gestion du bâti à long terme. Pour cette rénovation de grande ampleur c’est la jeune architecte Renée Gailhoustet qui fut chef de projet, secondée par l’architecte Jean Renaudie et sa pensée structuraliste. Ensemble, ils vont concevoir un nouveau centre-ville à la fois dense et flexible, urbain et habité, en proposant une hybridation étroite des fonctions de la ville.

Aujourd’hui, la ville d’Ivry a conservé ce masterplan des années 70, et est fière du patrimoine architectural qu’elle a construit. La ville s’est agrandie et étendue depuis, mais les autorités n’ont de cesse de préserver la densité et l’hybridation du centre. Une balade architecturale dans le centre-ville va nous permettre d’identifier ces nœuds fonctionnels qui font l’essence communiste de la municipalité d’Ivry.

Parcours de la ville d'Ivry

Parcours de la ville d’Ivry (source : Google Maps)

La cité Spinoza

Notre parcours commence chronologiquement à deux pas de la mairie d’Ivry, où on trouve la cité Spinoza. Cette opération de logements sociaux au plan masse imposant est l’une des premières de la rénovation du centre-ville.

Les loggias et eptites ouvertures bleues et jaunes qui rappellent les unités d'habitation

Les loggias et petites ouvertures bleues et jaunes qui rappellent les unités d’habitation

Projetée à la fin des années 60 par le masterplan de Gailhoustet et achevée en 1971 par l’architecte Roland Dubrulle, c’est un bâtiment composé de trois barres sur pilotis formant un gigantesque T. Des escaliers extérieurs relient les différents niveaux. De longues coursives en façade desservent les logements en hauteur, qui sont au nombre de 80, tous des duplex. Ce sont de longs tubes opaques qui font ressembler l’édifice à un vaisseau. Une crèche au dernier niveau vient compléter l’ensemble, lui donnant des airs d’unité d’habitation corbuséenne. En effet on retrouve des loggias aux fenêtres colorées, de petites ouvertures en mosaïques.

Les circulations horizontales très minérales donnent un air de vaisseau à l'ensemble

Les circulations horizontales très minérales donnent un air de vaisseau à l’ensemble

C’est d’ailleurs une référence programmatique et architecturale revendiquée par Gailhoustet lors de son plan de rénovation d’Ivry. Elle souhaitait un bâtiment hybride, harmonisant activités et logements, comme pour recréer un centre vivant. Au rez-de-chaussée se trouvent de nombreux équipements municipaux, comme un foyer pour les jeunes travailleurs, un centre médical, une bibliothèque pour enfants. Bien qu’aujourd’hui à l’abandon, les locaux de ces activités sont accessibles depuis la rue et sont modulaires, pouvant s’adapter aux différents besoins.

Lecture verticale du bâtiment : au rez-de-chaussée l'école primaire, puis une alternance de loggias et de 'tubes' horizontaux pour distribuer les logements

Lecture verticale du bâtiment : au rez-de-chaussée l’école primaire, puis une alternance de loggias et de ‘tubes’ horizontaux pour distribuer les logements

Les arches blanches qui invitent au parcours sous l’imposante silhouette de béton rappellent les arcades des rues commerçantes des siècles passés. Elles proposent aux usagers une déambulation piétonne dans un espace couvert, entre ville et habitation. C’est une des illustrations phares des « promenées », concept emblématique de la rénovation d’Ivry. Ces invitations à la balade entre l’urbanité des villes et l’intimité des habitations soulignent l’importance accordée à l’hybridation et la proximité des fonctions d’une ville.

Les arches blanches invitent à la promenade dans le rez-de-jardin public

Les arches blanches invitent à la promenade dans le rez-de-jardin public

Les tours Raspail et Lénine

A l’angle des avenues Casanova et Gosnat, les tours Raspail et Lénine sont le véritable premier maillon de la reconstruction ivryenne lancée par Renée Gailhoustet. Achevées en 1970 et également inspirées des grands ensembles d’après-guerre, elles illustrent la volonté de réaffirmer une identité communautaire des ouvriers d’Ivry. Le logement social est alors un véritable enjeu architectural.

