Il existe beaucoup de raisons en faveur de la rénovation des anciens bâtiments : l’économie, l’écologie, l’histoire, etc. Donc ce n’est pas étonnant que les bâtiments changent souvent de fonction : les églises deviennent hôtels, les usines sont transformées en restaurants, les anciennes toilettes logent les cantines. Dans l’évolution des villes, les besoins et les priorités changent aussi, ce qui explique la popularité de la réutilisation adaptée des anciens édifices industriels. Logiquement dans un pays avec un patrimoine industriel riche comme l’Angleterre, ce type de rénovation est souvent pratiqué. Le Londres moderne se développe avec des structures de métal et de verre au premier plan, alors il est très agréable de voir les anciens bâtiments de briques restaurés, ce qui donne un esprit différent à la ville et rappelle l’échelle humaine.

J’ai toujours été particulièrement intéressée par l’interaction entre les anciennes et les nouvelles couches architecturales, ainsi que par l’expérience qu’elles créent pour les visiteurs. Dans le contexte de la réutilisation adaptée je voulais accorder une attention particulière à un objet, dont on a tous entendu parler, dans le cadre artistique ou architectural. C’est le musée Tate Modern à Londres, une rénovation de la Bankside Power Station. Ce projet de Herzog & de Meuron se distingue par un vrai respect pour le bâtiment industriel d’origine de 1952.

Ma première rencontre avec le Tate Modern est à distance depuis Southwark Bridge. En me dépêchant je ne remarque presque pas cet édifice impressionnant. Toutefois, l’usine faite par Sir Giles Gilbert Scott est monolithique et majestueuse. La majeure partie n’a absolument pas changé pendant la reconstruction de 2000. L’ancien style art déco est préservé – le bâtiment est composé de masses  géométriques qui se terminent en différents niveaux. L’imposante tour aussi conservée ressort bien sur la forme très horizontale du reste du musée en arrière-plan. Mais en haut on voit des signes lisibles de notre époque, la nouvelle annexe sur le toit de la structure en forme de boite en verre.

En descendent le pont et en approchant le musée, je remarque que le bâtiment est bien relié à ses alentours. Les architectes ont réussi à démolir les murs invisibles, qui entourent habituellement les objets industriels. L’espace est vraiment agréable : une promenade le long des côtes de la Tamise, une allée de bouleaux qui commence déjà à jaunir avec des couleurs d’automne et une grande pelouse appropriable. La vaste place devant le musée est pleine de monde même dans cette journée froide de Novembre. Ces espaces publics si vivement animés m’évoquent les images des parfaites places des livres de Jan Gehl ; il y a tous types d’activités : les rencontres, les sourires, les bavardages, les performances, les pique-niques. L’ajout attrayant est un pont piéton en style hight tech, souvent appelé ‘la lame de lumière’ grâce à sa forme excentrique et son illumination pendant la nuit.

Le musée possède plusieurs entrées aux différents niveaux qui mènent tous directement dans le cœur du bâtiment – le hall des turbines. L’entrée est gratuite, sans payement ou autres obligations. Mon voyage commence au niveau le plus bas où on ne voit que la première grande pièce. Son immensité me surprend même en connaissant les plans auparavant. De telles dimensions, c’est une architecture qu’aujourd’hui on ne peut plus se permettre. Dans le projet cette salle est considérée comme une rue, ou plus précisément une jonction des rues qui répondent à la circulation depuis différentes directions.

IMG_1219

Le hall des turbines

Quand j’arrive à l’autre bout du hall, je vois deux options : soit monter les escaliers jusqu’au premier niveau, le niveau de la rue, où se trouve la grande exposition temporaire et la boutique des souvenirs ; soit prendre l’escalateur pour aller voir les plus petites expositions. Je décide de prendre la deuxième option et bientôt j’atteins le troisième niveau où se situent les petites salles. Un effet visuel inattendu me surprend – la largeur des baies vitrées. Du sol au plafond tout au long de mur des grandes fenêtres sont étendues et relient visuellement chaque étage avec le grand hall.

Je sens des jeux d’échelle en me déplaçant entre les différentes salles. Bien que chaque « petite » salle s’étende sur au moins 5 mètres de hauteur et est impressionnante en soi, à chaque retour sur les baies vitrées avec la vue sur le hall, je suis de nouveau impressionnée par ses dimensions. Pour mieux apprécier la vue, plusieurs fauteuils sont placés ici. L’ambiance est plaisante, les gens sont assis, ils papotent, ils rigolent. Ici le grésillement habituel aux musées où les irritables regards des gardiens n’existent pas. Les gens se sentent libres et profitent de l’architecture et de l’art.

Je m’assieds sur une de ces chaises à côté de la structure métallique massive, qui est richement couverte de rivets et de boulons. De telles colonnes structurelles exposées entourent tout le hall des turbines, leur massivité soulignée par la peinture noire. Elles supportent les fermes de la toiture et ses fenêtres qui permettent à la lumière naturelle de remplir l’espace. Cette vue me permet d’apprécier plus profondément le travail des architectes. Il est pratiquement impossible de distinguer visuellement des vieux éléments et des nouveaux, même si je sais qu’en réalité presque tout, sauf la coque de briques de l’édifice, a été restauré. Il n’y a aucune question de chevauchement entre le nouveau et l’ancien, mais plutôt de leur fusion.

