Liège, entre histoire et patrimoine industriel.

Mon énième voyage en Belgique, cette fois-ci accompagné de deux acolytes, commence par Ypres pour finir à Liège – Cité des Princes Évêques.

Liège, c’est en quelque sorte la belle cité Nantaise de la Wallonie. En tout cas c’est le regard que je porte sur elle. Elles font la même taille, sont traversées par un fleuve, sont très animées et surtout en pleine mutation.

L’histoire faste de Liège est malheureusement bien méconnue de la plupart des Belges et ne parlons pas des autres, quand bien même ils arriveraient à positionner Liège sur une carte.

Vue sur Liège en haut de la Montagne de Bueren

Vue sur Liège en haut de la Montagne de Bueren

La cité Ardente fut, il y a maintenant bien des siècles de ça, la ville à la tête d’une principauté qui dominait une partie de l’Europe de l’ouest et qui s’acheva en 1789 par la révolution liégeoise. C’est aussi la ville où serait né Charlemagne, personnage mythique de la dynastie carolingienne. Avouons-le il n’en reste pas grand chose, à part une statue.

Mais plusieurs siècles après cette suprématie liégeoise, la ville redevient une place importante de l’Europe de l’ouest (et même du monde) au moment de l’industrialisation et de l’intensification de l’activité minière. Au milieu du XIXeme siècle, Liège est le berceau de l’industrie sidérurgique et minière de Belgique et d’Europe. C’est ainsi que la région de Liège devient la citadelle du libéralisme radical et la première ville d’Europe continentale à entrer dans la révolution industrielle. En 1850, le complexe sidérurgique et de construction métallique situé à Seraing, en banlieue de Liège, devient le plus grand et important du monde. La Belgique devient alors la deuxième puissance économique mondiale, derrière la Grande-Bretagne.

De nombreuses vagues d’immigration se succèdent (Italiens, Polonais, Maghrébins, Albanais) afin de pouvoir alimenter la ville et la région en main d’oeuvre. Ainsi, encore aujourd’hui, on trouve de nombreuses communautés importantes dans la région liégeoise. La communauté italienne est probablement une des plus importantes.

Mais Liège n’est pas seulement une ville ouvrière, c’est aussi une ville culturelle, où le patrimoine est omniprésent. La ville était le centre de l’art Mosan, et ses écoles étaient connues à travers toute l’Europe aux X, XI et XIIème siècles. Liège était un centre culturel majeur, comme elle l’est encore aujourd’hui dans d’autres mesures. En 1905, pour fêter le 75eme anniversaire de la Belgique (pays créé en 1830), Liège accueille l’Exposition Universelle. En 1930, la ville organise l’Exposition Internationale de la Grande Industrie des Sciences et des Applications sur le site actuel du quartier de Droixhe.

De nos jours, la Cité Ardente regorge d’évènements musicaux, sportifs tout au long de l’année. Les musées participent aussi à préserver le patrimoine culturel et bâti de cette vieille ville, chargée d’histoire.

Place du Musée de la Wallonie, rue Féronstrée.

Place du Musée de la Wallonie, rue Féronstrée.

Le patrimoine religieux est aussi fortement présent avec bon nombre de collégiales et églises. Le passé industriel est omniprésent sur les bords de Meuse et lorsque l’on s’écarte un temps soit peu du centre-ville.

L'église Sainte Immaculée de la Conception, rue Féronstrée.

L’église Sainte Immaculée de la Conception, rue Féronstrée.

Nous pourrions écrire un roman sur l’histoire liégeoise et les musées qui en découlent. Mais intéressons-nous plutôt à la nouvelle gare des Guillemins, la cathédrale de verre comme on l’appelle dans la région.

La gare des Guillemins, nouvel emblême de la ville.

La nouvelle gare des Guillemins, oeuvre de Santiago Calatrava.

La nouvelle gare des Guillemins, oeuvre de Santiago Calatrava.

