Juillet 2013. Départ pour une destination inconnue. En effet, je n’ai découvert qu’à l’aéroport le programme de ce voyage qui restera assurément le plus beau de ma vie, marquant l’envol de mes vingt ans, un dernier voyage à deux, entre mère et fille. A l’issue de ce séjour, il m’en reviendra d’écrire la suite de mes aventures…
Le Brésil
Ce sera donc le Brésil. 205 millions d’habitants pour une superficie égale à la moitié du territoire de l’Amérique du sud, dont il partage des frontières avec tous les pays, exceptés avec le Chili et l’Equateur. Nous avons d’ailleurs pu admirer un panorama incroyable lorsque nous étions aux Chutes d’Iguazù ; nous nous trouvions au point de convergence de 3 frontières : le Brésil, le Paraguay et l’Argentine. Ainsi, le Brésil se place au cinquième rang des plus grands pays au monde après les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Canada.
Cosmopolite, c’est un pays de diversité ethnique et culturelle. En effet, selon l’IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistique), le pays comporte 47,7 % de blancs, 43,1 % de métis, 7,6 % de noirs et 2 % d’Asiatique et Amérindiens. Notre guide à Sao Paulo, passionnée d’histoire nous avait expliqué qu’avant 1500 et la découverte du territoire par les portugais, la côte orientale de l’Amérique du Sud était habitée par environ 2 millions d’Amérindiens. Les navigateurs européens retournèrent au Brésil pour récupérer le bois à la couleur braise si particulière, puis vers le milieu du XVIe siècle, le sucre est devenu la principale richesse commerciale du Brésil, ce qui amena les Portugais à développer la traite des esclaves africains, afin d’augmenter la production. Les Néerlandais sont également venu conquérir le territoire en enlevant les villes de Recife, Natal et Salvador aux Portugais afin de s’assurer une partie de la production sucrière. Les italiens quant à eux sont arrivés quelques siècles plus tard, à partir du XIXe, période où le Brésil reçu une multitude de migrants, dont la majorité était italiens. Aujourd’hui encore, Sao Paulo comporte la plus grande communauté italienne au monde, avec 6 millions d’individus, alors que la ville de Milan n’en compte que 4,3 millions.
Sao Paulo
Justement, envolons nous vers Sao Paulo.
Un guide nous attend à l’aéroport et nous fait aussitôt découvrir la ville et ses coutumes. Rejoindre Sao Paulo depuis l’aéroport fut assez laborieux puisque le périphérique de la ville est engorgé à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Aujourd’hui la plus grande ville du pays et la sixième ville mondiale en termes de population, sa croissance fut telle qu’au cour du XXe siècle le nombre d’habitants est passé de 200 000 à 11 millions, et même 18 millions si on compte les habitants des communes rattachées à Sao Paulo, poussées à la « va-vite » dans les années 50-60, là où sa croissance a été le plus rapide. Au cours du trajet de l’aéroport à la ville, il nous a été impossible de savoir où la ville commençait tellement son étalement est important et encore aujourd’hui croissant. Notre première immersion s’est faite exclusivement en voiture ; nous avons arpenté les différents quartiers de la ville afin d’avoir une vision globale de ce à quoi ressemblait cette mystérieuse mégalopole. Nous restions bouches bées face au passage si ténu entre les bidonvilles et les Favelas… Tant de proximité entre deux mondes diamétralement opposés. Mais c’est de cette manière qu’est bâtie cette ville, entre hiérarchisation et chaos. Laissez-moi vous décrire les quartiers que nous avons arpentés, envolez-vous le temps d’un récit à 9 500 km de Paris.
La ville se divise en cinq grandes régions : le centre, le sud, l’ouest, l’est et le nord. Elles mêmes se divisent en plusieurs quartiers, communément, appelés les « Bairros ». Chaque Bairros a sa propre ambiance, son propre style, et bien sûr l’héritage des différentes vagues de migrations comme nous avons pu le voir précédemment.
Le centre et sa grande avenue
Mais c’est à partir du centre que nous allons commencer, c’est à partir du centre que tout a commencé… On y trouve les restes du vieux centre-ville avec une architecture apparemment proche de celle que l’on peut admirer en Argentine, notamment à Buenos Aires. On y trouve également les premiers édifices construits par les Européens au début du XXe siècle, notamment de nombreuses églises et immeubles. Ces derniers, à l’origine résidentiels, sont devenus des bureaux, des banques ou des hôtels. La guide nous a précisé que ce sont ici que se trouvent les prix de l’immobilier les plus élevés de l’Amérique Latine. Le quartier semble quelque peu délaissé, du moins désorganisé, malgré les efforts de l’État qui semble tenter de le faire revivre en y transférant de nombreux ministères, près de la Bourse et de l’Hotel de ville. Nous arpentons ici un monde très occidental. Puis nous arrivons sur l’Avenida Paulista, l’avenue principale. Elle tire son nom des habitants de Sao Paulo : les Paulistas. C’est ici que se concentre de nombreuses institutions financières, sièges sociaux de grandes entreprises. Nous sommes bel et bien dans le centre des affaires de la ville, symbole de la puissance économique de l’État de Sao Paulo. Elle est également le principal centre touristique, artistique, culturel et médiatique, regroupant chaînes de télévision et stations de radio. Tout va vite, les gens, tous bien vêtus, marchent à toute vitesse smartphones aux oreilles, se dirigent vers de grands buildings, les banques, la gare…. Un monde que nous connaissons bien.
Le Marché
Tout va vite, oui. C’est à cette même vitesse que nous nous sommes retrouvées face à la misère, nous avons pu sentir la vie des favelas, croiser le chemin de ces enfants, pieds nus, qui habitent ce monde bel et bien réel, en expansion, qui s’étend, s’étend de plus en plus, immaîtrisé.
