Après avoir visité quelques-uns des plus beaux sites d’Athènes, ainsi que l’île d’Égine, voici pour nous le moment de découvrir le rocher sacré de cette capitale historique de l’architecture. Notre épopée de la journée débute par l’ascension de la rue lumineuse de Dionysiou Areogitou.
UN ACCÈS CONTEMPORAIN
Cette artère piétonne récemment refaite vient souligner l’Acropole en son sud. Cet accès n’a cependant pas toujours existé, puisqu’à l’origine pour se rendre au sommet de la colline il fallait emprunter un axe venant du nord, le long duquel s’est construit en 150 avant J-C la Stoa d’Attele, détruite puis reconstruite au milieu du 20e siècle. Ce passage est encore visible lorsque l’on vient visiter l’ancienne Agora et le Temple d’Hephaïstos, dont les ruines ponctuent ce qui ressemble aujourd’hui à un immense jardin. Ressortent par-ci par-là les restes de vastes bâtiments qui semblent bien trop grands pour avoir pu être construits il y a tant d’années. Malheureusement cet accès processionnel ne conduit plus à l’Acropole, bien qu’on en voie encore le chemin serpenter sur le flanc de la colline sacrée.
Le nouvel accès avait été proposé en 1857, un peu plus au nord de son emplacement actuel. Ce dernier venait le long de l’Odéon d’Hérode Atticus. L’axe que l’on a arpenté dernièrement a été réalisé cent ans plus tard par l’architecte grec Dimitris Pikionis qui, entre 1954 et 1957, a dessiné avec l’aide de ses étudiants de l’école d’architecture d’Athènes différents aménagements paysagers. Le but était de réaliser un réseau de trottoirs donnant accès à l’Acropole et à l’Odéon d’Hérode Atticus via la rue Dionysiou Areogitou, qui avait été à l’origine pensée comme une rue carrossable. Ainsi cet axe majeur reliant le sud-est au sud-ouest de l’Acropole était rendu praticable à pied. Dernièrement, un projet de 2003 a permis de rendre la rue totalement piétonne. C’est aujourd’hui une rue vivante que nous avons remontée, avec en son long différents vendeurs de produits artisanaux et des artistes de rue qui font maintenant vivre cet endroit.
ENTRE DEUX BRANCHES…
Environ 200 mètres après avoir laissé l’arche d’Adrian derrière nous, en remontant la large artère pavée et boisée, nous nous retrouvons devant le musée de l’Acropole réalisé par Bernard Tschumi. Bien que ce bâtiment soit tout récent, cela faisait plus de trente ans qu’il était prévu de construire un nouveau musée de l’Acropole, l’ancien étant depuis près de 100 ans situé directement en haut de la colline, près du Parthénon. Ce dernier a vite montré ses limites en terme de place. Détruit lors de la Seconde Guerre Mondiale, puis reconstruit et ensuite agrandi, le Premier Ministre de l’époque décida en 1970 qu’il était nécessaire d’en ériger un nouveau à l’emplacement que l’on connait aujourd’hui, qui serait plus grand, et permettrait d’accueillir les vestiges qui continuaient d’être découverts. Un premier concours fut lancé en 1976, sans succès. Dix ans plus tard, un nouveau fut proposé, des architectes italiens furent choisis, mais la construction fut annulée lorsque le site révéla les ruines d’un complexe urbain datant de la période archaïque (entre le VIIIe siècle av. J.-C. et 450 av. J.-C.). En 2000, après avoir effectué les fouilles nécessaires, un nouveau concours fut lancé. La construction du projet de Bernard Tschumi a débuté en 2003. Cette dernière devait durer 4 ans, mais l’inauguration n’eut lieu qu’en 2009.
