On a tous en tête l’image d’une île bordée de plages de sable blanc et d’eau turquoise où les maisons coloniales s’engouffrent dans les champs de canne à sucre . Mais laissez votre bikini et vos lunettes de soleil de touriste le temps d’une lecture, pour découvrir l’envers de sa carte postale à travers le voyage d’une étudiante en architecture.

ENSA NANTES-MAURITIUS

L’ensa Nantes ouvrira en septembre prochain sa première antenne délocalisée à l’île Maurice, un petit état insulaire perdu dans l’océan Indien, entre l’Afrique et l’Asie. Cette école fait partie d’un important projet urbain sur la côte ouest de l’île, mis en place par l’ancien groupe sucrier Médine, fondé en 1911 et reconverti dans l’immobilier après la chute du sucre. Cette intention s’inscrit dans la démarche d’internationalisation du territoire mauricien pour faire de l’île un carrefour géographique, notamment par la construction de smart cities dirigées par l’architecte et urbaniste Gaëtan Siew.

Cette nouvelle école d’architecture a fait l’objet de l’option de projet « knowledge society » encadrée par Barbara Chénot-Camus et Xavier Fouquet et à laquelle j’ai participé. J’ai découvert l’île à travers les livres, les documentaires et les souvenirs, pour construire sur un territoire inconnu un projet, sans jamais n’avoir pu croire qu’un jour je puisse la voir en vrai…       En effet, dans la continuité de l’option, une Summer School a été proposée aux étudiants du studio et aux élèves de master intéressés. Ce voyage pédagogique consistait à rencontrer les acteurs de la Smart city de Flic en Flac, de son campus et de la future école  dans le but de proposer à la fin du Summer lab, des alternatives au fonctionnement du campus accueillant la future école. L’opportunité de découvrir Maurice était telle, que le 4 juillet 2015 je m’envolais pour la rencontrer…

Nous sommes arrivés à l’aéroport au sud de l’île vers 5h30 du matin où nous attendait déjà notre chauffeur envoyé par Médine, pour nous amener au campus de Pierrefond à Flic en Flac, où nous logerons durant le workshop. Sur le trajet d’une vingtaine de kilomètres, la silhouette urbaine de Maurice se dessinait face à des paysages mêlant montagne et mer.

Flic en Flac est un petit village touristique et balnéaire, dépendant du district de rivière noire, au sud-ouest de Port-Louis. Il y a une dizaine d’années la côte était encore sauvage et tranquille et progressivement envahie par les hôtels dans les années 2000. La petite ville fait aujourd’hui part d’un développement foncier de grande envergure, si bien que Flic en Flac compte maintenant plusieurs restaurants, agences d’excursions, pharmaciesbanquesblanchisseries, boutiques, ainsi qu’un centre commercial. Ce développement immobilier a été strictement encadré par les autorités locales afin d’éviter les « constructions sauvages » ou insalubres si fréquentes à l’île Maurice. Aujourd’hui elle est la deuxième ville touristique grâce à sa fonctionnalité et l’ensoleillement de ses plages.

Un art de vivre : la varangue

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Maison typique tropicale à varangue

6h00, le jour se lève sur Maurice est nous découvrons l’ancienne propriété agricole de Médine, située à 4 kilomètres des côtes et du centre-ville de Flic en Flac. Vaste de plusieurs hectares, le campus se compose d’équipements scolaires accueillant environ 250 étudiants à l’année, à l’Essec Business School, SUPINFO, Vatel Mauritius Business School ou ESCP Europe. Un peu plus à l’écart, cachée derrière les arbres centainaires, l’ancienne demeure d’un des membres de Médine s’avère être notre résidence, partagée avec quatres étudiants du campus.

La particularité architecturale de cette maison est la varangue, un dispositif indépendant greffé au bâtiment et similaire à une véranda ouverte. Elle exprime le raffinement d’un art de vivre tropical, qui crée des espaces à l’abri du soleil, du vent et de la pluie. J’ai pu profiter de cette pièce ajoutée, où il était fort agréable de prendre son petit déjeuner à l’abri du vent frais, tout en profitant d’une végétation luxuriante et d’une vue imprenable sur les montagnes.

Cette nouvelle pièce a pris de l’importance à l’île Maurice sous l’occupation anglaise à partir de 1810, quand elle devient une entrée noble de la maison, lieu de repas et d’échanges en lien direct avec les pièces principales. Véritable transition entre l’extérieur et l’intérieur, ses variantes sont multiples notamment avec la varangue vitrée, un phénomène d’avantage social que fonctionnel et qui tente de refléter le statut social. Mais ce nouveau dispositif perd de son intérêt avec une ventilation inexistante propice aux surchauffes.