La nouvelle gare des Guillemins a été erigée sur le site de l’ancienne, dans le quartier des Guillemins, à l’Ouest de la ville sur la rive gauche. L’architecte en chef du projet était le célèbre Espagnol Santiago Calatrava. Ce projet a été un des plus importants depuis une trentaine d’années pour la ville. La gare des Guillemins est la gare la plus importante de Liège (elles sont au nombre de trois avec Gare-Palais et Gare Jonfosse) et la plus importante de Wallonie avec 32000 voyageurs/jour. Elle regroupe en son antre des lignes venant des Pays-Bas, de France et d’Allemagne.

C’est en fait un pôle d’échange majeur pour la Wallonie et la Belgique. Il fallait donc que cette gare soit à la hauteur de sa fréquentation et de l’image qu’elle doit donner de la Belgique (un beau pays, ouvert sur l’extérieur). C’est pourquoi un concours a été lancé en 1996 auprès de 12 candidats internationaux afin de reconstruire une nouvelle gare qui deviendrait un symbole pour la ville. Santiago Calatrava gagna le concours, fort de son expérience en la matière puisqu’il avait déjà conçu plusieurs gares et non des moindres (la gare de Lisbonne ou encore celle de Lyon Saint-Exupéry).

Toujours est-il qu’il fallait trouver un symbole fort, créer une architecture forte qui mettrait la ville en avant et serait le point de départ de la mutation du quartier des Guillemins qui, il faut bien le dire, n’est pas le plus bel endroit de la région… Faisons un peu d’histoire pour comprendre l’intérêt d’un tel projet.

En 1842 la première gare des Guillemins voit le jour sur le site de l’ancien couvent des Guillemites. Elle n’est alors qu’une simple construction de bois. Mais elle va vite se développer avec l’ouverture de la première liaison ferroviaire internationnale du monde entre Liège, Aix-la-chapelle et Cologne. En 1884, la décision d’agrandir la gare et de l’améliorer est prise et l’architecte Lambeau (plusieurs gares à son actif) s’en charge. Il s’inspire pour ce faire de la verrière de la gare de l’est à Paris.

En 1905, l’année de l’Exposition Universelle, la gare est agrandie et des quais sont ajoutés. Une cinquantaine d’années plus tard la gare est reconstruite, pour donner une image plus moderne de la ville et du pays. L’architecte va s’inspirer de la célèbre gare Termini à Rome de Pier Luigi Nervi, sans grand succès… puisque quarante ans plus tard le concours pour une nouvelle gare est lancé.

Et Santiago Calatrava sera désigné lauréat du concours. Plus qu’une gare, le projet s’inscrit dans le projet de renouvellement total du quartier des Guillemins, qui comprend, en plus un aménagement urbain de grande envergure sur l’esplanade devant la gare, la destruction des anciens bâtiments des finances de la province de Liège (pour reconstruire une tour de 118m de haut) ainsi que la réfection de nombreux bâtiments du quartier.

La tour Paradis en arrière-plan est visible depuis tout le quartier.

La tour Paradis en arrière-plan est visible depuis tout le quartier.

A ce jour, la quasi totalité de ce grand projet a été livré. La nouvelle gare des Guillemins a ouvert le 18 septembre 2009, l’esplanade était encore en travaux et le projet du chantier de la Tour Paradis (tour des finances portant un nom assez provocateur) pas encore commencé. La gare se veut être acteur à trois niveaux : acteur central de la mobilité – acteur central du développement durable – acteur central de la vie urbaine. Elle a surtout été le catalyseur d’un développement socio-économique mais aussi culturel dans le quartier.

Son architecture que nous évoquerons donne lieu à un ballet permanent de photographes venant la photographier sous tous les points de vue. C’est le monument liégeois le plus photographié. Il est vrai que lorsqu’on arrive devant, c’est impressionant. Je dois bien dire que je n’ai jamais vu telle gare de mes propres yeux… Cette carapace de verre et d’acier qui semble si légère et qui s’élève à une hauteur impressionante au dessus des voies laisse sans voix.

Sur la partie haute de la gare, au dessus des quais.

Sur la partie haute de la gare, au dessus des quais.

