Chapitre 1 : Première entrevue.

“Fermez les yeux, concentrez vous sur votre respiration. Inspirez. Expirez. Imaginez l’air et son énergie entrant dans votre corps, alimentant chacun de vos muscles.”
Voilà ce que je pensais être la méditation. Voilà ce que je pensais être l’occupation principale d’un moine bouddhiste: rester assis en tailleur à écouter sa propre respiration.

Je suis descendu de l’avion en début d’après-midi, encore un peu sonné par le voyage. Nous étions le 7 novembre 2014 et je n’avais pas la moindre idée de que j’allais bien pouvoir faire de mon moi au Népal, ou même ce que le Népal allait faire de moi. Une fois installé dans ma chambre d’hôtel, je suis parti me promener, armé de mon guide du pays encore non-lu et de sa petite carte. Je n’eus besoin de faire que quelques mètres pour rencontrer mon premier temple. Juché sur son piédestal de pierre, sur lequel quelques locaux était assis, il ne devait faire que quelques mètres de large. Sa taille laissait plus penser à un mausolée au point que j’en viens encore à me demander ce que ça pouvait bien être. Une porte en plein centre sur chacune de ses faces, son plan paraissait bien simple. Mais ce qui m’interpella le plus fut sa toiture. Un premier auvent abritait les dernières marches du piédestal, puis le corps du bâtiment remontait un peu plus haut pour se terminer en une succession pyramidale d’une corniche, d’un petit muret, et d’une ogive.

Un temple de Kathmandou, perdu entre les fils éléctriques

Un temple de Kathmandou, perdu entre les fils éléctriques

Après avoir passé quelques minutes sur les énormes marches du bâtiment, à regarder la marée de vieux scooters et de chariots passer devant moi. J’ai repris ma promenade et me suis retrouvé devant le fameux Durbar Square (Darbar Kshetra) .
Je m’étais un peu laissé berné par deux népalais m’ayant proposés une visite du lieu et de ses temples. Ils étaient venu directement vers moi et semblait habitué de voir des touristes à l’air perdu. Après une brève négociation, je me suis retrouvé à payer mon “droit d’entrée” dans un petit comptoir à l’entrée, et j’ai suivi mon nouveau guide, dont les connaissances sur le sujet étaient à priori plus importantes que les miennes. Entre deux cours rapides sur les divinités hindous majeures, ils m’expliqua que le Népal ne possédait malheureusement aucune ressource exploitable pour l’exportation. Le tourisme est donc sa principale activité lucrative.

Temples côtes à côtes, Durbar Square, Kathmandou

Temples côtes à côtes, Durbar Square, Kathmandou

Le nom de Durbar Square est en fait une appellation générique, marque des différents royaumes se côtoyant avant de s’unifier en un seul pays. Ces places faisaient face aux palais et étaient parsemées de temples et d’idoles. De cette façon le pouvoir politique s’adjoignait du pouvoir religieux et, en occupant le centre de la ville, ils affirmaient leur importance. Chaque grande villes de l’époque possédait son propre Durbar Square, et chaque royaume essayait d’y affirmer sa supériorité par rapport aux autres, en y construisant les palais ou temples les plus beaux possibles. Ce que l’on peut y voir aujourd’hui est une accumulation de temples commandités par différents rois, qui furent ensuite rénovés, reconstruits, ou modifiés, ou bien détruits par un séisme récent. Le premier palais daterait de l’an 1069 mais aucun textes de l’époque ne confirme cela. Ce sont les Mallas (dynastie règnant de 1201 à 1769 sur la vallée) qui construirent le plus de temples à Kathmandou, et la grande majorité de ceux présents sur le Durbar Square. Ainsi, le style d’architecture le plus représenté serait le Newari, venant de Newar, qui n’est en fait rien d’autre que le nom que l’ont donnait aux habitants de la vallée, puis du Népal dans son entièreté. Ce style se reconnaît par ses murs de briques très rouge et une ornementation très importante de toutes les pièces en bois, que ce soit la charpente les corniches, ou mêmes les portes et fenêtres. Ces dernières sont interprétées comme une façon de retranscrire l’histoire des différentes divinités, et leurs caractères, aux personnes ne pouvant lire les textes sacrés. Ces derniers sont écrits en Sanskrit, une langue seulement connue des hautes castes religieuses comme les Brahmans. Il existe différente théories sur la provenance d’une telle architecture. Mais il est intéressant de noter qu’elle trouve ses racines à la fois en Chine et en Inde. En effet, la superposition des toitures rappelle les pagodes que l’on rencontre principalement au nord de l’Himalaya, alors que les piédestals de pierre ou de briques, ainsi que les ornementations nous rapprochent plus du pays indien. Ceci nous indique que le Népal s’est toujours retrouvé à la croisée de ces deux mondes, et qu’elle a puisée son inspiration dans différentes cultures.

Un des temple du Durbar Square.

Un des temple du Durbar Square.

