Depuis ses débuts Athènes est une ville partagée. A sa création elle devait déjà faire un choix entre la déesse Athéna et son olivier, symbole de paix et de sérénité, et le dieu Poséidon et son cheval, symbole de force et de guerre. Le peuple choisit la déesse et la ville devint ainsi le symbole de la prospérité, de la richesse et de la paix. Seulement voilà, la mythologie c’est bien beau mais Athènes n’a pas connu que la paix et la sérénité. A propos de l’urbanisme de la ville, nous allons également voir comment elle est tiraillée entre son centre et sa périphérie.

Cet article a été écrit après deux semaines passées au cœur d’Athènes en voyage d’études. Le fait d’y rester quinze jours, au lieu de sept habituels pour les voyages du cursus architecture, permettait de mieux profiter de la ville. Ce n’était plus une course contre la montre pour profiter pleinement des journées, en visitant un maximum de lieux, et des soirées, en rentrant le plus tard (tôt) possible. Non, en deux semaines, nous n’avions pas le souci du temps, nous avons ainsi pu apprécier langoureusement cette ville d’Athènes, la découvrir et au final s’habituer à y vivre. Car à l’arrivée, elle choque un peu cette ville grecque avec ses tags partout, ses bâtiments abandonnés et ses trottoirs tout cabossés.

Photo d'une rue typique dans le centre d'Athènes.

Rue typique dans le centre d’Athènes.

C’est en allant sur les lieux qu’on prend vraiment conscience de la crise grecque. Cette crise économique est en réalité plus ancienne que la crise européenne dévoilée en 2010. La crise grecque dure en effet depuis la fin du XXème siècle. Et le centre d’Athènes s’essouffle, l’urbain et l’architecture de la ville dépérissent. Certains ont voulu réorganiser la ville mais chaque tentative échoua et le centre-ville en a souffert. En 1985, ce fut le premier plan régulateur d’Athènes. La partie visée : le centre, qui était trop peuplé avec ses trois millions d’habitants. La volonté était alors de déconcentrer la ville et de la répartir sur neuf autres centres plus petits. En 2014, c’est l’inverse. La déconcentration ayant fonctionné, c’est le cœur d’Athènes qui rentre en crise et un plan de centralisation est alors voté.  N’oublions pas qu’entre 2010 et 2015, sept plans de rigueur ont été mis en place pour faire face à la dette grecque, mesures qui ont entraîné une révolte de la population contre l’austérité. Alors ce plan, il peut être beau mais on se doute bien qu’il va avoir du mal à passer. Mais il faut garder espoir.

Le soir du 15 juillet 2015, des échauffourées ont éclaté entre manifestants anti-austérité et policiers dans les rues d'Athènes. Cette manifestation est survenue avant le vote au Parlement grec où Alexis Tsipras doit faire face à la fronde politique de son propre parti et au mécontentement des Grecs. Photo Yannis Behrakis http://www.rfi.fr/europe/20150715-grece-echauffourees-athenes-soir-journee-manifestations-accord

Le soir du 15 juillet 2015, des échauffourées ont éclaté entre manifestants anti-austérité et policiers dans les rues d’Athènes. Cette manifestation est survenue avant le vote au Parlement grec où Alexis Tsipras doit faire face à la fronde politique de son propre parti et au mécontentement des Grecs.
Photo Yannis Behrakis http://www.rfi.fr/europe/20150715-grece-echauffourees-athenes-soir-journee-manifestations-accord

Aujourd’hui ce plan de centralisation est ordonné. Le centre est en effet en crise, les banlieues sont plus riches, à l’inverse de la France (Paris et ses arrondissements sont plus chers). Le centre devient abandonné et il ne sert plus que de circulation. Le plan a donc pour objectif de réduire cette domination de l’automobile et la volonté est d’installer une circulation mixte en augmentant la place donnée aux vélos et aux piétons. En effet, Athènes, malgré le fait que ce soit la capitale, est une ville très peu touristique. Elle sert principalement de hub pour les voyages en Grèce, que ce soit sur la terre ferme ou à destination des îles. On le voit en se baladant dans la ville; il y a quelques bâtiments mis en avant et présentés au public mais le réel lieu touristique, c’est l’Acropole. Si en tant que touriste, on veut visiter d’autres choses, il faut prendre son courage à deux mains et surtout avoir une bonne carte. Sinon il faut sortir de la ville et prendre un bateau. C’est donc également dans l’optique de faciliter le tourisme que ce plan de centralisation fut adopté. Mais la Grèce, toujours en crise, ne trouve évidemment pas les fonds nécessaires et le projet stagne.