D’abord on essaye de comprendre comment cela fonctionne, avec les poteaux qui retombent, les arcs qui s’apparentent aux arcs-boutants gothiques et puis au bout de 10 minutes quand on a toujours pas compris on abandonne et on ne se concentre que sur une chose : la contempler, comme on contemplerait une cathédrale. D’ailleurs on ne parle pas, on regarde seulement. Cela s’oppose tellement au regard plus que douteux que je peux porter sur la nouvelle tour des finances, faite par le bureau d’architectes Greisch abritant plus de 1100 fonctionnaires sur 118m de hauteur avec, on l’imagine, un très beau bureau en acajou pour le chef de service du dernier étage.

C’est dans ce silence de cathédrale, perturbé par l’arrivée et le départ incessant des trains que je regarde ce qu’on pourrait apparenter à des nefs correspondant aux bandes de circulations menant de la plateforme haute aux quais. Le blanc immaculé si cher à Calatrava resplendit sous le soleil liégeois et la canopée de verre laisse passer une lumière cristalline.

Au niveau des quais, l’architecte a voulu la sobriété la plus totale, en les dépouillant au maximum. Les quais se situent à environ 4 mètres au dessus du niveau de l’esplanade. On y accède par un grand emmarchement qui, une fois gravi, permet de mieux voir l’objet architectural.

Revenons aux quais, ils sont l’exemple parfait d’un objet architectural pensé dans un but esthétique et non fonctionnel. Dans sa quête du dépouillement visant à magnifier l’infrastructure, Santiago Calatrava a refusé d’installer des poubelles et des bancs lors de la construction du bâtiment… ce qui peut être gênant. Du coup il a été contraint de placer quelques bancs, qui doivent être au nombre d’une dizaine (si on arrive à les trouver) sur les quais. Mais les poubelles ont essuyé un refus catégorique de l’architecte. La municipalité a donc positionné ses poubelles, d’une extrême dissonance avec l’édifice afin de contenter les voyageurs voulant y jeter leurs paquets de gâteaux.

Vue sur les quais, la gare s'ouvre sur l'esplanade.

Vue sur les quais, la gare s’ouvre sur l’esplanade.

En dessous de quais on peut retrouver ce qui s’apparente à un petit centre commercial qui s’ouvre sur l’esplanade. Tous les magasins que l’on retrouve généralement dans une gare sont présents mais là ils sont « cachés », ne perturbent pas la vision que l’on peut avoir de la gare.

L’esplanade des Guillemins s’est achevée il y a environ un an et demi. C’est une place essentiellement minérale, avec quelques buissons et des jeux d’eaux assez élégants. Le parvis de la gare n’est donc pas dissocié du quartier, puisqu’il devient place. Cette place est d’ailleurs devenue une centralité urbaine pour le quartier puisque bon nombre d’évènements s’y déroulent, ce qui est d’ailleurs très agréable quand on attend son train… Recouverte de dalles grises plus ou moins foncées, elle contraste avec la couleur blanche de la gare sans s’y opposer. Le tout formant un ensemble que je qualifierais de réussi. Cet ensemble a déjà servi plusieurs reprises de décor de films et de lieu d’exposition. Plus qu’une gare, les Guillemins sont devenus un lieu culturel.

Cet édifice est sans aucun doute une partie du patrimoine de demain. Si le regard universellement bienveillant des gens envers un bâtiment est un des attributs d’une belle architecture, alors nul doute que cette gare en est une, et le restera.

Droixhe, un quartier en pleine mutation.

Sur le côté gauche de l’autoroute qui nous emmène à Liège on voit le quartier de Droixhe, méconnaissable. Pourquoi ? Au début je n’en sais rien, je n’étais pas au courant qu’un projet étant en cours sur ce quartier. C’était étrange, je n’arrive pas à reconnaître un endroit qui m’était pourtant bien familier, puisque j’y passais souvent lors de mes séjours en pays liégeois. Cela a attiré ma curiosité au point de m’y intéresser.