Dans les temples remarquables il faut citer le Kasthamandap, dont la légende voudrait qu’il fut construit avec le bois d’un seul arbre. C’est un temple au plan carré et concentrique. Une idole de Gorakhnath se trouve au centre, et les textes du ramayana (Parcours de Rama) et du mahabhrata (la grande guerre des bhratas) sont inscrit dans les murs intérieurs. Lorsqu’on lève les yeux, on peut voir des passerelles tourner autour de l’espace central, et une figure de Ganesh(le dieu éléphant de la sagesse) sur chacun des quatre angle. Tout le monde peut entrer et sortir durant la journée. L’espace à l’intérieur du temple s’élève sur trois étages alors que l’extérieur laissait présager un volume plus confiné et bas de plafond. Les encens parfument la pièce et le calme y règne. C’est à ce moment que j’ai commencé à me demander quel pouvait être la relation entre un espace construit et la pratique de la méditation. Si la méditation est une sorte d’exploration de ses propres pensées, comment un bâtiment peut-il aider cela?

Lorsque je suis ressorti, j’ai porté mon attention sur l’occupation des lieux par les passants. j’ai remarqué que les marches des socles servaient d’assises à tout un tas de locaux venus ici pour discuter. Certains dormaient, allongés au soleil, d’autres jouaient au carte ou au Bagh Chal (une sorte d’échec népalais), les derniers restaient assis côte à côté, à regarder la vie suivre son cours en contrebas. La dimension religieuse des lieux ne paraissait pas gêner qui que ce soit. Tout le monde pouvait escalader les différents soubassements et l’utiliser comme bon lui semblait. L’espace publique n’était alors plus la rue entre les bâtiments mais les constructions elles-mêmes.

Chapitre 2 : Quiétude

Le Upper Pisang, au milieu de l'Himalaya

Le Upper Pisang, au milieu de l’Himalaya

Après mon petit séjour à Kathmandou, je suis partis voir l’Himalaya, et plus précisément l’Annapurna, une série de montagnes de plus de 8000m de haut. Pour être franc, je ne connaissais rien aux différents trekks possibles et j’avais pris le plus long que j’avais pu trouver, dans ma gamme de prix. Des négociations un peu longues m’ont permis de me payer un guide (je le croyait obligatoire), qui par la suite, a révélé découvrir son métier en même temps que moi. Nous sommes partis de Besi Sahar, une petite ville à l’entrée du parc national de conservation de l’Annapurna. Chaque nouveau jour de marche nous éloignait de la civilisation. Petit à petit les choses que l’on considère comme normales ou acquises, disparaissaient. En premier, ce fût l’eau courante, les locaux se servaient de l’eau des petits ruisseaux directement et buvaient dans des bouteilles rapportées par des porteurs. Puis l’électricité commença à se faire rare. De petits barrages hydro-électriques de fortunes sont construits un peu partout dans la région, mais ils ne suffisent pas pour alimenter toutes les habitations, et les coupures sont donc fréquentes. Bien sûr internet se frayait difficilement un chemin à travers les montagnes, mais ça je m’y attendait un peu. Je raconte tout cela, car au bout de 5 jours de marche, nous sommes arrivés au Lower Pisang, et je pense que l’expérience que j’y ai faîte fut très influencée par le contexte dans lequel je me trouvais. Mes jambes commençaient à me punir, me lancer dans un trekk de la sorte sans aucune entraînement n’était pas une bonne idée. Mon guide, bien que très gentil, marchait la plupart du temps à 300m en avance, au point que j’avais l’impression de faire le parcours seul, avec mon sac de 20 kilos. Et le confort occidental auquel nous sommes tous si habitué avait peu à peu disparu. Bref, ce soir là, après avoir posé nos sacs, nous sommes repartis, à contrecoeur pour ma part, à l’assaut de la montagne et sommes allés visiter un temple de l’autre côté de la vallée, dans le Upper Pisang. L’ascension absorba le peu d’énergie me restant, et c’est avec les jambes tremblantes et l’esprit chaud que nous sommes entrés dans l’enceinte du temple bouddhiste.

Sur le chemin avant d'arriver au Lower Pisang

Sur le chemin avant d’arriver au Lower Pisang

Le temple vu de l’extérieur était différents de ceux rencontrés à Kathmandou. Il n’avais pas de piédestal en gradins et une successions de toitures moins imposante. Sa forme générale, avec son grand débord de toit et sa petite inflexion, ainsi que le fronton en bois, me faisaient plus penser à des construction chinoises qu’à une architecture Newari. J’appris par la suite que la population de la région était constitué en grande partie de réfugiés tibétains, fuyant l’oppression chinoise. Le temple, certains l’appelaient Gompa (mot général pour des constructions religieuses tibétaines), fut financé et construit par la communauté de Pisang. Selon Pramod, mon guide, tout les matériaux utilisé viennent des environs, et les menuiseries et peintures sont le fruit d’artisans du village. Les murs étaient fait de pierre taillées et peintes en blanc, et les corniches étaient en bois peint et sculpté. Je n’ai pas réussi à savoir ou du moins comprendre si un architecte était intervenu à un moment où un autre dans la conception du projet. Apparemment ce furent les premiers moines sur place qui assurèrent la supervision de l’ensemble des travaux.

