Le voyage commence à Valence. Des amis de l’école d’architecture et moi décidons de partir en bus à Madrid pour un week-end. La raison? Nous voulons faire une promenade architecturale, mais aussi profiter de la richesse culturelle qu’offre la ville et revenir avec la tête pleine de nouvelles idées, sources d’inspirations pour de futurs projets.

Le Pavillon des Hexagones

Notre route commence par la banlieue de Madrid. Tout à coup, un bijou architectonique apparaît à nos yeux : un tas de brique pleure, comme atteint d’une maladie d’Alzheimer collective. J’ai observé ce bâtiment et je me demande si les habitants ici sont conscients de l’histoire qui se cache derrière les briques du bâtiment en ruine, avec ses vitres brisées, sans toiture, plein de trous où les chats se glissent.

Vue extérieure du pavillon dans son situation actuelle à Madrid.

Le pavillon devient de plus en plus déterioré et je me demande pourquoi. Pourquoi y a-t-il de magnifiques bâtiments qui n’ont pas la chance de résister au temps ? Que se passe-t-il avec leur beauté, leur valeur culturelle? Pourquoi leur conservation et leur entretien ne sont-ils pas garantis par les institutions ?

C’est le cas du Pavillon des Hexagones, des architectes Corrales et Molezún. Construit pour l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1958, il est probablement leur œuvre internationale la plus remarquable et significative, reconnue comme un des meilleurs exemples de l’architecture d’exposition du XXème siècle.

Plan et élévation du Pavillon Espagnol à Bruxelles.

Le projet était situé sur un terrain occupé par la végétation. Ils devaient y placer une structure démontable de parasols hexagonaux qui devait respecter l’implantation des arbres existants et franchir une colline centrale de six mètres, sur un terrain résiduel, allongé et avec le bord courbe. Malgré les contraintes, la solution trouvée fut extraordinaire.  Les hexagones formant le pavillon, qui s’adaptaient au contour irrégulier du terrain, étaient disposés de manière à ce que leur union ne laisse pas d’espace libre. Cela procurait la sensation d’une architecture qui se dilatant dans la forêt, comme si la structure était naturelle. Ce sont les architectes mêmes qui manifestent que la solution  « était de trouver un élément de couverture préfabriqué, léger et qui par répétition donnerait le plan» (1). Aussi, toutes les parois formaient une structure irrégulière, transparente ou opaque, selon le point de vue. 

Le plan du Pavillon d’Espagne prend la forme d’un “V” qui embrasse la colline. Dans l’aile horizontale on trouve le salon d’actes.  L’autre aile descend en générant trois terrasses destinées à l’usage de l’exposition. Au centre, et comme trait d’union entre les deux zones, se trouve le restaurant, la seule entrée dans ce rétrécissement central qui formait l’union des deux ailes avec six parasols hexagonaux.

Vue intérieure et extérieure du Pavillon à Bruxelles.

C’est l’architecte espagnol Miguel Fisac, membre du jury de l’exposition, qui disait « L’extraordinaire qualité du projet, qui avec une originalité totale, avait une spatialité, un traitement d’éclairage, et une organisation structurelle rigoureusement moderne enracinée dans la meilleure tradition espagnole». (2)

Aujourd’hui, le bâtiment qui brillait à Bruxelles se trouve à Madrid. Il n’ accueille plus personne et son accès est interdit à cause de son mauvais état de conservation. Nous faisons alors le tour par l’extérieur et passons la tête dans les ouvertures de mur, emprisonnés par cette curiosité interne des étudiants en architecture qui ne peuvent pas entrer à l’intérieur d’une architecture prometteuse. C’est lors de cette visite que je me suis rendue compte de la puissance constructive du projet, la manière dont il est adapté à la topographie du terrain, avec une structure standardisée, légère et démontable, en créant des espaces intérieurs translucides.

Translucidité et transparence sont deux notions très présente dans l’architecture de Corrales et Molezún. Comme disait l’architecte Rafael Moneo « L’architecture de Corrales et Molezún est transparente en ses intentions et c’est dans cette transparence que se trouve en grande partie son attractivité » (3). Cet exhibitionnisme architectonique n’est pas sans rappeler les influences de maîtres aussi divers que Mies, Jacobsen, Wright, Aalto, Melnikov, Utzon, ou Smithson. L’habile maniement de ces influences permet d’apprécier la signature de Corrales et Molezún, qui peut être reconnue par la richesse volumétrique de leurs projets, la puissance géométrique de leurs compositions et la maîtrise, presque artisanale, des matériaux.

Détail des parasols hexagonaux à Madrid.

Après cette visite fugace je m’éloigne en me demandant pourquoi ce bijou d’architecture n’a pas survécu au temps et a décidé de rester là, seul, comme le souvenir d’une tentative de modernité dans un pays en autarcie dans la période de  l’après-guerre. Un miracle né d’une Espagne de misère et de poussière.