La tours Raspail a une architecture quasi identique à la cité Spinoza, mais verticale

La tour Raspail témoigne d’une architecture quasi identique à la cité Spinoza, mais verticale

Aujourd’hui les tours se dressent encore dans le paysage ivryen comme un repère symbolique de cette rénovation. On retrouve une lecture architecturale quasiment identique avec la cité Spinoza, à ceci près que ce sont des tours et non des barres. Ces deux ensembles verticaux sont reliés par une circulation verticale au centre afin de desservir plus de 200 logements. La façade en béton rappelle les unités d’habitation avec ces longs bandeaux de loggias, ses petites fenêtres bleues et jaunes. A l’image du bâtiments, les façades sont à la fois massives et pourtant très travaillées dans les détails. Dans sa programmation architecturale, Gailhoustet a aussi repris des éléments forts de Le Corbusier : des commerces sont implantés en rez-de-chaussée, des services communs sont disponibles par étage. Cette organisation interne fait aussi référence à la « Dom-Kommuna » soviétique, qui proposait déjà des buanderies et ateliers pour enfants communs. L’ensemble vise à créer ces bâtiments hybrides que recherche Gailhoustet, et qui seront les lieux de vie de la communauté communiste ivryenne. A l’intérieur, les logements sont en duplex et s’agencent dans un puzzle complexe d’imbrications. L’architecte s’affranchit alors de la régularité mathématique de Le Corbusier et propose un système inédit dans l’habitat collectif. La proximité n’est plus une conséquence de la croissance démographique mais devient moteur de la ville nouvelle et hybride.

L’opération Danielle Casanova

A quelques mètres seulement des deux tours, on tombe directement sur l’opération Danielle Casanova, toujours sur l’avenue du même nom. Construite en 1972 par Renaudie, elle illustre parfaitement les velléités ensemblistes et communautaires de Gailhoustet. Au cœur du centre-ville, et donc de la rénovation des années 70, le projet Casanova s’inscrit comme la réponse à une analyse sociologique avancée. Un travail sur le tissu social qui pousse les architectes à s’émanciper du parallélépipède rectangle, jusqu’alors caractéristique du logement social.

La façade sur avenue, lisse et masive

La façade sur avenue, lisse et massive

A cette époque, l’architecte Jean Renaudie est fasciné par la complexité fiévreuse de la ville, et fait de cette convergence des énergies le concept phare de son opération. L’enjeu est double : l’enchevêtrement des différentes forces de la ville doit être le fondement de cette nouvelle architecture ; et à la fois l’architecture qui en découle doit venir fertiliser cet imbroglio urbain. Il en résulte un bâtiment certes imposant mais à la lecture formelle inédite : un ensemble d’étoiles posées en quinconce les unes sur les autres, et qui pointent dans toutes les directions leurs terminaisons épineuses.

Depuis le jardin intérieur, la façade prend du relief et révèle les terrasses en étage

Depuis le jardin intérieur, on assiste à un enchevêtrement de pointes et d’angles saillants superposés en quinconce

Le bâtiment demeure massif : depuis l’avenue Casanova la façade est abrupte. Il faut passer sous les porches du rez-de-chaussée pour pénétrer dans un jardin plus intime. De là, on distingue de nouveau la structure pyramidale de l’édifice : les étages sont plus petits en surface à mesure que l’on monte, libérant alors des terrasses privées pour chacun des logements. Ceux-ci sont au nombre de 80 et pas un seul n’a le même plan. Afin d’entremêler toujours plus les relations humaines, Renaudie base ses plans sur une trame triangulaire. Des loggias et des ouvertures graphiques percent les façades en béton et atténuent l’aspect brutaliste de la construction.

Le jardin intérieur révèle le relief des façades percées de loggias

Le jardin intérieur révèle le relief des façades percées de loggias

 

Le rez-de-chaussée est très coloré : les accès aux logements par des circulations verticales sont peintes avec des couleurs primaires. L’ancien atelier de Renaudie s’y situe également : il se distingue depuis l’extérieur par ses parois colorées et obliques.