Nous sommes donc comme tombés par hasard sur ce musée, le bâtiment étant enclavé derrière les rangées d’arbres splendides qui nous encadrent, comme s’ils nous poussaient vers le rocher sacré. Le musée se trouve en contre-bas de la rue, un peu en retrait. On se retrouve dans un premier temps nez à nez avec sa casquette de béton qui semble bien lourde en comparaison du bloc de verre qui se déploie juste derrière. L’ensemble parait alors écrasant, mais une fois que l’on entre dans l’ombre de cette casquette, tout devient plus léger à la vue des ruines qui dès le parvis sont mises en valeur grâce à un immense percement dans le sol. Je me rends alors compte que ces ruines étaient sous nos pieds depuis que nous avions descendu les marches qui nous menaient ici. On s’en serait peut-être aperçu si le parvis aux dalles transparentes n’avait pas été recouvert d’un tapis noir et frisé antidérapant, plutôt moche, qui répond probablement aux intempéries récentes. Néanmoins, le bâtiment rattrape le tout, et cette casquette de béton prend son sens tant elle semble finalement protéger avec force les ruines âgées et fragiles qui sont mise à découvert sous elle.
Le bâtiment était noir de monde, tout comme l’Acropole où nous nous sommes rendus ensuite. Nous avions en effet programmé la visite du musée et du site historique durant le Jour du Non (Epétios tou « Ókhi », soit l’anniversaire du non en grec) car en ce jour de fête nationale, naturellement férié, tout lieu culturel est accessible gratuitement en Grèce. Cette fête nationale célèbre la réponse du dictateur grec Ioánnis Metaxás le 28 octobre 1940 à l’ultimatum que venait lui « proposer » l’ambassadeur italien, qui consistait à autoriser l’armée italienne à pénétrer sur le sol grec et de la laisser s’installer à certains endroits stratégiques, ou bien la guerre serait déclarée au pays. La légende raconte alors que le dirigeant grec l’aurait renvoyé sur un « non » franc, ou plutôt un « Alors c’est la guerre ». Les troupes italiennes s’attaquèrent dès le lendemain matin aux frontières grecques, marquant alors l’entrée de la Grèce dans la Seconde Guerre Mondiale. Finalement cette tentative italienne fut un échec, les pertes humaines étaient importantes sans pour autant que l’Italie ait réussi à prendre en main le territoire grec. Aujourd’hui ce refus est célébré par des défilés de militaires et d’étudiants, puis la journée est ponctuée par des tirs de canon de la colline du Lycabette.
L’INSPIRATION
Nous pénétrons enfin dans le musée. Tout est plutôt sombre. Nous laissons nos affaires au vestiaire, puis nous passons un dernier tourniquet avant de pouvoir nous déployer dans un espace immense. Nous nous retrouvons à remonter une rampe au sol de verre et aux murs de béton. Le même motif en pointillés se répète autour de nous, que ce soit pour rendre le sol antidérapant ou pour atténuer la résonnance du lieu. C’est la première fois où dans un musée je me retrouve à avancer en regardant par terre, car sous nos pieds continuent d’apparaître des ruines conservées durant la construction du bâtiment. L’endroit perd alors toute sa lourdeur, tant on a l’impression de flotter au-dessus de ces vestiges. En effet, les poteaux qui nous portent sont disposés de telle manière qu’on les remarque à peine, dans l’ombre des projecteurs qui éclairent et mettent en valeur les ruines. Tout cet espace qui se déploie autour du visiteur nous fait oublier que nous sommes beaucoup à être présents ce jour-là. La hauteur sous plafond donne envie de prendre une grande inspiration. Le long de cette allée centrale sont disposées sur des piédestal quelques statues, vestiges de l’Acropole. Nous terminons notre ascension et débouchons dans un immense espace lumineux. A nouveau, la grande hauteur sous plafond, couplée à la lumière, me procure un sentiment paradoxal vis-à-vis du bâtiment qui semble lourd et léger à la fois. Bien que les espaces soient remplis de poteaux en béton cylindrique d’un mètre de diamètre, et de statues antiques, l’espace semble très aéré. La disposition des statues est plutôt intelligente : ce musée propose une autre façon de déambuler. Leur disposition dans cette première pièce change de l’organisation généralement linéaire des musées, ce qui fait que les visiteurs s’y dispersent naturellement. Un trajet est proposé tout au long de la visite, nous indiquant notre progression dans le parcours, mais pour autant à aucun moment on se sent guidés dans un sens précis. En effet, l’espace permet de faire des allers-retours, d’aller de gauche à droite d’une statue de korai à une autre tout en avançant on ne sait comment dans l’exposition. Le mouvement des visiteurs semble chorégraphié. Nous pouvons y découvrir plusieurs sculptures venant des temples de l’Acropole datant des VIe et Ve siècles av. J.-C.. Les plus anciennes, abîmées principalement par le pillage perse de 480 av. J.-C., avaient été enterrées par les athéniens avant de reconstruire la ville, et furent redécouvertes lors de fouilles au XIXe siècle. Les œuvres qui sont ici exposées après tant d’années ont gardé pour la plupart leurs couleurs vives d’origine. L’espace créé par Tschumi permet à mon avis d’observer tous ces éléments sans se sentir ensevelis par toutes pièces antiques.