Promenade de la Castellana: une découverte inespérée

Après la visite de la banlieue, nous nous enfonçons dans le centre-ville de Madrid pour déposer nos valises à l’hôtel et recharger nos forces. Aussitôt rétablis, nous continuons notre parcours. Nous passons près de bâtiments très intéressants comme le Bankinter (Rafael Moneo), la Tour BBVA (Saez de Oiza) et le Edificio flotante (Rafael de la Hoz).

Nous reprenons notre parcours et, soudain, un édifice m’éblouit.  Ça ne vous est jamais arrivé ? De temps en temps, en parcourant les rues d’une ville, ou en déambulant dans les endroits les plus divers, tout à coup, de façon insoupçonnée, un détail constructif attire mon attention.

Vue façade extérieur.

Ici, je parle de l’Edificio Girasol de J.A Coderch, une des œuvres de l’architecte catalan à Madrid et, sans  nul doute, une des plus emblématiques, par son caractère polémique et empirique. Sa proposition, avec un plan en peigne et une disposition des logements en diagonale (en direction de la rue Lagasca) vient conditionner au maximum l’utilisation du terrain, le dimensions, les orientations et l’intimité de chaque logement. Influencé par ses expériences de logements unifamiliaux à Cadaqués, séparés de l’environnement urbain, Coderch conçoit l’hébergement de luxe comme un ensemble de pièces formelles avec des qualités propres à chacune, liées avec grande liberté, mais dépendant d’une hiérarchie à plus grande échelle. D’autre part, chaque logement est indépendant, de façon à ce que chaque immeuble possède son propre escalier et ascenseur, développé autour d’un patio ou d’une terrasse. À l’extérieur, un revêtement de céramique enveloppe l’édifice en adoptant des formes ondulées entre une résille de bois qui transmettent sérénité et chaleur.

Vue d’un patio intérieur.

Mais son invention la plus originale est peut-être la conception et le traitement de la cellule de logement, réduit seulement au strict nécessaire. Tout ce qui est indispensable pour un logement unifamilial est réuni dans ce projet: zonage distinct, liberté de composition, diversité des ambiances et des options de parcours, orientation propre, intimité et protection par rapport à l’environnement… Coderch fait un étalage de son imagination en alliant bon goût pour finalement réussir sur un terrain dont la dimension et les proportions sont généreuses.

Plan de situation des logements unifamiliaux.

Comme l’architecte disait :«À partir de zéro, avec une corde attachée au pied.» Cette phrase prononcée fréquemment par Coderch résumait sa prédisposition spirituelle et cérébrale quand il commençait un nouveau projet. Pour lui c’était fondamental d’étendre le regard autour du sens commun et de la liberté.

Autre point important à remarquer dans la visite de ces bâtiments est l’important rôle que joue l’éclairage dans le processus de conception. L’architecture de Coderch se dynamise en faveur de la justesse d’orientation. Au-dessus des sous-sols et des locaux commerciaux, le rez-de-chaussée dispose d’un jardin, mais aussi de terrasses disposés de façon variée. L’orientation de chaque logement vers le Sud, permet d’y apporter toute la lumière naturelle possible. Les terrasses recueillent la lumière et la chaleur du soleil de midi en hiver et protège du vent d’ouest en été.

Vue de l’accès au bâtiment avec plantes autour.

« L’œuvre de José Antonio Coderch semble exemplaire: elle suppose le plus élégant refus à la facilité et à l’improvisation. Pour ça il accomplit cette fonction pédagogique caractéristique de toute œuvre qui transcende ses propres limites, qui se prolonge au-delà d’elle même; et d’ici l’intérêt qui émane d’elle.»(4)

Peut-être que ce projet est le point culminant du parcours de José Antonio Coderch, à travers un programme qu’il a su dominer et dépasser de manière savante.

Gimnasio de Maravillas

Après le parcours par le Paseo de la Castellana nous nous dirigeons vers le Gimnasio de Maravillas. C’est une bâtisse que nous avons beaucoup étudiée et nous ressentons l’envie de la « voir en vrai » pour confronter notre regard aux merveilles qu’il cache.

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Premier esquisse publié dans le magazine Hogar y Arquitectura (1962).

C’est incroyable comme un bâtiment qui est né dans des circonstances si difficiles peut, finalement, devenir un exemple en architecture, pensé entièrement. La commande pour De la Sota s’accompagnait de deux problèmes : peu d’argent et un terrain complexe avec un dénivelé de 12 mètres. C’est un travail soigneux en coupe qui lui a finalement permis de trouver une solution. La coupe parle dans ce projet: elle raconte une histoire de recherche de lumière malgré des conditions de départ fixées. Les dessins de l’architecte mettent en évidence un grand effort pour définir l’idée, pour délimiter les lignes du projet. C’est la manière dont la coupe était  résolue qui détermine et exige les problèmes de sa construction.

