Ne pas sous-estimer Ljubljana, malgré ses airs de petite ville, cette capitale européenne possède de nombreuses richesses. Elle nous laisse découvrir ses secrets le temps de ballades au travers des ruelles de couleurs vives et de ses multiples ponts qui franchissent la Ljubljanica dont le plus fameux est le pont des Dragons.
La capitale de la Slovénie était la dixième et avant dernière étape d’un voyage en train au travers de l’Europe de l’Est en février 2016. C’est donc après avoir parcouru Bruxelles, Berlin, Cracovie, Zakopane, Prague, Vienne, Graz, Bratislava et Budapest que nous nous sommes arrêtés à Ljubljana. C’est au bout d’une bonne dizaine d’heure que le train stoppa enfin pour nous laisser découvrir cette nouvelle ville.
Le côté féérique de Ljubljana remonte à sa création et à son implication dans le mythe grec de Jason et la Toison d’or. Dans la fuite qu’il entreprit après l’acquisition de la Toison d’or, Jason aurait navigué vers la mer Noire, le long du Danube, afin de récupérer la Ljubljanica. Arrivé à Ljubljana, un dragon l’attendait. Jason le vainquit sans difficulté et le dragon devint l’emblème encore actuel de la ville. Aujourd’hui, il est visible sur les armoiries de la capitale, sur les statues du château et montant la garde le long du « pont des dragons » dans le centre ville.
Mise à part cette légende, des traces d’occupation de la région de Ljubljana remontent à plus de 4 000 ans. C’est les Romains qui lui apportèrent les premières heures de gloire en y créant un camp de base militaire nommé « Emona ». La ville se dota notamment de murs d’enceinte afin de se protéger. Mais au V ème siècle ces protections ne suffirent plus face aux Hongrois puis face aux Slaves un siècle plus tard. Jusqu’en 1335, la ville fut dirigée par différentes familles nobles et se développa. Suite à cela elle fut rattachée à l’Empire des Habsbourg jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale. Cette ville était alors considérée comme un des centres culturels les plus importants d’Europe. En 1918, la région est rattachée au royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Dix années plus tard elle devient la capitale de la Yougoslavie. Mais pendant la Seconde Guerre Mondiale, Ljubljana est occupée par les Italiens puis par les Allemands. La ville est alors isolée par des barbelés de plus de 30 km. C’est devenu le lieu d’affrontement entre les collaborateurs slovènes et les communistes. Suite à la défaite des Allemands, la ville devient capitale de la République socialiste de Slovénie jusqu’à l’indépendance du pays en 1991. Depuis, la Slovénie, pays dont elle est la capitale, a intégré l’Union Européenne en 2004 et est même devenue la « Green Capital » 2016.
C’est de nuit et sous un tapis de neige que nous avons d’abord découvert Ljubljana. La première traversée est surement la même pour beaucoup de touristes. C’est celle qui relie la gare principale et le centre ville. Il y a environ une vingtaine de minutes qui sépare les deux entités. C’est bizarre comme les quartiers des gares semblent être partout les mêmes : deux trois tours d’habitations, un peu excentré au Nord de la ville, des rez-de-chaussée abritants des coiffeurs, des supérettes et des magasins divers aux façades un peu délavées. Nous avions hâte de rejoindre la vieille ville historique. Ce quartier là n’était pas vraiment réjouissant.
Et puis tout à coup, au bout du boulevard une grande silhouette rose bonbon se laisse découvrir. C’est la façade de l’église franciscaine de l’Annonciation, construite dans le style baroque dans les années 1660. C’est le sculpteur Francesco Robba qui dessina l’autel principal. Cet artiste Vénitien a marqué l’histoire de la ville notamment avec la réalisation de la « Fontaine des Trois Fleuves de la Carniole » réalisée en 1751. Elle est directement inspirée de la « Fontaine des Quatre Fleuves » à Rome du Bernin. Francesco Robba a aussi réalisé de nombreux autres autels partout dans la capitale.