Le quartier de Droixhe à Liège est tristement connu comme étant un des endroits les plus malfamés de Liège, parfois surnommé le « ghetto ». Cette image négative est accentuée par la médiatisation qui s’articule autour et les déclarations politiques qui comparent cet espace aux banlieues françaises des années 1960 dans le but de statuer que l’architecture serait le responsable de tous les maux.

Maquette du projet pour le quartier de Droixhe.

Maquette du projet pour le quartier de Droixhe, début des années 1950.

Droixhe est un quartier sur la rive droite de la Meuse bordant l’autoroute et au pied du grand marché de Droixhe qui s’apparente à un micro-Rungis, et qui pour Liège est une place commerciale forte.

Le quartier de Droixhe est en pleine mutation. Les projets de rénovation, puis de démolition et de reconstruction se sont enchaînés sans jamais voir le jour. Jusqu’en 2003 où les premiers travaux de rénovations ont eu lieu. L’ensemble de Droixhe a été imaginé au début des années 1950. La ville avec l’appui de la Maison Liégeoise souhaite construire un nouveau quartier, digne des plus beaux, pour y abriter des logements sociaux. Un concours est lancé et le groupe d’architectes E.G.A.U sort lauréat. Les travaux débutent en 1954 et s’achèveront en 1979. Durant 25 ans sont érigés les tours de béton modernistes – respectant scrupuleusement la charte d’Athènes édités par les maîtres quelques années auparavant – contenant 1800 habitations placées dans une quinzaine « d’unités ». Droixhe est un quartier d’autant plus intéressant qu’il est le seul exemple de cet envergure d’ensemble de logements sociaux inspirés des théories modernistes en Belgique. Et indéniablement le plus grand.

Il faut savoir qu’à l’époque de sa construction les habitations de ce quartier était pourvues d’un confort inédit pour l’époque, une sorte de modèle de fonctionnalisme et de bien-être au sein du logement. Toute cette petite composition s’articule autour d’un grand parc arboré, pourvu d’équipements collectifs à destination de tous les riverains. L’utopie semblait fonctionner jusque dans les années 1980.

Deux évènements majeurs ont perturbé ce beau quartier : l’arrivée de l’autoroute aux pieds du quartier qui prive les riverains de tout rapport au fleuve et, surtout, la volonté des services publics de vouloir fixer les loyers en fonction des revenus des locataires. Cette dernière mesure a eu pour impact la fuite des classes moyennes et supérieures qui ont préféré se tourner vers la location privée voir l’achat.

Ainsi il y a eu une paupérisation du quartier qui a conduit aux problèmes que nous connaissons bien à savoir surpeuplement, incivilités, délinquances et dégradations des immeubles. S’en suit une mise à mal de l’image moderniste architecturale. Elle serait le responsable de tout cela. Les politiques ont préféré tirer facilement sur la conception architecturale plutôt que de se remettre en question. Un grand classique finalement.

Toujours est-il que cet abandon du quartier par les services publics a donné naissance au milieu des années 1990 a une prise de conscience. La prise de conscience que ce quartier ne fonctionnait plus, que l’utopie était finie. Le gouvernement wallon va décrire ce quartier comme étant une Z.I.P (Zone d’Initiatives Privilégiées) de type 4, ce qui engendre une requalification obligatoire du quartier. Il aura fallu 10 ans pour que les travaux commencent. Dix années qui ont été rythmées par des débats pour la plupart stériles sur l’avenir du quartier.

Droixhe, dans les années 1960.

Droixhe, dans les années 1960.

Deux concours sont organisés par La Maison Liégeoise. Les architectes Castro et Denissof ont été lauréats du concours en ce qui concerne le secteur de la « Croix-Rouge ». Leur proposition consistait en l’écrêtage en gradins des batiments existants (rénovation et non démolition), considérant le ciel comme étant l’échappée visuelle nécessaire aux riverains. Le projet était basé sur les vues cadrées sur le ciel et la requalification de l’espace public. La notion d’échelle se voulait être perturbée pour permettre aux habitants de ne pas se sentir ecrasés par une présence de bâti trop importante. Faute de budget le projet n’arrivera jamais à son terme…

Ce qui est une déception immense pour le couple d’architecte qui qualifie ce projet de « plus grand regret ». « Il y a eu comme un dépassement dans ce projet (…) quelque chose de jubilatoire » dira Sophie Denissof.