Outre cette singularité, les maisons traditionnelles étaient autrefois en bois et avaient des formes très simples, avec un toit à doubles pans de forte pente, pour évacuer les pluies torrentielles.

Avec l’apparition du maniérisme les maisons se sont développées avec des tourelles, des variétés de fenêtres et de auvents, de bow-windows et une forte exubérance ornementale, comme nous avions pu le voir lors d’une visite à Rose Hill avec le photographe mauricien Yves Pitchen. Chaque propriétaire tentait de se démarquer avec des fantaisies selon ses origines culturelles et ses moyens financiers. La plupart des maisons étaient surélevées du sol par un soubassement en pierre pour avoir une position dominante, une aération constante et une protection contre l’humidité.

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Maison traditionnelle mauricienne à Rose Hill

Au cours de cette balade, un autre sujet plus d’actualité fût abordé, celui de la politique urbaine de l’île Maurice et notamment celle des smart cities…

LA FOLIE DES SMART CITIES

Un remède à la planification urbaine

L’île Maurice est une terre marquée par des colonialisations aux identités urbaines et architecturales très distinctes et par la montée du tourisme et de l’occidentalisation, dont l’assemblage a fabriqué un territoire déstructuré et fragile, incapable de répondre aux attentes d’un pays en voie de développement.

Face à un manque de planification urbaine et à l’accroissement de sa population, l’île Maurice a vu son territoire évoluer rapidement et de façon plutôt archaïque : les côtes collectionnent les hôtels et les villes, les immeubles. L’accumulation de population à des points singuliers du territoire et le manque de transports en commun a crée des embouteillages à l’échelle de Paris autour des poumons économiques, Port-Louis et Phoenix. Mais Maurice se positionne comme le pays le plus prometteur d’Afrique et souhaite revoir sa politique urbaine tout en relançant l’industrie et la construction, un enjeu explicité lors de notre rencontre à Port-Louis avec le ministre des transports et des infrastructures publiques Nando Bodha.

D’ici 2030, huit smart cities viendront s’ajouter au tissu de l’île, dont la planification et la conception sont gérées par l’architecte urbaniste Gaëtan Siew. Ces smart cities que défend le ministre, boosteront l’économie et l’emploi du pays et offriront une meilleure qualité de vie aux Mauriciens.

En effet ces villes nouvelles seront dotées d’un réseau de transports efficace et proposeront à leurs futurs habitants des équipements pour vivre, se nourrir, se divertir, s’instruire et travailler dans un même lieu. Les smart city seront autonomes en énergie, et en eau pour s’inscrire dans une politique « verte » et disposeront d’un tissu résidentiel mixte économiquement et typologiquement.

Mais au delà de répondre à des problèmatiques de confort et de flux, les smart cities sont surtout une résultante d’un problème ou plutôt d’une ambition bien plus tabou et rarement mentionnée dans la bouche des acteurs…

De la canne à l’immoblier

Depuis plusieurs dizaines d’années, l’île Maurice voit son économie agricole s’effondrer face à des milliers d’hectares de champs de canne inexploités. Sans étonnement, les huit smarts cities planifiées s’implantent sur ces morceaux de territoires vierges et endormis appartenant à de grands groupes sucriers comme Médine. Ces villes nouvelles introduites sur des terres d’avenir et surtout d’argent, sont le fruit d’un accord entre des acteurs aux enjeux économiques qui sont les promoteurs immobilier et des acteurs aux enjeux politiques qui représentent l’Etat. Cet échange où se mêle monnaie et notoriété, s’agrémente d’un enjeux social en proposant une nouvelle qualité de vie aux futurs habitants des smart cities. C’est ainsi que se forme le triangle des acteurs actifs et passifs où viennent s’ajouter des acteurs secondaires : les acheteurs potentiels, les entreprises, les équipements…

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Champs de canne à Flic en Flac

 Malgré cette réelle ambition de redonner un nouveau souffle à une île en voie de développement, une contradiction m’interpelle. La canne à sucre fût importée et cultivée en masse par les colons dès le 18ème siècle, causant une destruction irrémédiable de la faune et de la flore de l’île. Malgré une histoire tragique, elle s’apparente aujourd’hui comme un symbole de Maurice, grâce aux paysages qu’elle fabrique et au rhum qu’elle crée. La construction de ces smarts cities vient une nouvelle fois transformer le paysage mauricien qui commençait tout juste à se réconcilier avec son histoire et à reconstruire son patrimoine. Le plus étonnant est que le bâtisseur et le destructeur s’avèrent être la même personne : les groupes sucriers devenus promoteurs immobilier. La smarts cities serait-elle une nouvelle forme de colonialisation ?