Au bout de cette galerie, nous retrouvons un escalator qui nous fait parvenir au dernier étage. Nous débouchons alors dans ce qui s’apparente à un aquarium, où les hommes se croisent en errant d’un bout à l’autre de la pièce. De chaque côté se trouvent une entrée vers la galerie périphérique qui s’apparente à un péristyle. Cet étage change légèrement d’orientation pour se retrouver parallèle au Parthénon que l’on voit 300 mètres plus haut de la galerie enveloppée de verre, qui a été créée en suivant exactement les mêmes dimensions que le temple.
On y découvre alors la frise qui ceinturait à l’origine ce bâtiment sacré. Enfin, ce qu’il en reste. En effet, on se rend vite compte que celle-ci est composée au deux tiers d’une reconstitution en plâtre, plus claire que les éléments originaux. On apprend alors grâce à différents guides touristiques que ces pièces manquantes se situent actuellement au British Museum de Londres. Ce ne sont pas moins de cent mètres de ces pièces de marbre d’Elgin qui avaient en fait été rachetées en 1811 par Lord Elgin pour une bouchée de pain. Une des volontés de la ville d’Athènes en faisant ce nouveau musée était de montrer que l’Acropole était prête à récupérer ces vestiges qui lui appartiennent. Tschumi avait donc créé cette galerie circulaire, semblable à un Parthénon moderne, pour que chacun des 160 mètres qui la composent puisse y trouver leur place. Jusqu’à l’inauguration, tant la ville que l’architecte étaient persuadé du retour rapide de ces éléments, mais le musée anglais refuse toujours de les restituer.
Cela n’empêche cependant pas de s’imaginer cette frise sur le bâtiment que l’on voit au loin, et bien que la pièce semble plutôt linéaire, le rapport aux vestiges reste dynamique tant l’œil est invité à faire des aller-retours entre ce que l’on découvre et le bâtiment qui les a portés auparavant. La frise nous incite donc à faire le tour de la pièce, comme nous aurions fait le tour du Parthénon à l’époque de sa construction. A chaque extrémité de la galerie, on retrouve les deux tympans situés à l’origine à l’est et à l’ouest du Parthénon, qui sont à mon avis très bien expliqués par le musée qui, au travers de petits écriteaux, décrit chacune de ces œuvres avec précision.
Une fois le tour fini, nous repassons dans l’aquarium qui nous redirige vers les étages inférieurs. Nous finissions donc cette visite en repassant par le premier étage où des maquettes des différents bâtiments présents sur l’Acropole sont présentées. Cela permet pour nous, étudiants en architecture, de faire une piqure de rappel sur le Temple d’Athéna Niké, les Propylées et les cariatides de l’Érechthéion. Nous repassons pour finir par le hall récupérer nos affaires, puis ressortons sur ce parvis éblouissant, alors rempli d’une file d’attente phénoménale que nous avions évitée en venant tôt.
UN BÂTIMENT APPRÉCIÉ…
Après cette visite, je comprends maintenant Gilles de Bure qui dans son ouvrage présentait le musée de l’Acropole comme étant un lieu où « Bernard Tschumi a su rendre contemporaines les règles de l’architecture classique : mesures, articulation, sens, symbolique. » Les dimensions antiques de sa galerie, et l’immensité des espaces sont très bien pensés, le corps s’y sent à sa place. Selon lui, la proposition de l’architecte est d’une simplicité enthousiasmante malgré les contraintes du site, et c’est d’ailleurs ce qui, à mon avis, fait sa force. Un programme plus complexe aurait sûrement fait de l’ombre à la collection qui est exposée ici, ce musée étant maintenant un des plus importants dans le domaine des sculptures et éléments des périodes archaïques, classiques et romaines.