Rue du 28 Oktobriou.

Rue du 28 Oktobriou.

Histoire condensée d’Athènes

Parlons maintenant de l’histoire d’Athènes, pour comprendre son évolution et ainsi les problèmes qui la travaillent. Comme nous l’avons appris en Histoire, c’est la ville de la démocratie. Fondée en 800 av J.-C. autour de la colline de l’Acropole, elle a dominé rapidement la Grèce et est devenue la principale puissance militaire navale grâce à son port du Pirée. Elle possédait alors une force capable de régner sur la mer Méditerranée.  Le Pirée garde cette importance encore aujourd’hui, très bien desservi par les transports en commun, c’est une ville à part entière qui se place au même rang qu’Athènes avec comme point fort, son port et ses plages. Au Vème siècle av J.-C., Athènes a connu son âge d’or sous Périclès, elle et son port étaient cloisonnés et reliés par deux murailles qui protégeaient l’autoroute de l’époque. Le centre d’Athènes se situait alors au sud de l’Acropole, et au nord se plaçait l’Agora, lieu de commerce et de rencontres. Associée à l’Empire Romain, Byzantin puis Ottoman, Athènes n’était pas une ville très importante. De 200 à 1800, elle était considérée comme une ville secondaire.

C’est au XVIIIème siècle que l’Europe Occidentale a commencé à repenser la Grèce et le rêve était alors d’en faire un état indépendant. Une guerre a été menée en 1821 mais c’est en 1822 qu’elle a été libérée par une armée venant de France. C’est peut-être pour ça qu’ils sont sympas avec les Frenchies! Le XIXème siècle fut le siècle des nations et la Grèce a ainsi été la première à voir le jour, avec comme capitale, Athènes. L’armée française étant partie, le gouverneur de l’époque, pro-russe, a été assassiné et une guerre civile a éclaté entre les Français et les Russes. Un accord a été décrété et un roi de dix-sept ans, Oton, a été désigné. Athènes est alors devenue une ville royale et moderne et son architecture florissante s’est inspirée de l’antiquité, considérée comme la raison d’être de cette ville. Ceci a donné l’architecture néoclassique qui est encore très présente dans la ville d’aujourd’hui. C’est à ce moment qu’est apparu le trident d’Athènes. Issu d’un plan d’urbanisme dessiné par deux architectes berlinois Kleanthes et Schaubert, le trident avait pour optique de structurer le centre-ville en mettant en valeur les pouvoirs de la ville. Le cœur d’Athènes, à la base du trident, a été placé au nord de l’Acropole et accueillait la place destinée au peuple. De ce point, qui devint la place Omonia, partaient les trois branches du trident. Celle au sud-ouest pointant vers le Pirée, sur l’axe de l’ancienne « autoroute » du Vème siècle, celle au sud-est qui se dirigeait vers le parlement et le palais royal, et celle du sud vers la cathédrale et l’Acropole. Le nouveau centre d’Athènes était donc créé, il prospère encore aujourd’hui avec les trois axes majeurs de la ville qui sont toujours présents et très fréquentés.

Vue satellite d'Athènes, et de son trident.

Vue satellite d’Athènes, et de son trident.

A l’aube du XXème siècle, Athènes était en plein développement. Sa population a augmenté rapidement passant de cinquante mille habitants à la fin du dix-neuvième à un million à la moitié du vingtième. Les guerres mondiales ont également apporté une main d’œuvre étrangère qui a fait accroître la densité de la capitale. Ayant également subi des dégâts avec les guerres, Athènes est entrée dans la phase de reconstruction d’après-guerre. C’était alors l’aube du développement économique et industriel avec l’arrivée des aides américaines et du plan Marshall.

En 1960, c’est la montée de la prospérité. La phase de reconstruction ayant porté ses fruits, la démographie a littéralement explosé mais les transports publics souffraient. Ils n’avaient pas été prévus pour autant de personnes et avec une seule ligne de métro qui relie la mer et la montagne, la ville était mal desservie. La voiture privée s’est développée et les rues d’Athènes se sont retrouvées saturées. Avec les guerres mondiales, l’augmentation de la main d’œuvre apparut et, en conséquence, la prolifération des logements au cœur d’Athènes. Une reconstruction rapide de la ville néoclassique a alors eu lieu avec des bâtiments de six à sept étages qui ont émergé un peu partout pour accueillir des habitations ou des bureaux. L’Acropole, lieu emblématique de l’antiquité qui surplombait anciennement la ville d’Athènes, s’est alors retrouvée dévorée par la masse bâtie de la ville. On peut le voir dès qu’on prend un peu de hauteur, une vague de construction a englouti tout le bassin athénien. Lors de notre voyage, je suis monté sur cinq collines différentes. Depuis chacune d’elles, avec leur angle de vue différents, j’avais fait le même constat: un monstre de béton qui s’est étalé partout où il le pouvait. Je trouvais cela dommage et je ne pouvais cesser de m’imaginer ce qu’était l’ancienne Athènes, avant les constructions en hauteur, avant l’expansion de la ville… Mais bon, on ne va pas en ville pour voir de la campagne. Et elle reste belle cette ville avec ses toits miroitant au soleil, donnant l’illusion d’une immense vague grise, et ses belvédères rocheux qui émergent ici et là.