Le choix de la structure appropriée permet de trouver à l’intérieur du gymnase et des classes des effets surprenants. Au plafond, par exemple, il a profité les renfoncements qui laissent l’espace pour insérer les salles de classe. Et comme si cela ne suffisait pas, au-dessus du toit il a mis un patio qui double l’espace que les enfants avaient pour jouer à l’air libre.

Salle de classe.

Quand nous arrivons là c’est la lumière qui envahit l’espace. Un mur de verre incliné baigne le terrain de basket avec une lumière naturelle, sans le réchauffer, en créant un atmosphère magique et spirituelle, dans laquelle il n’existe pas réverbération du soleil. L’architecte même disait:« Nous voulons arriver à créer une ambiance chargée d’humanité, neutralisant la frivolité gymnastique, c’est pour ça que nous utilisons des matériaux chauds, en couleur et matière: c’était la principale préoccupation architectonique d’ambiance» (5)

Vue de la cintre avec les salles.

Après avoir visitée le bâtiment je comprends pourquoi le Gimnasio de Maravillas forme une autentique rupture au moment de son apparition sur la scène architecturale. Il en ressort moins un concept architectural fort qu’un fonctionnalisme déterminant d’une architecture plus engagée. Les métaphores ne sont pas nécessaires pour valoriser une architecture qui par sa construction et sa logique a sa raison d’être.

C’est un bâtiment qui représente la confirmation de l’architecture en elle-même, laquelle est basée sur sa propre discipline, laquelle confronte le lieu, la construction, l’usage et la matière; une oeuvre qui n’a pas de codes pré-établis sinon ceux qui émanent du contexte. Une architecture qui sort comme réponse face aux faits quotidiens et qui est capable d’impliquer ceux qui en profitent, ils offrent de multiples émotions et une expérience de vie riche.

C’est Baldellou qui explique ça très bien en disant« C’est un bâtiment compris comme un équilibre, une oeuvre globale basée sur la logique qui explore différentes textures et expérimente avec nouveaux matériaux. C’est une oeuvre que  jamais était  la conséquence simple d’une logique matérielle, mais tout le contraire, le produit d’un processus intuitif et poétique, inexplicable sur beaucoup d’aspects  » (6)

De la Sota n’aimait pas faire des simagrées. Il voulait être anonyme, austère, humble. On raconte qu’il parlait toujours à voix basse, pour obliger ses interlocuteurs a écouter attentivement ses leçons. Ça marchait mieux que les crier. Ça est exactement le Gimnasio Maravillas: un murmure magistral.

Marina Navarro Vidal

Voyage du 14/03/15 au 16/03/15.

Citations:

(1) CORRALES, J.A.; MOLEZÚN, R.V., “Pabellón de España en la Exposición de Bruselas”, dans Revista Nacional de Arquitectura, nº 198, 1958, pp. 1-13

(2) FISAC SERNA, M., “Pabellón de España en la Exposición de Bruselas”, dans Revista Nacional de Arquitectura, Nº 175, 1956, pp. 5-13

(3) MONEO, RAFAEL, “Apuntes para una lectura de la arquitectura de Corrales y Molezún”. Corrales y Molezún. Medalla de Oro de la Arquitectura 1992, Consejo Superior de los Colegios de Arquitectos de España, 1993.

(4) Article « La obra reciente de José Antonio Coderch », Cuadernos de arquitectura. nº 68/69 Angel Serrano Freixas

(5) Entrevista a José Antonio Corrales. AA.VV. José Antonio Corrales. Premio Nacional de Arquitectura, 2001. Ministerio de la Vivienda. (2004): p37.

(6) Alejandro de la Sota. « Por una arquitectura lógica ». Quaderns d’Arquitectura i Urbanisme, 152, mayo-junio 1982, pag 13

Bibliographie livres/magazines:

FLORES LÓPEZ, Carlos y AMANN, Eduardo: Guía de la arquitectura de Madrid. . Madrid, 1967

BALDELLOU SANTORIALIA, Miguel Ángel y CAPITEL, Antón: Arquitectura española del siglo XX. Summa Artis, tomo XL. . Madrid, Espasa Calpe, 1995

EUROPALIA 85 (España): Trente oeuvres d,architecture espagnole, années 50-années 80.  Madrid, 1985

FLORES LÓPEZ, Carlos: Arquitectura española contemporánea. Madrid, 1989

FLORES LÓPEZ, Carlos y GÜELL, Xavier: Arquitectura de España. 1929-1996. . Madrid, 1996

AA. VV: Fernando Higueras. Arquitecturas.  Madrid, 1997

Magazine Hogar y Arquitectura, nº. 43 nov-dic 1962

Bibliographie webs:

http://212.145.146.10/biblioteca/fondos/

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