Tout près de là, tellement près, nous sommes entrées dans un marché couvert très populaire à Sao Paulo. L’odeur des fruits mûris par le soleil embaume, se confond avec celle des étales d’épices qui, ensemble, nous offrent un spectacle des plus colorés. Les poissonniers sont démultipliés, les bouchers présentent leurs viandes ; le corps de l’animal entier. On y trouve même des cuisiniers qui proposent de la Feijoada, mets national du brésil à base de haricots noirs, de riz et de viande de porc. Les habitués semblent se retrouver ici, discutant dans un fond sonore inhabituel, ou quelques musiciens arrivent à se faire entendre au milieu de ce brouhaha. Les centaines, ou même les milliers, je ne sais pas, de Paulistas qui èrent ici semblent déconnectés du temps. Mais au milieu de cette nourriture à perte de vue, on nous distingue bien nous… On nous propose de goûter à tout, impossible de résister au piments et aux olives marinées, impossible de ne pas se laisser tenter par les croquettas, les Coxinhas, qui sont des petits beignets frits, et impossible de ne pas finir avec un cornet de fruits des plus sucrés. Nous continuons de déambuler dans ce lieu si inhabituel pour nous, jusqu’à ce que nous découvrions, un petit accès sur l’un des murs du marché, qui menait à une petite cour. Le calme nous a saisi. Ici se succédaient des petits marchants, tous d’origines différentes vendant des objets fait sur place. Un artisan chinois a retenu notre attention, fabricant à partir de bois, des ustensiles de cuisine. J’ai emporté avec moi une magnifique louche en bambou, qui me permet avant tout de garder le souvenir de cet incroyable escapade.
La journée se termine, fatiguée du voyage et de cette première immersion, Monica, notre guide, spécialiste de l’Architecture de Sao Paulo, nous laisse nous perdre dans la ville, errer où bon nous semble, jusqu’au chemin de notre hôtel animé par cette ville qui comme bien d’autres ne dort jamais.
C’est de bon matin que nous nous étions donné rendez-vous avec Monica. La chaleur se faisait déjà ressentir. En effet, même si nous étions à Sao Paulo au mois d’août, ce qui correspond à l’hiver dans l’hémisphère sud, il y faisait très chaud, et ce de très bonne heure.
Le Parc d’Ibirapuera
C’est sous un regard architectural que nous visiterons la ville aujourd’hui. En effet, c’est l’été qui suivit ma première année en école d’architecture que nous sommes parties. Impossible donc de ne pas donner une saveur architecturale à ce voyage. Partons sur les traces d’Oscar Niemeyer.
En 1951, un grand businessman italien, nommé Francisco Matarazzo a engagé Niemeyer pour dessiner une série d’oeuvres architecturales afin de célébrer le quatrième centenaire de la ville de Sao Paulo, qui aurait lieu en 1954 dans le célèbre grand parc de la ville : le parc d’Ibirapuera (signifiant le Bois pourri). En effet, ce parc offrant 180 hectares d’espaces boisés, comparable au Central Park de New York ou encore Hyde Park à Londres) était à aménager à condition qu’il devienne le nouvel espace culturel de la ville. Contrairement à Le Corbusier qui construisit beaucoup sous la forme de perpétuelle bataille entre la nature et la ville, entre la nature et le produit du travail de l’homme, l’ensemble du parc d’Ibirapuera reflète quand même la vision de Niemeyer qui est comme nous avons pu le voir, l’incorporation de l’architecture au sein de la nature. On retrouvera alors dans ce parc, de grandes structures modernistes blanches entourées de verdures, de grandes pelouses verdoyantes parsemées de parterre de fleurs colorées. Mais lorsque nous nous visitions le parc, j’ai été étonnée de voir qu’il n’y avait que peu de monde, hormis quelques personnes promenant leurs chiens sur la Marquise. Monica nous a cependant confirmé que l’été, sous les très fortes chaleurs, les Paulistins venaient y chercher de l’ombre.
Le Pavillon des Arts
Petit à petit, en nous baladant, nous nous rapprochions de l’impressionnant dôme du Pavillon des arts qui a été réouvert en 2000 après d’important travaux de rénovation par l’architecte Paulo Mendes da Rocha. Ce dôme est décrit comme étant une magnifique anticipation de ce qu’est la tendance organique dans l’architecture d’aujourd’hui. L’espace sous le grand dôme de 76 mètres de diamètre sous 18 mètres de hauteur était destiné à abriter sur quatre niveaux, des expositions de sculptures. Le niveau en sous sol est ingénieusement éclairé par une série de 30 fenêtres rondes, marquant largement l’identité de l’édifice en rez-de-chaussée. Dans son livre « curves of irreverence », Styliane Philippou écrit que ici aussi, « Niemeyer has orchestrated a spectacle of a slowly unfloding catwalk, where works of art and spectators mingle under the protective white dome, which remains always present yet ever out of reach ». C’est avec ferveur que nous avons admiré cet édifice mais malheureusement que depuis l’extérieur. Cependant grâce à notre guide et aux différentes lectures que nous avons pu faire en parallèle et depuis le voyage, nous avons pu nous faire une petite idée de l’intérieur de ce dôme si intrigant.
Une large rampe en forme de fer à cheval connecte tous les niveaux entre eux en menant le visiteur au centre de chaque plateforme. Le premier étage est de forme hexagonale, tandis que le second est rectangulaire mais les deux ont tous leurs côtés de formes concaves. Leurs épaisseurs diminuent progressivement vers les bords pour donner une impression de légèreté. De plus, le fait que les angles touchent le dôme a été habillement dissimulé, donnant l’impression de déjouer les lois de la gravité en flottant dans l’espace. Les rampes, de la même épaisseur que les bords des plateformes et avec le même garde-corps lisse, favorise l’impression d’une continuité, d’une dalle de béton en apesanteur, extrudée et divisée, tournant et se retournant dans différentes directions comme si elle effectuait un voyage au travers de l’espace de la coupole.
