PREMIERE RENCONTRE

5 septembre 2013, le Thalys me dépose pour la première fois à Bruxelles, Gare du midi.

Rue Bruxelloise, Anderlecht.

Rue Bruxelloise, Anderlecht.

J’y retrouve ma future colocataire qui a écrit mon prénom au feutre sur une assiette en carton. Nous montons dans le tramway n°81, l’un des plus vieux de la capitale. Il fait encore très beau, les vieux wagons se traînent lentement à travers les communes de l’ouest Bruxellois, jusqu’à l’arrêt résistance, à Anderlecht. Je me souviens encore parfaitement de mon premier regard sur la rue de la gaité. C’est une longue rue rectiligne ou se succèdent d’étroites maisons aux façades distinctes. Briques rouges ou jaunes, faïence blanche, sgraffites en fronton ou balcons ornementés… Larges de 3 à 4m et hautes d’autant d’étages, elles ont en commun ces dimensions répétées ainsi que leurs entresols et les quelques marches qui permettent d’accéder à la porte d’entrée.

Ce jour-là, j’ai posé mes valises au 56 en découvrant ce qu’était une maison Bruxelloise.

Occupée depuis plusieurs années par des étudiants et imprégnée de ce bazar aléatoire qui se construit avec la succession des colocations, la maison se raconte autour du grand escalier, chemin vertical qui dessert les 3 étages. Au niveau du hall, la hauteur sous plafond est impressionnante. A droite, une porte qu’il faut passer tête baissée en descendant quelques marches. L’entresol est aménagé d’un salon, d’une salle à manger, d’une salle de bain et d’une petite cuisine en enfilade. En remontant plusieurs marches on arrive au jardin, une bande de 10m qui s’étire entre deux murs comme dans toutes les maisons voisines. Depuis le hall, on peut également choisir de monter une première volet de marche (6 ou 7) vers l’étage 1, occupé par un salon qui donne sur la rue et une buanderie ouverte sur le jardin en contrebas. Les deux étages suivants offrent chacun deux chambres.

Plan d'une maison Bruxelloise d'Anderlecht.

Plan d’une maison Bruxelloise , Anderlecht.

COMPREHENSION

« Esprit de famille »

Je me suis souvent imaginée ce que pouvait être une vie de famille dans cette maison. Les demeures Bruxelloise m’ont semblé imprégnées de cet « esprit de famille ». Cela tient je crois à l’égale proportion d’espaces partagés et de chambres individuelles. L’escalier et le déploiement vertical de l’espace permettent à la fois le regroupement et la mise en place d’une certaine distance ; à chaque étage, le palier et la salle de bain attenante offrent un premier degrés d’intimité, une transition marquée avant de gagner le noyau commun. L’escalier est étroit mais on en a depuis chaque étage une vision d’ensemble ; le type d’escalier dans lequel on peut jeter un objet oublié depuis le 3ème pour qu’il tombe dans les mains de celui qui, trop pressé pour remonter, vous avait appelé au secours depuis la porte d’entrée.

Maison de ville.

Ces maisons modèlent totalement le paysage urbain Bruxellois. Comme une toile de fond, une constante, elles traversent les communes et les quartiers, avec plus ou moins de far, de richesse dans l’ornementation… Les plus belles arborent des sgraffites* fraichement rénovés, des vitraux et des portes sculptées. Pour les plus modestes, un appareillage de briques claires avec joint noir et peut-être un balcon/ débarras.

Maison au 92 rue Africaine, Benjamin De Lestré-de Fabribeckers, 1905.

Maison au 92 rue Africaine (Ixelles), Benjamin De Lestré-de Fabribeckers, 1905.

Les maisons dessinent dans la ville une trame, un rythme rapide et saccadé qui pousse le passant à poser ses yeux sur chaque nouvelle façade, chaque nouvelle porte. Les rues sont empreinte d’harmonie, c’est l’homogénéité dans la diversité. Ce séquençage par façade de 4,5m de large environ est aussi, par exemple, celui des maisons d’Amsterdam, bien que celles-ci soient moins haute et aient plus souvent pignon sur rue. Le quartier de Bornéo, construit en lieu et place de l’ancien port de la capitale hollandaise est d’ailleurs une réinterprétation contemporaine de ce parcellaire en lanière. Il me semblait intéressant de nommer ce projet car il montre que la construction de la ville de Bruxelles sur l’archétype de la « maison » génèrent un urbanisme de qualité. S’appuyant sur une trame mais jouant avec ses codes, les rues sont alors un bel alliage de structure et de plaisir, de liberté. C’est maison après maison que l’on forme une rue, chaque individualité venant construire le commun, l’ensemble.

Inspiration

A l’échelle architecturale comme à l’échelle urbaine, cette typologie de « maison bruxelloise » a beaucoup à nous apprendre, et notamment sur les rapports de l’individuel au collectif. Aujourd’hui largement réinvestis sous forme de « Kot » (collocation étudiante teinté d’une certaine indépendances des colocataires) qu’on loue à la chambre, ces espaces offrent une qualité de vie réelle, permettant entre autre l’accès à un jardin, l’existence de pièces doublement orientées, l’appropriation plus évidente de la rue (rapport direct logement/rue – perron…)… etc

En voyage, la découverte d’une autre culture passe aussi par le fait d’habiter autrement. Vivre au quotidien ce modèle de « maison Bruxelloise » était une experience dont la richesse ne m’est apparue que bien plus tard…

Médiathèque:

Documentaire, Flagey, Ateliers Urbains
Bruxelles Architectures, De 1950 à Aujourd’hui
(AAM Editions – Maurice Culot)
Bruxelles Itinéraires (Casterman – F. Schuiten et C. Coste)
Bruxelles, une lecture de la ville (Editions de l’ULB – C. Vandermotten)
Brussël – (Casterman – F. Schuiten et B. Peters)

Solène Gautron, so.gautron@hotmail.com