La ville a conservé son centre presque à l’identique pendant toutes ses années. Il est fortement marqué par le Baroque Italien mais aussi par l’Art Nouveau suite à sa conquête par l’Empire Austro-hongrois. Ainsi, après avoir traversé quelques villes autrichiennes dont Graz, nous n’étions pas dépaysés à Ljubljana. Cette dernière, ayant été très développée par la famille des Habsbourg, présente un certain air de famille : les façades de couleurs vives, les rues pavées reliant la multitudes de petites places avec églises, le tout étant surplombé par la colline où est installé le château.
Le centre historique, traversé par la Ljubljanica, comporte notamment deux quartiers : celui de l’hôtel de ville et celui des « Chevaliers de la Croix » où se situe entre autre l’église des Ursulines et le philharmonique. Le reste de la ville s’est d’avantage construit après la Première Guerre Mondiale et est notamment riche des œuvres de l’architecte Joze Plecnik. Il a réalisé la bibliothèque nationale et universitaire, le « pont des Paveurs », le lycée des Ursulines et surtout le marché couvert de la ville entre 1939 et 1942. Ce marché borde la rivière et nous a accompagné de la place principale à l’auberge de jeunesse que nous avions réservée.
Joze Plecnik (1872-1957) est un architecte slovène qui a marqué l’architecture moderne du 20 ème siècle. C’est un des élèves d’Otto Wagner qui a notamment obtenu le Prix de Rome. Après quoi, ils exercé à Vienne pendant une dizaine d’années dans la continuité de son professeur. Il est connu principalement pour ses réalisation en République Tchèque à Prague où il travaillait pour le président Masaryk. Il fut ainsi chargé de la rénovation du château de Prague de 1920 à 1935. C’est parallèlement à ses grands travaux qu’il poursuit son métier d’architecte et d’urbaniste dans sa ville natale qui est Ljubljana de 1922 à 1957. Il se donne alors comme objectif de donner à cette capitale une identité nouvelle qui lui est propre. Ainsi, il la marque de multiples interventions sur la structure urbaine en retravaillant les espaces publics, les places, les berges du fleuves et les ponts qui le traversent. Il est convaincu que sa force est dans ce cours d’eau et que c’est ce qui donne son caractère romantique à Ljubljana. Il s’efforce donc de rendre ses abords praticables et agréables. De plus, il dessine et construit de nombreux édifices où il montre l’identité slovène au travers de détails architecturaux qui lui sont propres. Il est ainsi devenu l’architecte de la plupart des bâtiments importants de la ville comme le stade, la chambre de commerce, le magnifique Triple Pont qu’il a réhabilité (le premier datant de la fin du 19 ème siècle) en lui ajoutant deux passerelles non parallèles, le marché aux poissons qui longe la Ljubljanica ou encore la bibliothèque nationale et universitaire. Ils sont facilement repérables par la signature de l’architecte. L’utilisation de géométries et de formes classiques enchéries de détails innovants comme les tuyaux de canalisation de l’église Saint Michel de Barje qu’il peint et polit pour ornementer à moindre coût l’intérieur de cet édifice. Ou encore les briques incrustées dans les murs de la bibliothèque nationale qui lui permettent la mise en place de jeux de texture sur la façade. Pour l’architecte cela lui rappelait les maisons en structure mixte du Karst (région située entre l’Italie, la Slovénie et la Croatie où les terres sont très riches en calcaire ce qui donne un paysage ruiniforme). Dans les travaux de Plecnik, on retrouve souvent l’architecture classique se mêlant à l’architecture plus décorative de Wagner et de la Sécession viennoise. C’est un courant artistique du début du 20 ème siècle qui vit son origine à Vienne et qui se rapproche beaucoup de l’Art Nouveau. Ce style est notamment reconnaissable par l’utilisation de formes organiques, sous le thème de la végétation et des compositions florales stylisées et en courbes.
