UN QUARTIER HÉTÉROCLITE

Situé au sud de ce que l’on appelle le Pentagone bruxellois, le quartier des Marolles longe la voie ferrée. A proximité de la gare du Midi et à quelques centaines de mètres de la Grand Place, ce quartier marque une porte d’entrée vers la ville s’ouvrant, déjà à l’époque du Moyen-Age, aux immigrés et aux déshérités cherchant un endroit où vivre. Les Wallons, puis les Espagnols, les Juifs, les Polonais, les Italiens, les Marocains et dernièrement les personnes d’Afrique Noire, d’Europe de l’Est et d’Amérique du sud ont débarqué. Autrefois, les Marolles, c’était un quartier d’ouvriers, de marchands de ferraille. Aujourd’hui, dans le dédalle des ruelles et des impasses, se croisent et se saluent, ou s’ignorent, des citoyens belges, des résidents ayant un permis de séjour, des « illégaux », des personnes sans domicile fixe… Le métissage des populations en fait une richesse, qui se perpétue depuis des années. Bien que depuis les années 1980, l’immigration soit venue renforcer la précarisation de ses habitants, le quartier vit à travers la richesse de son tissu associatif : les Marolles hébergent une profusion d’associations. On en compte à l’heure actuelle plus de cent sur un territoire de 52 hectares. C’est au 17ème siècle que des congrégations religieuses catholiques – les Brigittines, les Minimes, les sœurs Apostolines, les Capucins – se sont implantées dans le quartier pour venir en aide à la population. Avec le temps, elles ont cédé la place aux associations de bénévoles. Aujourd’hui, la majorité des travailleurs sont rémunérés mais la notion d’aide est restée. Cela forme un quartier où les cultures sont mélangées, où l’on peut être différent, où l’on peut trouver de l’aide auprès des professionnels, où la vie associative est riche et variée. Mais peut-être aussi un quartier où les gens ont pris l’habitude de venir demander de l’aide dans les associations plutôt que de mobiliser leurs propres ressources ou celles de leur entourage.

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Les Marolles depuis le Palais de justice

UNE MÉTAMORPHOSE CROISSANTE

Au fil des années, la morphologie urbaine de ce quartier a peu évolué et reflète encore cette altérité. Oeuvre babylonienne construite au 19ème siècle par l’architecte Joseph Poelaert – qui perdit la raison dans l’édification de ce « monstre » de 26 000 m² – l’opulent Palais de Justice domine encore fortement les Marolles. Il surplombe et surveille, comme à l’époque de sa construction où le but était de discipliner et de contrôler le comportement déviant des habitants du quartier.

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L’opulent Palais de justice bruxellois

On retrouve également – au milieu d’un enchevêtrement de rues chaotiques et difficiles à contrôler lors des soulèvements de la classe ouvrière au 19ème siècle – deux longues rues linéaires : la rue Haute et la rue Blaes. Principalement commerçantes, la rue Haute accueillait des vendeurs de vêtements, tandis que la rue Blaes était connue pour ses luminaires, ses papiers peints. C’était deux rues fondamentalement différentes. Mais tout ça a disparu. Les rues continuent tout de même à grouiller de monde le week-end, et changent de visage en semaine. Ce territoire à l’origine divisé en cinq ou six sous-quartiers, s’est progressivement transformé : les ruelles envahies par le Sablon débordent d’antiquaires tendances. On dit que les Marolles se « sablonisent ». Mais ce phénomène n’est pas vu d’un très bon œil par les habitants : la gentrification est de plus en plus apparente, transformant l’authentique visage des Marolles. De fait, au beau milieu de ce quartier qui attire et suscite la curiosité de nouvelles populations, une politique de spéculation immobilière s’est mise en place afin de favoriser la rénovation des bâtiments, éloignant ainsi insidieusement les plus précaires. « Ici, il n’y a que des ouvriers qui viennent. Les antiquaires ne franchissent pas la porte, et tant mieux. » Pierrot, comme sa femme Cathy, sont des relais de la mémoire des Marolles. À la fois nostalgiques et en colère contre les nouveaux habitants. « Les antiquaires nous chassent, alors qu’on est né ici. Les immigrés foutent le bordel dans le quartier. » Ainsi, la pression immobilière et la « gentrification » de ce quartier populaire pourraient bien entraîner la disparition de la culture très particulière de ce coeur historique.

