PLACE FLAGEY

Je ne me souviens plus quand j’ai entendu ce nom là pour la première fois.

Il y a des lieux qui vous séduisent sans que vous ne sachiez pourquoi, comment. Depuis Anderlecht, on grimpe dans le tram 81 direction Montgomery, on traverse le quartier du midi, celui de Saint Gilles et d’Ixelles, l’avenue Louise puis l’on descend  vers ce petit centre Bruxellois ; Flagey, tout le monde descend. C’est un presque carré, au sud de la ville, au-delà du centre que l’on dessine souvent comme un cœur et que l’on appelle le « pentagone ». Un presque carré plus une église et deux étangs. C’est à peu près tout. Un presque carré plus une friterie , des bars et quelques bancs. Un presque carré plus un marché, des arbres et un grand abri de bus.

Situation.

Il existe à l’origine quatres plans d’eau autour desquels se développe lentement la commune d’Ixelles. En 1859, l’Eglise sainte Croix est érigée à l’Est du plus grand étang que l’on assèche en partie pour créer une place du même nom*. La chaussée d’Ixelles adopte alors le tracé rectiligne qu’on lui connait aujourd’hui, filant vers l’église sur laquelle elle offre un long point de vue. C’est une partie de ce qui donne temps de force à cette place, la topographie du site qui la positionne en contrebas, comme une vallée, et les multiples percés qui y mènent, des pentes de bitumes que l’on a envie de dévaler l’été jusqu’aux étangs.

 *Elle ne deviendra « Place Flagey » (du nom d’Eugène Flagey, avocat, député et Bourgmestre d’Ixelles de 1936 à 1956) qu’en 1937.

Croisements.

La place est déjà un lieu de croisement, une articulation entre plusieurs milieux sociaux Bruxellois. A l’époque, la bourgeoisie est à l’ouest, en direction du centre, et les classes plus pauvres vivent à l’est. Voici encore un morceau de ce qui fait, je crois, le charme de Flagey. Il y a là-bas mélange des genres, des langues et des nationalités comme presque partout dans le cœur de Bruxelles, avec une particularité induite par la forme urbaine de la place : tous se font faces et le presque carré force le dialogue de part et d’autres de ses quatre côtés. De riches maisons bruxelloises regardent les étangs d’Ixelles tandis qu’un univers beaucoup plus populaire de snack, de « paki » (épicerie) et de friperies accompagne la remontée vers la porte de Namur plus agitée et le quartier Africain de Matonge.

Le presque carré peut paraître bien vide mais il fédère autour de lui un chapelet de lieux de vie, de rencontre, de réunion. Des bars que l’on s’approprie surtout, une friterie qui installe tous les soirs une longue file d’affamés le long de la rue Eugène Flagey, un marché qui change le visage de la place tous les dimanches..

 INR, Bâtiment emblématique.

INR, Actuel "Centre Flagey".

INR, Actuel « Centre Flagey ».

Dans les années 1930, une partie des maisons qui entourent Flagey (anciennement place sainte croix) sont détruites, et leur disparition permet la naissance, en 1938, d’un bâtiment désormais emblématique : l’INR, institut national de radiodiffusion, surnommé le « paquebot » par les bruxellois. Un bâtiment de brique jaune dont l’angle arrondi dessine le passage de la place au parvis de l’Eglise et qui inspirera toutes les autres constructions de flagey.                             C’est l’architecte Belge Joseph Diongres qui dessine cette « usine à sons » symbole de modernité. Un arrondi élégant et cinétique, appuyé par de longues fenêtres en bandeaux, des lignes horizontales fuyantes et une tour d’angle qui lui donne toute sa force et en fait un objet graphique.

« Le « centre Flagey », un espace plein de nostalgie mais de manière joyeuse…une envie folle d’être plongée dans une autre époque. Une salle de concert nappée de velour bleu/gris clair avec de belles boiseries chaudes… ça respire l’évenement, lasoirée habillée, le jazz et la mondanité. »

L’INR a aujourd’hui laissé place à l’espace Flagey qui abrite un cinéma et  plusieurs salles de concert. Au Rez de Chaussée, dans l’angle, il y a le Belga, bar à la mode ou l’on croise des étudiants affairés sur leur makbouk, des barbus et tatoués de tous âges et du mobilier Vedett…

Plateforme Flagey.

Collage dénonçant le "naufrage flagey".

Collage dénonçant le « naufrage flagey ».

J’ai appris plus tard que la place avait, comme beaucoup de haut lieux Bruxellois, sa part de controverses urbaines. En 2001, la région Bruxelles Capitale et la commune d’ixelles décidèrent de  mettre en place en sous-sol un bassin d’orage surmonté d’un parking. Cette infrastructure devait permettre d’éviter les inondations fréquentes liées à la topographie du site et à l’assèchement d’une partie de l’étang. Le projet de réaménagement de la place en surface est présenté au public en 2003, il n’a fait l’objet ni d’un appel d’offre ni d’une consultation publique, méthode classique de l’urbanisme Bruxellois. Cependant le dessin du presque carré habillé de pavement jaunes et entourés d’arbres soulève une vive contestation chez les habitants du quartier, regroupés autour de l’association « Plateforme Flagey ».

Cette dernière organise avec grand succès un appel à idée international qui verra naître de nombreuses versions d’une place heureuse, surélevée, habitée, mise en mouvement… Poussés par la médiatisation du projet, les politiques choisissent finalement de lancer un concours qui donnera naissance à l’actuelle place. Un presque carré, une haute structure supportant un toit de verre et abritant le nœud de transport en commun (Bus, Tramway), des bancs qui s’étirent en longeant les rue adjacentes, un terrible écran géant, une drôle de sculpture jaune, quelques arbres et des jets d’eau qui surgissent du sol…

Projet choisi pour la Place Flagey, Latz-+-Partner.

Projet choisi pour la Place Flagey, Latz-+-Partner.

Avec le recul, je me dis que Flagey pourrait être plus belle. La place pourrait être mieux aménagée, plus dessinée… Pourtant, il ne me manque rien, j’aime son petit bazar, son côté mal fichue aussi, ses histoires de parking inutilisable. Le bouillonnement en remontant et le calme le longs des étangs, les bars et les cornets de frites, les camions du marché, le white night qui fait la monnaie quand toutes les banques sont fermées, le cinéma en plein air sur le parvis Sainte Croix dans la chaleur de l’été dernier.

Médiathèque:

Documentaire,  Flagey, Ateliers Urbains
Bruxelles Architectures, De 1950 à Aujourd’hui
(AAM Editions – Maurice Culot)
Bruxelles Itinéraires (Casterman – F. Schuiten et C. Coste)
Bruxelles, une lecture de la ville (Editions de l’ULB – C. Vandermotten)
Brussël – (Casterman – F. Schuiten et B. Peters)

 Solène Gautron, so.gautron@hotmail.com