La visite du château et de sa colline était selon beaucoup la première chose à découvrir. Nous avons donc profité de la lumière matinale pour aller arpenter les ruelles pavées qui montent raidement vers le château de Ljubljana situé à 376 mètres d’altitude. Après une vingtaine de minutes, nous avons découvert le pont levis qui mène à la cours principale du château. C’est un édifice qui retrace parfaitement l’histoire de la ville. Comme elle, il connut de nombreuses fonctions et revirements au travers des années. Son principal essor était, comme pour celui de Bratislava, sous les Habsbourg. Il servit même d’hôpital militaire sous Napoléon. C’est depuis 1905 et son appartenance à la ville qu’il s’est transformé en bien culturel. La surprise fut totale en entrant dans le château lui-même. En effet il fit l’objet d’une réhabilitation en musée dans les années 2010. La valorisation des espaces existants se fait par la mise en place d’une structure légère en acier corten. Mais l’utilisation de ce nouveau matériau est en adéquation totale avec l’existant et forme un travail remarquable. Je pense que c’est un très bon exemple de réhabilitation du patrimoine aujourd’hui.
Dans l’enceinte de ce château il y a une seconde surprise : la chapelle gothique Saint-Georges consacrée en 1489. Cette petite église est camouflée dans une des anciennes tours de la fortification celte. Il faut descendre un escaliers en colimaçon avant de découvrir la chapelle étroite. Lors de sa rénovation dans le style baroque, les fresques au plafond ont été peintes arborant les armureries des gouverneurs principaux. La principale connue reste Marie Thérèse. Mais cette chapelle est restée dans nos mémoires autant pour ses murs de couleurs jaunes pales que par l’étrange monsieur qui y avait élu son bureau. Ce « vagabond », comme il se qualifiait lui même, a passé sa vie à voyager d’églises en églises afin d’offrir aux curieux un marque page sur lequel il inscrit en lettres gothique notre prénom à l’encre.
S’il y a quelque chose à retenir de la belle Ljubljana, c’est son côté romantique. La ville est donc traversée par la Ljubljanica, qui veut dire « l’aimée ». Ce fleuve fut la principale artère de commerce depuis l’époque romaine jusqu’à l’invention des voies de chemin de fer. Aujourd’hui elle offre surtout de nombreuses balades en bateaux. Si elle est très utilisée pour ses berges, les traversées n’en restent pas moins négligées. Le cœur de la ville est ainsi riche de nombreux ponts tous aussi remarquables les uns que les autres. La première trace de pont remonterait à l’époque romaine. Aujourd’hui il y notamment le « Triple pont » devant la Grande Place, le « pont des Bouchers » avec ses nombreuses sculptures représentant des corps et des animaux écorchés, et le fameux « pont des dragons ».
Le tour sur les nombreux ponts fait, il est temps de revenir se poser sur les berges de la Ljubljanica. Celles-ci même qui ont longtemps été sujet au débat dans la capitale. Le courrier de l’architecte leur consacre d’ailleurs un article le 1er mai 2012. Ils expliquent le long procédé qui a permit la valorisation des bords de la Ljubljanica. Même si le rapport avec le fleuve avait déjà été soulevé par l’architecte Joze Plecnik vers les années 1940 qui le considérait comme un axe urbain majeur. Ainsi il fit en sorte de rendre les rives accessibles aux riverains en aménagement une vraie promenade piétonne avec la mise en place de ponts et de petits aménagements. Au début des années 2010, ce n’est pas moins de huit agences d’architecture qui ont été retenues pour continuer de valoriser ces espaces. Leur objectif est clair : c’est notamment par le tourisme culturel que la ville peut se développer, il faut redonner à la capitale un attrait visuel important. Ceci c’est donc traduit par une réhabilitation des façades, un réaménagement du marché couvert et par la diminution du trafic automobile à proximité de la vieille ville. Aujourd’hui, le centre ville est si agréable que même sous le temps pluvieux que nous avions, personne ne semblait gêné par la pluie, les passants continuaient de se balader le long des rives et de se poser aux multiples terrasses qui ont prit place le long du fleuve.