Les smart cities sont des villes modernes et occidentalisées, transposées sur des territoires de métissage où tradition et modernité ont du mal à cohabiter. Cette stratégie urbaine serait peut être trop ambitieuse et rapide pour un pays qui connaît depuis peu les enjeux et les structures d’une ville moderne. La vrai question est : est ce qu’un modèle occidental innovant peut être transposable dans un pays qui n’a pas fini sa croissance, dans un territoire où la société est encore instable ?

l’Ile Maurice, une terre d’accueil

L’île Maurice est l’une des populations les plus denses au monde avec une démographie de 0,4%, une difficulté que les smart cities devront aussi régler. Ce vieillissement de la population vient du phénomène de la fuite des cerveaux touchant la majorité des pays du continent africains. Les jeunes vont étudier à l’étranger pour des raisons de qualité et de variété et restent travailler dans leur pays d’accueil plutôt que dans leur pays d’origine. Un million de mauriciens vivent à l’étranger et 1,3 millions vivent sur l’île, ainsi les smart cities auront pour but de séduire les mauriciens qui étudieront dans les campus pour rajeunir la société mauricienne et la faire évoluer.

Les smart cities s’adressent aussi aux étrangers notamment dans le domaine de la recherche, pour détenir un pourcentage de 10 à 15% de population étrangère.

On peut se poser la question de l’accroche sociale face à une population qui sera encore plus hétérogène qu’elle ne l’est aujourd’hui, mais l’île Maurice est selon Gaëtan Siew « un monde miniature où les cultures et les religions cohabitent depuis des années ».

Cependant la problématique de l’identité et du patrimoine de l’île semble être noyés sous une politique urbaine et architecturale contemporaine. En effet comme le disait l’architecte Jean-François Adam lors d’un entretien, « chaque bâtiment de l’île doit se rattacher à une architecture traditionnelle avec l’usage d’un matériau, d’une forme ou d‘équipement, sans pour autant tomber dans le pastiche ou le has been ».

Le dernier risque que pourrait rencontrer les smart cities est l’affiliation aux « villes fantômes » mentionnées par Yves Pitchen, qui ont été construire rapidement et non trouvé aucun acheteur. En effet les milliers de logements proposés dans ces smart cities seront peut être trop chers pour la population mauricienne et n’auront pas assez d’acheteurs étrangers. Ce phénomène pourrait engendrer une crise économique dont l’île ne se remettrait probablement pas.

Une deuxième ville pour Flic en Flac

La future école d’architecture se positionne dans le plan masse de la smart city de Flic en Flac, conçu en partie par l’architecte anglo-saxonne Henriette Valentin que nous avons rencontrée au cours de la Summer School. La ville nouvelle des terres de Médine, accueillera entre 10 000 et 20 000 habitants et se positionne le long du seul et grand boulevard qui relie la côte de Flic en Flac au reste du territoire.

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Site de la Smart city de Flic en Flac et vue sur le Morne Brabant

Le centre commercial « Cascavelle » est l’amorce de cette smart city qui se décompose en trois phases : La phase 1 consiste à mettre en place le tissu résidentiel puis le campus universitaire et ses écoles en lien avec le mall existant. La smart city reconfiguera la route actuelle d’une vitesse autorisée de 90km/h en y ajoutant des voies de mobilité douce pour fluidifier le trafic et le rendre plus doux en ajoutant une nouvelle voie rapide en parallèle. La phase 2 comporte la finalisation du campus et l’ajout d’équipements tertiaires et médicaux. La phase 3 finalisera le projet avec la construction de nouvelles résidences en lien avec un parc.

 Malgré l’envie de créer des transitions par des places publiques et des zones de végétation, le plan masse prend l’allure d’une île Maurice en miniature avec une sectorisation des équipements. En effet, l’accumulation et l’assemblage de typologies d’équipement dans un temps restreint, crée un plan homogène qui fabrique une ville figée et sans interaction.

Un campus à l’américaine

La smart city de Flic en Flac, comprendra le campus « Medine Education Village » d’une superficie de 34 hectares, lancé depuis 2012 et qui d’ici 2025 devra accueillir 5000 étudiants mauriciens et internationaux. L’île Maurice voulant s’établir une réelle notoriété a souhaité collaborer avec de « prestigieuses » écoles étrangères afin de placer le campus comme un élément névralgique d’éducation dans le continent africain. Les écoles liées au projet sont: l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), l’Ecole Centrale de Nantes, l’École Nationale Supérieure d’architecture de Nantes, l’Université Paris Descartes, l’ESSEC Business School, Ferrandi École Française de Gastronomie, l’ISIT et l’ESCP Europe.

