L’Italie est sans conteste un pays dont le patrimoine culturel, historique et artistique compte parmi les plus riches du monde. Par son grand nombre de lieux pittoresques et mythiques qui émerveillent, le pays s’est imposé au fil du temps comme la destination romantique par excellence. L’Italie offrant milles et une merveille monumentale par son histoire et son art architectural renvoie à ses touristes l’image d’un musée à ciel ouvert.
Ce récit de voyage ne consiste pas à décrire tous les éléments qui caractérisent la réalité, l’histoire et les traditions mais provoquer une réflexion sur la complexité des villes Italiennes. Des villes qui résistent au temps en restant intemporelles, échappant aux interventions d’un urbanisme moderne et conservant le décor théâtral d’une pièce qui communique l’imaginaire d’une vie romantique.
Mon séjour de juillet 2014 a été l’occasion de découvrir l’Italie du Nord, plus précisément Orta San Giuilio et Aosta. L’observation des façades, de l’organisation urbaine, des pratiques locales des villes Italiennes, m’ont permis de m’interroger sur l’avenir architectural du Pays.
Lors de mon arrivé à Ameno, commune de la province de Novare dans le Piémont en Italie, mon premier constat a été de remarquer l’authenticité des façades : des murs en vieilles pierres recouverts d’enduit altéré aux couleurs délavées. Les édifices de la chapelle et de la mairie sont d’architecture renaissante, ils animent la Piazza G. Marconi par leurs couleurs vives nous présentant l’élément architectural caractéristique de l’Italie. Ce village formé de petites ruelles typiques Italiennes évoquant l’image d’un hameau endormi dans son histoire accueille les nombreux touristes venus admirer le lac d’Orta.
Après avoir marché dans les rues d’Ameno, je suis allée découvrir le lac d’Orta et son l’île San Giulio , qui par sa beauté et son paysage singulier évoque un mythe.
Le lac d’Orta au pied des Alpes, situé dans le nord-est du Piémont est l’un des plus petits des lacs d’Italie du Nord. Le village d’Orta situé en bordure du lac attire un grand nombre de voyageurs autant par la beauté du lieu que par son histoire.
Photo du lac d’Orta et son village
Ce petit bourg pittoresque avec ses ruelles composées de pavés et de façades aux couleurs chaleureuses nous enrichi en émotion et nous invite à la contemplation en nous offrant des percées sur le lac. En me promenant dans les rues étroites, uniquement piétonnes, j’ai cette envie de ne pas aller d’un point à un autre mais d’entrer dans un jeu de déambulation au risque de me perdre et ainsi de prendre de nouvelles postures pour arpenter le paysage. En observant la richesse historique d’Orta par ses grandes demeures, ses églises baroques, ses vieilles façades j’ai la sensation que le village est figé dans son passé offrant ainsi une ville musée.
Photo du village d’Orta
Ce sentiment de musée à ciel ouvert est alors renforcé lorsque je découvre El Sacro Monte di Orta. Situé en hauteur et offrant ainsi une vue panoramique sur le lac, le Mont Sacré d’Orta fait partie d’une réserve naturelle classée à l’UNESCO. Ce patrimoine constitué de « vingt chapelles peintes et complétées par des groupes de statues grandeur nature en terre cuite qui illustrent la vie de saint François d’Assise »1 est une richesse historique qui favorise l’attrait touristique du lac. Ce projet conçu par l’architecte Cieto de Castelletto Ticino est basé sur un parcours entre les chapelles, le milieu ambiant et la végétation déterminant ainsi un rapport singulier entre la nature environnante, la vue sur le lac, le vert et les chapelles.
On peut lire dans le fascicule touristique « Riserva Naturale Speciale del Sacro Monte di Orta » «c’est justement grâce à la conscience du fort lien entre architecture, végétation et paysage que la Région Piémont a décidé de créer la Réserve Naturelle du Mont Sacre d’Orta, finalisée à protéger, conserver et valoriser le territoire et a en promouvoir la connaissance aux fins scientifiques et didactiques. ».2
Photo d’une chapelle du Mont Sacré d’Orta
Je m’interroge alors sur ce qui se passe réellement derrière les façades constituants le tableau. Cette volonté de préservation et de résistance au temps est due au fait que l’histoire et l’art sont à l’origine du paysage qui attire les touristes et les amoureux du romantique. En effet tout cet imaginaire que produit le paysage des villes italiennes est le fruit d’une « artialisation ».
«À strictement parler, le paysage ne fait pas « partie» de l’environnement. Ce dernier est un concept récent, d’origine écologique, et justiciable, à ce titre, d’un traitement scientifique. Le paysage, quant à lui, est une notion plus ancienne, d’origine artistique,
et relevant, comme telle, d’une analyse essentiellement esthétique»3
1. Prospectus touristique de la ville d’Orta, « Riserva Naturale Speciale del Sacro Monte di Orta », UNESCO, patrimonio Mondiale dell’Umanita,
2003.