Les rez-de-chaussée de la capitale sont toujours très colorés et vivants grâce aux nombreuses boutiques ou cafés. Pourtant il suffit de lever un peu les yeux pour observer que les étages sont quant à eux vieux, pâles et parfois même délabrés. En continuant à lever les yeux, il est possible de distinguer au loin, un grand dôme en zinc vert. Celui-ci appartient à la cathédrale Saint Nicolas. Elle présente notamment deux tours jumelles et est proche du centre ville sur la place Vodnik juste à côté du mythique « Triple pont ». A l’origine se trouvait une église romane construite vers le XIII ème siècle. C’est lors du grand incendie qui ravagea la ville en 1361, que l’église fut reconstruite dans un style gothique. Mais les Turcs déclenchèrent un nouvel incendie en 1469 lors des batailles contre l’Empire Ottoman. C’est donc au début du XIII ème siècle, que l’église fut reconstruite dans un style baroque par l’architecte Andrea Pozzo. Le dôme lui date de 1841. L’intérieur est peint de fresques baroques réalisée par l’artiste Guilio Quaglio.
En quittant un peu le centre ville historique vers le nord, nous sommes arrivés dans le quartier des universités de Ljubljana. C’est là que pour la première fois en trois semaines, nous sommes tombés sur une plaque commémorative rédigée en français. Nous étions face au monument commémoratif des provinces Illyriennes de Napoléon. Cette place fut érigée par Joze Plecnik et Lojze Dolinar (sculpteur) en 1929. Sur la colonne, deux visages sont gravés dans ce qui semble être du bronze. Le premier est facilement reconnaissable pour nous, c’est celui de Napoléon, nous avons identifié le second que plus tard après quelques recherches : c’est un visage féminin qui représente l’Illyrie. Cette petite place semble être l’entrée du quartier culturel de la ville : face à elle on trouve le palais de Turjak, prince de la région qui abrite aujourd’hui le Musée municipal. Il y aussi l’école du design, l’église baroque Marie du bon secours et un ancien monastère. Cette place était la première depuis le début de la traversée en Europe de l’Est où les conquêtes françaises étaient perçues comme libératrices. Dans les autres villes, les français et notamment les soldats napoléoniens étaient décrits dans les textes commémoratifs comme des barbares sans cœur qui ravageaient les cités. Au contraire Ljubljana continue de célébrer le règne de Napoléon est la place fut nommée « Place de la Révolution Française » au début du XXè siècle.
A l’issu de cette dernière balade dans les rues de la capitale, il était temps d’aller se poser dans un des petits bistrots qui bordent la Ljubljanica et de profiter une dernière fois des offres alléchantes de la capitale : une bonne bière pour moins de trois euros cela ne se refuse pas…
Pauline Dupont
Du 15/02/2016 au 17/02/2016
Médiagraphie
http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_4621 (consulté le 04.03.16)
https://en.wikipedia.org/wiki/Ljubljana (consulté le 04.03.16)
http://www.ljubljana.si/en/about-ljubljana/(consulté le 04.03.16)
http://www.visitljubljana.com/fr/activites/curiosites/1814/poidetail.html (consulté le 05.04.16)
Bibliographie
PLECNIK : Une lecture des formes, Krecic (Peter), 1992, Pierre Mardaga, Liège, 258p.
Feature: Joze Plecnik – Vienna, Prague and Ljubljana, Revue : A+U architecture and urbanisme, 2010, no 483
Joze Plecnik architecte 1872-1957, Exposition au Centre Pompidou, Paris, 1986, 191p.