Panoramique pris depuis l'Acropole.

Panoramique pris depuis l’Acropole.

En 1980, la grande crise urbaine a éclaté, suite logique de l’urbanisation intensive des années 60. La pollution en centre-ville est devenue insupportable. La ville s’étouffait à cause des gaz produits par les industries et les voitures. Athènes mourrait à cause de ce cataclysme de densité de circulation et le centre s’est vidé, car la vie y était malheureuse et le seul moyen c’était de la quitter. Trois ans plus tard, un plan régulateur a été proposé : « Athènes redevient Athènes ». Il correspondait à une politique du premier gouvernement de gauche et de ses idées socialistes. Le ministère de l’aménagement du territoire de l’habitat et de l’environnement a ainsi proposé un centre historique avec des quartiers sauvegardés, une désindustrialisation pour préserver l’atmosphère athénienne de la pollution ainsi que la fermeture de toutes activités responsables de nuisances (bruits, pollution, …) dans le centre-ville. En parallèle, une piétonisation a été souhaitée pour que le centre devienne un espace propice à la balade. Pour cela le plan a également proposé de construire de nouvelles villes en périphérie pour que les athéniens puissent y vivre. Ces nouveaux centres allaient s’établir dans les bois et les banlieues encore non bâties en dehors de la ville. Mais les autoroutes allaient alors devenir le seul moyen pour y accéder.

En 1985, c’est l' »Athens Master Plan » qui a été mis en place. Ses idées s’appuyaient sur le plan régulateur de 1983. Il a abouti à l’ouverture des autoroutes autour d’Athènes mais sans aucun réseau ferré. Dans le centre-ville, les maisons de type néoclassique ont été préservées et un chemin piéton autour de l’Acropole a vu le jour. Ce chemin a remporté un vrai succès et il est encore aujourd’hui très fréquenté. D’ailleurs, elle est très agréable cette petite promenade piétonne qui passe entre les ruines avec ses vendeurs de bric et de broc. Avec ce plan régulateur s’est aussi inscrite une volonté de changer le centre et d’en faire un endroit plus historique en déplaçant la centralité des activités ailleurs. Le vœu a été fait de passer de soixante mille voitures à soixante mille piétons. Pour cela, certains quartiers d’Athènes sont passés en phase de développement comme par exemple Metaxourgeio, Frizi et Gazi. Ce dernier quartier, comme son nom l’indique est une zone où se trouvait l’industrie gazière de la ville. Dans une optique de développement, cette industrie a été déplacée pour y implanter un centre culturel. Grâce à la valorisation de ces quartiers et à l’insertion de rues piétonnes, le centre-ville d’Athènes a été complètement redessiné en 1990. Il comportait toujours le trident mais il réintégrait le sud de l’Acropole grâce aux circuits pédestres qui ont vu le jour. L’antiquité et la modernité coexistaient. Seulement voilà, dans cette optique de mise en valeur, ils ont voulu également tenir compte du bâti d’Athènes et un nouveau classement des édifices a été mis en place. Et là, un problème est apparu, car les habitants, possédant un bâtiment néo-classique, ont dû commencer à entretenir leur maison, oublier les agrandissements prévus, etc. Les constructions dans le centre-ville se sont arrêtées et les maisons ont commencé à tomber en ruines, car les propriétaires n’avaient pas assez d’argent pour financer l’entretien de ces bâtiments historiques. Ce nouveau classement des habitations, alors que les gens n’étaient pas riches, a ruiné le centre-ville, car aucune aide de la part de l’Etat n’était proposée pour restaurer ou pour réutiliser ces logements.

Bâtiment abandonné et tagué dans le centre d'Athènes.

Bâtiment abandonné et tagué dans le centre d’Athènes.

