La Nouvelle Zélande s’étire du Nord au Sud en deux longues îles, déclinant toutes les latitudes entre climat tropical à Auckland, et hivers dantesques à Invercargill, mille six cent kilomètres plus bas. Auckland, principal pôle démographique du pays, s’étend sur un isthme d’une vingtaine de kilomètres avec à l’est l’océan Pacifique, et à l’ouest, coté Australie, la mer de Tasman. Comme aux Etats Unis, East Coast et West Coast ont leurs adeptes, leurs icones et sont bien distinctes, notamment par leur caractéristiques géologiques.

©  moi De la plage enneigée d’Invercargill (46°Sud) à celle de Karikari Peninsula (34°Sud)

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De la plage enneigée d’Invercargill (46°Sud) à celle de Karikari Peninsula (34°Sud)

À l’Est, la douceur des vents associé à une roche friable a généré une côte délicatement ornée de sable blanc et d’eaux turquoises ; dessinant de grandes plages sur lesquelles descendent de paresseuses collines, amenant avec elles leur lot de cascades et de palmiers luxuriants. Pour se faire une idée, on se rapproche d’un bord de mer type Miami ou Los Angeles, blindé de villas en stuc dans les quelques zones urbanisées, alors qu’on évoque plutôt les paysages hawaiiens ou polynésiens lorsque les promoteurs sont restés à l’écart.

©  stuff.co.nz La côte Est, une carte postale à tous points de vue

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La côte Est, une carte postale à tous points de vue

L’Ouest n’a rien à voir. Sauvage, violente, venteuse, humide, la côte présente un état de nature inconnu aux européens : le vrai dehors. Pas de rue, pas de réseaux, pas de champs, des phoques et des mouettes aggressifs, une tempête quasi permanente, bref, l’homme n’y est pas chez lui et n’a d’ailleurs laissé aucune trace, à part une piste boueuse, à peine plus large qu’une voiture. Des falaises d’une centaine de mètres tombent à pic sur l’océan, laissant parfois la place à une petite plage battue par des vagues puissantes. Le plus étonnant reste le sable lui même, d’un gris si profond qu’on le dirait métallique. Sur certaines plages, on peut d’ailleurs le ramasser avec un aimant. Plus haut, la roche est noire, chapeautée d’herbes rases et d’arbustes compacts endémiques, formant une épaisse nappe verte sombre appellé « backcountry bush ».

©  moi Une météo pas toujours réjouissante.

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Une météo pas toujours réjouissante.

Cette côte sauvage laisse peu de place à l’urbanisation de par la rudesse du climat et des végétaux locaux, la topographie erratique et l’éloignement des voies de communication. Quelques habitations ont cependant fleuri ça et la, organisées en petits groupes compacts autour d’une crique, sans doute séduites par la beauté exceptionelle de ces paysages et la qualité des vagues de surf que l’on y trouve. Piha Beach est une de ces communautés, parmi les plus grandes car proche d’Auckland, à peine quarante minutes. La plage, longue de plusieurs kilomètres, est réputée comme ayant la meilleure vague de Nouvelle-Zélande. ça demande vérification.

©  moi South Piha Beach avec Taitomo Rock

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South Piha Beach avec Taitomo Rock

Depuis Auckland, direction plein ouest. La ville monotone laisse peu a peu place au péri-urbain, puis carrément au champs de moutons à perte de vue. Le trajet rectiligne et plat devient soudain sinueux et étroit à l’approche des Waitakere Ranges, une petite chaine de montagnes qui fait l’objet d’un parc naturel.  Arrêt rando obligatoire. Après quelques foulées, l’atmosphère de la « Rainforest » prends au tripes : une hygrométrie à son paroxysme, une lumière ne filtrant que peu a travers les immenses fougères arborescentes, et un sol couvert d’une riche mousse feutrée qui adoucit tous les sons de la forêt. Direction le Nihotopu Reservoir, un lac naturel qui alimente Piha en eau douce. Le sentier bifurque pour descendre le long du cours d’eau, et se découvre alors les restes d’un énorme passé industriel. A moitié recouvert par la végétation ou par les graviers du torrent, apparaissent rouages rouillés, arbres à cames et crémaillères métalliques. Au 18ème, l’exploitation du kauri, un arbre exotique gigantesque aux propriétés mécaniques remarquables, a fait la richesse économique du pays autant que sa ruine écologique. Voies ferrées, ponts, barrages, treuils et scieries jalonnaient les pans escarpés de la vallée, et leurs restes peuplent maintenant la montagne comme un décor de cinéma.

©  moi Quelques restes industrieux de l’exploitation de Kauri

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Quelques restes industrieux de l’exploitation de Kauri

La route reprend ses zigzags dans le bush, uniquement composée de sa bande d’asphalte et de quelques panneaux. Et au détour d’un virage, la mer, loin en contrebas. On prends soudain conscience de l’altitude. Les vingt virages suivants seront consacrés à descendre jusqu’à la plage, en traversant d’abord Upper Piha, les maisons sur la crête qui profitent d’une vue à couper le souffle et d’un vent déja fort amplifié par le relief, jusqu’a Piha Beach et son club de surf, épicentre social de la communauté.

Environ 800 personnes vivent à Piha, essentiellement des familles aisées dont les parents travaillent à Auckland. Deux idéologies semblent s’entremêler dans ce pseudo village accroché à la montagne : les élus d’une économie ultralibérale, qui ont pu investir loin des horreurs d’Auckland dans un cadre naturel incroyable et écologiquement intact ; et en parallèle, une ambiance  alternative, presque hippie, faisant écho aux « earthships » et aux travaux de Michael Reynolds. Étonnamment, ce mélange semble plutôt heureux et produit ce que le français moyen décrirait comme un « bobo rural » : Père de famille, barbu, surfeur, ne mangeant que du bio et fasciné par les richesses naturelles locales et le design responsable. Les boites aux lettres, toutes sur le même modèle, cristallisent ce cliché pourtant bien réel en arborant fièrement une façade en vieille planche de surf percée d’une fente.