Les accès se font depuis les 5 portes colorées au rez-de-chaussée

Les accès se font depuis les 5 portes colorées au rez-de-chaussée

Le contraste entre l’aspect brutaliste de l’avenue Casanova et la cour intérieure est frappant. La façade sur rue semble alors être une grande muraille protectrice – et habitable. S’érigeant comme un seuil séparatif entre deux univers, elle referme l’opération Casanova sur elle-même et sur ses habitants. Renaudie propose-t-il alors une sorte d’autarcie à travers cette architecture défenseure ? Il y a en tous cas toutes les activités nécessaires pour vivre dans l’édifice sans avoir besoin de mettre un pied en dehors de la communauté. Comme pour l’opération Jeanne Hachette, cet ensemble de logements est émaillé de divers équipements programmatiques : bureaux et locaux commerciaux au rez-de-chaussée et une école primaire avec un parc.

Les locaux d'activités au rez-de-chaussée s'insèrent dans la trame des logements

Les locaux d’activités au rez-de-chaussée s’insèrent dans la trame des logements

Locaux d'activités dans les étoiles

Locaux d’activités dans les étoiles

Avec la crèche Jeanne Hachette et la médiathèque en face de la rue, il n’y a plus besoin de sortir d’Ivry. Tout est à portée de main, accessible à pied depuis les logements. Cette dimension sociale est clairement affichée à l’époque et vise à réaffirmer l’identité communiste du centre-ville.

Le Liégat

Entre la rue Gabriel Péri et l’avenue Danielle Casanova, le Liégat arrive plus tard dans la rénovation du centre-ville. Projeté dès 1962 mais construit seulement 20 ans plus tard, il rend compte de l’évolution architecturale de la rénovation depuis ses premières tours corbuséennes aux utopies étoilées de Renaudie.

La trame adoptée ici est hexagonale, on retrouve les arches abritant les promenées et les loggias privatives

Un ensemble qui reprend les idées de Renaudie : façade en relief, arches abritant les promenées et loggias privatives

Comme les précédents ensembles d’Ivry, le Liégat articule 140 logements sociaux autour de locaux d’activités et d’une école primaire. La recette de l’hybridation selon Gailhoustet semble porter ses fruits et est de nouveau réemployée. En revanche, l’aspect du bâtiment est tout autre : peut-être enhardie par les créations géométriques de Renaudie, Gailhoustet s’essaie ici à une trame hexagonale. L’ensemble s’apparente à une superposition d’hexagones identiques en pyramide. Ils permettent de donner une profondeur à la façade avec des renfoncements et des avancées.

Des loggias qui suivent une trame géométrique hexagonale

Des loggias qui suivent une trame géométrique hexagonale

Un pas de plus vers le renouvellement de la conception d’habiter ? Dans tous les cas, le Liégat témoigne de cette évolution de l’habitat collectif dans les mentalités des architectes.

Aujourd’hui ce sont principalement des architectes et des artistes qui utilisent les locaux d’activités en dessous des logements. Le Liégat est le benjamin de la fratrie et les codes demeurent identiques ; cependant les allées en gravillons et les porches moins larges donnent un caractère plus privatif à l’ensemble. On se sent plus intrusif à pénétrer dans la cour intérieure de l’édifice, qui est elle-même plus sombre, moins ouverte à l’espace public.

Jardin privé en rez-de-chaussée, qui rend l'ensemble assez intimiste

Jardin privé en rez-de-chaussée, qui rend l’ensemble assez intimiste

Les espaces communs aux logements sont un peu plus travaillés : des duplex et des semi-duplex se chevauchent, les dimensions collectives et individuelles se confondent. Le jeu habile de superposition en gradins crée des terrasses privatives et des loggias. Le végétal s’immisce de plus en plus dans ces constructions bétonnées et efface lentement l’apparence du bâtiment. On trouve des jardins sur la rue pour ceux qui habitent au rez-de-chaussée, des loggias aménagées en jardin d’hiver… Nous sommes bien loin des premiers projets en barres.

La place Voltaire

En poursuivant la rue Gabriel Péri, on progresse vers l’avenue Gosnat. Sur la gauche on prend le chemin des marronniers, au bout se cache la place Voltaire, qui prend place en intérieur d’îlot et dessert des logements et activités.