La particularité de ce campus est que  80 % des étudiants seront recrutés à l’étranger, principalement en Afrique, en Inde et en Chine puisque que Maurice ne peut répondre à la taille du marché. En étudiant à l’île Maurice, la majorité des jeunes africains retourneront travailler dans leur pays d’origine après leur cursus, contrairement aux étudiants d’Afrique venant étudier en Europe qui restent en Occident. Cependant, les 20% de mauriciens seront encourager à rester sur leur territoire en leur proposant un excellent cursus, un logement autonome et un campus attractif, ultramoderne et américanisé.

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Résidence étudiante en travaux

Lors de la visite de site, je découvre les futures résidences étudiantes en plein travaux qui jaillissent du paysage lunaire des champs canne à sucre. Le site offre une vue imprenable sur la mer et les montagnes, des éléments qui, selon Jean-François Hadon, ont pourtant été oubliés.

L’ensa Nantes -Mauritius : un enjeu politique

L’île Maurice ouvrira en septembre 2016 sa première école d’architecture, mais pourquoi vouloir implanter dans un si petit pays une école aux objectifs internationaux ?

L’école ne sera pas destinée qu’aux étudiants mauriciens, puisqu’aujourd’hui le pays compte plus de 5 architectes pour 10 000 habitants, soit 5 fois plus que la moyenne, en sachant que la population est propriétaire à 85% et que le pays dispose que de très peu d’espace à bâtir.

Le continent africain compte environ 54 pays et 60 000 architectes, dont la moitié résident en Egypte. Les écoles d’architectures sont majoritaires dans les pays anglophones et dans quelques pays francophones comme l’Ethiopie et les pays du Maghreb. Ainsi beaucoup de jeunes de classes aisées vont en Europe pour étudier les métiers de l’Architecture et de l’Urbanisme. Selon la ministre de l’éducation Leela Devi rencontrée au ministère près de Port-Louis, l’île Maurice propose donc aux étudiants africains une école de prestige, affiliée à une enseigne française, sans avoir les contraintes de la langue et des papiers d’immigration. L’école sera notamment spécialisée dans l’architecture tropicale, qui concerne plus de 110 pays sur 200 dans le monde. Ce domaine sera notamment source d’emploi, puisque que la smart city mettra en place des laboratoires de recherche sur le sujet.

Malgré la réelle ambition de cette école je n’arrive pas à comprendre comment une pédagogie ancrée sur un territoire qui lui est propre, peut être transposable dans un autre pays. En effet même si l’architecture repose sur des fondamentaux, elle s’adapte à une société et à un climat, qui d’un pays à l’autre sont radicalement différents. On peut apercevoir le problème à l’ensa Nantes où certains étudiants Erasmus ou en transfert ont des difficultés à comprendre les politiques urbaines et l’architecture de notre pays ainsi que la pédagogie utilisée. Apprennent-ils vraiment quelque chose qui leur sera utile dans leur pays ?

A LA DECOUVERTE DE L’ÎLE  DE LA CAPITALE

Port-Louis ville de métissage

Après avoir rencontré le ministre des transports et des infrastructures à Port-Louis, nous avons pu arpenter la capitale de l’île Maurice, véritable ville de métissage.

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Port-Louis, capitale de l’île Maurice

 

C’est au cours du 18ème siècle, grâce à un officier de la marine appelé Mahé de La Bourdonnais, que la ville de Port-Louis située sur la côte ouest de l’île vu le jour. Celui-ci la désirait coquette et confortable à l’image de Paris, véritable modèle urbain de l’époque, avec ses grandes avenues et ses ruelles quadrilignes et rationnelles.

 Mais le visage de cette ville portuaire change sous l’influence du savoir de ses colonisateurs et de leurs esclaves, qu’ils soient hollandais, français, anglais, africains ou indiens, lui procurant une richesse urbaine et architecturale unique, qui la rend pourtant aujourd’hui si fragile. En effet l’île Maurice traverse une crise d’identité et tente de concilier patrimoine et modernité. Il est vrai que lorsque je déambule dans les rues de la capitale, je découvre une ville chaotique, où le modernisme efface l’archaïsme, où tout s’empile tant horizontalement que verticalement sans aucune maîtrise. La ville ne détient pas de centre historique car Maurice n’adopte par une une culture du patrimoine et c’est une réflexion capitaliste et non préservatrice qui s’avère la remplacer.