Le nouveau classement des bâtiments d’Athènes a été un échec car l’idée n’allait pas avec la désindustrialisation opérée dans le centre-ville. Les nouveaux centres urbains qui se sont implantés en dehors de la ville ont fait que celle-ci s’est développée dans la périphérie. Les personnes qui avaient la possibilité de construire une maison avec jardin et piscine, en dehors de la ville, sont parties et le centre s’est ainsi appauvri. Il s’est alors retrouvé délaissé car les boutiques suivaient les gens au nord, au sud, ou à l’extérieur là où il y avait les classes sociales qui possédaient l’argent (due aux ventes des bâtiments du centre-ville) et là où il y avait les voitures. Avec cette migration, la ville est passée de 789 000 habitants en 2001 à 655 000 en 2011. Cette chute du nombre de la population était évidemment liée au cœur de la ville et aux départs des classes moyennes et aisées pour les banlieues proches. Le prix du foncier a baissé : personne ne veut vivre là. Mais une nouvelle catégorie de personnes est arrivée à Athènes : les nouveaux immigrés. Ceux-ci sont intéressés par les prix bas et apparaissent alors les ghettos, la prostitution, le trafic de drogues, les sans-abris. C’est vers 2011 qu’Athènes a vraiment pris conscience de la crise qu’elle vivait. Notamment avec le recensement qui a exposé au grand jour la chute économique et sociale du centre-ville, avec la disparition des commerces, les prix du foncier, la présence des classes sociales défavorisées, etc. Le Ministère de l’environnement s’est alors rendu compte que la décentralisation n’avait pas seulement soulagé le centre mais l’avait complètement détruit. Et ça on le voit quand on se balade en ville. Les bâtiments abandonnés, squattés, dont la construction est stoppée, les terrains en friches, les hôtels barricadés, les commerces fermés, etc. On a l’impression de se balader dans une ville qui vient de subir une guerre. D’ailleurs un ami syrien, réfugié de guerre, qui était avec moi lors de ce voyage, m’a dit qu’il se croyait dans son pays. Pourtant on est bien en Europe, et c’est incroyable de voir un centre-ville aussi vide de vie…

Commerce abandonné du côté de la place Omonia.

Commerce abandonné du côté de la place Omonia.

Alors si la décentralisation n’a pas marché qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien on fait l’inverse, on re-centralise! Un plan régulateur est donc pensé en 2014, la ville est à ce moment divisée en deux avec les industries à l’ouest et le centre qui se vide. En effet, il y a les bâtiments anciens qui ont été abandonnés, mais il y a aussi certains bâtiments récents construits dans les quartiers comme Metaxourgeio, qui restent vides car personne ne veut encore les acheter. Le constat est clair, la ville est vide. On peut dire que le centre historique est vivant mais il est en réalité commercialement mort. De très nombreux bâtiments sont vacants, et deux tiers d’entre eux sont également des bâtiments classés. On peut donc penser, à juste titre, qu’un lien existe entre ces deux critères et que le classement des bâtiments est une des causes de cet abandon.

En 2004 Le Jeux Olympiques d’Athènes ont apporté quelques modifications à la ville. Même si elles ne répondaient qu’à des logiques d’attractivité et ne profitent qu’au tourisme, un nouveau réseau ferré souterrain a vu le jour et a fait du centre-ville un endroit beaucoup mieux desservi. Le nouveau plan régulateur de 2014 tient compte de ces changements. Il profite en effet de ce nouveau mode de transport commun en centre-ville pour pouvoir ralentir les flux automobiles en surface. Et ainsi de nouveaux enjeux voient le jour : tourner la ville vers la mer, stopper le transport naval commercial, ouvrir le port, réorganiser la côte pour le plaisir des Athéniens, faire du chemin de fer Le Pirée-Athènes un axe non commercial, désindustrialisation de tout le bassin athénien, permettre la porosité des quartiers, etc. Tout plein de bonnes intentions! Athènes voit en parallèle émerger quelques pépites architecturales comme l’opéra de Renzo Piano, la nouvelle bibliothèque nationale, le musée d’art moderne, le centre culturel de l’agence Studio et la banque nationale de Grèce de Mario Botta. Ces nouveaux bâtiments à renommée internationale participent au développement du tourisme à Athènes et s’inscrivent dans les directives du plan régulateur. Ainsi la ville tente de relier le port au nord en passant par ces nouveaux points à fort potentiel touristique pour ainsi créer une colonne vertébrale culturelle de la côte au cœur de la ville. Le défi est alors de ralentir la circulation au centre tout en laissant la possibilité d’y accéder rapidement. Pour cela un réseau vert est en train d’être implanté en centre-ville et notamment autour de la place Omonia.

