« Tu te souviens de la dernière fois qu’il a plu? Il y a des gens qui n’ont jamais oublié !! »

Manifestation de Teto Brasil (Techo) – Curitiba

Nous y sommes, juin 2015, cela fait bientôt un an que nous sommes au Brésil et pourtant, nous avons vu qu’un tiers de ce que nous pouvions voir.

Cette fin de semaine fut différente. Nous l’attendions comme nous l’appréhendions. C’est ce vendredi soir, sous la pluie, que nous nous sommes rendues, avec deux amies, dans l’enceinte de cette ONG : Teto (techo). Il se fit tard lorsque nous partîmes toutes les trois avec notre groupe vers Caximba, une favela située à seulement trente minutes de Curitiba. Nous arrivâmes à l’abord de la favéla. Un abri dans une école primaire nous a hébergé , nos duvets à même le sol, tous ensemble, unis.

Le réveil au mégaphone du lendemain matin se déroula dans la bonne humeur. L’organisation était naturelle, certains géraient l’équipe pendant que d’autres préparaient le petit déjeuner. Nous constituions des groupes de quatre puis de deux personnes afin d’aller interroger les habitants. La démarcation du sol nous montra l’entrée à Caximba. Il n’y a guère de vraies rues. La route s’estompe pour laisser place à des chemins de terre.

Caximba – juin 2015

Au carrefour de ces quatre axes que nous devinions, de la musique se fit entendre dans la favela. Il devait être neuf heures, nous étions samedi. La favela s’éveillait. Il était temps pour nous de partir à la rencontre de ces familles. Sur ces deux journées nous avons eu le temps de discuter avec un peu moins d’une dizaine de familles par groupe. Chaque approche nous heurtait.

Au début nous suivions le questionnaire à la lettre. Pourtant, il fut difficile de ne pas s’en éloigner. Ce n’était pas un entretien, ou un simple questionnaire. Nous conversions, il s’agissait d’un réel échange et d’un partage réciproque. L’invitation à entrer chez eux, à nous proposer un café alors qu’ils venaient à l’instant de nous apprendre qu’ils vivent avec l’équivalent de cinquante euros par mois fut naturelle et simple.

Caximba – juin 2015

Les anciennes constructions de bois se recomposent en briques. Lorsque certains voient leurs enfants se construire, ici, d’autres restent dans leurs maisons de bois dans l’espoir d’un avenir meilleur caractérisé par un « ailleurs ».

Une famille nous a particulièrement marquées. Ils ont réalisé un périple de trois mois pour parcourir les 1800 kilomètres qui séparent une favela de Salvador à Caximba. En ce dimanche d’avril, ils vivaient ici depuis une vingtaine de jours. Seulement vingt jours mais également deux inondations, une partie de la maison détruite et aucune place pour scolariser cette petite fille de six ans. Nous parlions avec cette grand-mère. Le sourire aux lèvres elle nous racontait les bons comme les mauvais moments, l’histoire de la vie, de sa vie et de ceux qui l’entourent. L’évidence de cet échange apportait autant à cette famille qu’à nous-mêmes, interviewers. Ils consomment leur vie grâce à toutes ces petites choses du quotidien qui nous rendent heureux, grâce à l’espoir et à leur entourage.

Caximba – juin 2015

Nos journées étaient longues et riches. L’ambiance de notre équipe nous permettait de nous inscrire dans une certaine bulle heureuse et surtout soudée.

Durant cette dernière soirée, nous avions tous participé à ce que nous pourrions définir comme un exercice. Pied nu, nous avions formé un cercle. Chacun d’entre nous était en contact direct avec une autre personne du groupe. Nous faisions un point. Nous communiquions les phrases, les mots qui ont pu nous toucher durant cette expérience. À cœur ouvert, des cris, des soubresauts, des frissons et des pleurs se firent ressentir. Chaque réaction était différente, néanmoins, chacune témoignait de notre sensibilité. L’émotion était palpable.

Ce n’est pas sans mal que nous sommes retournés à Curitiba.

Nous passions la frontière que représente cette porte d’entrée. Chacun vaquait à ses occupations, comme d’habitude, un comme d’habitude à la sonorité étrange.

La semaine qui a suivi fut l’une des plus compliquées. Nous vivions dans une réalité remplie d’incompréhension. Nous avions du mal à mettre des mots sur ce que nous avions vécu.