Port-Louis est une ville étrange et je peine à dire si je suis en Afrique, en Asie, en 1950 ou en 2010 par l’abondance de diversité architecturale et de tissu urbain que je rencontre au cours de ma promenade. Quelques belles maisons coloniales ont survécu à la pression foncière, mais les banques repoussent le tissu résidentiel à l’extérieur de la ville et les petits immeubles coloniaux sont laissés à l’abandon.

Les architectures et les tissus urbains cohabitent mais les différentes ethnies sont sectorisées  avec des commerces qui leur sont propres : les textiles pour les communautés indo-musulmanes et la quincaillerie et les matériaux de construction pour les communautés chinoises. Port-Louis a son quartier chinois, marqué par un portique sale et mal entretenu qui progressivement s’efface lorsque je m’engouffre dans la ville. En effet, la structure traditionnelle boutiquière est une nouvelle fois perturbée par une verticalisation massive de la ville qui écrase le moindre souvenir d’un héritage.

Port-Louis est une ville où l’on se nourrit de multiples savoirs depuis des décennies, mais l’apparition de cette modernité venue de divers modèles occidentaux, méprise les valeurs des cultures locales, construisant ainsi une forme urbaine hasardeuse favorisant l’insécurité et l’insalubrité, propices à la violence et à la pollution. L’île Maurice a accepté cette modernité sans vérifier ses conséquences sur le plan urbain, ainsi, la ville de Port-Louis comme le reste de l’île, doit tenter de reconquérir son passé et son histoire pour retrouver son identité.

Plusieurs associations tentent de préserver les dernières traces de son histoire, notamment répertoriées sur le site http://www.patrimoineenperil.mu/. On y trouve des bâtiments de tous types comme les salines de Tamarin agées de plus de deux siècles, les maisons coloniales de Rose-Hill et Port-Louis, les théâtres et même les arbres.

Port Louis vue d’en haut.

C’est depuis les remparts de la citadelle de Port Louis appelée aussi le Fort d’Adelaïde, érigée entre 1834 et 1840, que je découvre la ville sous un nouvel angle. Perchée sur la colline de la « petite montagne », ce véritable belvédère à 360 degrés domine la capitale où vivent plus de 150 000 habitants. La citadelle construite en pierres de basalte se compose d’une immense cour intérieure ainsi que d’un mur extérieur d’où l’on peut admirer la ville dans son intégralité.

A mon arrivée en bus, j’aperçois au sud l’hippodrome du champ de mars construit en 1812 sous l’influence du colonel Edward Alured Draper et qui est considéré comme le plus ancien hippodrome de l’hémisphère sud. Autour de ce lieu incontournable de la vie mauricienne, se dessine une ville basse et aérée devenant rapidement dense et verticale à l’approche de l’océan. L’accumulation de grattes-ciel forme le quartier des affaires rassemblant sur une centaine d’hectares, l’essentiel des activités économiques, administratives et politiques de la ville. Ces immeubles se composent de grandes banques et de sièges politiques, tels que celui du ministère où nous avions rencontrer le ministre des transports et des infrastructures publiques, Nando Bodha.

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Hippodrome Champs de Mars

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Quartier des affaires

Au Nord-est se dessinent les montagnes, un paysage sauvage dont les flancs se bordent de maisons de fortune aux couleurs éclatantes et à la silhouette horizontale. Ces quartiers abritent de façon anarchique des poches de bidonville, des cités de relogement et des zones d’habitats traditionnels. Roche Bois situé au nord de la ville, est d’ailleurs le quartier créole le plus pauvre, avec ce surnom révélateur : « la poubelle de Port-Louis ». La capitale est ainsi encerclée d’une ceinture de pauvreté qui ne cesse de s’accroître par la hausse du foncier.

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Tissu résidentiel de Port-Louis

Un peu plus au sud et en face de la citadelle, le quartier de China Town s’approche timidement du port et du nouveau « waterfront » inspiré du projet de Victoria et Albert à Cap Town. Ce quartier s’est implanté sur les friches portuaires et regroupe des bureaux, des espaces de détente et de loisirs, ainsi que des magasins de luxe. Au loin, derrière le waterfront, on aperçoit le port industriel, qui avec une situation géographique profitable a permis à la ville de Port-Louis de se développer. La ville devient une « city » par concession officielle de la Reine d’Angleterre le 25 août 1964, puis une capitale en 1968, lorsque l’île Maurice s’affirma comme un état indépendant. 