 L’évolution de la place Omonia

 La place Omonia est, comme dit précédemment, la place dédiée au peuple. Nous allons voir comment ce point central de la ville moderne a évolué et comment il est représentatif d’Athènes toute entière.

A la création du trident d’Athènes au XIXème siècle, la place Omonia possédait un esprit oriental, avec des palmiers qui s’élevaient vers le ciel et notamment des palmiers importés de Los Angeles. Le style néoclassique dominait dès lors l’architecture aux alentours. Vers 1930, Athènes a accueilli, comme le reste du monde, l’arrivée du béton armé, du tramway et des voitures. Une ligne de transport ferré souterrain a également été construite entre le Pirée et Kephissia, ville situé au nord d’Athènes, en passant par la place Omonia. Avec ces nouvelles techniques, le mode de vie athénien changea ainsi que la place en elle-même. Elle est alors devenue plus artificielle avec la disparition des arbres, remplacés par des colonnes posées au milieu de nulle part, se révélant être les bouches d’aération du métro. La place est devenue un grand carrefour et les voitures tournent autour d’une esplanade où les piétons se baladent et achètent des fleurs auprès des marchands ambulants. En 1960, le centre-ville subit une modernisation accélérée. Une ville prospère et moderne fut la nouvelle image donnée à Athènes avec les reconstructions d’après-guerre et les aides américaines. La place Omonia le démontre avec notamment ses nouveaux escalators pour accéder au métro. Escalators dont les entrées sont écartées de la place pour que celle-ci puisse accueillir une gigantesque fontaine avec des jets d’eau et des projections de lumière colorée la nuit. La fontaine sert de rond-point et en voiture on prend plaisir à rouler autour de celui-ci pour contempler la beauté de l’endroit. C’est bien une idée de modernité et de prospérité qui est alors donnée aux athéniens à travers cette nouvelle place. La ville leur montre qu’ils vont vers des jours meilleurs, et que le paradis est devant eux. La place est donc pour cette période le symbole d’un grand optimisme. Et personnellement je trouve qu’elle était plutôt belle à cette époque, comparé à ce qu’elle va devenir par la suite.

Vue aérienne de la place Omonia, 1960.

Vue aérienne de la place Omonia, 1960. Source : http://flickriver-lb-1710691658.us-east-1.elb.amazonaws.com/photos/25108921@N04/sets/72157619704544532/

En 1980 arrive la crise du transport. Le trafic est devenu très important en ville, les voitures étaient nombreuses et les bouchons aussi. La création de deux lignes de métro supplémentaires est ordonnée. Avec l’aide d’un concours international, Athènes a également voulu repenser la circulation ainsi que la réorganisation de la place. Seulement voilà, le résultat n’est pas approuvé par les Athéniens. La nouvelle place est un véritable échec mais c’est également dû au fait que le centre n’est plus fréquenté. En effet ils ne vont plus à Omonia, non pas parce que ce n’est plus une place mais parce qu’ils délaissent le cœur même d’Athènes. Le nouvel Omonia met donc en lumière le problème de la ville et de son centre. Il ne suffit pas de construire quelque chose de nouveau pour qu’il fonctionne, il faut résoudre le problème initial et ce n’est pas une place qui va changer le tout.

Vue plongeante sur la place Omonia, 2005.

Vue plongeante sur la place Omonia, 2005. Source : https://weloveathens.files.wordpress.com/2010/01/20100120_omoneia_5.jpg

En 2014 le plan régulateur est approuvé. La circulation est encore un des points principaux à revoir. La place Omonia ne doit plus être un croisement qui permet d’aller du nord au sud. Ce doit être une zone tampon qui laisse les piétons s’approprier la place. Le métro se charge du croisement et son but principal et de permettre aux gens d’accéder facilement au centre; il mène à Omonia, Monastiraki, Syntagma, etc. En parallèle, la ville a lancé en 2012 un concours international pour le projet d’un réseau vert. Des zones piétonnes ou des zones à restriction, doivent relier le musée de l’acropole à la place Omonia en passant par la place Syntagma. Athènes veut que pour les voitures privatives le passage à travers le centre-ville, si le il n’est pas la destination, soit plus difficile. L’idée est de décourager les gens qui veulent aller plus vite en passant par le cœur tout en faisant en sorte que les moyens pour y accéder soient simples et rapides. Parce que actuellement, ce n’est pas comme en 1980, il y a moins de voitures et celles-ci passent très vite.