Lorsque le dôme se remplit de visiteurs, qui sont en perpétuel mouvement, cela donne l’impression que les différents niveaux se transforment en podiums dynamiques prenant alors une position centrale au sein de l’édifice. Ce phénomène intensifie la relation entre le spectateur et les différents objets d’arts. Ce monde de l’art recréé apparaît comme utopique dès lors que le visiteur y pénètre. Niemeyer a également voulu que, depuis la plus haute plateforme, apparaisse la sensation d’infini, la sensation d’un autre monde, totalement déconnecté de la réalité.
La blancheur intense qui caractérise le dôme éclairé par la série de fenêtres rondes, comme nous avons pu le voir, donne à cet objet architectural une qualité étrange, autant intérieur que extérieur, souvent appelé le « Vaisseau spatial de l’art ».
L’ Auditorium
Approchons-nous désormais de l’étrange auditorium qui avait attiré notre attention depuis que nous étions entrées dans le parc d’Ibirapuera. Prévu pour célébrer le 450ème anniversaire de la ville en 2004, il a finalement été inauguré en 2005. L’auditorium était et restera le dernier édifice construit par Niemeyer dans cet incroyable parc. Pouvant accueillir 800 personnes assises, l’auditorium est une bien plus grande version que celui imaginé dans le plan de 1951, plus simple et plus sobre, qui lui aurait été conçu avec 200 sièges.
La pureté qui se dégage au travers du béton blanc est intensifiée par le rouge de la structure ondulante marquant l’entrée, des sortes de vagues tombant vers le sol, vers la partie évidée de la façade principale. Cet élément rougeoyant semble dialoguer avec la sculpture de l’artiste locale d’origine japonaise Tomie Ohtake dont on retrouve de nombreuses œuvres un peu partout dans la ville, notamment des interventions sur des édifices architecturaux. Tomie Ohtake est par ailleurs décédée cette année, le 12 février 2015 à l’âge de 101 ans. L’artiste a réussi à marquer les esprits brésiliens, et notamment ceux des Paulistins et des amateurs d’architecture par cette sculpture tournoyante qu’elle a donc réalisé au sein de l’auditorium, qui donne l’impression de danser avec la longue rampe rouge et blanche, elle aussi tout en courbure, dessinée par Oscar Niemeyer. Dans un interview donné au journal Le Monde en avril 2010, l’architecte natif de Rio déclare que c’est dans cette même ville qu’il puise son inspiration. «Ce n’est pas l’angle droit qui m’attire. Ni la ligne droite, inflexible, créée par l’homme, explique Niemeyer, Ce qui m’attire, c’est la courbe libre et sensuelle. La courbe que je rencontre dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses fleuves, dans les nuages du ciel, dans le corps de la femme aimée.»
Pour les plus férus d’architecture, mais même pour les simples curieux, ce bâtiment est grandiose. Ce n’est pas le fait qu’il soit impressionnant par sa taille ou son échelle qui fait sa force, mais plutôt par sa conception, la juste articulation de ces courbures rouges au sein du prisme simplement blanc dans lequel il s’inscrit.
La façade arrière, elle aussi, se donne en spectacle. Elle est le mur de derrière la scène, qui pouvant s’ouvrir, donne au public de l’auditorium une vue sur le parc et offre également la possibilité d’augmenter le nombre de spectateurs qui depuis la pelouse peuvent admirer le spectacle, chaque dimanche gratuit. La partie sous le niveau du sol contient quant à elle une loge VIP, une école de musique financée par le gouvernement et un café.
Ce parc est également une touche de nature à préserver pour ceux effrayés par l’ampleur qu’ont pris et que prennent encore de plus en plus les villes sur ces terres qui quelques siècles plutôt étaient encore vierges.
Déjà en 1926, l’auteur brésilien Mario de Andrade avait écrit un roman dont le héros portant le même nom, né dans la forêt vierge et parti en voyage à Sao Paulo, défendait les vertus de la nature contre celles du matérialisme naissant de la ville brésilienne évoluant au travers de la modernisation industrielle.
Les fonctions du parc d’Ibirapuera sont donc appréciées. Il incarne un oasis populaire au beau milieu de la mégalopole, décrit habilement dans la chanson écrite par Caetano Veloso en 1978, « Sampa » (acronyme de Sao Paulo), célèbre dans la ville, comme étant l’inverse des opprimantes favelas, l’inverse du pouvoir de l’argent, qui détruisent les belles choses.
Le COPAN
Continuons cette journée dans la ville-musée des œuvres d’Oscar Niemeyer.
Allons à la rencontre de L’Edificio COPAN, l’immeuble qui propose la plus grande surface d’habitations au monde avec une capacité de 5 000 résidents contenus dans 1 160 logements, allant de 25 à 150 mètres carrés et desservis par pas moins de vingt ascenseurs. Il est encore aujourd’hui l’édifice le plus imposant jamais érigé au Brésil. L’immeuble a été construit sur une parcelle de 11 500 mètres carrés achetée par une Compagnie d’hôtels et de tourisme (COPAN, Companhia Pan-America de Hotéis e Turismo). C’est ainsi, avec ses 140 mètres de hauteur et son design moderniste, qu’il s’est imposé dans le paysage de la ville depuis son inauguration en 1966. Le projet a été imaginé comme un nouveau centre urbain, à l’image du Rockefeller Center de New York, visant à « étendre les possibilités de vie sociale et le commerce de produits fins » selon le cabinet d’architecture d’Oscar Niemeyer. Il a été présenté comme étant une première opportunité d’investissement dans un lieu où le prix des terrains commençait à connaître une forte inflation. Les actionnaires de ce programme anticipait le nouveau paysage de ce projet comme allant être « La future Tour Eiffel ».
Dès le début de sa conception, un budget conséquent a été déployé pour bénéficier des matériaux de la plus haute qualité. Le projet a même bénéficié de la collaboration américaine, pour les questions techniques et financières.