Le projet ayant été abandonné, le secteur « Croix-Rouge » se vide de ses habitants et les dégradations augmentent jour après jour. Les tours deviennent des squatts, en attendant que de nouveaux projets refassent surface.

Les services publics s’emparent du problème en imaginant détruire ce patrimoine moderniste liégeois. Un projet de plan masse pour le nouveau quartier voit le jour. Il est aussi naïf que la solution de détruire ces tours, qui étaient un véritable signal urbain. Le plan masse fait apparaître un quartier divisé en sous-ensembles, pourvus de volumétrie sans audace et à une échelle soit disant plus respectueuse de l’environnement. Le site perd de sa qualité d’icône, qui bien qu’ébranlée n’en restait pas moins présente. Des petits bâtiments, probablement en copropriété avec de magnifiques jardins partagés devraient prendre place dans ce quartier.

En définitive, en proposant ce type de plan masse, la réponse à un problème évident que constitue la notion de densité dans ces quartiers est totalement occultée. Au lieu de s’attaquer à ce problème, l’esquisse de ce nouveau quartier participe à un étalement urbain en périphérie, signe d’un échec en devenir.

C’est en repassant devant ce quartier, que je ne reconnais plus, que je regrette de ne pas y avoir prêté plus d’attention. De ne pas m’y être intéressé plus tôt, de ne pas l’avoir parcouru, de ne pas y avoir séjourné. Je n’avais jamais pris le temps de m’arrêter pour comprendre comment fonctionnait le quartier, ce qui est sûrement dû à la triste médiatisation qui en est faite. Mais il aurait été bien de le faire. Quand on écoute les plus anciens c’est souvent avec nostalgie qu’ils évoquent ce quartier, où tous types de personnes se croisaient, se fréquentaient, habitaient.

Que restera-t-il de l’ancien quartier de Droixhe ? Que restera-t-il des Droixhiens ? Ces derniers n’ont pas été concertés lors de la conception du projet.

J’avoue que la peur m’envahit un peu en pensant à quoi va ressembler le nouveau quartier. Il serait tellement dommage d’en faire un quartier normalisé avec petites résidences fermées articulées autour d’un mail sans volonté architecturale et urbanistique. Mon prochain séjour en Belgique sera l’occasion de voir l’avancée des travaux. Actuellement, les tours ont été démolies, ce qui laisse apparaître un quartier en état de friche renforcant encore le sentiment de désarroi.

Sclessin, l’enfer a une forme.

Je termine donc mon voyage en Belgique accompagnés de mes deux compères au stade Maurice Dufrasnes : l’antre du Standard de Liège. Je me devais de les emmener là, au sein du chaudron. La ville et la région vivent pour ce club, un peu à l’image du RC Lens et de son stade. En partant en direction du stade, on sent qu’on va vivre quelque chose de spécial. Le Stade Maurice Dufrasnes communément appelé l’Enfer de Sclessin en raison de son ambiance sans aucune commune mesure en Belgique, est un écrin à l’Ouest de la ville où hommes d’affaire et ouvriers troquent leur accoutrement habituel pour endosser le maillot des « Rouches ». Ici, il n’y a plus aucune différence entre les personnes. Tout le monde tourne à la Jup’ et au cornet de frites et surtout, tout le monde chante.

Plus nous nous rapprochons du stade, plus la présence de rouge est marquante.

La rue qui nous mène au stade. La foule rouge prend sa forme un kilomètre avant l'entrée du temple.

La rue qui nous mène au stade. La foule rouge prend sa forme un kilomètre avant l’entrée du temple.

Au bout d’environ 15 minutes de route on apperçoit enfin le lieu de la futur communion du peuple. Pour ce faire, il faut longer les quais de la Meuse, bien tristes il faut le dire. A gauche et à droite s’entassent les entrepôts et les usines métallurgiques, abandonnées ou non.