 

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Rue du quartier Waterfront

LES RESCAPES DU TOURISME 

Mahébourg, l’authenticité créole

Même si Port-Louis manifeste la synthèse de toutes les influences ethniques que l’île a saisi depuis sa création, tant dans ses commerces, ses points religieux, ses architectures et son urbanisme, elle apparaît tout de même comme une ville confuse sans identité. Il manquait à Port Louis, cette authenticité, cet esprit d’ailleurs que j’avais tant aimé à Mahébourg…

Mahébourg est une ville dynamique fondée durant la colonisation hollandaise et renommée sous le nom du fondateur français du plan de Port-Louis, Mahé de la Bourdonnais. Ville côtière du sud disposant d’un faible ensoleillement sur les plages, elle est beaucoup moins touristique que ses voisines du nord et de l’est comme Flic en Flac. Grâce à l’absence de tourisme, les maisons traditionnelles sont les seules a fabriquer son paysage et crée une ambiance des plus particulières. La ville de Mahébourg est majoritairement créole, une véritable identité marquée par ces maisons colorées dont la construction est inachevée dans l’attente d’argent ou d’un agrandissement de la famille. Les habitats sont traditionnels dans leur forme parfois même rudimentaires avec la fabrication de clôtures de fortune pour se mettre à l’abri des regards.

 

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Maisons traditionnelles mauriciennes à Mahébourg

Comme Port-Louis, Mahébourg dipose d’un marché couvert où l’on peut s’imprégner de la vie mauricienne, avec des étals de fruits et de légumes colorés. Le bâtiment de pierre et de bois a succédé à une ancienne bâtisse de la fin du 18ème qui servait à la vente des esclaves jusqu’à l’abolition de l’esclavage par les Anglais en 1835. Le passé colonial se manifeste aussi dans la ville par ses maisons et son lavoir construit en blocs de pierre volcanique, qui dans les années 1770 servait à laver les uniformes des militaires français basés sur l’île au Fouquet et l’île de la Passe. C’est la rivière « La Chaux » qui l’alimentait en eau, franchissable par le pont Cavendish inaugurée en 1911 et reprenant le nom du gouverneur anglais de l’époque. Depuis le pont, un panorama de carte postale s’offre à nous avec les anciennes maisons coloniales et la silhouette des montagnes. Mahébourg semble figée dans le temps et dans ses traditions, rescapée d’une nouvelle forme de colonialisation : le tourisme.

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Panorama de Mahébourg

La Gaulette, petit village endormi

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Plage de la Gaulette en compagnie d’enfants mauricien

La Gaulette est un petit village sur la côte sud-ouest où le sable noir traduit l’histoire de cette île volcanique. L’absence de tourisme est encore plus marquée qu’à Mahébourg bien que le village dispose d’un ensoleillement balnéaire confortable. Le long de la côte, plusieurs petites maisons inoccupées font face à la mer comme à Grande-rivière noire, un peu plus au nord. Mais selon moi, les villages de la Gaulette et de Grande rivière noire ne resteront pas endormis encore longtemps..

En effet, ces plages de sable blanc sont le fruit d’une artificialisation des littoraux engendré par le tourisme et qui affecte la faune et la flore. Bien que certains resorts soient intégrés avec la plus grande harmonie dans le paysage, comme le Tamarina Hotel, leur impact sur l’environnement est pourtant irrémédiable. Pour construire ces hôtels, les plages sont minées et démunies de leur sol naturel, puis comblé d’une blancheur immaculée, suite à des travaux d’extraction de sable dans les lagons. Le tourisme de masse a ainsi engendré la fragilisation et la disparition d’un certain nombre d’espèces marines. Outre la contamination des lagons, les sols proches de la mer en subissent aussi les conséquences, pour cause de l’utilisation du béton.

Colonialisme touristique

L’île Maurice est en effet une île touristique qui mise sur certains avantages ayant bâti sa réputation : climat agréable, lagon aux eaux turquoises, plages de sable blanc bordées de cocotiers, hôtels pieds dans l’eau, richesse culturelle, population accueillante, coût de la vie en faveur des touristes… Les premiers touristes de l’île sont arrivés après la seconde guerre et surtout durant les années 1970 quand les grandes propriétés sucrières franco-mauriciennes possédant des terres proches du littoral ont vu l’opportunité de valoriser leur capital foncier en investissant dans des structures hôtelières, ciblant une clientèle haut de gamme dès 1980. Depuis 30 ans la demande hôtelière ne cesse de croître et crée de nombreux problèmes sur le territoire.