La place Voltaire est très minérale et donne à voir les compositions étoilées

La place Voltaire est très minérale et donne à voir les compositions étoilées

On retrouve encore les idées fortes du programme de la rénovation dans cet espace urbain aménagé par Renaudie et sa compagne Nina Schuch. Les façades en béton lasuré sont la patte de l’architecte brutaliste et répondent aux Etoiles avoisinantes. La place est large et ouverte, et un jeu sur les couleurs de façades la rend plus vivante et plus gaie. A la différence des étoiles de Renaudie, toutes grises de béton, ici les façades sont blanches, beiges, grises, ocres, rouges. Elles s’harmonisent pour former un ensemble coloré et plus vivant.

La bibliothèque Antonin Artaud

A l’angle de l’avenue Casanova et de la place Voltaire se situe la bibliothèque-médiathèque Antonin Artaud, construite en 2001 par Nina Schuch. Lors de sa construction, l’enjeu était de proposer un nouvel espace culturel tourné vers l’avenir, en offrant en plus des livres et disques des supports de connaissance innovants.

La bibliothèque Antonin Artaud de Nina Schuch

Le projet retenu est un bâtiment imposant qui abrite une multitude de salles : salle polyvalente, de travail, bibliothèque jeunesse, adulte, discothèque, salle des périodiques, salle des contes. Une concentration de petits pôles reliés entre eux. La prouesse technique réside dans la grande salle de lecture à l’étage ; sans pilier, elle permet une modularité des espaces pour aménager des lieux propices à la lecture. Elle est faite d’une armature métallique avec une toiture légère, et rompt quelques peu avec la matérialité existante du centre-ville. Mais l’architecte nous détrompe : sa médiathèque, bien que moderne dans ses techniques de construction, est traitée pour s’intégrer dans le centre d’Ivry. Le carrelage blanc et les panneaux de cuivre rouge s’harmonisent avec la place minérale dans les mêmes tons.

Vue sur la place Voltaire avec la médiathèque à droite qui reprend les couleurs minérales de la place

Vue sur la place Voltaire avec la médiathèque à droite qui reprend les couleurs minérales de la place

Les formes utilisées dans les volumes et les ouvertures contrastent vraiment avec les constructions autour de la place Voltaire : la médiathèque présente un gabarit très cubique, et ses façades rectilignes sont émaillées de larges ouvertures rondes, comme des hublots. Le rapport avec les étoiles de Renaudie, juste en face avec leurs pointes piquantes aux petites fenêtres triangulaires, passe alors par la minéralité commune. Depuis le hall de la médiathèque, une large baie vitrée offre un panorama sur la place et le carrefour face à la mairie. Cette accroche au territoire existant a été très travaillée pour que ce dernier maillon de la rénovation d’Ivry ferme la boucle du centre-ville.

On distingue les grandes baies à l'étage et les hublots de la bibliothèque jeunesse

On distingue les grandes baies à l’étage et les hublots de la bibliothèque jeunesse

L’opération Jeanne Hachette

Puis on emprunte la promenée Venise Gosnat, passerelle piétonne qui part de la place Voltaire et traverse l’avenue Georges Gosnat, pour arriver dans le centre commercial Jeanne Hachette. Cet ensemble est l’opération la plus connue de la rénovation du centre-ville d’Ivry. C’est la dernière grande opération de logement sociaux dont font aussi partie les tours Raspail, Lénine et l’ensemble Casanova. L’œuvre de Jean Renaudie construite en 1975 est l’emblème de la ville et est connue sous le nom des « Etoiles d’Ivry ».

Les étoiles de Jeanne Hachette qui s’étagent en pyramide

Ce n’est ni une tour, ni une barre, ni un parc, ni un centre commercial ; c’est un peu tout cela à la fois. C’est un bâtiment unique, hybride, abritant toutes ces fonctions simultanées dans le respect du masterplan de Gailhoustet. Pour répondre à ces attentes, Renaudie imagine une ville nouvelle basée sur ses propres convictions fonctionnelles. Rejetant le principe du zoning, qui consiste à attribuer à un lieu une fonction bien définie, il met en avant l’interpénétration des éléments de quartier. Dans un ensemble de béton vomissant sa verdure à chaque étage d’une pyramide aux pointes acérées, l’architecte affirme sa vision d’une ville aussi complexe que ses habitants.