« Il n’y a pas de projet architectural sans contraintes, qu’elles soient topographiques, programmatiques, budgétaires, ou politiques. Cependant, le Musée de l’Acropole implique le jeu le plus insolite de contraintes imaginables. Les contraintes sont le contexte du projet. Question : Est-il possible de transformer des contraintes en un concept architectural ? »
MAIS AUSSI CONTROVERSÉ
Néanmoins, ce projet ne fait pas l’unanimité. L’écrivain Nikos A. Salingaros, théoricien de l’architecture et de l’urbanistique, dénonce le travail de Bernard Tschumi qu’il considère illégitime dans son statut d’architecte, surtout lorsqu’il s’agit de quelque chose d’aussi important que le musée de l’Acropole. Pour lui, ce bâtiment est le lieu « où le passé générateur rencontre le passé destructeur », totalement dénué de sentiments. Il dénonce le statut d’architecte que se donne Tschumi, alors que celui-ci est à l’origine plutôt un théoricien, qui s’est fait connaître pour ses écrits et non pour ses créations. Il se base sur les folies de la Villette pour enfoncer le clou, disant que son architecture est caractérisée par son refus obstiné de s’harmoniser avec ce qui l’environne, faisant la même remarque pour le musée de l’Acropole qu’il décrit alors comme une « honte nationale ». Les propos forts de l’écrivains ne visent pas que Tschumi, mais aussi Daniel Libeskind et Arata Isozaki qui ont participé au même concours de 2000 : « Le gouvernement grec a choisi parmi les pires architectes vivants, et a obtenu en conséquence un mauvais projet. »
Il déplore aussi « la Grèce contemporaine [qui] montre son immaturité en poursuivant la mode la plus superficielle et la plus dénuée de goût ». Cela aurait dû être un projet confié à des architectes grecs. Il définit aussi la Grèce comme une nation non sérieuse, en retard politiquement et idéologiquement parlant, motivée par des structures et des modes qui sont désuètes depuis bien longtemps, par envie (nécessité, désespoir) de l’aligner au reste de l’Europe. Il soutient alors le British Museum qui devrait garder les vestiges de l’Acropole qu’il détient en attendant qu’un projet plus sérieux remplace l’actuel musée
Après avoir lu ce livre, avant de partir à Athènes, je me suis alors demandé ce qu’on allait réellement voir, tant les propos de cet auteur sont virulents. Au final, je me suis prise à apprécier cet endroit, et à prendre le parti de Tschumi et d’Athènes en ce qui concerne la restitution de la frise du Parthénon, car selon moi ce musée ne se présente pas comme un objet en soit, mais met réellement en avant la collection qui la compose et les vestiges au-dessus desquels il s’implante.
SE PLONGER DANS LE PASSÉ
Il m’avait été conseillé de venir visiter le musée avant de remonter jusqu’au sommet du fameux rocher. Cela prend son sens car lorsque nous visitons ces vestiges ultimes nous avons les souvenirs tout frais des éléments qui les composaient il y a des milliers d’années. Tout parait alors encore plus majestueux avec ces statues, ces couleurs que l’on peut imaginer, et ce musée que l’on voit en contrebas qui nous rappelle ce que nous venions de voir.
Maud Ordener
Voyage du 24 au 31 octobre 2015
Bibliographie :
Bernard Tschumi, Gilles de Bure, Éditions Norma, 2008, Paris, 239pp
Architecture concepts : Red is not a color, Bernard Tschumi, Éditions Rizzoli, 2012, New York, 776pp.
Bernard Tschumi : Architecture, concept & notation, sous la direction de Frédéric Migayrou et Aurélien Lemonier, Éditions du Centre Pompidou, 2014, Paris, 256pp.
Anti-Architecture et déconstruction, Nikos A. Salingaros, Éditions Umbau-Verlag, 2005, Solingen, Allemagne, 204pp.
Cartoville Athènes, Editions Guides Gallimard, 2015
Un grand week-end à Athènes, Editions Hachette Tourisme, 2015