L’île Maurice dispose de très peu d’espaces publics et la majorité des mauriciens passe leur dimanche sur la plage, espace naturel et ouvert où ils dansent, jouent au foot et mangent tous ensemble. Face à l’empiétement de l’espace touristique sur les côtes, où les hôtels luxueux s’implantent et privatisent les bords de plage, un réel sentiment de rejet se manifeste chez la population locale. En 1975, 3% du linéaire côtier était occupé par le tourisme, aujourd’hui on le chiffre à 22%…

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Plage publique de Tamarin

J’ai perçu ce sentiment lors d’une baignade au nord de l’île auprès d’une plage « privée » d’un hôtel luxueux. Celui-ci était encerclé d’une barrière de pierre que l’on devait longer sous peine de s’écorcher les pieds pour découvrir une plage paradisiaque sans vis à vis. Pendant que je profitai du cadre dans une eau cristalline, trois hommes scruttaient chacun de mes mouvements : le garde de la place, le garde de l’hôtel et le maître d’hôtel. Malgré avoir franchi cette frontière invisible, aucun d’entre eux m’a demandé de partir car moi, j’étais une touriste et j’avais le droit de profiter d’un cadre qui pourtant ne m’appartient pas.

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Plage privée de Grand baie

Ce fossé entre locaux et étrangers accentue les inégalités sociales, bien que le tourisme soit l’un des plus importants secteurs faisant vivre le territoire. En plus de privatiser la côte et tourisme crée des villes occidentalisées dont le visage et le fonctionnement sont incompatibles avec l’identité de l’île et de la société.

En effet, en plus de créer ce sentiment de rejet, le tourisme modifie le mode de vie des habitants locaux par la construction d’équipements modernes comme des shopping-mall, des discothèques high-tech et des restaurants occidentalisés, dont le coût repousse la population originelle au centre du territoire. Une couronne touristique vient donc structurer l’île et prive les mauriciens de leur plage mais aussi de leur ville dont le coût de vie est adapté aux étrangers. Ainsi la construction massive de ces hôtels impacte la stabilité politique du pays, mais aussi son paysage naturel.

Le Morne Brabant vue d’en haut.

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Le Morne Brabant vue depuis la résidence privée

Le tourisme n’est pas le seul a venir s’approprier l’île, à Grande Rivière noire, une résidence privée de riches étrangers, a été construite sur un plateau d’un ancien domaine de chasse aux cerfs et offre une vue imprenable sur le lagon et le Morne Brabant, cette montagne accidentée qui s’avance dans l’océan indien et qui servait de refuge aux esclaves évadés.

C’est l’architecte mauricien Nicolas Patureau en charge du projet qui nous a permis de visiter « la plantation marguery » où une maison d’un designer mauricien nous a ouvert ses portes. Cachée derrière un grand portail vert, la maison se décompose en deux corps de bâtiment. Le premier comporte la salle à manger en double hauteur ainsi que la cuisine au rez-de-chaussée et la chambre parentale et sa salle de bain à l’étage. Le deuxième comprend les deux chambres d’enfants ainsi que la salle de bain, le tout en plein pied. L’ensemble de ces pièces est lié par une couloir disposant d’un ponton où l’ou voit l’eau de la piscine extérieur jaillir sous nos pieds. En effet l’extérieur de la maison qui comprend un bassin à débordement ainsi qu’un jardin support de rafraichissement, a été pensé avec autant d’intérêt que l’intérieur. L’implantation de la maison s’effectue en fonction des facteurs climatiques de l’île, notamment en se protégeant des excès climatiques tels que les vents dominants, les pluies torrentielles et le soleil.

 

ARCHITECTURE RELIGIEUSE MAURICIENNE

Le tourisme et les résidences privées s’implantent bien sûr dans des lieux qui offrent les meilleurs paysages mais d’autres bâtiments, non liés aux enjeux économiques du pays peuvent aussi en profiter.

L’architecture mauricienne témoigne d’une grande richesse en terme d’écriture grâce à multi-culturalisme et à d’une diversité des religions. Ce brassage ancestral des savoirs a permis aux différentes communautés de cohabiter dans le respect d’autrui, ce que l’on ressent dès notre arrivée sur l’île.