Vue depuis la promenée Venise Gosnat, passerelle du centre commercial Jeanne Hachette qui traverse l'avenue Gosnat

Vue depuis la promenée Venise Gosnat, passerelle du centre commercial Jeanne Hachette qui traverse l’avenue Gosnat

Le bâtiment regroupe 40 appartements, tous différents, et qui dont le nombre décroît à mesure que l’on monte dans les étages pour former une pyramide. Ils sont accessibles par de nombreuses communications verticales, horizontales, cheminements et escaliers semi-publics : l’ensemble permet une multiplicité des parcours afin de faciliter les potentielles rencontres. Des équipements viennent s’imbriquer dans cet ensemble de logements – ou bien est-ce l’inverse, on ne sait plus vraiment. Une galerie de commerces étend ses longs bras géométriques à travers tout l’ensemble aux multiples entrées.

Parcours du centre commercial sinueux à travers les promenées

Parcours du centre commercial sinueux à travers les promenées

Des activités s’organisent sur plusieurs niveaux. Selon Renaudie, seul un parcours de la ville à l’image de la complexité des relations humaines leur rendrait justice : un labyrinthe de « promenées » déambulatoires et imbriquées.

Plan d'un étage du centre commercial qui s'organise comme un gigantesque labyrinthe

Photo d’un plan d’évacuation, qui montre que les étages du centre commercial s’organisent comme un gigantesque labyrinthe

Il rejette également l’angle droit, symbole de l’ordre préétabli et de l’entassement des hommes, sans aucune liaison possible. Il choisit alors l’angle aigu comme trame pour les plans de l’opération Jeanne Hachette. Tous les appartements sont alors différents et leurs angles s’imbriquent les uns dans les autres pour accentuer cette interpénétration communautaire. Poussant encore plus loin ses opinions communistes, l’architecte a voulu des distributions par des terrasses semi-publiques. Elles invitent au partage de l’espace avec autrui, pour que les habitants d’Ivry s’y promènent et s’y rencontre à loisir.

Les promenées publiques desservent aussi les logements plus hauts

Les promenées publiques desservent aussi les logements plus élevés

Aujourd’hui, les étoiles sont progressivement désertées par les commerces. Sur la rue Marat ce n’est pour le moment pas si alarmant, mais sur le boulevard Raspail, impossible d’imaginer la vitalité et l’énergie d’un centre-ville. En cause, les difficultés de la mairie à implanter des activités dans le bâtiment de Renaudie qui vieillit mal : dégâts des eaux récurrents, mauvais éclairage des allées en béton… L’ensemble a perdu de son rayonnement des années 70. Les locaux commerçants tombent lentement mais surement en désuétude et se vident de leur fourmillement passé. La commune d’Ivry est aujourd’hui en pleine réflexion à ce sujet, et pense à un projet de cité administrative pour relancer le dynamisme de Jeanne Hachette. Un dessein hors contexte et ramené de toutes pièces contre lequel s’insurge Serge Renaudie, fils du défunt architecte. Il affirme qu’une concertation avec les copropriétaires de Jeanne Hachette permettrait de recréer un centre vivant aux fonctions imbriquées, en accord avec les ambitions initiales de l’opération.

L’ensemble Marat

L’ensemble Marat jouxte l’opération Jeanne Hachette le long de l’avenue Georges Gosnat. C’est le dernier ensemble de la rénovation ivryenne qui s’achève alors en 1986.

Le dédale de promenées commerciales surplombe la rue; au dessus, les logements se superposent en surplomb les uns des autres pour créer des loggias

Le dédale de promenées commerciales surplombe la rue; au dessus, les logements se superposent en surplomb les uns des autres pour créer des loggias

Gailhoustet s’affranchit véritablement des considérations en barres et propose, en travaillant en coupe, une organisation encore différente. Les 130 logements s’amoncellent en une combinaison audacieuse de gradins et de surplombs. C’est peut-être l’opération la plus contrainte, puisque toutes les distributions par différents moyens de transport devaient être prises en compte : voies automobiles, dessertes piétonnes, parking, accès au métro souterrain. A cela s’ajoutent des locaux d’activités, ateliers, commerces comme dans les autres opérations d’Ivry. Le puzzle de toutes ces fonctions est la proposition la plus aboutie de la ville hybride et complexe.