Le visiteur est constamment dans le rôle d’un chercheur, en se demandant : qu’est-ce qui était ici avant le musée ? Comment étaient utilisés ces espaces ? La rénovation qui se révèle comme une intervention minimaliste dans la forme de l’édifice original, propose de fausses réponses à ces questions. Les atmosphères à l’intérieur sont vraiment inhabituelles. Malgré le froid, provoquée par les grands espaces vides et les constructions métalliques, les architectes ont réussi à réaliser un espace, qui, cependant, conserve l’intimité et la chaleur. Les éléments et les détails développés, l’utilisation de la peinture blanche et l’éclairage, l’agencement des salles et le trajet à travers eux – ici, l’élégance et le minimalisme se trouvent partout.

4

Vue depuis le balcon

Avant le choix définitif de la localisation du musée Tate, les directeurs de l’association ont longtemps recherché des lieux et considéré des différentes variantes des endroits d’un nouveau bâtiment. C’est seulement pendant des discussions avec des artistes, des conservateurs et des programmateurs qu’ils ont découvert que les édifices industriels adaptées pour la fonction de musée forment des espaces d’exposition beaucoup plus exaltants et appropriables que de nouvelles constructions faites spécifiquement à cette fin. Ce fait était donc un facteur important dans le futur de Tate Modern.

Bien sûr, après que la Bankside Power Station ait été choisie, un appel d’offres pour la rénovation fut organisé. Un certain nombre d’éminents architectes étaient invités à participer. Parmi les finalistes : Renzo Piano, Rem Koolhaas, Tadao Ando et David Chipperfield. Cependant le projet gagnant, celui de Herzog & de Meuron, ressortait avec son véritable respect pour le bâtiment d’origine, ses espaces publics réfléchis et l’expérience des architectes dans l’exposition d’œuvres d’art.

Les salles d’exposition dans ce projet sont donc vraiment spéciales, car Herzog & de Meuron ont collaboré longtemps avec les artistes et ont pratiqué l’élaboration de l’espace d’exposition. La présentation de l’art moderne, l’enveloppe du bâtiment qui l’entoure, des expériences avec la lumière et le trajet du visiteur – les architectes reviennent sur ces et autres questions dans un certain nombre de leurs projets. Les pièces qu’on voit aujourd’hui dans le musée avaient une maquette construite à l’échelle 1:1. C’était l’atelier de l’artiste Rémy Zaugg en France, qui se construisait en même temps que la création du projet pour Tate Moderne. Dans les deux cas, les salles sont fabriquées avec des murs et plafonds blancs, des parquets avec une texture évidente et des couleurs naturelles. La lumière naturelle entre par plafond ou sur les côtés, et est complétée par un éclairage artificiel diffusé par lampes de surface.

Ce type de détail nous permet de lire les priorités fixées au cours de travail des architectes. Dans les endroits où l’ancien bâtiment et son histoire ont de l’importance, le contraste entre les couches d’architecture est souligné. En revanche, là où l’art est le plus important, toutes les innovations architecturales – comme les nouvelles fenêtres qui apportent de la lumière naturelle dans salles d’exposition – sont si bien intégré dans l’ancienne enveloppe du bâtiment qu’elles ne sont pas lisibles comme des éléments modernes. En visitant ce musée, il me semble impossible d’imaginer et d’apprécier l’importance et le temps attribués à chaque détail, car sur place le tout a l’air si facile, logique et sans effort.

Quand je sors du musée, je peux examiner de près les contours de la nouvelle partie, qui est actuellement dans le processus de construction. La forme abstraite libère l’imagination à propos de ce qui se passera à l’intérieur. Mais l’ampleur impressionnante et le fait que l’extension est aussi le travail  de  Herzog & de Meuron suggère que cet espace sera un excellent ajout au voyage à travers le musée. En traversant de nouveau le pont je remarque aussi d’ici l’échafaudage de nouvelle annexe. J’imagine déjà le contraste entre la massivité de l’ancien palais de l’industrie et le nouvel volume revêtu d’or. Cela sera certainement un objectif d’un nouveau voyage l’été prochain !

4

Croquis de musée depuis le pont Millénium

Bibliographie :

MOORE Rowan, RYAN Raymund, Collaborateurs HARWICKE Adrian, STAMP Gavin. Building Tate modern : Herzog & De Meuron transforming Giles Gilbert Scott. London : Guggenheim museum publication, 2000, 200 p.

Directeur de publication SCHITTICH Christian. Construire dans l’existant : reconversion addition création. Munich : Birkhäuser, 2006, 175 p.

RAMBERT Francis, COLOMBET Martine, CARBONI Christine. Un bâtiment, combien de vies ? : La transformation comme acte de création. Paris : Cité de l’architecture et du patrimoine, 2015, 334 p.

Auteur : Vija VIESE vija.viese@gmail.com

* traduction anglais – français faite par l’auteur

Voyage réalisé en Novembre 2015