L’église de Cap Malheureux

Direction le Nord l’île, outre ses grands hôtels du côté de la Pointe aux canoniers et de Grand baie, l’ont peut visiter le petit village de Cap Malheureux qui doit son nom aux naufrages ayant eu lieu entre le 17ème et le 18ème siècle. C’est ici que se trouve l’une des plus belles églises du pays, présente sur toutes les brochures touristiques et qui fait la fierté des mauriciens chrétiens. L’église de Notre-Dame-l’Auxiliatrice avec son toit d’un rouge éclatant contre ses murs d’une blancheur immaculée, contraste avec le turquoise de l’océan Indien et le vert d’une nature luxuriante. Cette église aux couleurs éclatantes m’a séduite bien avant que je ne la rencontre, mais une fois arrivée sur les lieux, le panorama est encore plus beau que dans mes pensées. Autour d’elle, tout le monde se rencontre : les touristes s’émerveillent face à cette vue panoramique sur l’île Plate, l’îlot Gabriel et le Coin de Mire ; les mauriciens pique-niquent sur la plage encore publique, les chrétiens s’empressent d’aller à la messe, les pêcheurs vendent leurs poissons fraîchement sortis de l’océan et les habitants se reposent sur leur terrasse. Sur ce bout de territoire, personne ne semble s’approprier les lieux, chacun se respecte et on s’y sent tellement bien, qu’on reste jusqu’au coucher du soleil. Bien sûr si l’on marche le long de la côte, plusieurs maisons contemporaines se sont implantées en bords de mer, mais d’une façon subtile et maîtrisée.

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L’église de Cap Malheureux

Le tourisme cavale en masse à quelques kilomètres de là, mais l’église impose un savoir vivre, une tranquillité dont l’île devrait s’inspirer.

Shiva, gardienne du territoire.

Cela fait bientôt 1h que nous sommes partis, nous engouffrant dans une nature dense dans la profondeur des montagnes du cœur de l’île. Soudain, une gigantesque voie automobile nous guide vers le temple de Grand Bassin, où se rend chaque année la population hindouiste lors du pèlerinage de Maha Shivratri. Quelques kilomètres sont passés et deux gigantesques statues de dieux indiens se dessinent au loin et nous accueillent jusqu’au parking. Notre chemin continue à pied jusqu’à cette porte, dans laquelle on devine la présence de « ce grand bassin ». Je descends tranquillement, jusqu’à arriver au bord de ce lac naturel, lové dans un cratère volcanique. Cette étendue d’eau est entourée de piliers servant de support pour les flambeaux lors de cérémonies hindoux. Il faut encore marcher pour arriver aux lieux de culte de Shiva et de Laksmi où les bâtiments sont très simples dans leurs ornementations et leurs couleurs, mais dont l’odeur d’encens, l’environnement naturel et la spiritualité qui s’en dégage, suffisent pour me séduire. Un autre temple perché sur une colline est accessible par un escalier où petit à petit, je découvre la beauté de la nature mauricienne où les villes se dessinent, l’océan se dévoile et l’île se dénude. Arrivé en haut, c’est un silence inouï, une bouffée d’oxygène, et on aperçoit au loin les deux statues à l’entrée du site qui semblent jaillir de la cime des arbres et s’affrontent dans un face à face figé.

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Vue sur Grand bassin et l’est de l’île

Je suis restée longtemps nichée au dessus des nuages, pour regarder cette île que j’avais imaginé, ce petit pays que j’avais appris à connaître à des milliers de kilomètres, cet archipel qui paraissait si beau à travers les écrans et les livres. J’ai découvert une île Maurice trop peu connue et différente de celle des cartes postales, avec ses villages traditionnels et ses lieux religieux. Mais aussi une île malade et dont les paysages urbains, sociaux et naturels ont été abîmés par des enjeux politiques et économiques trop ambitieux et rapides. L’île Maurice est un pays qui semble vouloir oublier toutes les richesses qu’a pu apporter son passé colonial.

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Statues hindous jaillissant des cimes

Bibliographie :

– Les dynamiques contemporaines des petits espaces insulaires, de l’île relais aux réseaux insulaires. Bernardie et Taglioni

– La vie en Varangue. Isabelle Desvaux

– L’île Maurice face à ses nouveaux défies. Jean-Michel Jauze

Médiathèque :

Rencontres et interviews :

 

  • Ministre des transports et des infrastructures publiques Nando Bodha
  • Ministre de l’éducation Leela Devi
  • Architecte Nicolas Paturau
  • Architecte Jean-François Adam
  • Architecte Gaëtan Siew
  • Photographe Mauricien Yves Pitchen
  • Architecte Henriette Valentin
  • PDF de Médine Thierry Sauzier

Auteur : Angèle Parcé : angele.parce.etu@gmail.com

Voyage encadré par l’ensa Nantes effectué du 4 juillet  au 18 juillet 2015.