L'ensemble Marat intègre un accès au métro

L’ensemble Marat intègre un accès au métro

Dans l’organisation des logements, l’ensemble Marat est aussi le plus réfléchi. Les appartements, principalement des duplex, disposent tous d’un patio planté et s’interpénètrent dans une savante combinatoire. Ils sont accessibles par des circulations verticales caractéristique de l’habitat collectif, mais aussi par des venelles piétonnes qui réaffirment une configuration individuelle du voisinage. On monte la promenée Jeanne Hachette et on pénètre dans ces allées en hauteur, piétonnes, devant les fenêtres des habitants.

Les promenées conduisent directement en bas des logements

Les promenées conduisent directement en bas des logements

Ce qui distingue alors l’ensemble Marat de tous les autres, ce sont ces pointes levées vers le ciel. L’angle est alors affirmé dans toutes ses dimensions. Leur coupe en biais définit au contraire de nouveaux volumes lumineux, et propose un nouveau paysage ivryen aussi. Le système de voiles porteurs est volontairement exacerbé, puisque ceux-ci ne sont pas tous arasés à la même hauteur.

Dans la rue Marat, les toits monopentes élèvent les habitations et contribuent d'une nouvelle manière au paysage ivryen

Dans la rue Marat, les toits monopentes élèvent les habitations et contribuent d’une nouvelle manière au paysage ivryen

Combinés avec les patios intérieurs, ils apportent une véritable plus-value dans la qualité des espaces et permettent d’organiser des logements sur une large profondeur. L’aplomb et le surplomb des habitations apportent du relief à la façade sobre et claire. J’ai eu l’impression de retrouver dans cet ensemble qui se déploie au-dessus de la ville et semble s’élever encore plus haut, le vaisseau initial dans lequel Gailhoustet nous emmenait au départ.

L’ensemble Marat représente finalement toute la rénovation du centre-ville d’Ivry-sur-Seine. Il illustre l’aboutissement d’une réflexion de presque trente ans sur l’habitat social et collectif. D’abord inspirées des unités d’habitation des années 50, les opérations se colorent peu à peu d’une nouvelle patte architecturale : celle de Renaudie. Ses étoiles ont révolutionné le centre-ville et l’image d’Ivry, et ont été le modèle de l’ensemble Marat. Fort de toutes les considérations sur les précédentes opérations, il est par son ambition la synthèse de la rénovation d’Ivry. Celle-ci a été dense et évolutive : dans ce tissu urbain serré, Renée Gailhoustet a exprimé sa réponse à la croissance ouvrière d’après-guerre. Ses œuvres sont aujourd’hui un patrimoine essentiel de la commune d’Ivry et rappellent l’identité communautaire de ses habitants.

Cette photo montre le contraste entre les premiers maillons de la restauration et les derniers ensembles construits, qui contribuent chacun à leur manière à l'identité d'Ivry

Cette photo montre le contraste entre les premiers maillons de la restauration et les derniers ensembles construits, qui contribuent chacun à leur manière à l’identité d’Ivry

Lucile Floc’h – voyage du 2 avril 2016

Pour en savoir plus :

  • La politesse des maisons : Renée Gailhoustet, architecte. Bénédicte Chaljub. Editions Actes Sud, 2009 .- 85 p. : ill., plans ; 21 cm

  • Rubrique Gailhoustet dans la Collection FRAC Centre. Disponible sur http://www.frac-centre.fr/collection-art-architecture/gailhoustet-renee-58.html?authID=74
  • Renaudie, Jean. La ville est une combinatoire. Ivry-sur-Seine: Movitcity éditions, 2014.
  • Negroni, Jean-Marc. Ivry cités une histoire d’HLM. L’Harmattan, 2015.
  • Le coin aigu : une étude sur la potentialité des ambiances. Mémoire en architecture, Lucile Floc’h, Juin 2016