Plus nous nous rapprochons, plus je me remémore les souvenirs, les odeurs, les bruits liés à ce stade où m’emmenait mon oncle, un ultra du Standard. Et je dois dire que c’est beau, les poils se hérissent. Cela peut paraître extrême mais c’est ça la magie de Sclessin.

Une dixaine de minutes plus tard, nous trouvons une place, à quelques rues du stade. On sort de la voiture, on tend l’oreille et on entend des bruits de foules, de la musique de basse qualité sûrement « mixée » par un supporter ayant un peu trop abusé de la Jupiler. Pas de doute, nous y sommes.

On continue la route où nous sommes garés à pied. C’est une rue typique des quartiers ouest de la ville, avec ses petites maisons en brique rouge, et ses garages en piteux état. C’est un peu à l’image des corons. Au bout de la rue, on tourne à droite et là, comme par émerveillement nous rentrons dans une marée rouge. Il y a plus de 25 000 personnes qui s’entassent dans cette rue étroite et dans les bars de supporters dans l’optique de se préparer comme il se doit pour le match, c’est-à-dire en buvant une Jup’.

Le stade est rouge, à l’image du club. A l’image du quartier. A l’image des gens.

Un stade rouge, des gens rouges.

Un stade rouge, des gens rouges.

Le stade par sa forme et sa couleur s’insère dans le contexte historiquement industriel.

Le rouge faisant références aux flammes et à la chaleur des métallurgies. L’enfer quant à lui fait aussi référence au dur labeur qu’effectuaient les ouvriers. Le stade était et reste l’exutoire de tout un peuple liégeois.

On prend donc notre barquette de frites sauce mayonnaise bien sur, accompagnée de sa bière. Il faut se mettre dans l’ambiance. Une fois les deux englouties, on se dirige vers notre tribune, qui donne presque l’impression d’être faite de fortune. La tôle rouge est omniprésente. Au pied de la tribune il y a la boutique des « Rouches ». Coutume oblige je décide d’aller acheter un petit souvenir, finalement je ressors avec le nouveau maillot. L’ambiance dans cette boutique est assez exceptionnelle, il faut parfois se pincer pour ne pas rire tellement la ferveur peut atteindre des limites difficilement entendables (cette ferveur va jusque dans les biberons, les boules de noël, ou autres objets tous plus improbables les uns que les autres…).

Sortis de la boutique juste avant le début du match, on pénètre dans l’escalier de la tribune. On rejoint notre siège. Les supporters commencent à enflammer le stade de leurs chants et de leurs fumigènes.

Au début du match, les fumigènes font leur apparition.

Au début du match, les fumigènes font leur apparition.

Pendant le match, je m’amuse à regarder un peu les tribunes et comprendre comment le stade fonctionne. Et il faut dire que les tribunes sont assez particulières dans leur forme. Elles sont étonnamment inclinées, ce qui permet à tout le monde, même nous étant placés tout en haut, de voir parfaitement le terrain sans donner l’impression d’en être éloigné. Cette disposition a posé quelques soucis dans le passé (plusieurs décès de supporters). Mais la joie de vivre des supporters leur fait quelque peu oublier les douloureux souvenirs.

La couleur rouge remplit le stade, tous les sièges et toutes les barrières sont rouges. C’est un peu l’identité du club, tout comme ses supporters. Ils n’ont d’ailleurs pas arrêté de chanter pendant le match malgré une bien triste défaite.

Le stade Maurice Dufrasne est un des emblèmes de la ville. C’est un marqueur physique de la ferveur populaire liégeoise mais c’est aussi un marqueur architectural de la ville. Ce stade ne ressemble à aucun autre. Il n’est pas standardisé, ce n’est pas un modèle qui a été selectionné dans un catalogue. Le stade tel qu’on le voit actuellement date de 2012. Il y a eu plusieurs campagnes de rénovation du stade. Cette dernière campagne de rénovation ne visait seulement qu’à améliorer la sécurité et faire deux trois coups de peinture. Rien de bien méchant, l’identité est toujour présente.