Pour la phase de conception, Niemeyer est passé par trois propositions différentes, mais toutes incluant deux volumes: un curviligne et l’autre rectangulaire. Le gigantesque bâtiment de 32 étages aurait un plan en « S », avec au niveau de la rue un espace commercial aux usages divers, le tout juxtaposé à un plus petit immeuble cette fois-ci rectangulaire : un hôtel de 25 étages pouvant accueillir jusqu’à 3 000 clients.
Le bloc curviligne a trouvé sa forme suivant l’irrégularité de la parcelle. Il a ensuite été divisé en six unités verticales, chacune comportant des typologies de logements différents.
Chacun des deux blocs a été monté sur pilotis au niveau du rez-de-chaussé, donnant l’impression de flotter dans l’espace de la rue, liés entre eux au deuxième étage par une grande plate-forme également sur pilotis, unifiant le tout. De plus, elle permet la distinction entre les niveaux supérieurs privés, et l’espace public de la rue au niveau du rez-de-chaussée. Une multitude d’usages prennent place en dessous de cette plateforme. On y retrouve des rues commerçantes, une boîte de nuit, des zones d’activités, des restaurants, un théâtre et le hall d’accueil de l’hôtel, mais également une sorte de plage privée tout le long de la façade ondulée, le but étant de s’assurer que cet espace reste actif tout au long de la journée, tous les jours de la semaine, animé aussi bien par les habitants que par les touristes, encourageant la vie en communauté
Une première puis ensuite une seconde terrasse ont été insérées en dessous de la grande plateforme, surplombant les profondes loggias. Ces éléments sont délimités par les deux buildings contrairement aux autres éléments tels que les colonnes, les détails extérieurs du pavillon curviligne ainsi que les garde-corps qui sont mis un peu plus en retrait et de couleurs plus sombres. Ils permettent de laisser passer la lumière et donnent l’impression d’une succession de strates flottantes enroulant l’ensemble de l’édifice et liant les différents éléments formels et programmatiques ensemble tout en préservant la porosité du rez-de-chaussée.
Dans un premier temps un peu sceptiques lorsque nous sommes arrivées aux abords de ce bâtiment d’envergure, la guide a su nous expliquer l’intérêt de ce projet avant-gardiste. Jamais personne n’avait osé proposé ou même pensé un tel immeuble, un immeuble d’habitation… Et les Paulistins en sont très fiers.
Les cages d’escaliers sont extérieures et débouchent sur la plateforme, donnant lieu à un autre rapport avec la rue. Les généreux paliers sont décrits par les usagers comme étant des lieux de rencontres informelles, où les Paulistins aiment se poser au soleil ou tout simplement pour se balader sur la grande plateforme. Entre les deux gros bâtiments on peut déambuler sur une rue piétonne à ciel ouvert alors que des avenues plus étroites et couvertes se démultiplient sous le bloc résidentiel.
Le traitement extérieur des matériaux est aussi très surprenant. En effet, les arcades de la zone commerciale sont méticuleusement détaillées par un collage de vitres et de bardage en bois faisant ressortir les vitrines, ce qui contraste étrangement avec l’homogénéité de la façade de l’ensemble de l’immeuble.
Des photographes ayant suivi le projet depuis les débuts de la conception, au stade même des maquettes, expliquent que la terrasse de l’hôtel ainsi que le bloc résidentiel ont été imaginés avec un pavement noir et blanc, avec des formes similaires à celles que l’architecte a réalisé sur l’Église de Pampulha, s’écoulant au sein et en dehors de la zone des pilotis. Nous avons appris aussi, au cours de cette visite que sous le bloc résidentiel devait se situer un volume à la forme libre répondant au restaurant situé de l’autre coté et faisant le lien entre les deux niveaux. Aucun de ces projets programmatique et non-programmatique faisant le dialogue entre deux espaces n’a été retenu.
Cependant les arcades situées au niveau de la rue ont, elles, été réalisées, inscrivant le centre commercial aux besoins bien plus importants, dans un centre-ville très populaire jusqu’à la fin des années 1970, où la vie nocturne a commencé à se déplacer dans les quartiers plus sûres. Mais aujourd’hui, la tendance serait de retourner petit à petit vers le centre de Sao Paulo, et notamment au sein du COPAN building.
Il semble aussi important de remettre ce bâtiment dans son contexte. En effet, selon l’écrivain et l’un des fondateurs du modernisme brésilien, Oswald de Andrade, (né à Sao Paulo en 1890 et mort dans la même ville en 1954), il semble que durant la révolution constitutionnelle de 1932 à Sao Paulo contre le régime de Vargas qui mit fin à la vieille République en renversant son dernier président, il y eut un immense mouvement de solidarité lorsque la révolte a échoué. Les généreuses donations des Paulistins ont permis de financer un immeuble de 22 étages, dessiné par Ramos de Azevedo. Le soutien « Gold for Sao Paulo » a notamment eu lieu suite à la guerre civile.
Claude Lévi-Strauss a également rapporté qu’en 1935 déjà, les habitants de Sao Paulo aimaient vanter que leur ville s’étendait à la vitesse d’un logement par heure.
En 1947, L’Edificio Sede do Banaspa de 36 étages érigé par Plinio Botelho do Amaral et Franz Heep, s’élevait à 160 mètres à l’image de l’Empire State Building. Jusqu’en 1962, il était le plus haut bâtiment en béton armé du monde. En 1950, Sao Paulo contenait 47 % des industries nationales, jusqu’à 54 % en 1960. Ainsi, la ville employait la moitié des travailleurs industriels.
En 1953, Sao Paulo est devenue une métropole, avec 2,7 millions d’habitants surchargeant ses capacités. C’est dans les années 1950 que la ville a vu naître plus de 21 600 nouvelles constructions. C’est à la même période qu’Oscar Niemeyer a été appelé pour la conception du COPAN.