2 . Ibid.
3. Roger, Alain. «Court traité du paysage». Coll. «Bibliothèque des Sciences Humaines». Paris: Gallimard, 1997, p.126
En continuant ma visite du lac Orta je monte dans un bateau m’emmenant à l’îlede San Giulio pour y découvrir de plus près le panorama qu’il nous est offert depuis la rive du lac.
Cette île dispose d’un légende racontant qu’elle « était autrefois un rocher habitépar des serpents et de terribles monstresW jusqu’en 390, lorsque St Jules y accosta. Pendant la tempête, le Saint traversa les eaux du lac sur son manteau, guidé par son bâton et il fonda une église où il choisira d’être enterré. Il transforma l’île en centre d’évangélisation pour toute la région. »1
Dès qu’on descend du bateau on monte quelque marche pour arriver directement sur la basilique romane où l’on y trouve à l’intérieur des représentations de cette légende. L’île de San Giulio apparaît maintenant comme un lieu de grand mysticisme notamment par le fait que les habitants de la région se rappellent encore aujourd’hui que la fondation de leur village commença par cette légende.
Cependant ce mythe qui est d’autant plus pesant par le tourisme est une conséquence sur la difficulté d’innover. Même si cette île renvoie un paysage atypique on peut s’interroger sur la place du progrès au coeur de cette mystérieuse île. Est-elle vouée à rester intacte pour offrir aux voyageurs un support imaginaire ?
1. http://www.distrettolaghi.it/fr/luoghi/orta-e-isola-di-san-giulio, «Orta et Ile de San Giulio», Programma di Cooperazione Transfrontaliera
Italia-Svizzera 2007-2013, consulté le 25/01/2015.
Photo de la rive de l’île San Giulio
Le tour de l’île peut se faire très rapidement mais la photographie permet de poser mon regard plus tardivement sur certain élément du paysage. Ainsi lorsque j’arpente les rues de l’île je remarque l’omniprésence de l’histoire, du religieux. Chaque ruelle disposant d’une pancarte où l’on y lit : «Il silenzio e il linguaggio dell amore » « Le silence est le langage de l’amour » évoque une fois de plus le romantisme Italien.
Photos de l’île de San Giulio
Les Italiens ne jouent-ils pas avec l’image du rêve qu’ils revendiquent aux touristes ? Comment évoluent-ils ?
Jean Viard, directeur de recherche CNRS au Centre d’étude de la vie politique française, nous explique dans un de ces ouvrages questionnant le tourisme l’attirance des voyageurs. « L’idée que l’histoire a un sens pousse en effet les voyageurs de plus en plus loin vers les vestiges des civilisations anciennes – grecque, égyptienne,…-puis la montée du sentiment et de la fascination pour la nature – fin de l’opposition nature / surnature – en entraine d’autres à la recherche d’un monde pré-humain où seuls existent des signes naturels de Sa grandeur. »1
La fascination de certains lieux n’est-elle pas aussi liée au génie du lieu qui « relève pour l’essentiel, de l’artialisation in visu, qui insuffle son souffle, inspire son esprit » ? Selon Alain Roger, « les choses sont parce que nous les voyons, et la réceptivité aussi bien que la forme de notre vision dépendent des arts qui nous ont influencés. » 2.
Les amoureux des villes Italiennes ne le sont-ils pas devenus avec l’image que nous ont renvoyée les films Italiens, le rêve qu’évoquent les peintures, la photographie ?
Nous n’entrevoyons plus que les lieux par l’art et « nos paysages nous sont devenus si familiers, si « naturels » que nous avons accoutumé de croire que leur beauté allait de soi. »3
Faut-il alors résister à la modernité pour préserver cette sensibilité paysagère qui en fait une activité importante pour l’économie de l’Italie ? Ne doit-on pas faire que « chacun dans son rôle et selon ses moyens : inventer l’avenir, nourrir le regard de demain et, surtout, ne pas nous recroqueviller sur le passé.» 4 ?
La restauration des villes ancestrales Italiennes qu’impose le génie de l’art parait inévitable car ce paysage éveillant le romantique fait l’identité des italiens !
1 Viard Jean, «Court traité sur les vacances, les voyages et l’hospitalité des lieux», La Tour d’Aigues, édition de l’aube, 2000, p.58
2 Roger, Alain. «Court traité du paysage». Coll. «Bibliothèque des Sciences Humaines». Paris: Gallimard, 1997, p.14
3 Ibid p.18
4 Ibid, p.144
Le prolongement de mon voyage à Aosta m’a interrogé sur le sujet du tourisme, plus précisément sur ce qu’est devenu le voyage aujourd’hui. La ville d’Aoste, chef-lieu de la Région Autonome Vallée d’Aoste, se trouvant au centre de la vallée homonyme à 580m d’altitude a été fondée par les Romains en 25 av. J-C. Cette ville
possède une richesse patrimoniale autant par ses nombreux monuments datant des époques préhistorique, romaine et du Moyen âge que par sa position géographique, qui l’entoure de superbes montagnes.