C’est donc l’agence d’architecture OKRA Landschapsarchitecten, qui remporte le concours avec son projet « Re-think Athens ». Celui-ci se base sur les notions du plan régulateur pour repenser la circulation avec un partage des avenues : voies piétonnes, tramway et voie centrale mixte (piétons, vélos, taxi, bus) et une régularisation des vitesses (voies à 3 km/h, 5 km/h, 20 km/h). De plus, comme en Grèce il y a beaucoup de sécheresse mais aussi beaucoup de pluie, OKRA a intégré à son projet un traitement de sol qui récupère l’eau pour éviter les inondations dues aux sols imperméables actuels. Cela implique une réorganisation de la gestion de l’eau urbaine. Leur système joue avec la porosité qui va arroser la terre lentement, récupérer le surplus d’eau et le stocker jusqu’à quinze mille mètres cubes avec pour autonomie 90 jours pour les périodes très sèches de l’été, pour arroser ou nettoyer la ville. Sur la place Omonia, même idée, réintroduire l’eau pour rendre à ce lieu son hospitalité, diminuer la présence des voitures et ainsi donner plus d’espace aux piétons. On retrouve un peu cette idée d’une place fontaine où l’on tourne autour, mais cette fois-ci à pied, ce qui est beaucoup plus attrayant. Ce réseau vert voulu par la ville n’est pas qu’une implantation de verdure sur un axe majeur d’Athènes, c’est aussi une volonté de changer le centre-ville et lui redonner vie. Pour cela la ville souhaite faire revenir les commerces de proximité et les universités qui sont parties d’Athènes lorsque celle-ci tombait en ruine. Elle veut également favoriser les petits commerces et l’artisanat pour éviter le phénomène de gentrification. Avec ce renouveau économique, la ville espère réimplanter des habitations dans les maisons abandonnées et également réutiliser les 40% du bâti qui attendent une utilisation. Mais Athènes a tout de même l’intention de réglementer ce réinvestissement du centre-ville pour ne pas laisser les capitaux le reconquérir sur la base du profit. Un plan de réorganisation urbaine intégrée a été établi en janvier 2015 mais en ce moment il y a d’autres problèmes en Grèce et le gouvernement ne se prononce pas sur la ville, il n’est pas pour, il n’est pas contre, il ne dit rien. Le projet du centre d’Athènes n’est pas le sujet du jour. Pourtant ce plan proposé par OKRA est définitif, il y a même un permis de construire qui a été déposé. Adopté par le ministère, le projet est prêt mais comme le dit M. Tournikiotis, professeur à l’école d’Athènes: « il faut de l’argent, pour ça les Grecs comptent sur l’aide européenne, et en plus il faut construire dans une ville en crise ». Pour l’instant le projet est donc en stand-by. Mais la centralisation d’Athènes va arriver, seulement elle ne peut pas se planifier. Car tout va arriver en même temps, les capitaux, les mouvements de citoyens, les conflits, tout va se « bagarrer ». Mais la ville se fait comme ça, et les plans régulateurs proposent des choses qui ne vont pas forcément toutes être réalisées, ce sont plus des sortes de guides.

Projet de la rue Panepistimio, OKRA Landschapsarchitecten.

Projet de la rue Panepistimio, OKRA Landschapsarchitecten. Source : www.rethinkathens.org

Athènes en crise

Personne n’ignore l’existence de la crise financière débutée au début des années 2000 en Grèce. Cependant ce paragraphe n’a pas pour but d’expliquer en détails les raisons politiques mais plutôt de comprendre les répercussions concrètes pour les Athéniens.

Aujourd’hui cette population dit elle-même avoir perdu tout espoir d’une amélioration de la situation économique de son pays, après 7 plans d’austérité mis en place depuis 2009. Et pour cause, en juillet 2015, le gouvernement de Tsipras propose un référendum sur l’acceptation d’un nouveau plan de restriction par l’Europe qui se soldera par un large « non » de la population excédée sous les charges. Quelques jours plus tard le plan est finalement accepté par le gouvernement. Les grecs quand on leur demande, ne veulent même plus aller voter, car ils trouvent cela « inutile ». Cependant, en passant quelques jours sur place on peut aisément remarquer des problèmes de fonctionnement dans l’organisation du pays. Par exemple, si on devait commencer par quelque chose que l’on peut remarquer au bout d’une heure sur le sol grec : tout le monde utilise le métro flambant neuf mais personne n’achète de ticket. Mais l’Etat doit continuer de l’entretenir ce qui nécessairement génère des coups importants. Ensuite, de manière plus générale il existe en Grèce et c’est bien connu, un problème de fraude fiscale à grande échelle. L’Etat peine à percevoir les impôts et les augmente sans cesse alors que certains grecs n’en payent toujours pas. Ils ont en effet augmentés de 53% depuis 2009 alors que les salaires ont diminués de 20 à 30%. A côté de cela, le gel des recrutements des fonctionnaires en 2009 entraîne également aujourd’hui des aberrations. Par exemple le faible nombre de policiers explique que peu d’infractions soient verbalisées et c’est encore de l’argent en moins dans les caisses de l’Etat qui préfère augmenter la TVA de 13% à 23% sur la restauration et même les services funéraires. A Athènes il est commun de voir passer devant des policiers qui restent de marbre, des scooters avec trois personnes, sans casque, dessus. En passant plusieurs jours dans la ville on se rend compte d’une chose importante : l’argent n’est pas pris là où il devrait l’être. De plus, les services publics ont vraiment régressés. Le ramassage des ordures par exemple n’est pas effectué régulièrement et il n’est pas rare de voir les bennes déborder pendant des jours et empiéter sur la circulation.