L’ Hôtel Unique
Nous allons désormais faire un saut dans le temps et aller admirer l’étonnante architecture de l’Hotel Unique conçu par Othake et inauguré en 2003. Ruy Othake est le fils de l’artiste peintre et sculptrice Tomie Othake, naturalisée Brésilienne, dont les œuvres sillonnent la ville de Sao Paulo. Ruy quant à lui, diplômé de l’école d’architecture de Sao Paulo, est connu pour ses conceptions architecturales inhabituelles, dont l’hôtel Unique est un bel exemple.
C’est en effet une expérience étonnante que nous avons vécue en parcourant cet hôtel. Sa forme hors du commun est surprenante. La ville avait pourtant créé un zonage dans la zone d’habitation dans lequel il se situe en interdisant les constructions de plus de 25 mètres de hauteur afin d’éviter les intrus architecturaux en quête d’attention. Mais même si l’Hotel Unique ne dépasse pas les 25 mètres, cela semble être un échec, puisqu’il capte bel et bien toutes les attentions. Notre guide nous a expliqué que Ruy Othake avait trouvé l’inspiration de la forme de ce bâtiment en mangeant, une tranche de pastèque. Il avait ainsi trouvé l’idée première qui allait le suivre pendant toute la face de conception.
En effet le bâtiment de 100 mètres de long laisse place à de nombreuses interprétations. Alors que certains y voient bel et bien une tranche de fruit, d’autres un navire ou encore une arche. Dans tous les cas la construction ne laisse pas transparaître qu’il s’agit d’un hôtel.
En réalité, la parcelle était destinée à accueillir un centre commercial jusqu’à ce qu’un riche pharmacien, Jonas Siaulys, deviennent le propriétaire de la parcelle et décide d’en faire un hôtel. Il choisit donc Ruy Othake pour sa conception, et l’anecdote raconte qu’il était tellement enthousiaste qu’il proposa à son client plusieurs croquis en moins de 48 heures, saisissant rapidement l’opportunité d’offrir à sa ville un nouveau paysage plus spectaculaire. Jusqu’à présent, il avait manqué quelque chose à Sao Paulo pour rivaliser avec les étranges hôtels de Los Angeles, Miami ou encore New York. Cette décision de Siaulys était donc une belle opportunité pour l’architecte Brésilien, le deuxième plus connu après Niemeyer. Siaulys dans un interview déclare même «Je pense qu’il a réalisé que les possibilités pour un hôtel étaient plus importantes que pour un centre commercial, et il savait qu’on lui donnerait beaucoup de liberté créative».
Ohtake avait déjà réalisé une partie d’un hôtel de la Renaissance à Sao Paulo, mais la proposition qu’on lui fait avec l’Hôtel Unique lui permet d’aller plus loin dans ses principes architecturaux. Notre guide a pu nous parler des concepts de cet hôtel qu’elle connaît si bien et apprécie tant. Elle nous expliqua que l’idée était de combiner une architecture monumentale avec un design plus fantasque et un luxe assez informel. Dans le livre 21st Century Hotel, l’auteur Graham Vickers explique que selon le département d’urbanisme de la ville, l’Hôtel Unique « était d’abord et avant toute chose un beau geste architectural d’Ohtake ». Selon Heloisa Proença, membre du département, « L’Unique est un hôtel par accident, plus que tout, il est un édifice de Ruy ».
Maintenant, ouvrez-grand vos yeux et laissez-vous guider. Lorsque que nous sommes arrivées sur les lieux, nous avons été tout de suite remarqué l’échelle de cette arche inversée soutenue par deux immenses voiles de béton. L’accès au hall de l’hôtel se fait au travers d’une immense porte de 8 mètres de haut qui semblait au toucher être en carbone ou un matériaux proche. Cet accès monumental se situe dans un recoin vide sur la droite du parvis alors que l’accès à la grande salle de conférence se fait sur la gauche, en parfaite symétrie de la première. Ces deux espaces se terminent en épousant la forme convexe de l’arche.
Le revêtement de cuivre de la façade est également caractéristique de l’édifice. On nous a par ailleurs expliqué qu’il avait été oxydé afin d’obtenir ses nuances verdoyantes. La façade est percée de 70 fenêtres circulaires de 1 mètres 80 de diamètre, accentuant la forme du navire et son côté décoratif.
Au rez-de-chaussée, nous avons donc accès au hall d’accueil et au bar en bois surplombé par une bibliothèque majestueuse. Le hall d’entrée est surplombé par un atrium, débouchant sur un bassin d’eau situé dans le restaurant au dernier étage de l’hôtel. Le designer Joao Armentano que nous ne connaissions pas a largement contribué à la beauté de cet espace, incluant un mobilier atypique, finement conçu et réalisé. On nous a d’ailleurs raconté qu’il y a avait eu quelques tensions entre Ruy Ohtake et Jonas Siaulys quant au choix du designer. Armentano est un designer brésilien qui travaille pour des agences de publicités très tendances, ou encore pour le design intérieur de maisons pour des célébrités ou personnes très riches. Mais Armentano a prouvé qu’Ohtake avait fait un bon choix en le retenant pour la design intérieur de l’Hôtel. Nous n’avons malheureusement pas pu visiter l’intérieur des chambres mais nous avons pu voir par la suite quelques photos, montrant que, dans tous les cas, les chambres latérales pouvaient difficilement éviter d’être soumises au projet de l’architecte. En effet, elles sont contraintes par la forme externe de l’arc, provoquant dans certains cas la courbure du sol, rattrapant le mur en toute transparence et donnant la sensation d’infini.