Lors de mon arrivée, je me procure une carte touristique afin de me repérer dans la ville. Ce document qui met en évidence le centre historique nous propose une visite bien précise : Le pont romain, l’Arc d’Auguste, la Collégiale Saint-Ours, la Basilique Paléochrétienne et l’église Saint-Laurent, la Porte Prétorienne, la Tour des Seigneurs Sancti Ursi, le Théatre Romain, l’Hôtel de Ville et l’Hôtel des Etats, la Cathédrale, le Forum romain et le cryptologique, le Musée Archéologique, la Croix de Ville, … Tous ces monuments historiques sont situés à proximité des rues : Sant’Anselmo, Porta Praetoria et De Tillier, formant à elles trois un grand axe principal où l’on y trouve principalement des commerces touristiques. Sur la carte que m’a été offerte chaque élément cité au-dessus, est classés selon leur position le long de cet axe. Ainsi notre parcours est organisé et il nous est impossible de s’y perdre. Autant dire que l’on est dans un musée à ciel ouvert. Ce sentiment est encore plus frappant lorsque l’on découvre la ville qui semble pauvre et en dissonance avec le centre historique.
Le voyage ne serait-il réduit qu’au parcours d’un point à un autre sans même déambuler en prenant le risque de se perdre et de découvrir par nous même les différentes strates qui constituent la ville d’aujourd’hui ?
Par cette visite d’Aoste, j’ai ressenti la sensation de marcher n’ont pas selon mon choix mais guidé par des segments strictes qui composent une succession d’images nous montrant ainsi de multiples choses.
Le voyage ne devrait-il pas être une découverte où l’on parle de multiplicité ? La multiplicité étant « une forme de réalité dont le jeu n’est jamais pareil ».1
La visite d’un lieu devrait se faire sans être évaluer à l’avance. Où l’on prend « le risque non pas de perdre, mais de se perdre. Alors les gestes ne s’associent plus tranquillement, d’une fenêtre à l’autre. Chaque fenêtre devient profonde. […] D’un plan à l’autre, on saute un ravin, on expérimente une durée, une descente, des ralentis, des accélérations qui changent tout dans ce qu’on pensait rencontrer. »2
Comme le précise Alain Roger : « Il en va de la pratique paysagère comme de toute création artistique : elle ne saurait se figer dans la léthargie des musées. » 3
Ainsi le voyage ne serait plus la découverte d’un catalogue d’éléments mais l’exploration d’un lieu où l’on parcourt différentes strates qui ont fabriqué le paysage d’aujourd’hui tout en permettant sa relecture.
1. http://lesilencequiparle.unblog.fr/ , «Deleuze, l’univers moléculaire», Jean-Clet Martin, publié le 22 janvier, 2015, consulté le
25/01/2015
2. Ibid.
3. Roger, Alain. «Court traité du paysage». Coll. «Bibliothèque des Sciences Humaines». Paris: Gallimard, 1997, p.114
L’Italie est un pays qui par l’héritage d’un riche patrimoine historique et d’un art singulier à réussit à en faire une importante ressource économique. En regardant tous les clichés véhiculées de ce pays : le romantique, la cuisine, le soleil… qui en font rêver plus d’un, mon voyage m’a dévoilé le danger de leur destin : préserver l’imagine
diffusée au risque de rester dans la «spirale de la régression ». 1
Les villes d’aujourd’hui ont perdu leur mémoire au profit des stéréotypes qui fige ces lieux touristiques. Ces villes où il n’y a plus d’habitants mais des résidents mobiles devraient être repensées dans leur organisation culturelle.
Ne devraient-elles pas accepter le recommencement d’une lecture différentielle ?
1. Toscano, Alberto. «Sacrés Italiens !». Paris: Armand Colin, 2014.
Juliette Dupuis
Photos prises par : Juliette Dupuis
ANNEXE
Croquis de mon carnet de voyage, réalisés à Orta le 11 juillet 2014
BIBLIOGRAPHIE
Roger, Alain. «Court traité du paysage». Coll. «Bibliothèque des Sciences Humaines». Paris: Gallimard, 1997
Viard Jean, «Court traité sur les vacances, les voyages et l’hospitalité des lieux», La Tour d’Aigues, édition de l’aube, 2000,
Toscano, Alberto. «Sacrés Italiens !». Paris: Armand Colin, 2014.
http://lesilencequiparle.unblog.fr/ , «Deleuze, l’univers moléculaire», Jean-Clet Martin, publié le 22 janvier, 2015
Date du voyage : 10 – 12 juillet 2014
Juliette Dupuis
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