Nouvelle-Zélande. Nouvelle Zélande. Ce simple nom intrigue, sans doute à cause de ce z si  singulier. Sans doute aussi par l’éloignement ultime de ce pays occidental avec la vieille Europe, de l’autre coté du monde. Peut être aussi via toutes les images que lui attribue le grand public : le Seigneur des Anneaux, des moutons au kilomètre, le rugby, et bien sûr ces plaines vertes à perte de vue, tendues entre un ciel infini et l’océan Pacifique. À en croire les guides de voyage, ce doux pays serait un paradis terrestre, où l’homme vivrait enfin apaisé avec la nature, engagé dans une relation durable de respect et de protection.

Il n’en est rien.

L’atterrissage à l’aéroport d’Auckland se fait sous une pluie glaciale, typique de l’hiver austral : nous sommes en plein mois de juillet et la parka de ski est déja de rigueur. Les couloirs de ce petit bâtiment métallique sont tapissés de posters géants présentant tour à tour montagnes enneigées rosies de soleil, plages de sable noir et volcans éteints verdoyants. Sur la quinzaine de clichés, pas une seule trace humaine, ni barrage, ni maison ni même cabane ne vient perturber la beauté des lieux. Le bus aux couleurs de l’équipe de rugby locale quitte la pluie du terminal 1 pour s’ébranler vers la ville, à une vingtaine de kilomètres.

©  kiwiblog.co.nz Le type d’image qu’on peut voir à l’aéroport.

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Le type d’image qu’on peut voir à l’aéroport.

Depuis la quatre voies, champs et zones commerciales se succèdent. Un pont franchit la lagune. Les grands entrepôts laissent bientôt la place à une série de pavillons de bois blanc aux toits de tôle. Le bus quitte alors la Southwestern Motorway pour s’engager dans la ville elle-même. On aperçoit des tours de plusieurs centaines de mètres au loin. Après trois ans à parcourir Nantes, à en maîtriser les recoins, notre perception des distances et des possibles en a été réduite : dès lors, rien de tel qu’une ville immense, énorme, infinie dans ses dimensions, qui a sûrement bien trop à offrir à un inconnu qui vient de passer plus de quarante-deux heures dans divers avions.

© auckland-nzl.blogspot.com Dominion Road, une artères modeste pour aller vers le CBD.

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Dominion Road, une artères modeste pour aller vers le CBD.

Lancé à pleine vitesse dans les rues pavillonnaires en pente, abondamment arborées, le véhicule rejoint finalement une artère plus passante où s’agencent face à face des bâtiments d’un ou deux niveaux aux façades surmontées de grands pancartes clouées sur un acrotère proéminent, ambiance Lucky Luke, les palmiers détrempés en plus. La plupart de ces immeubles sont en mauvais état, repeints de couleurs criardes à l’effigie de tel ou tel fast-food local.

© moi Three Kings suburb central street : du poulet grillé, un loueur de dvd et une banque.  Qui a besoin de plus ?

© moi
Three Kings suburb central street : du poulet grillé, un loueur de dvd et une banque.
Qui a besoin de plus ?

Après un court feu rouge, le bus est reparti dans l’océan de maisons, abritées derrière de pudiques palissades de bois. Il ne semble y avoir qu’une dizaine de modèles différents : porte à gauche, porte à droite, balcon, bow-window, exceptionnellement surmontée par un étage.

© auckland-nzl.blogspot.com Les joies du pavillonnaire néo-zélandais

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Les joies du pavillonnaire néo-zélandais

 

Puis, soudainement, une rue plus animée revient semblable en celle traversée quelques minutes plus tôt. Les mêmes échoppes, toutes des chaines, peuplent ces petits centres, maigres points de densité dans les étendues de maisons individuelles. Post shop : rouge. Kiwibank : vert. Liquor King : bleu, ASB Bank : jaune, Burger Fuel : violet. Ces routes, qui donnent généralement leur nom aux quartiers qui les entourent, reproduisent toutes le même arc-en-ciel discordant.