Le Upper pisang. Son temple se trouve à droite de la photo.

Le Upper pisang. Son temple se trouve à droite de la photo.

Sans un mot, Pramod a enlevé ses chaussures et j’ai fais de même.
Puis nous sommes entrés.
Pas un bruit.

Un petit autel avec une statuette de bouddha se trouvait de l’autre côté de la pièce.
De l’encens brûlait à ses pieds.

L’espace était simple,
carré,
quatre poteaux centraux,
une assise filant le long des murs.

Deux bancs se faisaient face.
Des dessins étaients gravés à même les poutres,
à même les différentes couches de structure,
à même le bois.

Et des couleurs,
beaucoup de couleurs.

Nous sommes restés ici quelques minutes,
immobiles,
dos à la porte,
les chausettes humides sur la pierre froide.

Je regardais chaque détail et ornementations un par un.
Je me questionnais sur le temps,
leur but, leur origine.

Je pensais à des photos que j’avais pu voir évoquant la Chine.
Je me demandais comment les artisans avaient appris,
comment ils apprendrons.

De petites coupoles dorés remplies de cendres et de bâtonnets d’encens étaient disposées à côté de coussins, au sol.
Ce même sol était lisse avec de légers reflets.

En silence, Pramod est sortis.
Je suis resté là encore quelque minutes,
à regarder la statuette de bouddha.

J’en avais oublié mes jambes fatiguées,
et mon énervement avait laissé place à
du calme.

Je me suis retourné. J’ai vu le pic de l’Annapurna III, gigantesque, de l’autre côté de la porte. Le soleil se couchait. Du vent arrachait de la neige sur le flanc de la montagne. J’ai remis mes chaussures et me suis assis sur les marches de pierre, sur un coussin qui attendait là. Un moine est arrivé avec deux tasses et m’en a donné une, puis il s’est assis à côté de moi sans rien dire et a regardé la montagne, en face de nous. Deux autres moines en tenue orange sont venus s’installer sur les marches et personne ne parlait. C’était du thé au miel et au citron, dans la tasse, et c’était chaud. Tout était si calme.

Si l’on considère la méditation comme un calme total, un état de pensée ouvert, durant lequel plus aucun jugement de valeur n’est fait. Alors je pense qu’à ce moment précis, sur les marches, je méditais. Et ce grâce à l’architecture ou du moins à la visite du temple juste avant, ce grâce à la succession d’évènements précédent cette même visite.
La longue marche et l’ascension des escaliers avait fatigué mon corps et me faisait ressentir chaque mouvement bien plus précisément. La perte progressive d’un confort auquel j’étais habitué m’avais fait réalisé combien les petits détails étaient important, comme un thé au citron et au miel, comme un coussin pour s’asseoir sur les marches.
Mais je pense que tout ceci n’aurait pas pu se faire sans le temple et son caractère, sans le rapport étroit qu’il entretient avec son environnement, sans ses montagnes et leur silence. Il est fort probable que la grande porte du temple ai été placé de cette façon, pour que l’Annapurna soit visible depuis l’intérieur. La fameuse compression/décompression dont on nous a parlé, la voici, on passe d’une salle qui fait tout au plus 8 mètres de côté, à la vision d’une montagne de 8 kilomètres de haut. L’espace n’est pas chauffé, et les pierres au sol sont froides. Quelle meilleure façon de nous rappeler l’endroit où l’on est, le climat dans lequel on vit? Les pierres qui servirent à construire le soubassement, et les escaliers, sont de la même teinte que la terre, que les flancs de montagnes. La peinture extérieure est blanche comme neige.
Partout dans les montagnes, le long du chemin, on peut voir flotter entre les arbres des banderoles de prières bouddhistes. De petits mantras écrits sur des tissus colorés bercés par le vent. On les retrouve tout autour du temple, et les mêmes couleurs sont présentes à l’intérieur, comme pour nous rappeler que le temple n’est pas ici pour nous couper de l’extérieur.
On pourrait expliquer l’utilisation des matériaux locaux par la difficulté à en acheminer d’autres venant d’endroits plus éloignés, mais je préfère penser que cela est dû au savoir faire local. Chaque petit détail, chaque petite ornementation évoque une histoire, un travail attentionné. Chaque petit coup de pinceau était vu comme une participation à une oeuvre commune et non pas la commande d’un client. Le style utilisé n’a pas d’âge, ou du moins pas pour moi. Je suis incapable de dater la construction du temple, ou même de savoir s’il a été rénové. Il nous parle des origines de ses constructeurs, de leur fuite d’une société dans laquelle ils ne sentaient pas admis.

En repartant, j’ai remarqué que la porte de l’enceinte faisait face à la vallée, au loin.

Vue depuis l'auberge de Yak Kharka

Vue depuis l’auberge de Yak Kharka

Pacôme Gerard

voyage réalisé en Novembre 2014.