Depuis 5 ans, la classe moyenne souffre, le chômage en Grèce est passé de 12% à un quart de la population, il n’y a pas une famille en Grèce où personne n’est au chômage. Des petites choses de la vie quotidienne nous montrent même en tant que touristes que la moindre économie est bonne à faire. Par exemple les ballons d’eau chaudes en Grèce sont manuels, l’eau n’est pas toujours chauffée il faut l’allumer pour prendre sa douche et l’éteindre ensuite. Aussi, les propriétaires, même si les contrats de locations ne font mêmes pas deux pages, précisent qu’il faut éteindre la lumière en sortant de chaque pièce. De même certaines choses nous paraissent aberrantes en tant que français, par exemple au supermarché, les produits superflus tels que les tablettes de chocolats, sans doute souvent autrefois volées, sont désormais emballées dans le même système de protection antivol que les jeux vidéo en France. Si on regarde cette situation de plus près, on se rend compte de la désorganisation des grecs, qu’ils reconnaissent eux-mêmes. En effet, par exemple à l’école d’architecture, certains cours ont été supprimés, nous expliques des étudiants, car il manquait des professeurs et d’autres sont assurés gratuitement par des professeurs qui restent après leur retraite. Cependant derrière cela on remarque que certains cours où il n’y a que quinze étudiants sont assurés par quatre professeurs tous présents et payés pour l’heure de cours.

Cour intérieur d'un des bâtiments de l'université où les étudiants en architecture travaillent les jours de beau temps.

Cour intérieure d’un des bâtiments de l’université où les étudiants en architecture travaillent les jours de beau temps.

Pour aborder à présent une note plus positive, même si la crise démoralise la population, elle a donné aux grecs une générosité et une solidarité sans pareil. Solidarité entre eux d’abord, avec les grands-parents qui soutiennent financièrement toute la famille, mais aussi envers les étrangers. Par ailleurs il n’existe pas d’animosité envers les touristes étrangers comme on pourrait le voir par exemple à Barcelone. Les grecs sont heureux de faire partager leur culture, dans les restaurants traditionnels, ils offrent le dessert, le vin… Cela ne pourrait être qu’un geste commercial, mais ils vont aussi s’attarder sur des explications, par exemple, pourquoi les verres des tavernes ont cette forme caractéristique? Car il existe une manière particulière de les tenir. Par ailleurs, en Grèce le problème des réfugiés n’est pas vécu de la même manière que dans les autres pays d’Europe. Alors certes la Grèce n’est qu’un point de passage pour ces populations et n’est pas leur destination finale mais les grecs n’ont pas d’animosité envers les réfugiés comme on pourrait l’avoir en France. Ils sont européens mais ils comprennent que ce sont des gens malheureux qui ont fui un pays en guerre.