Toujours dans le livre 21st Century Hotel de Graham Vickers, on peut lire qu’en général «avec ses prédominances de tons blancs et naturels, l’intérieur conçu par Armentano semble plus sobre que l’architecture d’Ohtake ». Nous avons eu la chance de pouvoir emprunter l’ascenseur panoramique qui permet d’accéder directement au dernier étage, où se situe le restaurant, le bar à vin et la piscine. Nous n’en avions jamais vu une de la sorte. Le rouge de la faïence la tapisse d’une couleur peu commune. Etant située sur la terrasse du bar à vin, l’idée était de provoquer la sensation de se baigner dans du vin. Rien que d’y tremper les pieds était une expérience, même si nous aurions adoré nous y baigner.
Le spectacle depuis cette terrasse continuait, puisque nous pouvions bénéficier d’une vue panoramique, à 360°, sur l’ensemble de la ville. C’est aussi à ce moment que nous nous sommes rendues compte que la ville n’avait aucune limite, elle s’étendait bel et bien à perte de vue. Depuis tout là-haut nous avons pu localiser les différents endroits où nous étions allées puisque qu’il n’y avait aucun autre bâtiment qui nous obstruait la vue, étant donné que l’Hôtel Unique se situe au beau milieu d’un quartier résidentiel, d’ailleurs pas si loin du Parc d’Ibirapuera. Nous avons gardé un beau souvenir de la visite de ce lieu, si Unique…
Sa forme donne un sentiment de monumentalité urbaine au bâtiment, une version bien plus élégante, selon moi, des édifices en béton brute que l’on retrouve le long des autoroutes, sur les parkings à étages ou encore sur les bâtiments industriels qui se multiplient un peu partout dans le monde.
L’Hôtel Unique, unique en son genre grâce à sa géométrie mais surtout parce que les architectes ne se risquent que rarement, sinon jamais à de tel challenge, excepté à des fins purement polémiques.
ET EN PÉRIPHÉRIE….
Notre séjour à Sao Paulo touche à sa fin mais il nous reste encore beaucoup de choses à voir. En route pour aller visiter le deuxième stade du Brésil, le stade de Morumbi. Etant éloigné du centre ville, nous y sommes allées en voiture. En quittant la ville nous sommes passées par le quartier des affaires, des hauts immeubles, le quartier des tours.
Le Pont Octavio Frias de Oliveira
Puis nous avons emprunté le Pont Octavio Frias de Oliveira, de 1,6 kilomètres de long. C’est un pont à haubans passant au dessus de la rivière Pinheiros. Le support des haubans, de 138 mètres de hauteur, est en forme de « X ». A sa base, au niveau du tablier, il mesure 76 mètres de large, puis il se ressert en hauteur avec ses 35,4 mètres. Ce pont est le seul pont au monde, comportant deux routes qui se croisent, supportées par seulement un seul mât en béton. La première route, à 24 mètres de hauteur surplombe la seconde, à 12 mètres. Ce pont se démarque de part sa monumentalité mais aussi son fonctionnement structurel.
Le stade de Morumbi
Après l’avoir traversé, nous sommes directement arrivées dans une zone résidentielle, différente de celle du centre ville. C’est le quartier chic de Morumbi. Ici, cela ressemblait étrangement aux zones pavillonnaires américaines où chaque maison, pour la plupart en briques, se situe au milieu de sa parcelle verdoyante, séparée de celle du voisin par quelques arbres. Nous arpentons ce quartier, doucement, avant de le quitter et de nous diriger sur la route qui nous mènera au stade. C’est une route sinueuse, très arborée que nous empruntons. Rapidement nous sommes arrivées aux abords du stade. Notre guide semble avoir l’habitude de venir ici, puisque nous avons pu y rentrer sans aucune difficulté.
Le stade de Morumbi, a été construit par João Batista Vilanova Artigas en 1960. L’architecte, né en 1915 et mort en 1985, était l’un des plus importants du mouvement moderniste brésilien. A ses débuts influencé par le maître Frank Lloyd Wright, il a ensuite été adepte du style international avant de virer vers des influences plus brutalistes. Artigas a également été l’une des grandes figures de l’Ecole Paulistaine dans les années 50, largement caractérisée par les imposantes structures en béton armé.
Le stade de Morumbi est devenu le siège officiel du club de foot de Sao Paulo. On y trouve d’ailleurs à l’intérieur un grand magasin ne vendant que des produits à l’effigie du club. Ce stade de 103 000 m² à ciel ouvert, a un air assez majestueux puisque les tribunes sont colorées de 80 000 sièges d’un rouge vif. Tout d’abord inauguré avec 70 000 places, sa capacité officielle fut portée à 120 000 places jusqu’au début des années 90. On nous a expliqué sur place que, pour des raisons de sécurité, sa capacité maximum a ensuite été réduite. Mais aujourd’hui il reste le deuxième stade du Brésil, derrière le Maracana de Rio. Il a été rénové à deux reprises, notamment par des travaux structurels, d’abord en 1994 puis en 2000.
Mais la construction de ce stade ne s’est pas faite de manière évidente puisque en 1944, la ville de Sao Paulo avait acheté des terres mais elles n’étaient utilisées que comme siège principal du club ou pour les entrainements puisque la zone était trop petite pour ériger un grand stade. De ce fait, des recherches ont été menées afin de trouver un nouvel endroit, plus grand, au sein de la ville. Quelques années plus tard, le président de l’équipe de San Paulo a demandé au maire de la ville si il était possible de leur céder une zone tout près du quartier d’Ibirapuera. Le maire, refusant cette proposition a cependant donné la possibilité au club d’acquérir un grand terrain à bâtir dans le quartier de Morumbi. Un an plus tard, c’est un chantier titanesque qui commença. En effet, le comité supervisant les travaux voulait construire le plus grand stade privé au monde.