L’EFFERVESCENCE MATINALE

De la vaisselle, des fripes et des breloques plein les étals. Des jeunes, des vieux et quelques couples branchés déambulent sur les pavés. Au milieu des habitants du quartier, les touristes flânent et chinent. Le marché de la Place du Jeu de Balle a quelque chose d’authentique, qui prend des allures de carte postale des années 1930. Paradis du brol, le « Vieux Marché » comme on l’appelle ici, accueille depuis 1873, tous les matins, le marché aux puces. Pour la petite histoire, même Hergé s’en est inspiré puisque c’est là que se rend Tintin dans « Le Secret de la Licorne », et où débute son aventure ! En pleine semaine, la place et ses rues attenantes sont inanimées, ou presque. On retrouve quelques terrasses de café occupées par-ci par-là, coincées entre les vitrines des antiquaires qui se succèdent dans la rue Haute.

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 En ce dimanche matin ensoleillé touristes, habitants, retraités, jeunes et vieux semblent être joyeux. Le fond de l’air est frais mais le ciel est dégagé. Nous empruntons la rue Haute où déjà il faut slalomer entre ceux qui discutent, ceux qui sont assis au café, ceux qui s’arrêtent devant les vitrines… J’aperçois le marché. Le monde. Et tout le bazar un peu plus loin. Des étalages de vaisselle attirent mon attention, je cherche, je jette un œil à droite à gauche. Il y a tout ce que vous voulez. Mais il paraît que le dimanche « ils haussent les prix pour les touristes. » On tente de négocier les prix mais ça reste trop élevé. On se marche dessus, tout le monde est venu là pour chiner, bien décidé a repartir avec quelque chose en main. Mais si ce marché aux puces est chic et bohème pour certains, il est avant tout un gagne-pain pour d’autres, et fait partie intégrante du fonctionnement et de l’état d’esprit d’un quartier qui a toujours été un lieu d’accueil et de transit pour les immigrés. Ici, on devine les parcours de vie semés d’embûches de ces individus. On sent la débrouille, l’errance, le ballottement.

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Un étalage type sur la place du Jeu de Balle

UN ATELIER « D’ACTIVATION DES ESPACES PUBLICS »

 Ce voyage à Bruxelles nous également permis de découvrir la finalité du travail de Flore Grassiot – collectif Topoï – consistant à la mise en place d’un atelier public ouvert à tous depuis 6 mois dans le quartier des Marolles. A travers une série de rencontres, ce travail visait à repenser et se réapproprier les espaces publics. L’idée était de pouvoir construire le projet au fur et à mesure des contributions, en collectant les intentions, les manques et les désirs des visiteurs habitant le quartier. Les participants étaient invités à partager leurs expériences, recettes et savoir-faire spécifiques. Cette matière collective récoltée servira dans un second temps à reformuler les usages des espaces communs. La restitution de ce travail s’est déroulée au pied du bloc, avec certains de ses habitants.

Ainsi, par petits groupes nous avons été invités à parcourir le quartier. Le Bloc, l’hôpital, la Cité Hellemans, l’atelier Recyclart, le Palais de Justice… l’ensemble des Marolles nous a été raconté, à leur façon, par les habitants. Nous avons ainsi joué le rôle de « touristes » et avons testé en avant première les « Petites visites guidées des Marolles ». A travers leur vécu et leurs expériences nous avons pu découvrir des choses insoupçonnées. C’était avant tout l’occasion de découvrir le quartier sous d’autres angles et d’échanger nos expériences et points de vue autour des façons de penser, de concevoir, de fabriquer et de vivre la ville. Très riche de sens, cet après-midi a abouti à un repas concocté par les habitants, autour duquel nous avons pu continuer d’échanger.

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Autour du repas avec les enfants

Médiagraphie :

– http://www.lemonde.fr/voyage/article/2008/04/18/itineraire-d-un-chineur-a-bruxelles_1035719_3546.html

– http://hellolosmarochos.tumblr.com/

– http://www.plastol.org/topoi/

Anaïs Rives, anais.rives@nantes.archi.fr

voyage effectué du 21 au 25 novembre 2014