Ce terne motif urbain finit par laisser place à un vide gigantesque, large d’une centaine de mètres. On voit dépasser des cimes d’arbres sur les bordures, un fleuve ? Les parapets de la route empêchent de deviner le fond. Puis, depuis le pont, l’imagination laisse place au béton : trois étages de bretelles d’accès et d’échangeurs s’empilent, loin sous les roues du bus. Ce nœud autoroutier colossal, que les locaux appellent affectueusement “Spaghetti junction” est le plus gros du pays. Il jouxte directement le CBD, définissant clairement ses contours, limitant violemment ses accès via la dizaine de ponts. Une douve contemporaine en quelque sorte.

 

© New Zealand Herald Spaghetti junction vue du ciel.

© New Zealand Herald
Spaghetti junction vue du ciel.

La voix automatique de la navette annonce alors la tant attendue Queen Street, principale avenue de la ville. Longue de mille cinq cent mètres, elle débite au kilomètre les mêmes enseignes que précédemment, auxquelles s’ajoutent magasins de souvenirs, boutiques de rugby et de cricket, banques et assurances, toutes engoncées sous une couverture de six mètres de large, mettant tout le trottoir à l’abri de la pluie, toujours cinglante ce jour là. Surmontant ces tôles protectrices, les immeubles présentent une disparité proprement incroyable. De la pseudo-pagode de 15 étages au bloc de verre fumé post-moderne, en passant par les tours contemporaines et les restes coloniaux, l’éventail est infini. Petit tour d’horizon.

© moi Queen Street un samedi après-midi.

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Queen Street un samedi après-midi.


La Sky Tower, achevée en 1997, est LA tour emblématique d’Auckland, mais sans doute aussi la plus inutile. Sa hauteur – 328 mètres – la place en tête des tours de l’hémisphère Sud, devant le Centerpoint de Sydney, tout aussi inutile. En effet, le programme ne comprend rien d’autre qu’un restaurant, un café et une plate-forme de saut à l’élastique, le tout pour la bagatelle de cinquante millions de dollars. Fait d’arme louable de la part de l’architecte Gordon Moller : la tour fut livrée avec six mois d’avance. Question architecture, la Sky Tower déploie un arsenal formel que l’on croyait cantonné aux mégapoles asiatiques ou à la science fiction de série B. La tour s’illumine dès la nuit tombée selon une quinzaine de couleurs différentes en fonction des évènements. Les aucklanders l’ont d’ailleurs baptisé la “space needle”, l’aiguille de l’espace.

© auckland-nzl.blogspot.com La Sky Tower, qui s’illumine en turquoise à chaque match des Blacks Caps,  l’équipe de cricket nationale.

© auckland-nzl.blogspot.com
La Sky Tower, qui s’illumine en turquoise à chaque match des Blacks Caps,
l’équipe de cricket nationale.

151 Queen Steet, alias le Richwhite building, est un autre symbole du centre. le cabinet d’ingénierie Peddle Thorpe signe ce bloc de verre en 1992. Entièrement bardé de verre suspendu, – une première pour le pays – le Richwhite frappe d’emblée le regard par le marron-rose rutilant de sa façade, qui teinte le croisement de Queen et Wynhdam street de ses reflets, les jours de beau temps. On est tentés de comparer cet immeuble avec le PPG place de Johnson à Pittsburgh, bien que dix ans séparent les deux projets.

© Barfoot & Thomson Le Richwhite building : une teinte un peu désuète.

© Barfoot & Thomson
Le Richwhite building : une teinte un peu désuète.

 

À un jet de pierre de là, la Orient Tower, renommée Choice Plazza tower, œuvre des obscurs Sang Architectes, fait office de blague architecturale entre sa couleur rouge et son couronnement éclatant.

© Sang Architecs Image de rendu du projet par Sang Architects.  Aucune description n’accompagne ce projet sur leur site.

© Sang Architecs
Image de rendu du projet par Sang Architects.
Aucune description n’accompagne ce projet sur leur site.

   

Coté historique, la rue n’est pas en reste car elle accueille un des plus anciens bâtiments de l’île, le Auckland Town hall. Construit en1911 par les architectes anglais JJ & EJ Clarke, basés à Melbourne, ce bâtiment comprenant les salles de réunion du conseil municipal ainsi qu’une salle de concert fit l’objet d’un concours qui, malgré l’éloignement géographique et l’isolement prononcé de la Nouvelle-Zélande, fut riche de quarante-six propositions. Le vénérable cabinet de Melbourne – JJ Clarke, le père, commence sa carrière de dessinateur à 14 ans, en débarquant en Australie – remporta la partie grâce à leur style baroque edwardien typique, ainsi qu’à une bonne gestion de la forme triangulaire de la parcelle. Fait amusant, la municipalité de Brixton, dans la banlieue de Londres, fait construire au même moment le Lambeth Town Hall selon une forme et une échelle très similaire.