Dans les couloirs du stade, quelques chiffres que nous avions notés tapissaient les murs : 5 mois de creusement – 340 m³ de terres ont été récupérés – le volume de béton utilisé était équivalent à celui nécessaire pour construire 83 immeubles de 10 étages – 280 millions de sacs de ciment ont été nécessaires (pour visualiser, si ils avaient été tous placés les uns à côté des autres, ils auraient pu couvrir la distance entre Sao Paulo et Rio de Janeiro) – 50 000 tonnes de fer ont été utilisés ( imagé par le fait de pouvoir faire deux fois et demi le tour de la Terre). Même si nous n’étions pas des amatrices de football, la visite de ce stade fût enrichissante, et surtout surprenante à la découverte de ces quelques chiffres.
Nous quittons alors le quartier de Morumbi pour rejoindre le centre ville de Sao Paulo, où nous allons passer notre dernière soirée. N’ayant pas emprunté la même route qu’à l’aller, il nous a fallu que très peu de temps pour passer du quartier chic de Morumbi à celui bien plus informel de Paraisopolis. Le contraste a été violent. Nous avons pu apercevoir de là où nous étions les entrelacs de ruelles étroites, où des milliers de d’habitations précaires étaient entassées. Monica, notre guide nous a dit qu’ici vivaient environ 100 000 personnes, ce qui fait de Paraisopolis l’une des plus importantes favelas de la mégalopole brésilienne.
Le Mémorial de l’Amérique Latine
Pour notre dernière soirée, on nous propose de finir sur une petite note de Niemeyer. Nous ne pouvions imaginer la soirée que nous nous apprêtions à passer. Direction le quartier de Barra Funda où est situé le Mémorial d’Amérique Latine inauguré par le maître en 1989. Le mémorial est situé au nord-ouest de la ville dans un quartier industriel, où le trafic est très dense, comportant également de nombreuses lignes de bus et trains. Nous avons même vu plus tard qu’une ligne de bus passait au milieu du site, divisant le complexe en deux parties, re-connectées entre elle par une passerelle piétonne.
Arrivées sur place, l’endroit grouillait de monde. Nous nous sommes retrouvées parmi des milliers de Boliviens, Argentins, Chiliens, Uruguayens, Péruviens… venus se rassembler à Sao Paulo pour célébrer ensemble l’Amérique Latine. Tous étaient vêtus de costumes typiques à leur culture, dansant sur le parvis du mémorial, jouant de la musique, proposant des mets locaux. Ils avaient fait le déplacement, toutes générations confondues, pour célébrer ensemble leurs traditions, dans une nuit semblant partie pour être une nuit d’excès…
C’est donc dans une ambiance festive que nous avons découvert le Memorial da l’América Latina. Niemeyer s’est associé avec l’ingénieur José Carlos Süssekind pour la conception de cet édifice. Ce complexe a été souhaité par le gouverneur de Sao Paulo, Orestes Quércia et l’anthropologue, Darcy Ribiero à qui ce projet culturel tenait à coeur.
L’ emblème du Mémorial
Lorsque nous sommes arrivées, nous nous sommes tout de suite dirigées vers la sculpture de 7 mètres de haut, en forme de main. Cette main ouverte «représente l’Amérique Latine exploitée et oppressée» et résume «la nature politique du centre culturel, qui était plus importante pour moi que son architecture» déclare Oscar Niemeyer. Il ajoute également que la main a «ses doigts légèrement pliés pour laisser transparaitre le sentiment de désespoir». Il rappelle aussi le livre d’Edouardo Galeano, Open Veins of America Latina (1971), en ajoutant à sa sculpture une blessure de la forme de l’Amérique Latine, avec «un filet de sang s’écoulant jusqu’au poignet». Cette sculpture s’avère être un emblème pour ce continent colonisé si brutalement.
Mis à l’écart de la ville, le Mémorial est en quelque sorte une île culturelle qui prend vie durant les festivals, les expositions, les concerts ayant lieu régulièrement ou pendant les fêtes typiques comme celle que nous étions entrain de le vivre.
Le pavillon d’entrée et la librairie
Les deux premiers édifices que l’on rencontre sont formellement liés, composés de quelques éléments préfabriqués comme les énormes toitures voûtées en béton. Structurellement on retrouve des poutres de 60 mètres de long pour soutenir le pavillon d’entrée, et des poutres de 90 mètres de long pour la librairie. Ces poutres se poursuivent au-delà des voûtes, ancrées sur des piliers verticaux que certains qualifient comme étant une «élévation majestueuse, comme les clochers des églises baroques». Ce rapprochement religieux trouve un écho avec le pavillon d’entrée, officiellement décrit comme une «cathédrale laïque».
A l’intérieur du mémorial, on retrouve de nombreuses interventions d’artistes, comme l’oeuvre murale de Candido Portinari en honneur aux Brésiliens qui se sont sacrifiés pour l’Amérique Latine. On peut également trouver des bas-reliefs de l’artiste argentin Hector Julio Parid Bernabo, ou encore des oeuvres de Napoleon Potyguara Lazzaroto qui quant à lui célèbre la diversité culturelle et ethnique du continent sud-américain. Les deux piliers qui encadrent le pavillon d’entrée s’élèvent au dessus de deux grands bassins d’eau situés de chaque côté du chemin menant à l’entrée du bâtiment.
L’édifice de la librairie quant à lui est formellement défini par sa poutre centrale, qui supporte deux voûtes plombantes du côté de la place et une plus longue à l’arrière. La forme extérieure de la librairie Victor Civita reflète son organisation intérieure, notamment ses open-spaces : la zone de lecture se situe sous la voûte arrière de l’édifice alors qu’un auditorium une salle d’audio-visuelle se trouvent sous les deux plus petites voûtes. On retrouve également une partie voûtée en verre, plus basse, située entre les deux de la façade principale, correspondant à l’entrée, débouchant sur la circulation centrale. Il paraît que c’est le seul endroit bien éclairé de ce bâtiment.