Ce premier soir, il pleuvait. Cela peut paraître insignifiant et pourtant nous étions protégés dans notre confort quotidien tandis que d’autres tentaient tant bien que mal de se protéger. Il pleuvait. ­­

Les favelas, ces bidonvilles d’Amérique du Sud, sont apparus en l’espace de quarante ans durant la deuxième partie du XXè siècle. Une polarisation des populations a émergé dans les villes brésiliennes. Ainsi, les deux tiers de la population rurale a immigré vers ce littoral atlantique où nous retrouvons la majeure partie des grandes villes. Cette modification importante a engendré une croissance exponentielle des favelas. D’ici à 2020, la population présente dans les bidonvilles devrait augmenter pour atteindre le chiffre de 55 millions d’habitants .

Le bidonville de Caximba est né en octobre 2010 à seulement 27 kilomètres de Curitiba, capital du Parana. En seulement cinq ans, plus de trois mille habitants sont venus s’installer dans ce qui est encore caractérisé comme un quartier dans les articles brésiliens. La favela est dirigée par des trafiquants de drogues. Le dernier dirigeant de la favela a été tué par celui actuellement présent. La population en parle peu. Il possède l’autorité sur ce lieu.

Cette favela s’organise autour du fleuve « rio iguacu » qui inonde régulièrement les alentours. Nous trouvons également, à moins d’un kilomètre de là, la plus grande décheterie de Curitiba : L’Aterro do Caximba. Une décharge aujourd’hui arrivée à saturation.

Décharge à ciel ouvert au milieu de la favela – Caximba – juin 2015

Ce sont dans ces conditions que la ville s’est construite. Nous y trouvons des constructions de bois, souvent détruite et reconstruite et un sol ocré et boueux dans cette région pluvieuse.

Les favelas suivent chacune un même développement, de la construction éphemère vers la réalisation d’une ville. Vidigal est une favela à Rio de Janeiro. Elle est directement ouverte sur la ville et offre une vue plongeante vers la fameuse baie d’Ipanema. Nous avons traversé cette favela afin de monter sur la montagne des « dois irmaos ». La montée se fit en moto et dans la crainte. Dans une certaine incohérence, nous sommes redescendus à pied. Une ambiance de quartier se fit ressentir. Un match de foot se finissait sur ce terrain. Le but fut marqué par un jeune garçon de cinq ans environ. L’équipe est présente et se jette admiratif sur ce bonhomme. Une autre jeune fille danse la samba sur la terrasse le long de la route principale. Les gens se promènent. Nous ressentions un étrange sentiment de sécurité, plus que si nous étions dans une rue de Rio de Janeiro au même moment. Cette favela comme d’autres maintenant sont « pacifiées ». L’UPP (Unité de Police Pacificatrice) a participé, ces derniers années, et notamment par la présence d’évenements internationaux tels que la coupe du monde ou les JO, a reprendre la main sur certains territoires.

Ce n’est pas le cas de Caximba. Curitiba a déjà projet de tout raser afin de conserver cette zone protégée naturelle. Malgré cela, les habitants ont espoir et commencent à construire en « dur » comme ils disent. Le long de la rivière de nombreuses habitations sont montées sur pilotis. Le sol en bois craque sous nos pieds. Malgré les inondations, la plupart des maisons de briques sont réalisées à même le sol. Plusieurs concentrations se distinguent déjà dans ce bairro, comme plusieurs quartiers plus ou moins pauvres. Cette démarcation arrive également par le développement territorial de la favela. Chacun invente le nom de sa rue, et prend le numéro qui suit. Lorsque nous y étions de nombreuses rues n’avaient pas encore de noms. Dans un élan culturel ces rues ont souvent un lien avec l’espace, le nom des fleuves et des régions. Souvent ces chemins serpentent et viennent s’implanter en fonction de la typographie du lieu. De nombreuses maisons sont en cours de constructions. Le changement est continu.

Emma Bourdon

Participation au sein de l’ONG Techo – Teto Brasil du 12/06/15 au 14/06/15

Bibliographie :

-Christophe Brochier, Les collégiens des favelas. Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro, Éditions de l’IHEAL, coll. « Travaux & Mémoires », 2009.

-Site web « lepetitjournal.com » qui relate tous les sujets liés à l’actualité du brésil.

http://www.lepetitjournal.com/rio-de-janeiro/actualite-bresil/rio-bresil-en-bref/92401-bresil-en-bref-rio-de-janiero-sao-paulo

http://www.lepetitjournal.com/sao-paulo/actu-saopaulo/6856-societe-55-millions-dhabitants-dans-les-favelas-dici-2020.html

-Journal Gazeta do Povo

http://www.gazetadopovo.com.br/vida-e-cidadania/meio-ambiente/nova-reserva-ambiental-inquieta-moradores-do-caximba-8k8z09t0ovz3062vrysnppmj2

-Site Web Au

http://au.pini.com.br/arquitetura-urbanismo/78/favela-bairro-24163-1.aspx