En se réveillant à l’Australian Camp (1025m) nous ne savions pas encore où nous serions le prochain soir. Dans la salle du petit-déjeuner, toasts et jus de fruits nous attendent. Le jour se lève sur les sommets du massif des Annapurnas.
Annapurna I, Annapurna II, Annapurna III, Annapurna IV, Gangapurna, Annapurna Sud : six sommets entre 7100 et 8100 mètres d’altitude nous entourent.
Le Nord et l’Ouest nous sont interdits, il faut se munir d’un permis de trek afin de se diriger vers les hauts sommets. Nous venons de l’Est, de Pokhara, la deuxième plus grande ville du Népal. C’est en toute logique que nous bifurquons alors vers le Sud. Le propriétaire du lodge nous conseille de rejoindre un autre camp d’altitude, à quelques heures de marche d’ici : Panchasse-Bhanjyang.

Cela fait aujourd’hui trois jours que nous marchons dans le massif. Le rythme est soutenu mais la marche est facile. Le sentier que nous empruntons se dirige vers la vallée, ce qui n’est pas une très bonne nouvelle.  Panchasse-Bhanjyang est perché à 2030 mètres au dessus du niveau de la mer. C’est 1000 mètres de plus que là où nous sommes. Si la logique veut que l’on monte pour rejoindre un point plus haut, la topographie en a décidé autrement.

Sept ou huit heures plus tard nous atteignons enfin le hameau de Panchasse. La journée fut plus difficile que prévu. Les distances à chaque lieu portent à confusion. S’il faut dix minutes pour faire un kilomètre en terrain plat, il en faut parfois entre trente et cinquante en montagne. C’est donc épuisés que nous arrivons au niveau de la première maison. Construite en pierre, celle-ci est entourée d’un jardin, à son tour entouré d’un muret de pierre d’environ un mètre sur quarante centimètres. A mesure que nous avançons le long de la première maison, une deuxième apparaît, dans la même enceinte que la première. Les deux sont liées par une petite structure abritant une longue table et ses bancs. Sur le pignon de la seconde maison est accroché un écriteau : The Happy Heart Hotel.

Le Happy Heart Hotel – Photographie Fabrice Durand

Notre chambre dispose de trois lits simples en bois. Elle est située au rez-de-chaussée du second bâtiment. Une porte et une petite ouverture avec un volet en bois filtrent quelques maigres rayons de soleil. Le sol est fait de grandes pierres de schiste plates et les murs en pierre sont recouverts d’un enduit de terre.

A la tombée de la nuit, les températures baissent considérablement. Tout le monde se regroupe alors autour du feu, dans la cuisine. Trois blocs de pierre recouverts d’une bonne couche d’argile et de bouse, chacun d’environ trente centimètres de haut, permettent à nos hôtes de cuisiner sur deux foyers.  Pour nettoyer la cuisine, Chiza frotte les blocs à la main en y étalant une fine couche d’argile et de bouse.
La pièce est petite, tout en longueur et se réchauffe vite, mais la fumée nous oblige tous à rester assis.

La cuisine

La cuisine

Le lendemain, nous décidons de rester. Nous voyons les bâtiments qui nous ont abrité à la lumière du jour pour la première fois.  Leurs typologie, de type uni-familiale, c’est-à-dire conçus pour abriter une seule famille chacun, est courante à cette altitude et dans la région.

Les deux maisons sont en schiste taillé liées par un mortier de terre. Le rez-de-chaussée est enduit de terre et de bouse, de manière à obtenir une finition lisse et veloutée, mais aussi à inclure dans la construction une dimension religieuse, la vache étant sacrée chez les hindous.
L’enduit de l’étage laisse apparaître le relief des moellons tandis que la partie de la façade correspondante aux combles est laissée en pierre apparente. Entre l’étage et les combles, en façade, est disposé un auvent d’une cinquantaine de centimètres. On peut penser que celui-ci protège le mortier, puisque cette façade est la plus exposée à la pluie et au soleil.
Le premier bâtiment abrite dans son volume principal les pièces de vie communes : la cuisine, une salle à manger. A l’étage se trouvent leurs chambres. Dans un second volume, adossé au premier et de plain-pied se trouve des pièces de vie plus intimes, auxquelles les visiteurs n’accèdent pas.

Maya à l’entrée de la salle à manger - photographie Mike Cromwell

Maya à l’entrée de la salle à manger – photographie Mike Cromwell

Le second bâtiment, sur deux niveaux aussi, est implanté perpendiculairement au premier, dans le sens de la pente. Il abrite les chambres des clients. On accède à deux chambres par le pignon donnant sur le terrasse. Sur la façade Est, on trouve l’accès aux autres chambres, dont la nôtre. La distribution des chambres de l’étage se fait par une coursive couverte par un débord de toit. Les pierres sont laissées apparentes.

Si la tradition veut que les couvertures soient en pierres plates, la tôle offre aujourd’hui une alternative intéressante pour les népalais, du fait de son prix, de sa facilité de mise en œuvre et de son poids.
Cette question du poids est importante. Comment transporter ces blocs de pierres, à cette altitude et dans un environnement comme celui-ci, si ce n’est à dos d’homme ? Les animaux sont très peu utilisés pour cette fonction au Népal. Bien que les matériaux de construction soient prélevés dans les environs, il faut parfois aller les chercher à plusieurs centaines de mètres, voire quelques kilomètres.

Fenêtre du bâtiment 1

Fenêtre du bâtiment 1

L’unique chemin vers la vallée est une torture pour les genoux et les cuisses. Des milliers de marches faîtes de pierres plates courent sur des kilomètres. L’escalier est une œuvre en soi, un élément d’architecture en harmonie parfaite avec la montagne. Par endroit, la végétation reprend ses droits sur l’escalier, qui s’efface, se fonde dans la masse végétale. Il semble alors être un élément naturel, l’égal de l’arbre : tortueux et irrégulier. Des centaines d’escaliers sillonnent l’Himalaya, connectent les villages, hameaux et les camps de hautes altitudes entre eux. Entre monotonie et irrégularité, l’escalier fatigue et nécessite une attention constante. Les yeux rivés sur les quatre ou cinq prochaines marches, il est facile d’entrer dans une sorte de léthargie introspective,  sur fond de pierres humides.

Escalier de pierre népalais

Escalier de pierre népalais

 

– Vincent BAISNEE –

Voyage effectué en 2014-2015, présent au Népal en Mars 2015

Bibliographie :

Neverre, Toffin (1985) Un habitat de montagne au Népal : La maison des Tamang du Massif du Ganesh Himal [article] Revue de géographie alpine vol.73 n°4 (p. 411-437)

Krauskopff Gisèle (1983) L’Homme et la maison en Himalaya. Écologie du Népal. [Compte rendu] L’Homme Vol.23 n°2 (p. 143-145)

VALLES Emilie (1970) Comment assurer la continuité culturelle, en architecture, au Népal ? [Mémoire]