Le parlement de l’Amérique Latine …
Au centre de la place on retrouve le parlement d’Amérique Latine, qui a été ajouté à l’ensemble trois ans après l’inauguration du site. La chambre de l’assemblée comportant 414 sièges pour les délégués, 70 pour la presse et 65 pour le public, est située au premier niveau de cet édifice circulaire en béton de cinq étages. Une coupole y est suspendue, soutenue par six poutres, en saillie au dessus de la toiture de l’édifice. Entièrement recouverte par des diffuseurs de lumières en bandes, la coupole rappelle celle de l’auditorium du parti communiste français à Paris. On retrouve également dans ce bâtiment les bureaux de l’administration, une salle du comité et bien d’autres pièces qui sont toutes situées dans la périphérie des deuxième, troisième et quatrième étages. Le bâtiment est entièrement recouvert d’une peau en vitres teintées noires qui est atténuée par la grande rampe banche qui s’élève depuis le rez-de-chaussé jusqu’au dernier étage, ainsi que par la sorte de canopé blanche marquant l’entrée. Sur les lieux, notre guide nous avait dit que les Paulistins trouvaient surprenant que Niemeyer n’ait pas proposé un plan plus élaboré, étant donné ce que représente ce parlement. Il est souvent jugé comme banal et discret.
… et l’ auditorium
Pour terminer, nous allons aller du côté du bâtiment le plus important du complexe : l’Auditorium Simon Bolivar, le plus souvent utilisé pour des spectacles, congrès, ou même pour recevoir des représentants d’Etat, est bien plus impressionnant que le parlement. Il est une nouvelle version des toitures voûtées (une enfilade de trois toitures parallèles), supportées par des poutres. Niemeyer qualifiait d’ailleurs ce type d’architecture comme «une architecture réduite à deux ou trois éléments; claire, simple et différente». Dans le contexte socio-politique dans lequel s’inscrit le mémorial, ce bâtiment tient une position centrale puisqu’il représente la venue de personnes de n’importe quelles classes sociales, aux différentes fonctions. J’ai également pu lire qu’Alvar Aalto considérait cela comme étant «the ideal form of human association, an open voluntary encounter of independent individuals ».
Les trois parties de l’auditorium s’inscrivent dans une forme ressemblant à celle d’un papillon, perpendiculaire à la place centrale du mémorial. On y retrouve un hall monumental central desservant deux auditoriums de chaque coté, dans chaque «aile du papillon ». Dans sa conception, Oscar Niemeyer a offert la possibilité d’unifier les deux auditoriums afin de n’en former qu’un, de 1 600 places, s’articulant autour de la grande scène de 3000 m².
Le hall d’entrée de ce bâtiment est situé sous la toiture voutée la plus basse. A l’intérieur, il est surplombé par un grand balcon en béton qui ressemble à un vaisseau flottant au beau milieu de l’espace, permettant d’observer la foule. On y retrouve de chaque côté deux escaliers en spirale, semblant se dérouler comme un ruban, ainsi qu’une longue rampe attirant les spectateurs vers l’auditorium.
Nous n’avons malheureusement pas eu le temps d’apprécier l’ensemble des édifices du site mais nous avons quand même pu bénéficier de larges explications concernant la majorité d’entre-eux. Le centre brésilien des études latino-américaines ainsi que le pavillon de la créativité sont par exemple, la nuit tombant, des bâtiments que nous n’avions pas pu bien voir. Ils sont situés dans la partie nord du mémorial.
Par ailleurs l’auteur David Underwood a surligné dans un de ses livres la nature politique de ce projet, finalement étroitement lié aux ambitions politiques d’Orestes Quércia qui aspirait à l’époque à la présidence du Brésil, en commissionnant Niemeyer pour ce projet, dans le but de se porter lui-même en digne héritier du président Kubitschek. L’anthropologue Ribiero, soutenant les ambitions politiques de Quercia, a suggéré au gouverneur, avec le Mémorial de l’Amérique Latine, de suivre les traces de l’ancien président brésilien qui a « révolutionné l’architecture brésilienne des années 40 », en choisissant Niemeyer pour la construction de l’Église Pampulha. Qui aurait cru que ce lieu si festif, était le résultat d’une stratégie politique…
« Adeus Sampa » !
Notre séjour à Sao Paulo est terminé. Cette première étape fut rythmée par de nombreuses visites toutes plus enrichissantes les unes que les autres. Sao Paulo est une ville réservant à ses visiteurs de jolies surprises, comme ces vieilles maisons en torchis qui subsistent au plein coeur de la ville. Bien entendu émerveillées par tout ce que nous avons pu voir et consciente de l’impact qu’a eu l’architecture de Niemeyer sur le développement social, culturel, économique de la ville et du pays tout entier, nous avons cependant été impressionnées par la place que prennent les favelas dans le paysage de la ville. Il est terrible de voir la vitesse avec lesquels ces endroits se développent, ces villes qui se construisent en parallèle d’un autre monde, repère de la pauvreté. Il y a même aujourd’hui des excursions qui sont proposées au sein des favelas.
Comment limiter le développement de ces réels territoires ? Est-ce utopique que de vouloir même en stopper leur croissance ? Je ne l’espère pas, mais quel chemin sommes nous en train de prendre… Oui, notre séjour à Sao Paulo est terminé mais notre voyage au Brésil ne fait que commencer. Envolons-nous maintenant vers les Chutes d’Iguazù où la nature nous prépare elle aussi un grand spectacle.
Claire Playe
Voyage réalisé du 1 au 12 Août 2013
Bibliographie
21st century hotel, Graham Vickers, Editions Laurence King, 2005
Curves of irreverence, Styliane Philippou,Yale University Press, 2008
http://www.lemonde.fr/voyage/article/2008/01/01/sur-la-piste-d-rsquo-oscar-niemeyer-l-rsquo-architecte-de-rio_1339532_3546.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Oswald_de_Andrade
http://www.rio2016.com/fr/sao-paulo/stade-de-sao-paulo
https://fr.wikipedia.org/wiki/João_Batista_Vilanova_Artigas
http://www.letemps.ch/sciences/2014/05/08/repenser-architecture-une-favela