Les grecs sont également des personnes qui savent s’adapter très vite, car ici les choses peuvent changer du jour au lendemain. « Quand tout ce que vous avez connu en tant qu’adulte change brutalement, comme avoir un travail, avoir des services publics comme des hôpitaux de qualités disparaît, alors vous devez vous adapter très vite » nous explique M. Pappa, professeur à l’école d’architecture. C’est pour ça que dès l’arrivée des réfugiés, les grecs les ont logés partout où ils le pouvaient y compris dans l’école d’architecture. En effet, le bâtiment des ingénieurs en génie civil, inoccupé depuis des années héberge aujourd’hui une centaine de migrants comme c’est le cas d’immeubles désaffectés d’Exarcheia, place réputée comme étant le foyer de l’anarchisme à Athènes. Essayez d’imaginer en France qu’on accueille des réfugiés dans une école? L’idée ne nous effleurerait même pas. En France on construit des centres spéciaux pour eux, pour ne pas se mélanger. A l’initiative de la présence des réfugiés dans l’école se trouvent les membres du mouvement anarchiste grec, souvent impliqués dans des manifestations au sein du quartier d’Exarcheia. L’école d’architecture a été le lieu de départ de la rébellion de 1970 contre la dictature et reste aujourd’hui le symbole des luttes politiques et du droit d’asile. Au-delà de l’accueil de population en souffrance, il s’agit pour les anarchistes d’envoyer un message politique de lutte contre les frontières, de lutte pour la vie, la liberté et la dignité. Néanmoins, les anarchistes doivent faire face au mouvement politique des néo-nazis grecs, qui se veulent très présents dans le quartier par des tags et croix gammées qu’ils dessinent sur les murs et sols. Ces derniers s’opposent vivement à la présence des étrangers au sein de la population grecque. Par exemple, alors que les anarchistes dessinent à la bombe un terrain de football pour les réfugiés avec l’inscription « no borders, refugees welcome » dans la cour de l’école d’architecture, quelques jours plus tard, le terrain est tagué d’une énorme croix gammée pour être visible depuis le ciel.

Cour de l'université polytechnique nationale d’Athènes.

Cour de l’université polytechnique nationale d’Athènes.

Pour M. Terzoglou, professeur d’architecture dans cette école empreinte de complexité sociale,  l’occupation du lieu n’est pas un problème. Elle n’est d’ailleurs un problème pour personne ici que ce soit les étudiants, les professeurs ou les employés. Pour M. Terzoglou, l’architecture peut résoudre cette crise car elle est « la projection de la société sur le sol ». Il pense « qu’elle a une fonction éthique qui se mesure aussi par sa capacité à percevoir les multiples niveaux des crises humanitaires, économiques ou sociales, et à tenter de les résoudre par l’organisation de l’espace ».

Comme vu avez pu le constater nous n’avons pas parlé seulement du contexte architectural d’Athènes mais aussi de la crise qu’elle traverse en ce moment. Même si je pense que les deux situations sont très liées j’ai décidé de ne pas dire dans mon introduction que nous allions parler de la crise. Parce que cela nous aurait tous ennuyé d’avance. Mais je suis heureux que vous soyez allé jusqu’au terme de cet article qui, j’espère, vous a été utile et vous a appris des choses sur Athènes en particulier mais aussi sur la Grèce et son état actuel. Je vous conseille vraiment d’y aller, c’est vraiment génial quand on s’y habitue! Et allez-y pour y vivre, ce n’est pas une ville qui se visite (enfin ça vous pouvez le faire avec vos parents) mais c’est une ville qui se vit! Pour finir, je ne citerai qu’un mot. Un mot qui, d’après les rencontres que j’ai faites, représente la façon de penser de ces grecs extraordinaires. Ce mot est « Meraki » qui signifie « l’effort », l’essence d’eux-mêmes qu’ils placent dans leur travail, ce grâce à quoi ils vont garder la tête haute, car malgré ces problèmes Athènes reste une cité à la renommée éternelle.

Nicolas LE POMMELET.

Voyage du 11 au 22 avril 2016.

Merci à M. Tournikiotis, M. Terzoglou, M. Pappa, Eleni Demetriadou, Antonia Stylianou, Christos Avana pour leurs conversations et leurs explications. Merci également à Laura Sicot pour son aide précieuse.

Bibliographie livres/magazines:

Athènes: (méta)morphoses d’un centre ville en crise, Lucas Chaniot, école d’architecture de Nantes, 2016, 148p.
[consultable : http://biblio.nantes.archi.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=42356]

Paris-Rome-Athènes, École nationale supérieure des Beaux-arts, Paris, 1982, 440p.

Athènes, STÄHLI Rolf A. – BAUMMANN Victoria, Zurich, 1977, 109p.

– Athènes : Construire dans le construit, Tefchos – n°9, 1992, 152p.

Bibliographie webs:

– Comprendre la crise grecque en cinq étapes
http://www.lemonde.fr/europe/video/2015/09/23/comprendre-la-crise-grecque-en-cinq-etapes_4768598_3214.html

– L’Ecole Polytechnique d’Athènes, de la résistance à l’accueil des réfugiés
http://www.itele.fr/monde/video/lecole-polytechnique-dathenes-de-la-resistance-a-laccueil-des-refugies-160327

Baisse de la population en Grèce
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2011/07/26/97001-20110726FILWWW00436-baisse-de-la-population-en-grece.php