© Auckland City Coucil, © © Wikipedia Auckland Town Hall / Brixton Town Hall.

© Auckland City Coucil, © © Wikipedia
Auckland Town Hall / Brixton Town Hall.

Dernier gratte-ciel d’importance architecturale, le Metropolis Building, bâti en 1999 par Peddle Thorpe Ingeneering, détonne par son anachronisme : on le croirait tout droit sorti d’un cerveau postmoderne. Les clients désiraient en effet un immeuble iconique, “éternel” et élégant, directement inspiré des villes américaines. Haut de cent trente huit mètres, il décline plus de trois cent soixante dix appartements, essentiellement des T2 et T3, surmontés d’une dizaine de penthouses ayant vue sur le port et le pont qui le traverse. Trois niveaux de parking s’insèrent du quatrième au sixième étage, générant une rampe disproportionnée qui serpente depuis les niveaux inférieurs, et en occupant presque un tiers. Le motif des ouvertures de la façade et en particulier les occuli polygonaux sont dits inspirés de l’ancienne Magistrate Courthouse qui donne son nom à la rue. Les vestiges de cet ancien tribunal pénal qui sont toujours présentes dans le lobby sont l’oeuvre de l’immigré écossais Claude Paton, dont il ne subsiste ni image ni plan. La plupart des architectes et étudiants en architecture rencontrés apprécient ce bâtiment et le considèrent comme historique, représentatif du patrimoine architectural de la ville d’Auckland. Plutôt curieux pour une tour de 16 ans.

© auckland-west.co.nz Le Metropolis building vu depuis Bowen Street.

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Le Metropolis building vu depuis Bowen Street.

   Enfin, Queen Street s’achève sur le Ferry Building, un autre bâtiment centenaire arborant encore ses curieuses couleurs ocres et brunes d’origine. Lui aussi typique du style edwardien, on y observe ainsi des doubles colonnes ioniques colossales, des modillons ainsi qu’une volonté d’affirmer la solidité de la base, bien que la limite entre soubassement et étage noble soit peu définie. En 1982, la municipalité le classe Patrimoine de catégorie A, la plus protégée, mais se permet quand même d’élever le toit d’un étage pour y rajouter un bandeau vitré courant sur tout le périmètre. Allez savoir.

© moi Le Ferry Building vu depuis… le ferry.

© moi
Le Ferry Building vu depuis… le ferry.

***

Après une courte marche sur les quais, il est temps de prendre le ferry pour rejoindre l’hébergement. Alors que la skyline hétéroclite s’éloigne, une certaine cohérence s’installe. Peut être que c’est ça, une ville jeune de cent soixante ans : on empile, on agence sans trop savoir, on essaye de copier la vielle Angleterre qui nous a vu naître. Chaque colon veut apporter une pièce de son pays d’origine. Loin de l’animation médiatique, pas évident de prendre ses marques par rapport aux courants du moment et aux avancées technologiques.

Heureusement, de l’avis de tous les néo-zélandais qui ne font pas partis du million et demi de JAFA’s (Just Another Fucking Aucklander), c’est “le pire endroit du pays”. On les croit sur parole.

© moi Auckland central depuis le ferry en route vers Devonport..

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Auckland central depuis le ferry en route vers Devonport..

Adrien Desjoyeaux

Dates du séjour : du 07 07 2014 au 07 05 2015

Références :

Te Papa Museum – History Museum of New Zealand visité le 14 et le 17 juillet 2014

Travaux de cours réalisés dans le cadre de l’option “Density Housing in Urban Areas” avec David Turner

Cultural heritage Invetory Website – Auckland Council – https://chi.net.nz/Home.aspx

Heritage Pouhere Taonga Website – http://www.heritage.org.nz

Peddle Thorp Architects Co. Website – pedllethorp.co.nz

Sang Architects company Ltd, Website – sangarchitects.co.nz