Il faut savoir que ce stade a été ouvert pour la première fois en 1909. Ensuite il s’est agrandi, amélioré, développé au fil du temps pour devenir ce qu’il est.

Il est un marqueur de part son contexte. Implanté au milieu de Sclessin qui est devenu un quartier de Liège lors du rassemblement des communes, il se dresse au milieu de ce quartier d’habitations en briques rouges, de talus de terre, de zones industrielles, de complexes sidérurgiques, pour devenir le phare du quartier.

Le stade tel qu'il est aujourd'hui. Toujours rempli.

Le stade tel qu’il est aujourd’hui. Toujours rempli.

A l’origine il n’y avait qu’une seule tribune, celle qui correspond à la tribune où nous étions assis. Ensuite trois autres sont venues complèter l’infrastructure.

C’est dans les années 2000 que les trois tribunes ont été reliées par un bandeau rouge en tôle afin de ne former plus qu’une seule grande tribune. La tribune originelle quant à elle reste détachée. Comme pour montrer son histoire. C’est un stade où les matériaux nobles sont très peu mis en avant, en fait il n’y en a pas vraiment. Béton et tôle sont les matériaux utilisés pour ce stade.

J’aime à penser que la tôle est un clin d’oeil aux ouvriers métallurgistes qui travaillent dans le quartier et qui ont de tout temps été les premiers supporters du Standard. La tôle donne une ambiance particulère au stade. Elle reflète le soleil, fait se démultiplier le bruit de la pluie rageuse qui s’abat sur la pelouse. Mais il est probable que ce matériau ait été choisi pour son coût relativement bas. Le béton quant à lui contraste avec le rouge vif du stade. Comme si il était là pour nous apaiser. Le système constructif est en béton, et reprend celui de la première tribune en béton érigée en 1940. Cet édifice, ce temple, est un élément architectural apprécié de tous. Rares sont les personnes que vous croiserez dans la rue et qui vous diront que ce stade est laid. Je pense que l’architecture est belle quand elle est bien utilisée, qu’elle n’est pas figée, qu’elle vit. L’enfer de Sclessin en est un bon exemple. Cette architecture crée des émotions de part sa disposition et c’est exactement ce qu’on attend d’elle.

Des projets de reconstruction du stade ont été esquissés depuis le début des années 2010, sans grand succès pour l’instant. Les architectes travaillant sur le projet d’un nouveau stade, plus grand, plus beau, plus tout ce qu’on veut auront probablement beaucoup de mal à faire oublier l’ancien aux anciens. Et aux vues de leur production ce n’est pas gagné, la proximité du terrain et la caractère populaire ont été oublié.

Une fois le match fini, on sort en se frayant un chemin au milieu de cette foule rouge cherchant à rejoindre sa voiture ou son bus venant de toute la Belgique. Plus on s’éloigne du stade plus on se retourne, pour le regarder une dernière fois avant de partir. On claque la portière, démarre le moteur, et roule direction la France en se disant : « c’était un beau stade quand même ».

Plus qu’un beau stade, c’était un beau voyage. Un voyage qui m’a permis de montrer les ressources du si beau pays qu’est la Belgique à des amis chauvins (spécialité française).

Il s’agissait presque là d’un travail de persuasion, il a fallu trouver les arguments pour les convaincre que la Belgique n’était pas seulement le pays de la bière et des frites. Mes efforts ont été récompensés. Nous en reparlons souvent, de ces moments passés ensemble à arpenter les rues du carré à Liège ou celles de Bruxelles. Et je dois bien le dire que c’est avec une certaine nostalgie. Quel beau pays.

Antoine Laduron

Voyage du 10 au 14 septembre 2015

Bibliographie/Sitographie :

-www.liege.be

-https://fr.wikipedia.org/wiki/Liège

-Sika at Work, Tour Paradis Liège

-Le quartier des Guillemins, étude de cas, Université de Liège, Ruelle Christine & Breuer Christophe

-Guide de l’architecte, Belgique

-Droixhe, démolition d’un manifeste d’architecture moderne, mémoire de fin d’études à la faculté d’architecture de Liège, Sébastien Istasse