©  moi La plage depuis Upper Piha avec, en bas à droite, l’essentiel des habitations

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La plage depuis Upper Piha avec, en bas à droite, l’essentiel des habitations

On trouve également de nombreuses locations saisonnières, Piha étant LA plage d’Auckland – elle dispose même de sa propre sitcom, « Piha Rescue », sur le modèle de « Alerte à Malibu » – Le niveau de vie élevé a permis aux maisons d’architectes de supplanter progressivement les cabanes en tôle traditionnelles, bien que certaines subsistent encore, rouillées et décaties. Non reliées aux réseaux car inexistants, récupérant l’eau de pluie et se chauffant au feu de bois, on les appelle « shacks » dans le cas de constructions vraiment sommaires, ou « bach », plus commun, si la construction est destinée à un usage plutôt temporaire et estival.

Ce modèle du bach fait figure de référence dans l’architecture contemporaine néo-zélandaise – et australienne, qui partage le même type d’espaces naturels extrêmes –  qui aime le réinterpréter et le transgresser jusqu’à en faire un modèle de résidence permanente. Forme en bande, peu ou pas d’étage, toits en tôle et bardage bois en clin, autonomie vis à vis des réseaux et une dispostition naturelle à la vie à l’extérieur : voila les ingrédients du bach kiwi typique.

Dans les quelques maisons « reconnues » à l’échelle locale, on trouve, sur la crête, un bach par Belinda George Architects qui dispose d’une double orientation mer et montagne, s’ouvrant généreusement des deux cotés en déployant terrasses et baies le long d’un passage appellé “breezaway” qui sépare espaces jour et espaces nuit.

©  belindageorge.co.nz Piha Road bach by Belinda George Architects

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Piha Road bach by Belinda George Architects

Bien plus bas, au niveau de la plage, Gamunzina & Patterson Arch. réalisent, chose étonnante, une nouvelle construction sur une parcelle déja occupée, selon une stratégie comparable au Bimby – build in my backyard. Le scénario est le suivant : la seule route de Piha, ainsi que ses réseaux d’eau et d’électricté longent la plage avant de se terminer en cul de sac, au Nord. Toutes les parcelles se sont donc initialement agencées en peigne, formant des bandes étroites partant de la route pour grimper progressivement dans la montagne, limitées par une végétation tenace. Le premier propriétaire, un colon, construit le premier shack au début du vingtième siècle, tout au fond de la parcelle. La bâtisse sommaire subira plusieurs évolutions jusqu’à devenir une résidence principale. en 2007, les descendants font construire ce bach destiné à la location au plus près de la mer, sur toute l’emprise de la parcelle avec comme contrainte évidente une servitude d’accès à la maison mère.

©  bookabach.co.nz Glazed Beach House by Gamuzina & Patterson LTD

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Glazed Beach House by Gamuzina & Patterson LTD

Mais la grande star de l’architecture locale reste la Maison sous les Pohutukawa, fierté nationale et victorieuse de nombreux concours. Dessinée par Herbst Architects, elle s’inscrit comme la plupart de leur réalisation dans cette tendance hybride entre les maisons australiennes de Glenn Murcutt et le Sea Ranch de Charles Moore, qui est ce qui se rapproche le plus de ce qu’on pourrait qualifier de « style néozélandais » contemporain.

© Patrick Reynolds Façade donnant sur la plage, a travers les fameux Pohutukawa

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Façade donnant sur la plage, a travers les fameux Pohutukawa

   La maison de 160m² se dissimule derrière un bosquet de Pohutukawa, un arbre endémique qu’il est interdit de couper ou même de tailler. L’implantation tortueuse des volumes et des terrasses découle directement de ce paramètre. Reprenant de l’arbre précité, la façade se compose de poteaux en mélèze du Japon (Larix kaempferi, une espèce locale) au premier niveau avant de développer de fines jambes de forces arborescentes, libérant le vitrage des structures porteuses. Le garage et l’espace nuit sont abrités dans une boite plus opaque bardée de Yakisugi, une technique japonaise de brûlage du bardage qui en augmente la longévité et génère cette couleur noire. Enfin, Le bach impressionne par sa proportion de terrasses, presque égale à la surface intérieure, ainsi que par sa capacité à abolir les frontières avec l’extérieur grace à un coulissant massif de plusieurs mètres.

©  Patrick Reynolds La structure portant le toit, rappellant la Simpson Lee House de Murcutt

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La structure portant le toit, rappellant la Simpson Lee House de Murcutt

Des colonies péri-urbaines ou rurales comme Piha, il en existe des dizaines sur toute l’île du nord, réunies autour d’une plage ou d’une crique. La qualité architecturale et les aménagements publics sont souvent au rendez vous, essentiellement grâce à un niveau de vie aisé mais aussi grâce à une forte entente communautaire et à des projets d’envergure portés par cette communauté. A Piha, les surfers ont parlé : ce sera un nouveau skate park, idéal pour les quelques jours sans vagues.

Adrien Desjoyeaux

Dates du voyage : du 07 07 2014 au 21 07 2014

Références :

Entretiens avec Mr Thompson – Propriétaire de la Glazed House

Colocation avec Mr Stokes – Habitant à Upper Piha

gp-a.co.nz

herbstarchitects.co.nz

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