Les Stavkirkes ou église en bois debout sont une des spécificités architecturales de la Norvège. Ces églises apparaissent comme le premier manifeste (bien avant le classicisme nordique) d’une architecture qui participe pleinement à cette dimension paysagère Nordique.
Ces églises médiévales typiques de la Norvège, mais que certains estiment présentes dans toute l’Europe du Nord, ont été construites au début du XIIe siècle. Seules 28 églises existent à l’heure actuelle alors qu’on estime entre 1000 et 2000 le nombre de Stavkirkes construites dans l’histoire. Le bois dont elles sont construites en a fait les proies faciles du feu, mais surtout, elles ont souvent été détruites volontairement pour permettre la construction de nouvelles églises plus grandes, plus lumineuses et plus sûres. J’ai eu la chance de visiter 3 d’entre elles, celle de Borgund (après 1180), de Gol (après 1216), et de Reinli ( après 1326 ? ).
Stavkirke de Gol ( déplacée à Oslo)
L’étymologie de leur nom fait référence à un système constructif tout à fait original, en effet le terme norvégien « stavkirke » se décompose en « stav » ( stafr en vieux norrois), qui signifie « pieu » et « kirke » pour « église », cela désigne les pieux de bois installés verticalement et qui forment la structure architecturale de base de ces édifices.
Construites au XIIe siècle, les Stavkrikes sont les premiers espaces sacrés dédiés à la religion chrétienne. Le monothéisme succède aux rites et croyances païennes des cultes nordiques pourtant annonciateurs d’une médiance paysagère à l’origine. La société Norvégienne est donc, à ce moment précis, capable de dépasser culturellement les limites de son propre environnement et de s’ouvrir à une culture externe. Ici est la clef de voûte de la dimension paysagère de ces églises
Parallèlement à ce bouleversement culturel, les Stavkirkes s’installent dans leur grande majorité au coeur des vallées majestueuses pour amplifier une dramatisation du paysage. Construites sur d’anciens sanctuaires païens, la culture norvégienne installe ses nouveaux lieux de culte dans le ventre de la Terre. Cependant, dorénavant dévolus au nouveau Dieu unique, ces nouveaux sanctuaires seront les premiers à assumer une verticalité jusque dans la réalisation des spirales élancées au somment des toits et des clochers. Cette relation à un culte étranger illustre comment la trajective paysagère s’effectue au travers de l’architecture : une église au coeur de la vallée et une église qui en sort ou pour paraphraser Christian Norberg Schulz à la fois participante et spectatrice.
«This indeed says it all : living and fantastic, wild and tensive ; lines and forms rising the sky, met there by dim light. The great landscape acts both participant and spectator».
Au regard du même procédé, il est particulièrement intéressant de noter que les Stavkirkes , comme leur nom l’indique, sont construites en bois en pin sylvestre pour leur très grande majorité. Alors que le monde chrétien possède déjà depuis longtemps un langage et une écriture architecturale pour les lieux de culte telles que les églises ou cathédrales, la société Norvégienne de l’époque en reste démunit. C’est donc l’utilisation des ressources matérielles et conceptuelles qui primera pour la conception des églises. Cette conception rudimentaire donne à voir l’unicité des Stavkirkes. Matériau très abondant en Scandinavie, le bois a depuis longtemps inspiré la tradition nordique, notamment celle de la construction navale viking. Par ailleurs le système constructif de l’église etplus particulièrement celui de la nef centrale reprennent presque littéralement les log houses vernaculaires. Le vocabulaire du bricoleur reprend ici sa place à part entière dans la conception d’un espace de culte qui possède une écriture toute différente en comparaison du modèle importé, celui des églises romanes en pierres de taille. Ces églises se distinguent alors des églises de pierre bâties avec des techniques et des styles importés d’Angleterre, telle la cathédrale de Stavanger datant de la première moitié du XIIème siècle ou la vieille église d’Aker à Oslo qui date d’environ 1150 (gamle Aker kirke), deux édifices parmi d’autres, qui sont contemporains des églises en bois debout.
Dorénavant en bois, l’espace de célébration au coeur de l’église doit pouvoir être adapté à ce nouveau matériau qui rompt avec la tradition de la pierre. La pierre ayant laissé sa place au bois, particulièrement sombre, calciné pour lutter contre les éléments. Comment faire autrement? Et c’est peut être à travers la recherche d’une nouvelle dimension sacrale que les Stavkirkes s’illustrent d’une incroyable dimension paysagère, peut être la première de son histoire architecturale. L’espace déjà particulièrement sombre se referme dans un enchevêtrement de corniches et de sculptures en bois. Le volume interne se tort, se déforme dans une expression étrange presque organique. L’utilisation de la lumière bien entendu renforce cette intériorité dramatique. A la manière d’une mise en abîme, le paysage Norvégien se recompose dans l’espace interne de l’église entre tension extrême des poutres en bois et la lumière soigneusement filtrée par le parement en bois.
La structure de base des églises en bois debout, telles celles de Gol ou de Borgund, repose sur un cadre de pierre sur lequel sont posées quatre poutres en bois (disposées en quadrillage), et sur lesquelles viennent s’insérer les grands poteaux à la verticale, puis des poutres horizontales, la structure du toit et le clocher. Lorsque l’église est haute, une telle structure n’est pas suffisante pour assurer son maintien à long terme ; en effet, l’église serait bien trop fragile et tomberait comme un fétu de paille face aux tempêtes de vent parfois extrêmement violentes en Norvège. D’où la présence et l’importance de quelques éléments que l’on confondrait facilement avec de la décoration, tels ces croisillons en forme de croix de saint André, parfois présents qui servent à contreventer la structure du bâtiment, ou cette galerie qui court tout le long de l’édifice au rez-de-chaussée, et dont le toit apporte quelque protection au mur en palissade. On a ensuite un deuxième niveau de toiture : la couverture des « bas-côtés » intérieurs qui encadrent la nef ; puis le troisième encore un peu plus haut, qui couvre lui la nef et enfin le(s) clocher(s) qui couronne(nt) l’édifice. C’est cette « avalanche» de toits de hauteurs et d’orientations différentes qui, il me semble, leur confère un caractère fascinant et quelque peu énigmatique puisque depuis l’extérieur, le novice aura probablement des difficultés à identifier la logique architecturale de ces bâtiments typiquement norvégiens.
L’ornementation de ces églises témoigne de la période de transition dans laquelle elles s’installent. Témoins de la chrétienté florissante en Norvège, les Stavkirkes restent empreintes d’une tradition séculaire influencée par les croyances païennes mêlées aux influences celtiques. Dans le bois sont sculptés des animaux fabuleux qui s’entremêlent à des formes ornementales issues de l’âge viking.
Bibliographie :
-METRO J. , Bois, architecture traditionnelle en Norvège, EA Nancy, 1981
– PIVOT S. , Douce et rude Norvège, Société d’édition géographique et touristique, Paris, 1962
Emmanuelle Lausent
emmanuelle.lausent@nantes.archi.fr
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